` sommaire

La jonction scapulo-thoracique considérée comme une articulation :

un concept né à Nancy

 

par B. PETITDANT

 

Le médecin-major de 2ème classe Francis Miramond de Laroquette (1) rejoint sa nouvelle affectation, le 5e régiment de hussards cantonné à Nancy le 23 septembre 1904. Lui qui monte bien à cheval (2) est ravi de rejoindre un régiment de cavalerie. Ravi de rejoindre cette ville en pleine expansion, qui depuis la défaite de 1870, est la première grande ville à moins de 30 Km de la nouvelle frontière. Nancy n’est pas fortifié, mais des casernes sortent de terre, le cap des 10000 soldats va bientôt être franchi (3).

Il arrive auréolé par une médaille de vermeil reçue de l’Académie de Médecine en décembre 1900 pour son « Etude de la vaccine et variolisation en Algérie » réalisée lors de l’une de ses premières affectations (4, 5).

D’autres publications se succèdent, avant la fin de cette année 1904 La revue de Médecine publiera son « Mémoire sur la sclérose latérale amyotrophique ». Le cas d’un troupier lui donne l’occasion d’un nouvel article « Note sur un cas de tétanos spontané » qui sortira en 1905, dans Le Caducée.

L’émulation entre les différents régiments de Nancy, son expérience, ses publications, son goût pour la chirurgie qu’il a déjà manifesté lorsqu’il était Santard (2) le conduisent à s’inscrire à l’attestation d’études supérieures biologiques d’université. En plus des cours, il doit préparer un mémoire intitulé « Etude anatomique et mécanique de la ceinture scapulaire ». Pour le réaliser il travaille au laboratoire d’Anatomie du Professeur Adolphe Nicolas.

Aux qualités et à la vision de l’anatomie de son Maître, Francis ajoute ses qualités propres, en particulier ses connaissances des sciences physiques, son sens de l’observation et son sens pratique.

Dans son mémoire Francis veut mettre en lumière le mécanisme des mouvements de la ceinture scapulaire et la part qui leurs revient dans les mouvements du membre supérieur. Ses recherches bibliographiques, ses dissections lui montrent que l’étude de cette région est incomplète. Les éléments ont peut-être déjà été étudiés séparément, mais il n’y a pas de description d’ensemble. Il regrette en particulier que la jonction scapulo-thoracique ait toujours été passée sous silence. En plus des recherches bibliographiques et des dissections, ce travail analyse les mouvements de la ceinture scapulaire. Pour cela il s’appuie sur des schématisations de la clavicule et de la scapula sur lesquelles agissent la décomposition des vecteurs force des différents muscles, des analyses des mesures prises sur plus de trente sujets normaux, des analyses des mêmes mesures prises sur des sujets pathologiques (paralysies, hyperlaxité), des analyses des mêmes mesures prises sur des radiographies. Pour ces radiographies, Francis s’adresse au Professeur Guilloz, chef du service de Radiologie, qui en plus des «photographies Roentgen», envisage également l'intérêt des rayons X pour les travaux d'anatomie. Les mouvements de la scapula que Francis veut mettre en évidence sont la parfaite illustration de ses projets. Les deux hommes n’ont que 3 ans de différence, tous deux sont doués de curiosité scientifique, ingénieux et astucieux. Une solide amitié va naître et inspiré, soutenu par Guilloz, Francis va lui aussi se consacrer à la radiologie parallèlement à la physiothérapie.

Francis est, avec ce travail, le premier à noter :

- que la scapulo-thoracique doit être considérée comme une articulation, notion que plus personne ne conteste même si beaucoup ont oublié qui en était le père,

- que les déplacements de la scapula dépendent des articulations sterno-claviculaire et acromio-claviculaire et que la clavicule et la scapula subissent également par l’intermédiaire de l’humérus les actions du deltoïde, du grand pectoral et du grand dorsal ce qu’il est convenu d’appeler maintenant un complexe articulaire, notion que plus personne ne conteste,

- que le processus (apophyse) coracoïde est un élément de premier importance dans la mécanique de l’épaule, notion réintroduite de nos jours (6) sous les termes de « noyau central de l’épaule » ou « étoile coracoïdienne »,

- que la clavicule est animée d’un mouvement de rotation pendant la totalité du mouvement d’élévation du bras,

- que les mouvements de la scapula sont un ensemble de rotations autour d’axes situés dans les 3 plans,

- que les déplacements de la scapula sont sous l’action de couple de force musculaire, notion maintenant étendue à l’ensemble du complexe (6),

- que le mouvement de la scapula débute dès le début du mouvement d’abduction ou de flexion, ce que les premiers utilisateurs de système optoélectronique informatisé ont redécouvert (7),

- qu’un tiers des mouvements d’élévation et d’abduction du bras passent dans les articulations de la ceinture et pour deux tiers dans la scapulo-humérale, ce qu’il est convenu d’appeler maintenant le rythme scapulo-huméral, notion maintenant attribuée à Codman qui ne publiera pourtant qu’en 1934 (8).

