SAINTE APOLLINE, PATRONE DES CHIRURGIENS-DENTISTES
Alain
FONTAINE et Michel JAMAR
Sauvons notre patrimoine
Dans une salle autrefois
destinée à la soutenance des thèses et lieu de réunion des Conseils de Faculté
d’Odontologie, nous pouvons aujourd’hui encore admirer une fresque représentant
Sainte Apolline, Patronne des Chirurgiens-Dentistes et par extension des
personnes souffrant des maux de dents.
Nous pouvons d’après
l’Auteur, Michel Jamar, décrire cette peinture
pariétale de la façon suivante :
En bas, à droite de la fresque nous
remarquons un écusson en forme de losange entourant une palme, l’ensemble
surmonté d’une couronne. Ceci pour rappeler que Sainte Apolline était vierge, martyre et de sang royal.
Dans la partie haute nous voyons le bûcher (dans lequel elle s’est
jetée pour aller vers Dieu en s’immolant et fuir ses bourreaux) dont la fumée
se mêle à l’orage qui s’accumule sur le monde antique.
Dans sa main droite figure l’instrument de son supplice, une
tenaille (et non pas un davier) et le serpent qui pour les Anciens était le
signe de la connaissance du bien et du mal par le poison qui peut être mortel
ou curatif selon la dose employée (Le caducée).
La main gauche, tient la lampe à huile (le bec bunsen de nos laboratoires),
la flamme de cette lampe à huile évoquant la lumière apportée par le Nouveau
Testament. En dessous, une jarre renversée qui s'écoule formant une marre (comme signe du verseau pour le mois de février pendant laquelle est fêtée Sainte Apolline et, en même temps, fait allusion au crachoir...)
En haut, à droite, attisant le bûcher, les
méchants Romains représentés par trois silhouettes sombres
parmi lesquelles il est loisible d’imaginer, avec beaucoup d’humour,
l’examinateur, le contrôleur du fisc et le praticien conseil !
Enfin, le fond offre, sur un mur brisé, les
pierres du monde antique qui vont servir à la construction du monde moderne.
Cette fresque est attachante
plus particulièrement pour deux raisons.
La première, c’est l’époque de
sa réalisation, c’était en février 1967. Elle voulait marquer la création des
Ecoles Nationales de Chirurgie Dentaire (Décrets de 67) qui deviendront
Facultés de Chirurgie Dentaire. C’en était fini de l’Institut dentaire de la
Faculté de Médecine, c’était la naissance de l’autonomie de l’Odontologie…
La
seconde, est la personnalité de son Auteur, Michel Jamar,
Chirurgien-Dentiste de formation qui deviendra
« praticien Conseil » à la CPAM de Nancy puis attaché d’enseignement dans ladite Faculté mais surtout un grand Artiste,
dessinateur, graveur, peintre. Il a décoré, les plus anciens fêtards s’en
souviendront, le « Caveau du Jean Lam» Place
Stanislas. Une grande fresque couvrait la totalité des murs de cette boîte de
nuit. Il a réalisé l’illustration d’un ouvrage d’histoire intitulé Nancy La Ducale dont l’Auteur est
Maurice Garçot. En 1973, il a présenté sa thèse en
vue de l’obtention du Doctorat en Chirurgie Dentaire avec un travail manuscrit
et illustré, intitulé « Réflexions sur le geste et l’outil du Dentiste à
travers les gravures du XVIe au XVIIIe Siècle ».
Dans la préface de ce
mémoire de thèse, Michel Jamar écrit : « Le hasard, le destin, cette force obscure
à laquelle les Dieux de l’Olympe, eux même, obéissaient, les circonstances de
la vie qui plus modestement conditionnent l’homme de tous les jours, m’ont fait
naître un 9 février, jour de la Sainte Apolline. Et quelque diable, aussi, me
poussant, j’ai en mon adolescence incertaine, fréquenté l’atelier de gravure de
l’école des Beaux-Arts avant d’entrer à l’Institut Dentaire. Cette double
appartenance à deux professions si différentes, apprises de bonnes sources,
devait logiquement et par amour de cette fine ouvrage qui demande doigts de
velours, nous amener vers les témoignages gravés de l’activité du dentiste
d’autrefois ».
C’était un Artiste, Chapeau
Michel Jamar !
La partie administrative de
la composante Odontologie ayant occupé le bâtiment central de l’hôtel des
Missions Royales, cette salle qui contient ce chef d’œuvre a été réaffectée au
Centre de soins. Elle reste jusqu’à maintenant inutilisée mais jusqu’à quand ?
