Un agrégé honoraire célèbre du Collège
royal de Nancy :
Antoine LOUIS (1723-1792)
Jean FLOQUET
Le
Collège royal de Médecine de Nancy comptait des membres divers, dont
l’existence était prévue, dès l’origine, dans les statuts. Ceux-ci figurent
dans les Lettres patentes données par le Roi Stanislas le 15 mai 1752, acte
fondateur de cet établissement. Sous l’autorité d’un conseil de 5 membres, le
Collège rassemble de droit, lors de sa constitution, tous les docteurs en
médecine de la ville de Nancy ; il est, de ce fait, parfois désigné sous le nom
de Collège des Médecins de Nancy. Ensuite, le Collège accueille les médecins
qui s’installent à Nancy, selon des critères bien précisés. L’article IX des
statuts prévoit la possibilité « d’aussi recevoir pour agrégés des Médecins
de réputation et connus par leur science et par les ouvrages qu’ils auront
composés, lesquels seront partiellement exempts des épreuves, examens et
formalité cy-dessus ». C’est ainsi que vont
apparaître à côté des Agrégés ordinaires, des Agrégés honoraires, répondant aux
critères de cet article IX. Plus tardivement apparaîtront des membres
correspondants et des associés d’honneur, chargés de traduire le rayonnement de
la Médecine lorraine.
Antoine
Louis figure sur
les relevés des membres des Agrégés honoraires, par contre l’acte officiel de
réception ne figure pas dans les registres du Collège, ce qui est loin d’être
exceptionnel. Louis est Lorrain d’origine, issu d’une famille messine. Il naît
en 1723 d’un père chirurgien-major à l’hôpital militaire de Metz. Elève
brillant, il fait donc ses premières armes à l’école paternelle et devient, à
son tour, chirurgien-major d’un régiment avec lequel il participe à la campagne
des Flandres. Il va migrer vers la capitale de la France, attiré par La Peyronie. Il va s’y distinguer. Dès l’âge de 23 ans, il est
membre de l’Académie royale de Chirurgie qui vient d’être fondée, il est vrai,
par son protecteur. Il en sera de nombreuses années le Secrétaire perpétuel. Il
est un des premiers chirurgiens à présenter une thèse en latin « Propositiones anatomicae et chirurgicae de vulnerabilis capitis » (Propositions anatomiques et chirurgicales à
propos des blessures de la tête). Chirurgien de l’hôpital de la Salpêtrière
puis de celui de la Charité, son ascension est fulgurante ; il est nommé
chirurgien consultant de l’Armée du Rhin, puis Inspecteur Général des hôpitaux
du Royaume. Il joue un rôle essentiel dans la reconnaissance de la chirurgie
comme partenaire de la médecine, ce qui était loin d’être acquis à cette date.
Diderot
et d’Alembert lui ont demandé de rédiger la partie chirurgicale de
l’Encyclopédie. Il va manifester une curiosité pour une discipline encore
méconnue, la médecine légale, ce qui aura quelque conséquence que nous allons
évoquer ! Mais pour répondre de façon correcte aux questions qui lui sont
posées dans le domaine des expertises, il suit une formation en droit. Il est
reçu docteur dans cette discipline et avocat au Parlement. Il peut donc être
considéré comme le fondateur en France de la médecine légale, réussissant même
à faire comprendre son importance à la Faculté de médecine de Paris qui,
jusqu’alors, la dédaignait. Ses connaissances et ses travaux en cette matière
vont le faire choisir par un autre Messin, le Procureur général Pierre Louis
Roederer, pour se pencher sur l’efficacité d’une machine, inventée quelques
années auparavant par le Sieur Guillotin. Cette machine, utilisée pour la
décapitation des sujets condamnés à la peine de mort, provoquait des lésions
importantes et des résultats encore aléatoires. Louis, sur la base de
l’anatomie cervicale, s’appuyant d’autre part sur une expérimentation animale
chez le mouton, répond le 7 mars 1792 dans un mémoire intitulé : « Consultation
motivée sur le mode de décollation nouveau ». Il met au point le caractère
biseauté de la lame. Le peuple lui rendra hommage ? en baptisant la guillotine
améliorée du nom de « La Louison ».(1) Il n’a pas eu le temps de voir l'efficacité
remarquable de son intervention. Il décède en effet le 20 mai 1792. Resté très
simple malgré les honneurs, il est enterré dans le cimetière des pauvres de
l’Hospice de la Salpêtrière.(2)
Louis
a manifesté sa reconnaissance au Collège royal de Nancy en lui faisant don de
deux œuvres, sans que l’on sache toutefois quand, exactement, elles sont
parvenues dans les collections du musée. Toutefois, signalons que ces deux œuvres
sont mentionnées par Lionnois (1730-1806) dans son
ouvrage sur la ville de Nancy, donc vers 1800. La première est son propre
portrait que l’on peut voir dans la galerie attenante à la Salle du conseil de
la Faculté de Médecine.
