Le foyer Saint Stanislas (1774-1974)
Deux siècles au service de l’enfance déshéritée
par Christian
VUILLEMIN
Assistant
de Direction en 1974 et devenu plus tard Directeur Général Adjoint
Voici deux cents ans était
créé à Nancy l'actuel Foyer des Pupilles Saint-Stanilas. C'est en effet au mois
de juillet
Cette institution est l'une des plus anciennes qui aient été consacrées, en France, à l'enfance abandonnée, avec naturellement celle très célèbre, créée à Paris dès le XVIIe siècle par le charitable saint Vincent de Paul.
Son histoire déjà longue fut jalonnée par les révolutions et les guerres, mais surtout marquée par de nombreuses transformations en raison de l'évolution des conceptions et de la législation en matière sociale.
Depuis deux siècles, que de progrès et d'améliorations furent réalisés en faveur de cette fraction défavorisée et à laquelle on ne pense pas souvent : celle des enfants dépourvus du soutien, pourtant si nécessaire, d'une famille, qu'ils soient trouvés, abandonnés, orphelins, retirés à leurs parents ou temporairement confiés par ces derniers à l'établissement.
Avant de se pencher sur
cette histoire, il n'est peut-être pas inutile de rappeler quel était, à
l'origine, le sort réservé aux enfants abandonnés. Chez les peuples primitifs
comme dans les civilisations antiques, on ne respectait pas la vie des enfants.
Dans
C'est le christianisme qui, peu à peu, introduisit dans les mentalités la notion du respect de la vie et celle de charité. Ce qui explique en partie que, contrairement à ce qui se passe de nos jours, toutes les formes de ce qu'on appelle actuellement l'aide sociale, et qu'on appelait alors la bienfaisance, étaient d'essence privée. Sous l'Ancien Régime, ce n'était pas l'Etat mais les particuliers (seigneurs hauts-justiciers, riches bourgeois et surtout communautés religieuses) qui secouraient les pauvres, les infirmes et les orphelins. D'où des résultats inégaux et surtout très limités par rapport aux besoins.
Les souverains eux-mêmes contribuaient souvent à des oeuvres charitables en fondant des établissements ou en les dotant généreusement. Mais il s'agissait toujours de bienfaits isolés accomplis à titre personnel, même encore au XVIIIe siècle où pourtant déjà une nouvelle notion s'affirmait : celle des obligations de l'Etat envers ses sujets les plus défavorisés.
Parmi les princes les plus généreux de l'Ancien Régime, le roi Stanislas figure en bonne place, Son œuvre fut particulièrement importante puisqu'il subventionna de nombreuses institutions en faveur des pauvres de ses duchés. Il fit même élaborer le projet d'un établissement destiné à recevoir 600 à 1200 enfants trouvés. Mais cette idée ne fut même pas suivie d'un début de réalisation parce que la mort vint interrompre le prince dans sa tâche.
En revanche, il avait eu le
temps de faire quelque chose pour les orphelins. Et à ce propos, il faut
rappeler qu'avant
L'initiative de Louis XVI, qui sur le conseil de sa tante la pieuse princesse Adélaïde, reprit le projet de son arrière-grand-père et ordonna, par lettres patentes du 28 juillet 1774, la fondation de l'Hôpital des Enfants Trouvés, répondait à de véritables besoins.
Pourtant
diverses raisons l'avaient motivée. Mis à part sa vocation charitable, elle
répondait à des préoccupations réalistes : la multiplication des abandons vers
la fin du XVIIIe
siècle, en raison du développement
démographique et des difficultés économiques, était susceptible de troubler
l'ordre. Recueillir les enfants constituait donc aussi une mesure de police.
D'autre part, selon les conceptions de beaucoup d'économistes de l'époque, la
richesse d'un royaume se mesurait au nombre de ses sujets. Le roi avait par
conséquent intérêt à sauver de la mort ceux qui, plus tard, contribueraient à
la richesse du pays, ou serviraient dans son armée.
Première époque
L'Hôpital des Enfants Trouvés
ou une illustration de la bienfaisance des princes de l'Ancien
Régime
(1774-1789)
Les lettres de fondation fournirent à l'établissement les grandes lignes de son organisation et en particulier lui octroyèrent une totale autonomie avec les moyens financiers qu'elle supposait.
En ce qui concerne le
financement, Louis XVI affecta à l'institution les
Comme les autres établissements de la ville, cet hôpital bénéficia de mesures particulières : les lettres patentes l'exemptèrent de la gabelle (impôt prélevé sur le sel) et des droits d'entrée dans la ville de Nancy, qui pesaient sur les denrées nécessaires à la consommation. Pour son chauffage, le roi lui accorda de faire une coupe annuelle de 12 arpents sur son domaine.