Le 19 juillet 1907 Francis présente son travail, il est reçu avec éloges. Ce n’est qu’en 1909 que ce travail sera connu de tous, son mémoire est en effet publié dans les numéros de juillet, septembre et novembre de la Revue d’Orthopédie (9). La même année nous trouvons également un livre portant ce même titre aux éditions Masson, l’éditeur de la Revue d’Orthopédie. Nous pensons qu’il s’agit là d’un tiré à part car cet ouvrage n’est pas référencé à la Bibliothèque Nationale de France, mais figure sur la liste des ouvrages de la Bibliothèque Interuniversitaire Médicale de Paris comme « extrait de la Revue d’Orthopédie ».

Il reçoit en 1910 le prix Baron Larrey de l’Académie des Sciences pour ce travail sur la ceinture scapulaire. Le jury comporte des noms prestigieux d’Arsonval, Lannelongue, Laveran. Le rapport d’Edmond Perrier le flatte particulièrement puisqu’il met en exergue la « tendance absolument scientifique » de son étude, sa recherche sur le vivant du « mode d’action de chaque paquet de fibres musculaires », le fait qu’« aucun des points essentiels de la mécanique et mouvements des bras n’est laissé dans l’ombre » (10).

Après les décès de Poirier et de Charpy, Nicolas a continué, révisé, réédité le célèbre traité qui porte leurs noms, il y introduit la notion de synsarcose ou syssarcose scapulo-thoracique et l’ensemble des travaux de son élève (11).

Lors de son séjour à Nancy jusqu’en décembre 1910, Francis, qui fut tout à la fois militaire, médecin, chercheur, inventeur, dépose trois brevets, et rédige plusieurs articles et communications (1). Les liens tissés lors de ce séjour restent chers à son cœur puisque son « Atlas d’anatomie pour l’électrodiagnostic et la physiothérapie »(12), publié en 1918, est dédié aux professeurs Théodore Guilloz et Adolphe Nicolas.

 

Bernard PETITDANT

Cadre de Santé Masseur Kinésithérapeute

Institut Lorrain de Formation en Masso-Kinésithérapie

57 bis rue de Nabécor 54000 Nancy. bpetitdant@sincal-cto.fr

 

REFERENCES

 

1 – PETITDANT B. : Docteur François Miramond de Laroquette (1871-1927) 1ère partie

Société Internationale d’Histoire de la Médecine. Vésalius, XIII, 1, 34-9, 2007.

2 -  Service Historique de l’Armée de Terre, Château de Vincennes. Dossier 8 YE 5852

3 - ROTH F. : Nancy, capitale de la France de l’Est p 12-40 in Art Nouveau - l’Ecole de Nancy

Paris, Denoël, 1987

4 - Bulletin de l’Académie de Médecine, séance du 15 mai 1900

5 - Bulletin de l’Académie de Médecine, séance du 18 décembre 1900

6 - BONNEL F. : Epaule et couples musculaires de stabilisation rotatoire dans les trois plans de l’espace p 34-51 in L’épaule Paris, Springer-Verlag France, 1993.

7 - LEROUX J.L., MICALLEF J.P. : Etude cinématique de l’épaule par le système Elite, p 57-65 in L’épaule Paris, Springer-Verlag France, 1993.

8 - CODMAN E.A. : The shoulder  Boston, Thomas Todd Co., 1934

9 - MIRAMOND de LAROQUETTE F. : Etude anatomique et mécanique de la ceinture scapulaire . Revue d’Orthopédie, 10, N°4, juillet 1909, p 311-38, N° 5, septembre 1909, p 399-462, N° 6, novembre 1909, p 537-71.

10 – Académie des Sciences

Comptes-rendus hebdomadaires des séances, tome 151, juin-décembre 1910, p 1236-38

Disponibles sur le site http://gallica.bnf.fr/

11 - POIRIER P., CHARPY A., NICOLAS A. : Traité d’anatomie humaine, tome 1, Arthrologie, p 119-36. Masson, Paris, 1926.

12 - MIRAMOND de LAROQUETTE F. : Atlas d’anatomie pour l’électrodiagnostic et la physiothérapie. Paris, JB Baillière, 1918.

