I - LA CONSTRUCTION DE L’HOPITAL CENTRAL
1
- LES ORIGINES
L'HOPITAL SAINT-CHARLES
L'Hôpital Civil remplaça l'Hôpital Saint-Charles dont les
origines remontaient au XVIIe siècle. Ce
dernier était situé en plein centre de Nancy, enserré par les actuelles rue
Saint-Jean, Clodion et Saint-Thiébaut.
Vers les
années 1860, cet Établissement commença à se révéler inadapté aux besoins de
l'époque. Trop exigu, surtout après la création de lits supplémentaires
consécutive aux legs COLLINET DE LA SALLE (1) (20 lits en 1862) et ROGER-DE-VIDELANGE (2) (8 lits fondés en 1868) et en raison
de l'accroissement de la population urbaine, il était en outre vétuste et
insalubre. Un ruisseau souterrain traversait le terrain sur lequel il était
construit et les malades souffraient non seulement de l'humidité qui en
résultait, mais aussi du vacarme qui provenait du Quartier de cavalerie situé à
proximité de l'Établissement.
Une bonne
description de l'Établissement nous est fournie par l'Inspecteur Général, le
Docteur A. FOVILLE, dans son rapport faisant suite à une inspection des
Établissements Hospitaliers nancéiens en Septembre 1882 :
" L'Établissement Saint-Charles... occupe tout un îlot de
construction entre quatre rues, sur chacune desquelles les bâtiments sont en
bordure. Une seule de ces rues est d'une assez grande largeur, c'est la rue
Saint-Jean sur laquelle donne la façade d'entrée de l'Hôpital. Les trois autres
sont étroites et sombres, l'Hôpital est donc mal entouré et insuffisamment
isolé. Il a pour voisinage immédiat, une caserne de cavalerie...
" En
faisant le tour de l'Hôpital Saint-Charles par les rues qui le limitent, on
voit en plusieurs endroits des saillies fort disgracieuses accolées à ses murs,
et à défaut d'autres indices la couleur des infiltrations qui découlent de ces
appendices suffirait à montrer que ce sont les cabinets d'aisances que faute de
place à l'intérieur, on a dû suspendre au dehors surplombant la voie publique.
" A
l'intérieur du bâtiment, on rencontre une première cour passable, puis une seconde
cour tout à fait insuffisante, et encore par derrière, une troisième absolument
mauvaise. Ces trois cours sont d'ailleurs entourées sur les quatre faces de
constructions élevées et l'aération en est très défectueuse...
" Les
salles de malades sont tenues avec un très grand soin et une remarquable
propreté. On fait donc ce qui est possible pour atténuer les inconvénients du
mauvais emplacement, mais le milieu n'en est pas moins complètement impropre
au maintien d'un grand établissement hospitalier. "
Au milieu
du XIXe siècle, sous la pression des
médecins qui outre leur fonction hospitalière enseignaient à l'École
préparatoire de médecine, la Commission des Hospices avait consenti à apporter
quelques améliorations. Mais la situation financière des Hospices ne permit
pas de doter l'hôpital d'un équipement suffisant.
Les
importants legs faits aux Hospices dans les années 1860 conduisirent les
administrateurs à envisager un transfert de l'hôpital dont l'amélioration sur
place apparaissait difficilement réalisable, en raison notamment de
l'impossibilité d'une extension des bâtiments et de l'absence de terrains
disponibles dans les alentours.
(1) Le 23 juillet 1862, mourait dans son
château de Pompey, Charles-Edouard COLLINET DE LA
SALLE, riche propriétaire, après avoir constitué en 1854 les Hospices Civils,
ses légataires universels. Les Hospices héritèrent d'une coquette fortune,
chiffrée à 3 millions de francs de l'époque et essentiellement constituée de
forêts situées dans les Vosges.
(2) Quelques années plus tard. Monsieur ROGER, ancien Inspecteur
de l'Enregistrement, léguait aux Hospices, au nom de sa femme née DE VIDELANGE
l’importante somme de 250000 F.