D'autre part, les villes
des duchés de Lorraine et de Bar étaient tenues à une contribution
proportionnelle à leur importance. Nancy devait verser
Enfin, pour accroître un peu les revenus de l'institution, les lettres patentes autorisaient les directeurs à « établir des troncs dans toutes les églises et autres lieux pour exciter le zèle et la charité », à recevoir des donations et legs, à « faire fabriquer toute espèce d'ouvrage en fils de coton et laine auquel les enfants pourront être appliqués » et destiné à être vendu.
En ce qui concerne l'organisation administrative, les lettres de fondation instituèrent, à la tête de l'Hôpital, un bureau formé de 10 membres de droit (l'évêque, les procureurs généraux, le maire, le lieutenant de police, etc.) et de 5 membres élus chaque année et choisis dans les principales classes de la société (un dans la noblesse, un dans le clergé, un parmi les avocats, deux dans la bourgeoisie).
Ce bureau d'administration se réunissait tous les quinze jours pour prendre les décisions nécessaires et chaque mois, le trésorier-receveur de l'Hôpital devait lui présenter un état sommaire des recettes et des dépenses.
La
personnalité la plus importante en était l'évêque, ce qui n'est pas surprenant
puisque les œuvres sociales étaient, sous l'Ancien Régime, un quasi-monopole de
l'Eglise. Ceci explique aussi que l'on fit appel aux Sœurs hospitalières de
Saint-Charles pour régir l'établissement.
L'origine de leur ordre
remontait à 1652, date à laquelle un avocat, Emmanuel Chauvenel, fonda l'œuvre
laïque des « Filles de
Un traité fut donc passé
par l'Hôpital des Enfants Trouvés avec leur congrégation le 18 août 1774, par
lequel il fut décidé que les sœurs proposées par
Tout avait été donc prévu
et bien organisé, mais un problème ne tarda pas à se poser à propos des lieux
choisis pour l'établissement de cet Hôpital. Il s'agissait des bâtiments de
l'ancienne Vénerie ducale, situé à l'emplacement de l'actuelle université,
entre la rue Lepois et la place Carnot. Cédés gratuitement par le roi Stanislas
à la ville de Nancy, ils avaient été loués à des particuliers. Or le bail,
consenti pour une durée de vingt-sept ans, ne devait prendre fin qu'en 1787.
Après des tractations infructueuses, le locataire se montrant trop exigeant au
point de vue du dédommagement, les administrateurs, sur le conseil de
l'intendant de
II. - LES « ENFANTS
TROUVES
Comme son nom l'indiquait,
l'Hôpital n'était astreint de recueillir que les enfants trouvés, c'est-à-dire
ceux exposés à l'extérieur de l'Hôpital et abandonnés, c'est-à-dire ceux que
l'on portait à l'Hôpital, et ceci jusqu'à l'âge de 14 ans, parce qu'on estimait
alors qu'ils étaient suffisamment grands pour vivre de leur travail.
Leurs origines
De nombreux documents concernant ces malheureux sont parvenus jusqu'à nous, malgré les siècles et les destructions, et fournissent des renseignements précieux sur l'origine des malheureux comme sur les raisons de leur abandon.
Trois documents reviennent souvent :
- le billet de grossesse de la mère, puisque un édit datant du règne d'Henri II sur le « recel de grossesse » contraignait toute femme enceinte à faire une déclaration aux autorités, sous peine de mort ! Cette mesure avait pour but de prévenir tout éventuel infanticide ;
- un extrait d'acte de baptême afin que l'enfant ne soit pas rebaptisé par l'aumônier de l'hôpital ;
- le procès verbal prescrit aux officiers de police, par les lettres patentes lors de chaque admission.
Il existait divers modes d'abandon : certains parents quittaient brusquement la ville pour une destination inconnue en y laissant leur progéniture. Plus fréquemment, il arrivait que des enfants soient exposés clandestinement en pleine rue, généralement à la porte d'une église ou d'une maison particulière. Cette pratique, qui mettait en danger la vie et la santé surtout des nourrissons, était sévèrement sanctionnée par la loi ; pourtant elle se perpétua toujours et ce, malgré l'institution, dès 1774, d'un tour à la porte principale de l'Hôpital. Il s'agissait d'une armoire cylindrique tournant sur pivot et dans laquelle on pouvait mettre l'enfant tout en préservant son anonymat puisque la religieuse qui était chargée, à l'intérieur de l'établissement, de le recueillir, ne pouvait pas voir ce qui se passait dehors. Le tour, qui est un système fort ancien puisque on peut faire remonter son origine à la fin du XIIe siècle, avait l'inconvénient de ne pouvoir servir que pour les bébés, sinon des accidents pouvaient se produire quand on le faisait pivoter.