Et si cette partie de l’immeuble est destinée à subir des travaux de réaménagement,
quel sera le sort de cette peinture pariétale qui
aurait toute sa place dans le hall d’entrée de la Faculté mais dont le
transfert serait très onéreux.
Laissons là le problème de
transfert, revenons à Sainte Apolline ; la fresque ne nous dit pas tout !
Sainte Apolline vivait à
Alexandrie. Entre 248 et 250 de nombreux événements se déroulent dans l’Empire
Romain et plus particulièrement à Alexandrie.
Philippe l’Arabe qui régna
de 244 à 249 avait une attitude bienveillante à l’égard des Chrétiens à tel
point qu’il confiait des responsabilités administratives à des évêques.
Certains historiens affirment qu’il était lui-même chrétien bien que
publiquement, il soit resté païen. Il périt en 249 dans une bataille contre le
Général Déce qui se proclama Empereur et régna de 249
à 251 sous le nom de Décius ; celui-ci reprit les
persécutions. Une révolte éclata à Alexandrie en cette année 249, les païens
pillèrent les maisons des chrétiens et lapidèrent plusieurs fidèles.
Eusèbe de Césarée, historien
et évêque en 313, relate dans son œuvre « L’histoire ecclésiastique » deux
lettres de l’évêque Denys D’Alexandrie (mort en 265).
Dans la première, il relate
ainsi les émeutes de 249 : «Prenant les
devants, le prophète et l’artisan des maux dans cette ville, quel qu’il fut,
mit en mouvement et souleva contre nous les foules de païens en ranimant leur
ardeur pour la superstition du pays. Excités par lui et ayant confisqué tout
pouvoir, ils se mirent à penser que le culte des démons, qui consistait à aimer
le carnage, était la seule religion (…) Ensuite, ceux qu’ils connaissaient, les
voisins, ils les emmenèrent, les volèrent et les pillèrent. Les objets les plus
précieux de leur trésor étaient dérobés ; les objets sans grande valeur et ceux
qui étaient faits en bois étaient jetés et brûlés sur les chemins, de manière à
donner le spectacle d’une ville prise sur les ennemis. Les frères se
détournaient et s’enfuyaient et supportaient avec joie le pillage de leurs
biens, comme ceux à qui Paul a rendu témoignage. Et je ne sais si quelqu’un
sauf peut-être un qui est tombé entre leurs mains, a jusqu’à présent renié le
Seigneur ». Apolline fut tuée lors d’une de ces émeutes, en cette année 249
après JC.
Dans la seconde, il décrit
la scène : « Ils se saisirent aussi
d’Apolline qui était alors une vierge âgée et très admirable [elle faisait
partie d’un groupe de Vierges consacrées] ndlr ; après avoir fait sauter toutes
ses dents en frappant ses mâchoires, ils construisirent un bûcher devant la
ville et menacèrent de la brûler vivante si elle ne prononçait pas, avec eux,
les formules de l’impiété. Elle s’excusa brièvement, puis, s’étant un peu
reculée, elle s’élança vivement dans le feu et fut consumée ».
« Plus prompte que ses bourreaux » dit Saint Augustin (354-430)
dans un de ses sermons, elle courut se jeter dans les flammes. Il justifie le
caractère suicidaire de la fin de la Sainte (le suicide étant interdit par
l’Eglise) par l’obéissance à la volonté de Dieu ».
Bien que son culte fût
antérieur, il faut attendre le 9e Siècle pour voir Apolline apparaître sur le
Martyrologue (Calendrier des Saints établi par Florus, diacre de Lyon).Son jour
de fête était initialement prévu le 20 février, jour anniversaire présumé de sa
mort, avec un groupe de martyres alexandrins puis elle fut inscrite isolément
le 9 du même mois. Apolline fut enfin canonisée en 1634.
Depuis le XVe Siècle, Sainte
Apolline fait l’objet de bon nombre de représentations, tant picturales que
sculpturales : Nous citerons, parmi tant d’autres : Le Martyre de Sainte
Apolline, peinture anonyme datant de 1430, visible à la Moravska
Galerie à Brno, un vitrail du Cloître Maria Stella en Suisse datant de 1520,
une représentation de la Sainte par Albert Dürer datée de 1521, par Francesco Granacci datée de
1540. Il faut même citer une Pièce de théâtre « Le martyre de Sainte
Apolline », écrite par Jean Fouquet en 1461.
La plus ancienne
représentation connue de Sainte Apolline est une fresque (Tiens, déjà ?) de
l’église Saint Bavon à Gand et remonte au 11e siècle, soit quelque 600 ans
avant sa canonisation.
Puisse la fresque de Michel Jamar traverser les siècles comme celle de Gand !