Sa traduction anglaise numérisée (Atlas for electro-diagnosis and therapeutics, London : Bailliere, Tindall and Cox, 1920) est disponible sur le site http://www.archive.org/index.php, puis “search” mot clé : « Electrotherapeutics »

 

 

Marie, François, Auguste Miramond de Laroquette (1871-1927)

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Marie, François, Auguste Miramond de Laroquette est né le 10 septembre 1871 à Riom dans le Puy de Dôme, François pour l’état civil, mais il ne sera connu que sous le prénom de Francis sa vie durant. Quelques jours avant ses 20 ans, il devient « Santard » c’est-à-dire élève de l’école de santé militaire de Lyon et signe un engagement volontaire dans l’armée pour trois ans. Il soutient sa thèse en octobre 1894 et il est nommé médecin stagiaire à l’école d’application du Val de Grâce à Paris. En août 1895 il est médecin aide major de 2e classe au 91e régiment d’infanterie à Charleville-Mézières. Il passe avec succès l’examen de médecin auxiliaire le 17 juillet 1897 et dès le 1er août est promu médecin aide major de 1e classe. Sa première affectation algérienne en novembre 1897 est à l’ambulance de Sidi-Aïssa. Puis ce sera l’hôpital militaire annexe d’El-Goléa où il reste un an, retour à l’hôpital du Dey à Alger pour 6 mois avant d’intégrer le 5e chasseur d’Afrique en octobre 1899. En Chine après l’épisode dit « des 55 jours de Pékin », un corps expéditionnaire international est mis sur pied pour occuper le territoire chinois et imposer à l'impératrice la paix et la répression des Boxers. Il en fait partie et arrive en octobre 1900, avec son régiment de zouaves. En avril il fête sa promotion de médecin major de 2e classe. A son retour en 1901, il retrouve son Auvergne natale en intégrant le 92e régiment d’infanterie de Clermont-Ferrand en octobre. En septembre 1904 il rejoint le 5e régiment de hussards cantonné à Nancy. Il s’y inscrit à l’attestation d’études supérieures biologiques d’Université. Il rédige un mémoire intitulé « Etude anatomique et mécanique de la ceinture scapulaire ». Il est le premier à considérer la jonction scapulo-thoracique comme une articulation. A Nancy il s’intéresse particulièrement à la luminothérapie, à l’héliothérapie et à la thermothérapie. Il met au point d’un radiateur photo thermique, qu’il fait breveter, puis le 4 mars 1910, un nouveau brevet pour un autre appareil portable destiné à donner des douches d’air chaud. Après Nancy, il se retrouve à Macon au 134e régiment d’infanterie où il arrive en janvier 1911. Dès janvier 1912, il rejoint Alger, au 1e régiment de zouaves comme médecin major. Nouvelle d’affectation, mais sans quitter Alger puisqu’il est nommé à l’hôpital du Dey le 29 janvier 1913. Dans ce pays de soleil, il poursuit ses travaux sur l’influence de la lumière. La guerre est déclarée le 3 août 1914. Le 24, il embarque avec la 3e brigade du Maroc vers la métropole. Très vite il se retrouve sur le front dirigeant la première ambulance de la 3e brigade du Maroc. Son ambulance est à l’orée de la forêt de Laigue et fait figure de modèle de formation sanitaire avancée. Le 17 avril 1915, il est cité à l’ordre de la Brigade avec son ambulance. À son grand désespoir, il doit être évacué à l’arrière pour ictère suite à une cholécystite subaiguë. Après sa convalescence, il sera affecté au dépôt début juillet 1916. Il ne retrouvera une ambulance que le 17 janvier 1917 comme médecin chef aux armées, adjoint au chef supérieur de la 6e armée. Trois mois plus tard, jour pour jour, il devient médecin divisionnaire de la 126e division. Le 3 juin, il passe médecin principal de 2e classe à titre provisoire et participe à l’attaque du saillant de Verdun le 20 août 1917 où il est gazé. Il se voit cité le 12 septembre à l’ordre de la 15e Armée. La campagne de France s’achève pour lui avec l’année 1917, il regagne l’Algérie pour Noël avec une promotion de directeur adjoint du service de santé de la division d’Alger. Il découvre que l’hôpital du Dey s’appelle maintenant Hôpital Maillot en souvenir de son confrère qui a endigué le paludisme avec la quinine. Il devient membre correspondant de la Société de Pathologie Exotique à ce moment et le sera jusqu’à sa mort. Le 10 février 1918 son titre de médecin principal de 2e classe lui est attribué à titre définitif. En avril 1919 il est nommé chef du centre de physiothérapie de l’Afrique du Nord à l’Hôpital Maillot. En juin 1920, il est promu officier de la Légion d’Honneur pour avoir protéger le drapeau du 7e tirailleurs en 1914. En mars 1921 il est nommé médecin-chef. Un nouveau tournant apparaît, ses publications antérieures étaient en grande partie consacrées à la lumière, il pratique également la radiologie et commence à publier sur ce thème. Après 32 ans de service effectif, dont 14 ans, 4 mois, 28 jours de campagne, le 16 septembre 1922, Francis est admis à faire valoir ses droits à la retraite. Retraite militaire car il ouvre un cabinet de radiologie à Alger. Il est décédé le 26 juillet 1927 à Paris. Il est inhumé le 1er août au cimetière de Louyat à Limoges.