C'est peut-être pour cette raison que les expositions n'ont jamais disparu. Quoi qu'il en soit, tout passant qui découvrait un enfant devait avertir le commissaire de police. Celui-ci était tenu de se rendre sur les lieux pour dresser un procès-verbal et procéder à la levée en présence de deux témoins et d'une sage-femme à qui incombait la tâche de déterminer le sexe de l'enfant.
Cependant, dans la majorité des cas, sous l'Ancien Régime, les enfants étaient déposés à l'Hôpital même et on connaît leur identité et celle de leurs mères sans doute parce que ces dernières songeaient à la possibilité de les retirer plus tard quand elles en auraient les moyens. C'est dans cette perspective qu'elles accrochaient à leurs vêtements médailles, rubans et billets, sur lesquels étaient écrits d'une main mal assurée le prénom et l'âge. Ces signes de reconnaissance (médailles brisées en deux, liasses de lettres déchirées) ont été précieusement conservés ainsi que des morceaux de vêtements, pour le cas où les parents désireraient reprendre leurs enfants, à tel point qu'on peut encore les voir de nos jours aux Archives départementales.
Plus souvent que la mère, c'était la sage-femme qui se rendait avec le nourrisson à l'Hôpital après avoir pris soin de le faire baptiser. En effet, beaucoup de jeunes femmes venaient accoucher à Nancy dans des maisons spécialisées. Aussi, de plus en plus souvent, ce fut commissaire de police qui allait directement dans ces maisons procéder à la levée et dressait procès-verbal.
L'âge des enfants abandonnés ou trouvés était généralement très bas. Plus des trois quarts avaient moins d'un an ; certains avaient une semaine, c'était souvent le cas des enfants nés aux environs de Nancy. Et parmi ceux qui étaient à Nancy, beaucoup n'avaient que quelques heures !
On distinguait deux catégories : les enfants légitimes et les enfants naturels. Les premiers avaient été abandonnés à la suite de la maladie ou du décès de l'un ou des deux parents, chômage du père, ou du départ de ce dernier pour une destination plus ou moins connu. Leur nombre était restreint, surtout après 1779, où le Parlement leur interdit l'accès à l'Hôpital par mesure d'économie, tandis que les enfants naturels constituaient la majorité des effectifs. D’après les renseignements qui nous en restent, ces derniers étaient issus d un peu tous milieux sociaux et pas forcément des plus misérables. On trouve parmi leurs mères autant de filles de laboureurs, de fermiers, de marchands et d'officiers que de filles de manœuvres ou de brassiers.
Certaines
d'entre elles avaient quitté la
maison paternelle pour aller travailler à la ville comme domestiques ou servantes et là, privées des cadres traditionnels de leur
famille et de leur village, elles s'étaient laissées « séduire » par quelque
jeune homme. C'est du moins ce qu'elles déclaraient souvent au commissaire.
Beaucoup prétendaient ne pas connaître nom du père de leur enfant. Est-ce
réellement par ignorance ou par peur ? En effet, elles auraient pu bénéficier
des mesures prévues par la loi, qui autorisait une procédure en sédition et en
recherche de paternité. Nous savons donc
fort peu de choses sur les pères,! ce
n'est qu'on trouvait parmi eux beaucoup de militaires : Lunéville, où étaient
cantonnés millier de gendarmes rouges remplacés ensuite par « les carabiniers
de Monsieur », était un terrain de choix pour les naissances illégitimes.
Mis à part les femmes
légères ou débauchées, ce n'est pas de gaieté de cœur que les mères
abandonnaient leur nouveau-né, mais beaucoup y étaient contraintes sous la
pression des interdits moraux et sociaux. Au XVIIIe siècle comme encore au XIXe siècle, la mère célibataire et l'enfant naturel étaient des
objets de mépris en raison des tabous institués par l'Eglise. La misère aussi
était un facteur important et souvent invoqué : la jeune mère, en raison de sa
« faute », était rejetée par sa famille et la société. Il fallait qu'elle gagne
sa vie, or, comment le pouvait-elle avec un bébé qui avait besoin de tous ses
soins. La solution la plus facile qui s'offrait alors, dans ces moments de
désarroi, était l'abandon. A l'Hôpital, pensaient-elles, leur enfant serait
préservé de la misère. Or que devenait-il ?