LE
RAPPORT LECLERC DE 1867
L'étude
d'un transfert de l'Hôpital Saint-Charles qui était en outre compliquée du
problème posé par le rachat des droits de propriété et d'habitation des
bâtiments de l'Hôpital, reconnus à la Congrégation des sœurs de Saint-Charles
par le Décret de 1808, fut confiée à une Commission spéciale présidée par un
administrateur des Hospices : LECLERC, Vice-Président
de la Commission Administrative.
Dans un
rapport présenté le 8 Février 1867, le Vice-Président
LECLERC préconisa d'abandonner toute idée d'amélioration de l'Hôpital
Saint-Charles et de construire un nouvel établissement Faubourg Saint-Pierre où les Hospices avaient déjà acquis en 1860 le
Jardin Sonrel, dit "de la Prairie " pour
alimenter en légumes, l'Hospice Saint-Stanislas
(hospice des orphelins situé non loin de là) et pour former un certain nombre
d'orphelins à la profession de jardinier.
Sur le vu d'un long rapport motivé et présenté par le Docteur
SIMONIN le 20 Décembre 1867, le Conseil d'hygiène se rallia aux propositions du
rapport LECLERC.
La
Commission Administrative des Hospices donna à son tour son approbation et
décida l'acquisition des terrains à la réalisation du nouvel établissement.
C'est ainsi qu'elle acquit au Faubourg Saint-Pierre,
l'Hôtel de l'agriculture et la maison Gérardin.
Mais sur
ces entrefaites survint la guerre franco-prussienne
de 1870 qui ajourna ces projets.
LES
CONSEQUENCES DE LA DEFAITE DE 1871
Au
lendemain de la guerre de 1870, la situation s'aggrava. L'Hôpital
Saint-Charles fut encombré par l'arrivée de malades payants envoyés par la
Compagnie du Chemin de Fer de l'Est et par les nombreuses usines qui se
développèrent dans les environs de Nancy.
La
population s'accrût sous l'effet de l'industrialisation et en raison de
l'afflux d'émigrés consécutif à l'annexion de l'Alsace et de la Moselle.
En effet,
la guerre désastreuse de 1870-1871 et le traité de Francfort qui y mit fin,
eurent des effets importants sur l'évolution de Nancy. Les habitants des
départements annexés qui optèrent pour la France vinrent pour la plupart se
fixer en Lorraine à proximité de leur terre natale à laquelle ils restaient
attachés. C'est ainsi que la population nancéienne augmenta sensiblement,
passant de 50000 habitants à la veille de la guerre, à 59978 en 1872, puis à
68263 en 1877 et à 73225 en 1882.
De riches
industriels émigrés érigèrent rapidement dans la banlieue nancéienne de
nouvelles usines qui permirent heureusement de fournir des emplois à une partie
de la main-d'œuvre exilée.
Mais les
besoins d'hospitalisation s'en trouvèrent fortement accrus tant pour la
catégorie des indigents, que pour celle de la population ouvrière.
LE
TRANSFERT DE LA FACULTE DE MEDECINE DE STRASBOURG EN 1872
Toutefois,
l'événement le plus marquant de cette époque et celui qui allait avoir le plus
d'influence sur l'évolution de l'Hôpital Civil fut le transfert à Nancy de la
Faculté de Médecine et de l'École Supérieure de Pharmacie de Strasbourg, par
décret présidentiel du 1er Octobre 1872, en confirmation du vote
émis par l'Assemblée Nationale le 21 Mars 1872. Ce transfert faisait de Nancy
la troisième Faculté de Médecine de France après Paris et Montpellier.
L'arrivée
de la Faculté de Médecine ne pouvait que mettre davantage en évidence les
graves insuffisances de l'Hôpital Saint-Charles : insuffisance au point de vue
du nombre des lits, mais aussi de l'hygiène et de l'équipement médical.
