La Maternité
départementale de Nancy
Une
naissance retardée
Jean FLOQUET
La
discipline obstétricale tenait une place importante à la Faculté de Médecine de
Strasbourg avant son « transfèrement » à Nancy en 1872. Pierre-René Flamant y
avait fondé en 1817 la première chaire française. Joseph-Alexis Stoltz (1803-1896), qui deviendra le premier doyen de la
faculté de Nancy, avait réuni dans un ensemble cohérent une maternité avec une
école de sages-femmes. A son arrivée à Nancy, il doit se contenter d’une partie
des bâtiments vétustes de la « Maison de Secours » qui abritera simultanément
la pédiatrie et l’obstétrique. Malgré tout, l’excellence de la discipline sera
maintenue par François-Joseph Hergott (1814-1907),
puis par son fils Alphonse (1849-1927) à qui l’on doit la création d’une école
départementale de sages-femmes et l’avant-projet de construction d’une nouvelle
maternité qu’il développe en 1907. Il faudra 22 ans pour que celle-ci devienne
une réalité, par ailleurs tout à fait remarquable.
Nous
voudrions ici nous attacher particulièrement aux premières années de cette
gestation, et surtout aux débuts de la construction qui, commencée en 1914, va
être interrompue par la guerre. Nous le ferons à partir du registre tenu par
l’adjudicataire du gros œuvre (Entreprise Félix Anselme). Ce registre (Figure
n°1), à couverture cartonnée, format 21x30 cm, a été tenu pendant deux ans,
d’une écriture tout à fait remarquable (Figure n°6), avec des plans, des
photos, des détails sur l’évolution des travaux et les difficultés rencontrées.
(Donation au musée de la Faculté par le Professeur Pierre Landes. Doc. 13892).
Figure
n°1 : Plan des fondations du bâtiment central.
Sont
notés le traitement du puits trouvé
au cours des travaux et,
en rouge, le lieu de la chute d'une bombe en 1915.
Le
projet porte donc sur une Maternité départementale associée à une école de
sages-femmes. L’adjudication des premiers lots 1 à 10 du devis général des
travaux a lieu le 20 décembre 1913, mais seules les entreprises Anselme, gros
œuvre, Frigerio pour la charpente et menuiserie,
auront le temps d’intervenir à cette période. Les plans ont été réalisés par
l’architecte en chef du département de Meurthe-et-Moselle, Bourgon,
et remis à l’adjudicataire principal le 12 janvier 1914.
L’implantation
de cette maternité se fait sur un lieu historique puisque dans les jardins de
l’Hôtel des Missions fondé par Stanislas, bâtiment encore visible aujourd’hui.
Les travaux commencent par l’installation de deux clôtures, l’une le long du
ruisseau de Nabecor et l’autre, en arrière et
parallèlement à l’Hôtel des Missions, pour séparer le chantier de ce bâtiment
occupé (Figure n°2) depuis la maison Marin jusqu’à l’actuelle rue d’accès à la
maternité (rue Heydenreich) qui n’existe pas encore.
Palissade en bois de 80 mètres de long, sur 2,40 mètres de hauteur, renforcée
car offrant une prise au vent importante (Entreprise Frigerio).
Un mur existait pour clôturer le jardin le long de l’actuelle rue du Docteur Liebault et les côtés étaient fermés par des habitations ou
propriétés existantes. Le terrain est occupé par de nombreux arbres qui doivent
être abattus.
Figure n°2 : Ailes gauche et centrale.
Au fond, l’Hôtel des Missions et l’actuelle Eglise St-Pierre
(vue depuis la rue du Dr. Liebault). Juin 1915.
Palissade à l’arrière de l’Hôtel des Missions
Les
tracés d’implantation des bâtiments et leur vérification ont lieu en février et
les premiers travaux débutent le 9 mars avec 25 ouvriers, travaux tout de suite
retardés par la pluie. L’entrée du chantier se fait par la rue du Docteur Liebault après percement de deux accès qui autorisent
l’arrivée des premiers matériaux. Un bâtiment ancien, apparemment le four de
l’Hôtel des Missions, est éliminé. Finalement, les premiers travaux de
terrassement débutent par le creusement des fondations en commençant par la
partie gauche des bâtiments (côté Nabecor). Ces
fondations doivent être descendues à un niveau inférieur à celui initialement
prévu pour dépasser un lit d’argile et trouver un fond solide de cailloux et
sable mélangé. Le 20 mars le premier béton -ciment de laitier à raison de 5
brouettes de cailloux pour deux de sable par sac de ciment, sur une hauteur de
50 centimètres- est coulé dans les fouilles car certaines ont tendance à
s’ébouler en raison d’un printemps pluvieux. Tandis que les fondations
progressent rapidement sur les bâtiments annexes de la cuisine et de la
buanderie (Figure n°5) et se prolongent aussi en façade vers le bâtiment
central, les premiers murs sont élevés.