Le sort des enfants recueillis par l'Hôpital
Au XVIIIe siècle, la mortalité infantile était effroyable en raison de l'ignorance des plus élémentaires règles d'hygiène, de la pauvreté en moyens et en connaissances de la médecine comme de la pharmacie. A l'Hôpital, la situation ne pouvait être que plus catastrophique. Effectivement, la moitié des enfants mouraient après leur admission parce que déjà leurs mères avaient vécu dans de mauvaises conditions d'hygiène, s'étaient mal alimentées ou même souffraient de maladies vénériennes. D'autre part, à l'Hôpital, ils étaient souvent sous-alimentés. Les biberons existaient déjà depuis longtemps, mais on ignorait la stérilisation et les laits de synthèse, aussi les risques d'intoxication étaient-ils grands. L'allaitement était le moyen le plus sûr, mais les nourrices qui acceptaient de rester à l'Hôpital étaient rares et, de ce fait, on leur confiait plusieurs enfants. Cependant la mortalité infantile de l'Hôpital nancéien était très inférieure à celle qu'on notait à la même époque à l'Hôpital des Enfants Abandonnés de Paris, où les deux tiers des bébés mouraient avant le premier mois de leur séjour, peut-être parce qu'à Nancy la plupart des enfants ne restaient pas sur place, mais étaient confiés à des nourrices vivant le plus souvent à la campagne.
Pourtant, à l'origine, les lettres patentes envisageaient l'établissement comme un dépôt où tous les enfants «trouvés» seraient reçus, nourris et élevés sur place. C'est du moins la conception qui prévalait sous l'Ancien Régime bien que déjà saint Vincent de Paul ait inauguré les placements familiaux et que certaines mesures aient été prévues par les lettres de 1774 pour encourager les particuliers à se charger gratuitement d'un enfant. Elles prescrivaient, par exemple, que tout particulier dont la femme servirait gratuitement de nourrice jusqu'au sevrage serait exempté de corvée et que tout chef de famille qui élèverait dans sa maison, depuis l'âge de trois ans un enfant trouvé, à la décharge de l'Hôpital, pourrait voir un de ses fils dispensé du service dans les régiments provinciaux. Mais bien peu de personnes acceptèrent cette charge, de même que rares devaient être les enfants retirés par leurs parents. L'Hôpital fut contraint, de ce fait, de recourir aux bons offices de nourrices qui, moyennant une petite pension, élevaient les enfants. En 1778, 622 enfants, sur un total de 646, étaient ainsi disséminés dans les environs de Nancy. Pour inciter les nourrices à bien les soigner, le prix de la pension était augmenté chaque mois jusqu'à concurrence du double le dernier mois dans lequel l'enfant était sevré. Pour être payées, il fallait qu'elles aillent chaque mois à Nancy et qu'elles fassent la preuve que l'enfant était toujours en vie en le présentant à l'Hôpital ou plus simplement en fournissant un certificat de vie signé du curé de leur paroisse. Au-delà du sevrage, elles pouvaient conserver l'enfant auprès d'elles moyennant une pension un peu moins élevée au fur et à mesure qu'il grandissait, parce qu'on estimait qu'il nécessitait de moins en moins de soin, tout en étant capable de rendre de plus en plus de services à la maison comme aux champs.
C'étaient les religieuses qui étaient chargées de recruter les nourrices et d'aller, à l'occasion, les visiter afin de veiller à ce que les enfants soient bien traités, mais ces inspections étaient rares en raison de la faiblesse des moyens de transport de l'époque. Les religieuses, déjà peu nombreuses, avaient trop à faire à l'Hôpital pour perdre leur temps à parcourir les routes. Nous ne savons donc pas quel était le sort de ces enfants. Toutefois, selon un rapport de l'aumônier de l'Hôpital, fait en novembre 1788 et fondé sur les témoignages de curés de campagne, leur éducation ne semble pas avoir été très soignée : beaucoup, accuse-t-il, n allaient pas à l'école, ni même au catéchisme, vivaient dans la plus grande promiscuité alors qu'ils étaient déjà grands, et certaines nourrices les envoyaient mendier ou voler !
Le petit nombre de ceux qui
restaient à l'Hôpital ne connaissait pas une telle situation, mais leur sort
n'en était pas toujours plus enviable. Beaucoup étaient débiles, infirmes ou
malades. Toutefois, les incurables étaient dirigés sur Paris. Leur vie, réglée
par une stricte discipline, se déroulait dans un cadre triste et dépourvu de
tout confort. Leur formation intellectuelle se réduisait à quelques rudiments
d'instruction religieuse, de lecture, d'écriture et de calcul. L'accent était
surtout mis sur la formation professionnelle : dès l'âge le plus tendre, on les
employait à des travaux manuels pour qu'ils soient capables de gagner leur vie.
