FRANCOIS
RABELAIS
médecin stipendié de la ville de Metz (1545-1547)
Jean FLOQUET et Mathieu BRACHET
François RABELAIS (1483-1553)
Musée National de Versailles
Stipendié : personne payée pour réaliser une action.
Vient du latin Stipendium qui désigne la "solde des militaires". Racine
double; stips qui veut dire
"petite monnaie" et pendere dont
les nombreux dérivés portent soit une notion de poids, soit une notion de
payement, ce qui est le cas ici. Chez
les Romains, les stipendiés sont donc des
personnes payées par la communauté pour un service. Progressivement, ce mot
prend un sens péjoratif : celui qui est à la solde de quelqu'un pour réaliser
de mauvais dessins, pour corrompre, soudoyer.
La ville de Metz a hébergé de façon
temporaire François Rabelais, plus connu pour ses activités littéraires que
pour celles de Médecin. Cependant, c’est en qualité de «médecin stipendié » que
Rabelais occupa un poste à Metz.
Le choix de Metz, ville
très religieuse, est surprenant. Rabelais vient de publier le « tiers livre des
faits et dicts héroïques de Pantagruel ». Celui-ci
ridiculise les théologiens de la Sorbonne. Malgré des appuis politiques
puissants, le cardinal Du Bellay, François 1er, l’auteur a jugé bon de mettre
une frontière entre lui et la Sorbonne. Un de ses amis, Saint-Aye,
est agent diplomatique des Du Bellay. Il possède un logis à Metz et c’est là
que Rabelais va être hébergé. Est-ce la seule raison ?
La présence de Rabelais
est attestée par des comptes de la ville de Metz (aujourd’hui disparus mais
cités par Ferry). Il reçoit la somme de 120 livres, ce qui ne l’empêche pas, se
sentant dans la gêne, de se plaindre à son protecteur Du Bellay dans une lettre
du 6 février 1546. Il
est chargé de l’hôpital municipal Saint-Nicolas dont il doit organiser les
services. Il est particulièrement chargé des « pauvres malades », donc des
problèmes de santé publique, des épidémies. Il surveille les maisons de
Tolérance des rues des Bordeux, de Glatigny et d’Anglemur. Il assure l’inspection des étuves de la ville,
Metz possédant des thermes importants depuis l’époque Romaine. Il est
chargé des malades suspects de lèpre,
orientant les Messins vers La léproserie de Saint-Ladre et les villageois vers
celle de Longeau. Il est à l’origine d’une mesure
d’hygiène enjoignant aux habitants de libérer les rues de tous les immondices
qu’on y déposait.
Il n’est pas impossible
que Rabelais ait été mêlé aux conflits diplomatiques qui opposaient alors la
France au Saint-Empire de Charles Quint. Metz gardait quelque rancœur contre ce
dernier qui avait obligé la ville à prendre en charge les frais du siège de
Saint-Dizier lors d’une campagne récente contre la France. De plus, les amis de
Rabelais, Guillaume et Jean Du Bellay, Saint-Ayeessayaient
de tisser des liens contre l’empereur avec les princes protestants d’Allemagne
et d’Alsace. Ce n’est qu’une hypothèse.
Par contre, il est
certain que Rabelais quittera rapidement Metz où il était vraisemblablement
considéré comme indésirable. Il aurait
été poursuivi par l’Officialité de Metz pour hérésie et sacrilège, mais son
statut de médecin stipendié le protégeait des poursuites. En 1547, ses gages réglés,
il rejoint son cardinal protecteur. En passant à Lyon, il dépose son quatrième
livre de Pantagruel qui a donc vraisemblablement été partiellement conçu à
Metz.
Quelques villes avaient une organisation plus avancée
avec des médecins stipendiés chargés de la médecine des pauvres (Montpellier,
Strasbourg). A Nancy, il semble qu’une prise de conscience ait eu lieu à la suite d’une demande de Louis
HARMANT qui, s’occupant de façon spontanée des « pauvres », fut nommé par le
Duc Léopold «médecin des pauvres honteux », c'est-à-dire des personnes de bonne
éducation qui, à la suite de déboires financiers, cachaient autant que possible
leur misère et répugnaient à demander de l’aide. Un chirurgien, Nicolas Petitdidier sera nommé peu après « chirurgien de la Charité
». Apparaît ainsi un service médical pour les pauvres qui comportait 4
médecins, 4 chirurgiens titulaires dont un accoucheur, 4 chirurgiens adjoints,
1 apothicaire. Ceux-ci désignés sous le nom de «stipendiés » - étaient choisis
et nommés par les officiers municipaux. François-Nicolas Marquet - dont « La
Lettre » a parlé à plusieurs reprises - prétend qu’il était stipendié de la
Ville de Nancy.
