LES ARCHIVES DU MUSEE DE LA FACULTE DE MEDECINE DE NANCY
ET LE JARDIN BOTANIQUE DE LA RUE SAINTE-CATHERINE
Jean FLOQUET
Les débuts du jardin botanique
Le premier jardin botanique de Nancy fut confié au
Collège Royal de Médecine par Lettres patentes du Roi Stanislas le 13 juin
1758. Il y a 250 ans. Il n’est donc pas surprenant que les Archives du Musée
conservent un certain nombre de documents dont cet article se veut le reflet.
Ces manuscrits datent, pour la plupart, des années 1780. L’un d’eux, signé de Platel, un des secrétaires perpétuels du Collège, nous
servira de guide.
« Sa Majesté, le Roi de Pologne, donna au Collège Royal
un terrain situé hors de la Porte Sainte-Catherine, en partie marécageux, et en
partie servant de dépôts aux décombres des bâtimen(t)s
voisins, pour en faire un jardin botanique ». La responsabilité en est confiée au
Président du Collège. C’est donc Charles Bagard qui
va se charger de la mise en place et des premières plantations. En 1760, il
passe un accord avec la Supérieure des
Sœurs Orphelines de Nancy pour l’achat d’un terrain qui permet de régulariser
les contours du jardin. Le Collège verse 31 livres pour cette acquisition et
s’engage à construire un mur de clôture. Bagard
obtient également cette même année l’autorisation d’arracher des charmilles
dans les bois du Roi pour les premières plantations. Par l’intermédiaire d’un
ami influent (Casten Rönnow
vraisemblablement), il demande et obtient du Roi une somme de 600 livres pour
les « ouvrages » du jardin, en particulier le mur et la serre. Les
courriers nous renseignent sur l’état des plantations : le 11 novembre 1760,
1200 plantes sont déjà en place dans les plates-bandes, les arbres sont
plantés. « Mais les soucis financiers seront permanents et le Collège a
toujours été obligé de fournir aux frais considérables qu’exigeaient le
comblement des marais, le défrichement et le transport des terres,
l’acquisition, la plantation et la culture des arbres et des plantes étrangères
et du pays, en sorte qu’en 176(?)* le jardin aurait coûté
beaucoup au Collège et n’avait encore rien produit, les arbres n’ayant encore
que montré leurs fruits ».
Les premières récoltes permettent au directeur de passer
un bail avec Joseph Breton, premier jardinier. Celui-ci, pour la somme de 100
livres, dispose des fruits et des légumes produits ; il est connu qu’il
doit assurer l’entretien du jardin, la fourniture des plantes médicinales nécessaires
au Collège, en particulier pour la consultation gratuite du samedi matin
réservée aux pauvres. (Ce bail passera à 200 livres en 1775 en raison de
l’accroissement des produits du jardin, bail passé pour 9 ans).
« Ce faible et unique revenu n’a jamais pu suffire aux
dépenses … aussi est-il reconnu par différentes pièces justificatives des
anciens comptes que le Collège Royal a avancé en différents tem(p)s pour
subvenir à ces frais, des sommes qui se montent à trois mille cent dix huit livres, seize sous, neuf deniers en 1781 » nous dit Platel.
Dans un brouillon de lettre, non daté, Bagard semble demander la création d’une « fondation » par
Stanislas, fondation généralement dotée par le prince ; mais cette demande ne
semble pas avoir abouti bien que, dans une lettre, Rönnow
assure le directeur de son soutien auprès du monarque. Il n’est donc pas
surprenant de trouver une requête d’un sieur Dinard, en mars 1763, qui s’étonne
de n’avoir aucune réaction à la suite d’un envoi « non médiocre » de 200 paquets
de graines. Il est très flatté, quelque temps après, d’avoir été agrégé au
Collège qu’il promet de servir au mieux.
Le jardin semble avoir connu un développement important
et les archives nous apprennent uniquement la nomination de Guillemin comme
responsable de l’enseignement de la Botanique, tandis que Willemet,
maître apothicaire, propose en 1772 ses services pour les démonstrations de
Botanique et de Chimie. Notons que les Apothicaires participaient à la
consultation du samedi, à tour de rôle, depuis 1764. Nous retrouverons ces
personnages.
Entre-temps, le jardin s’est enrichi de l’apport des
plantes du jardin de Pont-à-Mousson que l’Université a fermé à la suite du
rattachement de la Lorraine à la France.
Les années 1780
Après la disparition de Bagard
en 1773, les archives sont pratiquement muettes jusqu’en 1781. Le Directeur est
alors Dominique Benoît Harmant, président du Collège
comme il se doit. Sa direction va être beaucoup plus houleuse comme en
témoignent de nombreux écrits. En mai, le Collège assigne le jardinier en
justice en raison de dégâts au jardin, dégâts « qui excitent dans Nancy un cri
général ». Cette décision est prise en l’absence, volontaire, d’Harmant qui a donné des ordres, contestés par le Collège,
au jardinier Joseph Breton. Celui-ci d’ailleurs se retourne contre le directeur
en demandant des indemnités car la récolte se trouve compromise.