Un atelier fut même créé à l'Hôpital sous la direction des religieuses : les
enfants, dès 7 ans, apprenaient à filer, à tricoter, à coudre, etc., et cette
production était vendue au profit de l'établissement. Mais les directeurs
préféraient les envoyer dans des ateliers de charité, comme ceux de Bar et de
Froville, où ils étaient mieux encadrés. A 14 ans, les enfants étaient jugés
aptes à voler de leurs propres ailes et devaient aller travailler dans les manufactures
pour ceux qui avaient reçu une formation adéquate ou dans les fermes pour ceux
qui étaient restés à la campagne, l'Hôpital estimant sa mission remplie.
D'ailleurs, il n'aurait pas eu les moyens de subvenir plus longtemps à leurs
besoins, si l'on considère les difficultés financières qu'il connaissait sans
cela.
III. - LES DIFFICULTES FINANCIERES
Effectivement, le principal problème de l'Hôpital, dès les premières années qui suivirent sa fondation, s'avéra être un problème d'argent et très vite les administrateurs furent assaillis par les difficultés. Certes, le roi avait au départ généreusement pourvu l'établissement pour qu'il puisse faire face aux dépenses d'entretien et d'éducation des enfants, mais les intérêts que rapportaient annuellement le capital originel et les menues contributions des villes ou de particuliers charitables se révélèrent insuffisants face à des dépenses croissantes.
En mai 1778, les directeurs
de l'Hôpital envoyèrent à Versailles un mémoire pour exposer la situation : les
revenus, signalaient-ils, étaient de
Entre-temps, le Parlement de Lorraine, alerté par les directeurs, s'émut et imagina quelques mesures pour freiner la progression du nombre des enfants assistés : il interdit formellement l'accès de l'Hôpital aux enfants légitimes et à ceux venus des territoires limitrophes. Et en attendant que « le roi dote suffisamment le dit hôpital », il ordonna aux officiers de police des villes, aux maires et aux autres autorités de surveiller le mouvement des enfants, de « s'enquérir de l'éloignement clandestin des enfants légitimes de l'âge de 4 ans et au-dessous, du sein de leur famille », d'en exiger la réintégration et d'ordonner aux pères d'enfants naturels, à même de le faire, de les élever. En effet, certains parents avaient trouvé en l'Hôpital un moyen de se décharger de leurs bouches à nourrir, la conscience relativement tranquille puisqu'ils savaient qu'on les y traiterait bien et même souvent mieux que chez eux. Certains allaient jusqu'à solliciter des recommandations auprès de personnes bien placées pour que les enfants soient pris !
Une surveillance fut
désormais exercée sur la provenance des enfants et la situation de leurs
parents. Et c'est sans doute vers cette époque que le tour fut supprimé, ce qui
accrut le nombre des expositions. Pourtant, le nombre des admissions connut un
net fléchissement, sans doute grâce aux mesures prises par le Parlement. En
1779-1780, le chiffre était de 288 seulement, alors que les années précédentes
la moyenne dépassait 350. Mais au bout de quelques années, une remontée très
sensible s'amorça pour se poursuivre au-delà de 1789. Avec une moyenne de 397
enfants abandonnés chaque année, pour la période 1774-
L'institution,
qui à cette époque dut uniquement de survivre au trésor royal, puisque les donations
et legs des particuliers, en raison sans doute de l'atmosphère de légèreté,
d'égoïsme et d'irréligiosité qui régnait alors, furent insignifiants, apparut
un peu comme un gouffre sans fond. Ce caractère devait se confirmer durant la
deuxième époque de son histoire.
Deuxième époque (1789-1820)
De l'Hospice des Enfants de
à l'Hospice des Orphelins ou l'affirmation
de la notion de justice sociale
Alors que les
administrateurs de l'Hôpital se débattaient dans des difficultés interminables,
Ce que le Révolution a surtout apporté, ce sont de nouvelles conceptions sur l'assistance, un nouvel esprit : c'est en effet elle qui a définitivement substitué à la notion trop restreinte de charité chrétienne, la notion moderne et laïque de justice. Ce revirement avait été préparé tout au long du XVIIIe siècle par ceux qu'on a appelé les philosophes et qui les premiers ont affirmé les devoirs de l'Etat et non plus seulement ses droits. Avec Montesquieu, ils pensaient que « quelques aumônes distribuées dans la rue ne remplissent pas les obligations de l'Etat» et que « celui-ci doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé ».