La création du Collège Royal de Médecine va modifier
cette première ébauche. A la suite du décès de Chailly
en octobre 1756, le choix d’un nouveau médecin est confié au Collège qui
présente ensuite le candidat retenu aux officiers municipaux, ce qui ne se fit
pas sans quelques réticences de leur part. L’année suivante, le Roi Stanislas
étend cette institution à de nombreuses villes de son duché afin « de procurer
des médecins dont la capacité soit bien constatée par des épreuves » - Cette
institution donnée par l’ordonnance du 27 avril 1757, crée un corps de médecins
stipendiés dans 33 villes de Lorraine, nombre qui augmentera peu à peu. Ceux-ci
sont nommés sur concours, après affichage des places devenues vacantes,
concours assez exigeant et portant sur une question de « médecine pratique » et
une autre de « matière médicale ». Le concours se déroule dans l’enceinte du
Collège, les questions proposées par les Agrégés du Collège étant tirées au
sort. A noter que les stipendes de Nancy, réservées
aux titulaires du Collège, et celles de Pont-à-Mousson réservées aux
professeurs de la Faculté, ne sont pas soumises à concours. De plus, ces
derniers s’engagent à emmener avec eux des étudiants en Médecine lors de leurs
visites.
Nommés, ces médecins stipendiés deviennent «ce membres
correspondants du Collège », titre envié mais qui impose des charges de santé
publique comme la notation obligatoire des patients soignés, la transmission
d’un relevé mensuel au Collège de toute épidémie ou endémie apparaissant sur
leur territoire. Les cas d’urgence doivent être signalés immédiatement alors
que l’inscription n’est pas retenue pour les maladies secrètes. Ces charges ne
seront pas toujours bien exécutées, malgré quelques rappels des autorités. Les
réfractaires risquent de se voir privés de leur pension qui, au début, s’élève
à 200 livres mensuelles. (150 pour les chirurgiens).
Au cours des années ayant suivi sa création, cette stipende s’accompagne d’un certain nombre d’avantages
matériels : exonération complète des taxes ou impôts de ville, ainsi que des
devoirs de logement et de fournitures des gens de guerre ; mais peu à peu ces
dérogations disparaissent et les stipendiés seront imposés comme chacun. La
situation sociale des stipendiés était
très inégale. Lorsqu’ils exerçaient dans une ville où une population riche
était capable de payer des honoraires, leurs revenus étaient satisfaisants ;
mais en périphérie du Duché, région souvent pauvre, ils se trouvaient en
concurrence avec des charlatans, des guérisseurs de toute origine. Il n’était
donc pas rare de voir ces médecins supplier le Collège de leur signaler des
villes plus « rémunératrices », sachant qu’ils devaient concourir une nouvelle
fois pour obtenir les postes convoités. Il n’était pas exceptionnel
de trouver des postes vacants ; les
municipalités suppliaient alors le Collège Royal de leur trouver un remplaçant,
ou encore, apportaient leur soutien à un candidat qui avait déjà montré ses
qualités dans leur ville. Les conflits étaient donc rares avec les autorités
civiles et se résumaient à des retards dans le paiement des sommes dues ou
d’autres avantages en nature : bois de chauffage notamment.
L’institution
des médecins stipendiés en Lorraine semble donc une initiative assez originale par son ampleur. Elle doit être
distinguée de « la consultation des pauvres » que le Collège Royal proposait
tous les samedis matin à Nancy, en principe pour les pauvres des environs. A
noter également que le titre d’« Apothicaire stipendié » ne s’accompagnait
d’aucune rémunération - ce qui, au sens strict, est en contradiction avec
l’origine de l’appellation. Les apothicaires faisaient payer les frais engagés
par les malades s’ils étaient solvables, par la ville de Nancy pour les
indigents. Ils avaient la charge d’entretenir un stock suffisant de plantes et
de remèdes pour répondre aux besoins du public.
Les médecins stipendiés ont sans doute contribué à mieux
faire connaître la médecine officielle et à sensibiliser l’opinion publique aux
dangers des soignants parallèles.
Les stipendiés persisteront au décès de Stanislas et au
rattachement de la Lorraine à la France pour disparaître au moment de la
Révolution. Faut-il y voir la première rencontre entre les Lorrains et les
problèmes de Santé Publique ?