Pour rendre possible l'enseignement, les deux cliniques médicales
furent installées à l'Hôpital Saint-Charles où fut créée aussi une clinique
pour les maladies des yeux. L'installation des deux cliniques chirurgicales
posa quelques problèmes : la Ville les résolut en cédant aux Hospices son dépôt
de mendicité, qui sous la dénomination d'Hôpital Saint-Léon, accueillit les 70
lits de chirurgie.
Cette
solution ne pouvait qu'être provisoire. Après examen de diverses possibilités,
telles que le transfert de Saint-Charles dans un autre bâtiment, en
l'occurrence l'Hospice des orphelins, plus spacieux et présentant de meilleures
conditions d'hygiène, la construction d'un nouvel hôpital apparaissait comme la
seule satisfaisante.
LE
RAPPORT LECLERC DE 1873
Une
commission fut à nouveau désignée pour étudier le problème du transfert de
l'Hôpital Saint-Charles et celui de la réorganisation des deux autres
établissements faisant partie des Hospices Civils de Nancy. Ses travaux
débouchèrent sur un rapport daté de Juin 1873 dans lequel son rédacteur
LECLERC brossa un état de la situation et présenta les deux solutions
envisageables, avec leurs avantages et leurs inconvénients respectifs :
• La
première, déjà préconisée en 1867, était de construire un nouvel établissement,
rue de la Prairie. La Commission des Hospices, à la veille de la guerre de
1870, pensait être en mesure de financer ce projet grâce à l'important legs
COLLINET DE LA SALLE, qui consistait en immeubles et surtout en forêts. Elle
escomptait aliéner les immeubles et tirer d'importants revenus de la coupe des
forêts pour constituer au fil des années un capital suffisant qui la
dispenserait de contracter un emprunt onéreux. Mais il lui fallut tenir compte
de la volonté du testateur qui avait notamment exprimé le souhait que son legs
serve à l'entretien de lits fondés dans les divers Établissements.
Elle ne put donc pas aliéner les immeubles, et d'autre part elle ne
put bénéficier du produit des coupes extraordinaires
auxquelles elle désirait procéder pour des raisons techniques tenant aux
caractères des forêts léguées. Sur ce, la guerre de 1870 éclata, le coût de la
construction augmenta et les Hospices durent faire face à des frais imprévus,
en particulier un incendie ravagea en Avril 1872 une grande partie de l'Hospice
Saint-Stanislas.
• La
seconde possibilité avait été suggérée par la Faculté de Médecine. Il s'agissait
de convertir l'Hospice Saint-Stanislas en hôpital
pouvant accueillir 320 malades. Cette solution moins coûteuse avait été proposée
par les médecins qui étaient pressés de disposer d'un établissement
hospitalier convenable et pensaient qu'elle serait également plus rapidement
réalisée.
A la suite
de ce rapport, aucune décision ne fut prise dans l'attente d'une modification
de la Commission Administrative qui devait intervenir peu après.
LE
RACHAT DES DROITS DE PROPRIETE DE LA CONGRÉGATION
En vue de
préparer le transfert de l'Hôpital, la Commission des Hospices poursuivit ses
tractations avec la Congrégation des Sœurs de Saint-Charles (1) pour lui
racheter ses droits de propriété sur l'Hôpital Saint-Charles.
Après une
première offre de 100000 F jugée insuffisante, la Supérieure signa, le 7
Novembre 1874, une transaction par laquelle la Congrégation renonçait à tous
ses droits de propriété et d'habitation sur tous les terrains et bâtiments
compris dans l'enceinte de l'Hôpital Saint-Charles moyennant une indemnisation
de 141152 F. Mais la question ne devait définitivement être réglée qu'en
Janvier 1885, date à laquelle ce fut la Ville de Nancy qui racheta les droits
de propriété à la Congrégation conformément aux accords que la municipalité
avait conclus avec les Hospices en ce qui concerne le financement du nouvel
hôpital.
(1) Par un décret impérial du 13 Février 1808, qui confirmait
l'existence légale de la Congrégation de Saint-Charles, les religieuses de cet
Ordre s'étaient vu accorder un droit d'habitation à perpétuité dans la Maison
Hospitalière pour y installer leur maison-mère et
leur noviciat.