En créant un Comité pour
l'Extinction de
Mais au même moment, à
Nancy, l'Hôpital des Enfants Trouvés connaissait les plus graves difficultés de
son histoire.
Sur le plan administratif,
Après la démission du bureau d'administration en 1791, il y eut une réorganisation très importante : à la tête de l'établissement, les représentants du pouvoir nommèrent quatre administrateurs extérieurs dont le directeur, un commis aux écritures chargé de le seconder, un officier de santé et un économe. L'administration intérieure se composait de douze personnes : cinq filles hospitalières qui avaient pris la place des religieuses, quatre filles de peine, un tailleur, un boulanger et un jardinier. Il fut exigé du directeur qu'il résidât dans l'enceinte de l'hospice afin d'être en mesure de réceptionner les enfants à toute heure du jour et de la nuit et de recevoir les nourrices désireuses de s'en charger.
Dès octobre
Cette organisation suscita des récriminations de la part du directeur lui-même qui la jugeait trop coûteuse. Cependant, les problèmes les plus graves relevaient d'un autre domaine.
Sur la plan financier,
l'écroulement de la monarchie fut une catastrophe pour l'Hôpital qui vit
brusquement se tarir la plupart de ses sources habituelles de revenus ; il
cessa de toucher les intérêts que lui rapportaient les capitaux qu'il avait
placés, le trésor royal ne lui versa plus le secours extraordinaire de
La situation sembla
s'éclaircir en 1793, lorsque l'Assemblée législative et
Pour financer ces décisions
et subvenir aux dépenses des orphelins qui étaient à la charge de ce qu'on appelait alors les « Hospices d'Humanité de
A Nancy, l'Hospice réduit «
aux seuls secours de
«J'avais demandé l'avance nécessaire d'une somme de 50000 francs. Vous ne m'avez accordé que la somme insuffisante de 30000. » Or, explique-t-il, cet argent lui a, à peine, permis de payer une partie des denrées nécessaires (viande, pain, céréales). « Nous voilà endettés, poursuit-il, ayant à la vérité quatre réseaux de blé et douze d'orge, mais manquant de légumes, de viande, de beurre, etc... »
Les subsides, qu'on lui accordait avec plus ou moins de parcimonie, lui étaient versés en assignats. Or, les paysans et les commerçants refusaient souvent d'échanger leurs marchandises contre une monnaie en laquelle ils n'avaient aucune confiance. C'est pourquoi le malheureux directeur devait au préalable se procurer de l'or. Outre la nourriture, il fallait fournir habits et sabots aux enfants. En l'an IV, une mesure autorisa les directeurs des hospices ainsi que ceux des prisons à puiser dans les magasins où étaient entreposés de nombreux vêtements, tissus, etc. confisqués, pour vêtir leurs «pensionnaires». Mais la charge la plus lourde restait le paiement des 900 nourrices et plus auxquelles on avait confié des enfants et qui menaçaient de les rapporter.
L'établissement continua à fonctionner tant bien que mal, jusqu'au jour où les Assemblées Révolutionnaires, par une loi, déchargèrent en grande partie l'Etat de l'entretien des enfants abandonnés et orphelins sur les hospices. Il s'agit de la loi du 27 frimaire an V, qui supprima les dépôts généraux financés depuis 1793 par le trésor public, en même temps qu'elle ordonnait de porter désormais les enfants dans l'hospice le plus proche du lieu d'exposition. Elle plaça aussi les enfants assistés sous la tutelle du président de l'administration municipale, dans l'arrondissement duquel était situé l'hospice. En pratique pourtant, la tutelle (qui concernait le placement en nourrice et en apprentissage, l'éducation, la surveillance...) était exercée par les commissions administratives des hospices. Ces organismes venaient d'être créés et étaient composés du maire et de six membres renouvelables dont deux élus par le conseil municipal et quatre nommés par les autorités départementales.
A la suite de cette loi, l'Hospice
des Enfants de
Cependant, des plaintes ne
tardèrent pas à s'élever contre les dispositions de la loi du 27 frimaire.
