BINET André
1883-1966
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ELOGE FUNEBRE
Le Professeur André Binet est décédé le 1er mars dernier, loin de sa Lorraine natale, dans la banlieue parisienne, à Neuilly-sur-Seine, où il s'était retiré après une longue carrière, il y a une dizaine d'années. La surprise a été grande parmi nous, parce que depuis qu'il avait pris sa retraite fort discrètement, nous n'avions plus de ses nouvelles que de loin en loin par son élève préféré le Docteur Delacote, qui était resté en relation d'amitié avec lui. Cependant, son souvenir était resté bien vivace parmi nous. Et d'ailleurs pouvait-il en être autrement étant donné qu'il avait passé toute sa vie active en Lorraine et toute sa vie professionnelle et universitaire dans notre Faculté. Sa longue et brillante carrière universitaire n'a pas été sans difficultés, aussi n'en a-t-il que plus de mérites de l'avoir si bien illustrée. Vouloir la résumer en quelques pages est une gageure ; aussi me contenterai-je d'en rappeler les principales étapes et de signaler les plus importants de ses travaux parmi les innombrables publications qu'il a faites dans les revues médicales françaises et étrangères.
Le Professeur honoraire André Binet est né à Nancy le 10 mars 1883. Issu d'une vieille famille lorraine ayant de profondes attaches universitaires, il a fait ses études secondaires à l'Ecole Saint-Sigisbert. Après de brillantes et solides études littéraires, il passe avec succès l'examen du baccalauréat et très jeune bachelier, il entre à la Faculté de Médecine. Il s'y fait remarquer immédiatement par ses brillantes qualités intellectuelles. Ainsi il passe très rapidement les concours d'externat puis d'internat et est nommé aide de clinique le 1er novembre 1905, fonctions qu'il exerce jusqu'au 30 avril 1908 pour être nommé Chef de Clinique le 1er mai 1908. Depuis 1903, date à laquelle il fut reçu premier au Concours de l'externat, ses fonctions hospitalières puis universitaires se sont multipliées. Il a été interne pendant deux ans dans le service de Chirurgie infantile et d'orthopédie du Professeur Froelich. Ensuite, il a été nommé Chef de Clinique adjoint, puis Chef de Clinique Chirurgicale générale dans le service du Professeur Gross.
A 27 ans, à la suite d'un concours brillant, il est nommé agrégé de Chirurgie générale le 1er novembre 1910. Entre temps, il a dû interrompre ses activités hospitalières et universitaires en raison de ses obligations militaires. En effet, engagé volontaire dans l'Infanterie en 1903, il termine ses trois années d'engagement en 1906 avec le grade de Médecin auxiliaire. Rappelé à l'activité par la mobilisation générale du 2 août 1914, il est nommé successivement médecin aide-major, puis médecin-major. Entre temps, affecté au 146ème R.I., il est blessé en service commandé le 18 janvier 1915 ; ce qui lui vaut une croix de guerre bien méritée. Enfin, après de multiples affectations dans différents hôpitaux militaires où il est fait appel en particulier à ses compétences en chirurgie osseuse et en orthopédie, il est démobilisé le 23 octobre 1919.
Il reprend aussitôt sa place et son enseignement d'agrégé dans notre Faculté. Ses leçons théoriques sont très appréciées du fait de sa facilité d'élocution, de sa clarté et de sa concision. Aussi est-il nommé chargé de cours de Pathologie externe en 1919 et chargé de cours de Séméiologie chirurgicale en 1923. Il a été chargé à plusieurs reprises de la suppléance de la clinique chirurgicale infantile et orthopédique et des deux cliniques chirurgicales générales. Entre ces suppléances, il suivait assidûment l'enseignement théorique et clinique du Professeur Vautrin. C'est au contact de ce Maître qu'il semble avoir changé son orientation chirurgicale de l'orthopédie vers la gynécologie.
Aussi, à la suite de la fondation Joseph Boulanger, il est chargé par décision de la Commission Administrative des Hospices civils du 18 novembre 1927, de créer et d'organiser un service de clinique gynécologique. Ce service est d'abord installé dans les locaux qu'occupe actuellement le Centre anticancéreux. D'ailleurs, ce Centre est bientôt créé, et le Professeur Binet doit céder la place très rapidement pour émigrer à l'Hôpital Marin, dans des locaux beaucoup plus vétustes et inadaptés à une organisation hospitalière.
Dix ans après la création à Nancy du Service de Gynécologie, il est nommé Professeur de Clinique gynécologique le ler novembre 1937. C'est dans cette clinique gynécologique de l'Hôpital Marin qu'il a passé la plus grande partie de sa carrière universitaire, à part une nouvelle interruption due à ses devoirs militaires. En effet, remobilisé en septembre 1939 comme médecin lieutenant-colonel, fait prisonnier en juin 1940 et retenu comme tel pendant de longs mois malgré son âge, il ne peut rentrer à Nancy et reprendre sa place à la Faculté qu'en décembre 1941.
Après ce long intervalle, le Professeur Binet renonce définitivement à la clientèle et se consacre entièrement à son service clinique et à son enseignement. Il a d'ailleurs fort à faire car son service n'existe pratiquement plus du fait qu'entre temps l'Hôpital Marin a été utilisé comme Hôpital militaire. Aussi, peu aidé par l'administration hospitalière et avec des crédits de misère, il faut bien le dire, coupé de la clientèle et par conséquent ayant perdu tout le contact avec les médecins de la région, la pente est dure à remonter. Et cependant il s'y emploie courageusement et, aidé par des collaborateurs dévoués, il y parvient.