LE
FINANCEMENT DE L'HOPITAL CIVIL
Le
problème du rachat des droits de propriété de l'Hôpital Saint-Charles étant
pratiquement réglé, la Commission Administrative envisagea le transfert de
l'Hôpital, mais la question de son financement souleva une vive polémique avec
la municipalité.
Cette
dernière estimait que les Hospices n'avaient qu'à vendre leurs immeubles pour
financer l'opération et en échange elle s'engageait à combler annuellement les
déficits budgétaires.
Les
administrateurs des Hospices refusèrent énergiquement d'aliéner la dotation de
leurs établissements en rappelant que celle-ci avait pour objet non pas de
financer des constructions, mais d'entretenir les fondations de lits. Les
aliéner aurait entraîné la suppression des lits. Ils avancèrent en outre que ce
n'était pas à eux mais à la Ville de subvenir aux charges hospitalières parce
que celles-ci résultaient de l'accroissement de la population et ils se
refusaient aussi à supporter les frais entraînés par l'installation de la
Faculté de Médecine et les exigences de l'enseignement.
Les
divergences de vues étaient telles entre les deux parties que le projet de
reconstruction fut abandonné au profit de celui d'une amélioration des
établissements existants, solution moins coûteuse.
Mais
finalement, par délibération du 9 Avril 1877, le Conseil Municipal décida qu'un
nouvel hôpital serait construit à ses frais sur les terrains de la Prairie,
avec la participation des Hospices dans des conditions à débattre. Il est
probable que l'influence et les pressions exercées par le corps médical ne
furent pas étrangères à ce brusque déblocage de la situation. Les délibérations
du Conseil Municipal des 19 Février, 12 Mars, 26 Novembre 1878 et 13 Avril
1879, aboutirent à la convention suivante : la Ville bâtirait le nouvel hôpital
à ses frais, conformément aux plans adoptés, sur les terrains dits de la
Prairie. Les Hospices abandonneraient à la Ville leurs droits de co-propriété
sur l'immeuble Saint-Charles, sous réserve que la municipalité se charge
d'indemniser la Congrégation dans les conditions prévues par la transaction de
1874, de plus, ils participeraient à la dépense jusqu'à concurrence d'une somme
de 200000 F (laquelle fut augmentée d'une nouvelle indemnité bénévole de 63000
F, consentie par délibération du 18 Mai 1882). A cette somme, il faut ajouter
la valeur nette des droits sur l'immeuble, évaluée à 210000 F, soit pour le total
de la subvention, 473000 F, plus la valeur des terrains à bâtir, estimée à 414000
F. La participation totale des Hospices se monta à 677000 F sans tenir compte
de la valeur des bâtiments de l'Hôpital Saint-Charles cédés à la Ville.
L'ensemble
des constructions fut évalué à 1800000 F et devait être financé par la Ville.
Celle-ci et en l'occurrence son Maire, qui était alors le Sénateur BERNARD
souhaitait que l'emprunt devant servir au financement du futur hôpital, soit
contracté sur 50 ans par les Hospices eux-mêmes, la Ville s'engageant à
rembourser les annuités et les intérêts. Cette pratique suscita la méfiance des
administrateurs des Hospices. Le Maire eut beau expliquer qu'il était logique
que l'emprunt devant finalement bénéficier aux Hospices soit contracté par eux
et que l'on pouvait espérer qu'ainsi il y aurait plus de chance qu'ils
s'attirent de nouvelles donations de bienfaiteurs soucieux de les aider à
rembourser leur dette, la Commission Administrative refusa de souscrire
elle-même l'emprunt ; ce en quoi elle eut sans doute tort parce que la
construction de l'Hôpital lui échappa presque totalement.
L'équipement
mobilier de l'Hôpital fut également payé par la Ville. Son coût fut déduit de
la subvention versée annuellement par cette dernière aux Hospices.