Le rapport des experts - Louis Vivrel,
jardinier de Madame la Duchesse de Brancas à Fléville
pour Joseph Breton et Nicolas Sellier, jardinier au dehors de la porte
Notre-Dame de Nancy nommé par Harmant - est
accablant. Ils constatent, après plusieurs visites, « qu’il existe quatre vingt huit pieds d’arbres fruitier(s) qui ont
été élagués d’une manière nouvelle et inconnue jusqu’à présent par tous(t)
les jardiniers, attendu que presque tous ont subi une opération outrée et
dangereuse, contraire à toutes les règles usitées lors de la taille des arbres,
un ébranchement beaucoup trop considérable qui, à raison de son étendue, prive
le jardinier d’une récolte que l’abondance de cette année lui promettait, travail(le)
que le Sieur Harmant prétend avoir fait pour le bien
de la botanique, mais dont l’utilité n’est pas de notre connaissance… Avons
remarqué en outre que le Sieur Harmant a fait abattre
vingt neuf pieds d’arbres fruitiers, que cet abattage
fait un tort réel(le) au jardinier en ce qu’elle le prive
du fruit dont ces arbres étaient chargés… Avons remarqué un verger dont le
produit en herbe… est arraché ». Les experts estiment le préjudice subi par
Breton à 14 louis soit cent trente quatre livres de
Lorraine. Le président et le secrétaire perpétuel (Platel)
doivent fournir les comptes du jardin et du Collège, ce qui génère un nombre
important de pièces de justice, de courriers parfois peu élégants. Le Collège
veut confier la charge du jardin à Guillemin, responsable de la Botanique,
celui-ci devant rendre des comptes et demander au Collège l’autorisation pour
entreprendre des travaux importants. Un nouveau procès entre Harmant et Guillemin se superpose aux deux précédents, sans
compter un dernier avec les chirurgiens qui contestent la propriété d’une
parcelle du jardin. Ces intrications ne facilitent pas la lecture des pièces de
cette époque mais un arrêt de la Cour rendu le 9 août 1781 donne raison à Harmant en ce qui concerne la direction en tant que
président du Collège. Cependant, pour l’avenir, il ordonne en forme de
règlement, « que le collège procédera, tous les six ans, aux choix et
nomination d’un Directeur du dit jardin botanique, laquelle pourra être déférée
à celui que le Collège élira, président, ou à tout autre qu’il jugera à propos
d’en charger ». Le Directeur et le Collège en « auront l’administration,
veilleront à son entretien et ordonneront tout ce qui est nécessaire pour la
destination botanique, dont les dépenses seront prises sur les revenus qu’on en
tire… à charge pour chaque Directeur en exercice d’en rendre compte
annuellement. Et lorsqu’il sera question de faire quelques changements un peu
considérables, il ne pourra y être procédé qu’après en avoir été rendu compte
au Parlement en la personne de son chef… ». L’indemnisation de Breton est
reconnue. Guillemin, lui, est débouté de ses prétentions.
Ce nouveau règlement semble appliqué car une lettre de Jadelot du 16 janvier 1788 donne procuration à Platel pour soutenir
la candidature de Lallemand au poste de Directeur… mais le Collège a perdu une
partie de la maîtrise du jardin aux dépens de l’administration.
Le 16 janvier 1782, « le Collège assemblé
extraordinairement, les membres du Collège animés de l’amour de la paix et du
désir d’éviter tout ce qui peut le distraire de leurs fonctions d’utilité
publique, sont convenus de terminer toutes les difficultés qui se sont levé(es)
depuis le mois d’avril 1781 et généralement tous les procès commencés. Les
statuts et règlements du Collège seront appliqués et exécutés purement et
simplement sans aucun égard aux difficultés précédentes ; au moyen de quoi
toutes les pièces des procès commencés seront anéanties et regardées comme non
avenues ». Les dépenses seront prises sur les revenus du jardin et le trésor du
Collège. D’où vient cette sagesse soudaine des membres du Collège ? Sentent-ils
arriver le souffle des événements extérieurs qui les inciteraient à la
discrétion ? Une petite note de la main du président Harmant
marque d’ailleurs les limites de cette paix soudaine. Il ajoute « à condition
que pour demain onze heures du matin, Mr. Platel et
la majeure partie de mes confrères aient signé ».
Harmant décède peu de temps après. Le nouveau président du
Collège et directeur du jardin remet des sommes qui lui sont dues à ses
héritiers. Les archives ne gardent plus ensuite que la trace des factures et
des bilans (1783 à 1788). La disparition des établissements d’enseignement en
1792 verra la fin de la dépendance médicale du jardin botanique. Elle sera
confiée quelques années après à Rémi Willemet.
L’orthographe des mots soulignés est celle des Archives
utilisées. Toutes les Archives du Jardin Botanique sont regroupées dans le
dossier Arch.174.
* le dernier chiffre est illisible