Pendant ces années particulièrement fécondes de sa carrière, sans négliger la gynécologie chirurgicale et surtout la chirurgie conservatrice par opposition à la chirurgie d'exérèse d'autrefois, il s'intéresse de plus en plus à la gynécologie médicale. C'est pendant cette période de sa vie universitaire qu'il a publié les meilleures de ses oeuvres scientifiques.
Rappeler les nombreux travaux du Professeur Binet ce sera même en faisant abstraction de tout ce qu'il a publié, avant de consacrer uniquement à la gynécologie, sur la chirurgie générale, chirurgie abdominale, la chirurgie orthopédique, passer en revue les chapitres de la gynécologie chirurgicale et médicale. Car le Professeur Binet a beaucoup écrit, dans de nombreuses revues françaises et étrangères, à l'occasion de nombreuses réunions, assises, journées ou congrès en France et à l'étranger, dont certains ont été présidés par lui-même : à Luxeuil, à Salies-de-Béarn, à Bordeaux, à Paris, en Espagne, etc...
Parmi les nombreuses sociétés médicales dont il faisait partie, il a surtout collaboré aux travaux de la Fédération des Sociétés de Gynécologie et d'Obstétrique de langue française, et à la Société Française de Gynécologie qui avait sa prédilection. Avant de se consacrer uniquement à la gynécologie, il a collaboré au Traité de Chirurgie réparatrice et orthopédique publié sous la direction de Jeanbrau, Nove-Josserand et Ombredanne. Il a collaboré à l'élaboration des tomes de l'Encyclopédie médico-chirurgicale dévolus à la gynécologie. Avec son élève Delacote et sa fille, le Docteur Martine Binet, il a rédigé le chapitre consacré à la parthénologie. Il a aussi rédigé avec les mêmes collaborateurs plusieurs articles sur l'eupareunie et sur les troubles de l'instinct sexuel et de l'instinct maternel. Qui ne se souvient de cette magnifique conférence qu'il a faite à une réunion de la Société de Médecine de Nancy sur l'instinct maternel ? Quel régal pour l'auditeur, car si le Professeur Binet était un grand enseigneur, c'était aussi un écrivain né. Quel style et avec quel tact et quelle discrétion il abordait les sujets les plus délicats.
Il a fait paraître plusieurs livres : « La vie sexuelle de la femme », préfacé par Siredey - « La douleur en Gynécologie » - « La gynécologie indispensable », un manuel pour étudiants et surtout intéressant pour les médecins praticiens par son côté pratique et technique - « Les régions génitales de la femme » - « Les formes de la femme - Morphologie médico-artistique », livre fort apprécié par les élèves des écoles des Beaux-Arts - « L'amour et l'émotion chez la femme », ouvrage préfacé par Laignel-Lavastine, et couronné par l'Académie Française - Enfin, « Souvenirs et propos d'un Gynécologue », qui résume en quelque sorte son oeuvre et ses conceptions sur la psychologie féminine.
Tous ces livres ont été édités plusieurs fois et certains traduits en plusieurs langues étrangères. La critique lui a été, en général, très favorable. Quelques puritains attardés lui ont, cependant, reproché d'avoir développé quelques sujets délicats, comme l'instinct sexuel et la contraception. Et cependant, avec quel tact et quelle délicatesse ne l'a-t-il pas fait ? Et ne voit-on pas aujourd'hui discuter de tels sujets dans des réunions ou des congrès médicaux, voire même dans la grande presse d'information. En ce faisant, le Professeur Binet a été un précurseur. La gynécologie française lui doit aussi d'avoir bien montré son autonomie relative et son originalité par rapport à sa soeur aînée, un peu jalouse, l'obstétrique.
Voilà brièvement résumée l'oeuvre du Professeur Binet. A travers l'oeuvre, on aperçoit l'homme : son intelligence, sa sensibilité, sa bonté pour les malades, sa simplicité avec ses élèves. J'ai été deux fois son interne : pendant un an d'abord, dans le service de chirurgie complémentaire de l'Hôpital Maringer ; pendant une autre année dans son service de gynécologie nouvellement créé ; à la fin de sa carrière enfin, pendant plusieurs années, je l'ai assisté avant de lui succéder. Toujours j'ai pu apprécier ses qualités morales et intellectuelles. Il m'a surtout appris comme à tous ses élèves le respect du malade et la primauté de l'intérêt du malade, fut-ce au détriment d'un beau geste thérapeutique et d'une magnifique publication.
Le 9 mars 1954, il y a déjà 12 ans, il prenait sa retraite et le 20 septembre 1954, il était nommé Professeur honoraire. Modeste, il n'a pas été comblé d'honneurs. Chevalier de la Légion d'honneur, il a été proposé plusieurs fois par ses pairs pour être élevé au grade d'Officier, mais sans succès. Doué d'une foi ardente et d'une philosophie sereine, il semblait trouver en lui la satisfaction du devoir accompli.
Ce n'est pas sans émotion que j'ai évoqué l'oeuvre du Professeur André Binet et les souvenirs des quelques années que j'ai eu l'honneur et la chance de passer dans le service de gynécologie qu'il avait créé et qui, du fait du lustre qu'il lui avait donné, a valu à notre Faculté la création d'une nouvelle chaire. La science médicale française, la gynécologie et notre Faculté doivent beaucoup au Professeur André Binet ; c'est la raison pour laquelle je lui rends ce dernier hommage. Avec tous ses élèves, j'exprime à Madame André Binet, ainsi qu'à ses enfants, nos très sincères sentiments de condoléance ; qu'ils sachent que son souvenir parmi nous n'est pas prêt de se perdre et que sa mémoire sera toujours vénérée dans notre Faculté qu'il a si bien servie.
Professeur B. BERTRAND