Celles-ci comportaient en effet de graves inconvénients : pour les enfants
d'abord puisque les contacts auxquels ils étaient exposés avec les malades et
les vieillards, dans les hospices, menaçaient leur santé ; pour les hospices
aussi et surtout, parce que la loi non seulement fit supporter à leur budget la
charge des enfants, mais encore favorisa l'accroissement du nombre des abandons
en multipliant les lieux de dépôt. Les hospices de
De son côté,
En 1805, le nouvel établissement,
sur le frontispice duquel on inscrivit seulement « Hospice des Orphelins »,
sans doute parce que l'ancienne dénomination rappelait des souvenirs que
l'Empire s'efforçait déjà de chasser, était jugé, par les médecins et
chirurgiens, en mesure d'accueillir les enfants. Après les petites filles du
premier âge, les garçons du premier âge, jusque-là à l'Hôpital de
L'emménagement dans les nouveaux locaux s'accompagna d'un nouveau règlement qui donna aux religieuses la haute main sur l'établissement. Celles-ci, après avoir été chassée ainsi que l'aumônier en 1794, avaient été autorisées par les administrateurs de l'an V reprendre leur mission dans les hôpitaux, mais sous leur nom patronymique précédé du titre de citoyenne. Il fallut qu'elles attendent encore huit ans pour se voir permettre par l'évêque de porter à nouveau leur habit religieux.
Le nouveau règlement confia
la gestion de l'hospice à une sœur économe qui était chargée de toute la
comptabilité intérieure et recevait, pour les dépenses de nourriture et
d'entretien un prix de journée fixé par
Le personnel se complétait d'une sœur lingère, d'une sœur cuisinière, d'une sœur portier, d'un boulanger, d'un jardinier, d'un domestique chargé du soin des animaux qu'on éleva dans l'établissement, d'un instituteur qui, outre sa tâche d'enseignement, devait seconder l'économe et la sœur préposée à l'office des grands garçons dans la surveillance de la police intérieure, et d'un aumônier. En tout, dix-huit personnes dont huit religieuses.
Il ne manquait plus à l'établissement qu'un statut légal pour consacrer son existence : c'est ce que devait lui donner le décret-loi du 19 janvier 1811.
Sous l'Empire, Napoléon eut
le mérite de mettre de l'ordre et de compléter l'héritage intéressant mais
confus de
Tout d'abord, le décret mit
fin aux excès provoqués par la loi de l'an V, en
restreignant le nombre des hospices dépositaires. Dans
D'autre part, le décret unifia le statut des trois catégories d'enfants assistés qu'on distingua alors : les enfants trouvés, qui sont « ceux nés de pères et de mères inconnus et ont été trouvés exposés dans un lieu quelconque », les enfants abandonnés, c'est-à-dire « ceux qui, nés de père ou de mère connu... en sont délaissés », enfin les orphelins ou « ceux q n'ayant ni père, ni mère, n'ont aucun moyen d'existence ». Leur tutelle fut confiée à la commission administrative des hospices dépositaires ; en fait, elle l'exerçait déjà. Les frais de séjour à l'hospice, ou dépenses intérieures, restèrent du ressort des hospices tandis que dépenses extérieures, ou pensions qu'il fallait verser pour les enfants confiés à des nourrices incombaient à l'Etat mais aussi aux communes.
L'abandon d'un
enfant, sans s'assurer au préalable qu'il sera
recueilli, était un délit visé par le code pénal sous le terme «
d'exposition » ou de « délaissement ». Pourtant ce qui était sanctionné, ce
n'était pas le rejet de l'obligation parentale, mais le danger que faisait courir
à l'enfant un tel mode d'abandon. Dès lors, on organisa ce dernier pour
sauvegarder l'anonymat des parents tout
en protégeant la santé de l'enfant.
C'est dans cette perspective que le décret reconnut officiellement
l'ancien système du tour qui, selon Lamartine, permettait « d'abandonner un
enfant sans que l'on puisse distinguer le visage de la mère pécheresse »
et était « une ingénieuse invention de la charité chrétienne, ayant des mains
pour recevoir mais pas d'yeux pour voir, ni de bouche pour parler ». Le 14 août
1811, un tour, muni d'une sonnette, fut à nouveau établi à la porte principale
pour recevoir les enfants dont nous allons voir maintenant qu'elle était la vie
entre 1789 et 1820.