Ce
tableau - 79x63 cm - le représente assis devant son bureau dans une position
méditative. Sa main, tenant une plume d’oie, surplombe légèrement des feuilles
où il écrit, un coffret rouge, puis encore du papier. A l’arrière-plan,
quelques livres. Louis est vêtu d'une veste noire sur chemise à revers de
dentelle et jabot. Il porte une courte perruque poudrée et l’ensemble des
éléments de cette composition est typique du XVIIIème siècle.
Ce
tableau a été remis au Collège par Louis lui-même à l’occasion de sa réception
comme associé. Il en existe un exemplaire identique - copie ou original ? - au
Musée de Metz, qui a été attribué par Georges Wildenstein,
expert réputé, à Jean-Baptiste Greuze (1725-1805). (4)
La deuxième œuvre offerte au Collège par Louis est
un portrait de Guy de Chauliac (vers 1297-1368). Il orne l’un des murs de la
salle de thèses N°2. Ce médecin illustre, qui a donné son nom à la Faculté de
Médecine languedocienne, fut un chirurgien célèbre. Il soigna trois papes en
Avignon et son traité de chirurgie - dont il fit une traduction française -
Guidon de la pratique de cyrurgie, Lyon 1478 -
restera utilisé jusqu’au XVIIIème siècle. Il en existe un exemplaire à la
bibliothèque universitaire de Médecine de Nancy. L’admira- tion
de Louis est donc compréhensible. La donation est attestée par une longue
inscription noire sur un bandeau doré à la partie basse du tableau.
Sur le cadre doré (101x85 cm) une inscription est lisible
sur le bord inférieur :
« A LOUIS ACAD R CHIR SECRET PERP IN
SALUB HALAE= MAGDEB & CONSULT PARIS FACULT DOCTOR R C MED NAC SOC HON ». (Antoine) Louis secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de
Chirurgie de Paris,…… ??.... consultant, docteur de la Faculté de Paris,
sociétaire honoraire du Collège royal de Médecine de Nancy. (3)? sociétaire honoraire du collège de Lorraine, Secrétaire
perpétuel de l’Académie Royale de chirurgie de Paris, juge.
« HANC VERAM GUIDONIS A CAULIACO
EFFIGIEM REGIO MEDICI. NANC. COLLEGIO DD. ANT LOUIS, Nobilibus Atavis Lothar. Editus, Collegii Soc. Honor.
Acad. Reg. Chir. Paris. Secretar.
Perp. Jud » : Cette véritable effigie de Guy de
CHAULIAC a été donnée au collège Royal de Médecine de Nancy par Antoine Louis
lié à la Lorraine par de nobles ancêtres.
Le tableau - peinture sur toile de l76x57 cm -
représente Chauliac en buste, légèrement tourné vers
la droite. Il est assis dans un fauteuil dont on aperçoit un accoudoir. Son
vêtement est sombre, limité par un étroit col blanc. Le visage assez allongé
est entouré par une barbe blanche mi-longue avec une
moustache. Il est coiffé d’une coiffe aplatie, noire. Chauliac
tient dans ses mains un livre fermé de couleur rouge sur lequel on peut lire «
HIPPOCRATES ». D’autres livres sont sur une étagère en arrière de lui. On peut
déchiffrer les noms d’« AVICENNA, GALENUS, ALBUCASI ». Une autre étagère
supporte deux flacons de verre renfermant un liquide coloré. Ce tableau
pourrait être d’un artiste italien du XVIème siècle, l’inscription étant
postérieure et faite à la demande de Louis lui-même (Bolzinger).
Le cadre est en bois mouluré, sobre mais doré.
Louis
méritait amplement de figurer parmi les personnalités reconnues par le Collège
royal de Nancy. Lorrain d’origine, il est devenu une personnalité parisienne,
reconnue par ses pairs. Il représente cette génération naissante des
chirurgiens qui vont donner des lettres de noblesse à cette discipline encore
mal considérée.
Références :
Antoine Louis,
chirurgien, ses attaches et ses souvenirs messins. Kolopp
Pierre, Général Bolzinger. Mémoires de l’Académie
nationale de Metz. 1993
.http :
hdl.handle.net/2042/33655
(1) : La littérature rapporte que Louis
XVI aurait collaboré à cette mise au point en proposant un fer triangulaire.
(2) : Certains ont prétendu que Louis
avait été décapité lors de la Révolution. Ceci est inexact.
(3) : La traduction du texte que nous
proposons, comporte des lacunes – in salub Halae=Magdeb- et incertitudes.
(4) Peintre connu, né à Tournus, Greuze
fait ses études à Paris (ateliers de Charles Grandon
et Charles-Joseph Natoire). Il devient rapidement populaire grâce à des toiles
d’inspiration religieuse, allégorique, ou reproduisant la vie des gens de son
époque, également par ses portraits. Plus tard il défraie la chronique par des
sujets plus libertins. Classé comme peintre « rococo », bon dessinateur, ses
portraits sont assez conventionnels mais de bonne facture. II est quelque peu
oublié lors de la tourmente révolutionnaire qui va préférer les sujets
antiques. Le tableau de notre musée est un bon exemple de son art.