Sans
doute pour des problèmes de niveau du sol fini, un mur de soutènement est
construit le long du ruisseau de Nabécor. Mais dès
cette période, les travaux sont ralentis en raison de difficultés
d’approvisionnement en matériaux. Un premier accompte
de 13.000 francs est versé à l’entreprise, témoignant de l’avancée des travaux
qui intéressent les piliers de soutènement de la galerie qui conduit aux cuisine et buanderie. Peut-être en raison des événements
politiques, l’entreprise de gros œuvre est sommée d’accélérer les travaux d’autant
que certains de ses ouvriers sont appelés pour des finitions sur l’hôpital
Villemin. Quelques photos prises à cette date permettent de voir l’avancée des
travaux. Ils arrivent progressivement au niveau de la dalle du rez-de-chaussée
(Figure n°2), qui doit être faite en béton armé, partie sous-traitée à une
entreprise de Reims. Au 16 août, l’aile droite voit ses premières fondations
débuter mais un incident survient sur les fondations de la chapelle (aile
médiane) qui s’effondrent en raison d’un égout méconnu obligeant à un
renforcement en voûte. Egalement, un certain nombre de malfaçons sont
constatées sur les pierres de taille bordant les ouvertures des sous-sols.
Surtout,
l'état de guerre survenu à partir du 1er août va entraîner la chute immédiate du
nombre des ouvriers en raison de la mobilisation. De nouveaux ouvriers sont
recrutés mais leur nombre va se raréfier progressivement, et, en janvier 1915,
ils ne seront plus que trois ou quatre sur le chantier. Il est donc pris la
décision de protéger les murs déjà arrivés au niveau du rez-de-chaussée,
protection par des madriers débordants recouverts de terre.
Le
décès de l’architecte le 10 mars vient encore compliquer la situation mais
toutefois le chantier continue et les fondations de l’école des sages-femmes -
bâtiment arrière parallèle à la façade - se terminent. Certaines fondations
abimées par le gel hivernal sont à reprendre.
C’est
à cette date qu’est mentionné pour la première fois un « oratoire » abritant
des statues représentant « le Christ défaillant » (Figures n°3 et 4) car gênant
la progression des travaux.
Figure
n°3 : L'Oratoire
Cette
œuvre, attribuée à l’école de Ligier Richier, est bien sûr à rattacher au passé
de l’Hôtel des Missions occupé longtemps par les Jésuites puis les prêtres
séculiers et leur séminaire.
Cette
statuaire, après visite de l’architecte des monuments historiques, est démontée
et transférée au Musée Lorrain (31 juillet 1915), où elle se trouve encore
actuellement (Inv.D.III.579).
Un
autre obstacle se présente au niveau de l’école des sages-femmes sous la forme
d’un puits qu’il est nécessaire de recouvrir d’une voûte, capable de supporter
l’avant-corps Nord. La main d’œuvre semble également moins compétente et des
défauts sont constatés : utilisation de chaux au lieu de ciment, verticalité et
épaisseur des fondations de cote inférieure à celle prévue. Il est demandé aux
maçons de laisser en place les chandelles des parties cintrées pour mieux les
sauvegarder. En effet, le jour même du départ du groupe sculpté, une bombe
lâchée par un avion tombe à proximité de l’avant-corps de l’Ecole
d’accouchement et provoque quelques dégâts sur la maçonnerie. (Ces événements
sont portés sur un des plans a posteriori. Figure n°1). Un dernier plan
est remis à l’entreprise le 2 août 1915. Portant le numéro 85bis, il concerne
la porte d’accès à l’Ecole des sages-femmes, côté rue du Docteur Liebault.
Le
registre se termine sur cette dernière notation.
Figure n°4 : Les statues du Christ défaillant
Les
deux dernières pages sont moins calligraphiées. Un ajout au crayon donne la
date de reprise des travaux le 20 juin 1922 : arasement des murs découverts de
leur protection pour préparer la réalisation de la dalle en béton armé.
Que
s’est-il donc passé pour que l’interruption des travaux ait été si longue ? La
guerre a été un facteur déterminant de façon directe en privant le chantier
d’une main d’œuvre qualifiée, en perturbant l’approvisionnement en matériaux,
en mettant ce chantier en concurrence avec bien d’autres travaux plus urgents
dus aux faits de guerre. D’une part, bien que Nancy n’ait jamais été envahie,
elle est restée sous le feu de l’ennemi jusqu’à la fin des hostilités, ce qui a
contraint à la cessation de toute activité. Deux autres facteurs vont
interférer. Les devis concernant les travaux vont exploser et le département,
pour obtenir la réserve financière nécessaire, devra faire des emprunts
successifs au Crédit Mutuel. Le devis de départ qui était de 2.343.720 francs
sera de 13.150.000 francs en 1922. Et le coût réel final de 15.300.000 francs
en 1929. D’autre part, sous l’impulsion du Professeur Fruhinsholz
tenant compte des progrès liés à la guerre, de la tendance à venir accoucher en
milieu hospitalier plutôt qu’à domicile, des modifications sont apportées au
projet initial : création de maisons d’accueil pré-maternel et maternel pour
éduquer les jeunes femmes à une maternité responsable, création de
consultations de gynécologie et d’obstétrique, dispensaire antisyphilitique,
consultation de nourrissons, augmentation du nombre de lits d’accueil avec
apparition de classes offrant un confort varié… L’Ecole de sages-femmes
accueille une trentaine d’élèves chaque année, vivant en internat dans le
bâtiment.
Le
premier accouchement aura lieu le 8 avril 1929 à 19 heures.
Figure
n°5: Plan général de la Maternité
Figure
n°6 : Photocopie d’une page du registre montrant la qualité de l’ouvrage