II -
Alors que sous l'Ancien
Régime, la majorité des effectifs de l'Hospice nancéien était constituée
par des enfants abandonnés, c'est l'inverse que l'on
observe après 1793. Le pourcentage des enfants trouvés après 1796 et au-delà de
1820 fut rarement inférieur à 90 et atteignit même le maximum en 1799 et en
1800. Pourtant les formalités d'abandon avaient été réduites au minimum sous
Quant au nombre annuel
d'abandons, il était moins fort que durant l'époque précédente : la moyenne des
admissions était rarement supérieure à 200 entre 1793 et 1810 ; ensuite l'accroissement fut rapide et elle s'éleva au-dessus de
300. Ce n'était pas excessif par rapport à autrefois, mais il faut rappeler que
Nancy n'était plus l'unique dépositaire des deux duchés et que son rayonnement, même après le décret de 1811, ne
dépassait pas le cadre du ait département. Les abandons restaient nombreux et
étaient favorisés par les désordres de l'époque :
Les enfants placés à l'extérieur
Ces enfants, l'Hospice de Nancy continua à les confier, dans la mesure du possible, à l’extérieur. Un arrêté du 30 ventôse de l'an V (20 mars 1797) proclamait d'ailleurs « la supériorité du placement nourricier dans les familles habitant la campagne, sur l'internement dans les établissements désignés sous le nom d'orphelinats » et conseillait vivement de ne jamais ramener les enfants à l'Hospice, à moins qu'ils ne soient estropiés ou inaptes à aider leurs parents nourriciers. Pour encourager les particuliers à prendre des enfants chez eux, trois indemnités étaient en outre prévues. Les contrats passés par l'Hospice avec les nourrices comportaient à peu près les mêmes modalités que ceux passés à la fin de la monarchie, à cette différence que les nourrices n'étaient plus payées tous les mois mais tous les trimestres. D'autre part, ce n'était plus à l'Hospice mais à l'Etat puis aux collectivités locales qu'incombaient les frais de pension. Une layette et des « vêtures » devaient toutefois être fournies avec l'enfant par l'Hospice qui était aussi chargé de recruter les nourrices selon certains critères. Les textes spécifiaient par exemple que « les personnes qui se présenteront pour recevoir les enfants abandonnés devront être munies d’attestations de bonnes vie et mœurs décernées par les agents municipaux ». Enfin, les contrats précisaient que les nourrices s'engageaient à « élever (l'enfant) dans les principes républicains » et à l'envoyer à l'école.
Si les nourrices refusaient
de conserver les enfants dont on leur avait donné la charge après qu'ils aient
atteint l'âge de 12 ans, l'Hospice essayait de placer ces derniers chez des
cultivateurs, des artisans ou des manufacturiers où les enfants devaient rester
jusqu'à leur majorité pour y apprendre « un métier de profession conforme à
leur goût et faculté ». Le principal rôle de l'Hospice était de veiller sur les
enfants jusqu'à ce qu'ils soient en mesure tait de se débrouiller seuls et par
conséquent de leur faire donner une formation professionnelle. Des contrats
d'apprentissage étaient passés entre
Sur le plan moral, ils devaient veiller à leurs mœurs et à leur éducation civile et religieuse et remplir ces diverses obligations en bon père de famille. Les apprentis, une fois leur formation terminée, devaient rembourser à leurs patrons les frais occasionnés par leur entretien.
Par ces contrats, l'Hospice se déchargeait totalement des enfants de plus de 12 ans, en se contentant de leur fournir quelques vêtements (un habit-veste, un gilet, un pantalon pour l'hiver et les mêmes habits pour l'été, ainsi qu'un chapeau, deux paires de chaussures, trois chemises, trois paires de bas, deux mouchoirs de col et quatre de poche). De leur côté, les patrons faisaient une bonne affaire puisque les apprentis constituaient une main-d'œuvre gratuite. Enfin, les enfants eux-mêmes en tiraient l'avantage d'apprendre un métier et de ; s'adapter à la vie dans un milieu plus naturel que ne l'était celui de l'orphelinat. D'autant ; plus qu'au début du XIXe siècle, la vie était très dure pour qui n'avait pas de famille. Pour l’individu livré à lui-même et ne pouvant encore pas bénéficier du secours d'une bonne législation : sociale qu'était l'enfance assistée, la meilleure solution était d'être placé très jeune afin d'apprendre à lutter, dans un monde rendu impitoyable par la montée du machinisme, la concentration du capital et les excès du libéralisme.
Plus de 60 à 70% des
enfants étaient ainsi dispersés à l'extérieur de l'établissement, placés soit
en nourrice, soit chez des cultivateurs, soit en apprentissage chez des
artisans et manufacturiers. Seule une centaine d'enfants au maximum restait
dans les murs de l'Hospice.
Les enfants qui restaient à l'Hospice
C'étaient des orphelins, qui théoriquement ne devaient pas être placés à l'extérieur, des enfants abandonnés susceptibles d'être retirés à plus ou moins brève échéance et souvent aussi des malades, des infirmes et des débiles. Ces derniers, en raison de leur état, étaient gardés au-delà de 14 ans et on essayait de les employer comme domestiques aux cuisines ou à la basse-cour.
La concentration des enfants était en principe déconseillée par les autorités compétentes, parce que, aggravée par de mauvaises conditions d'hygiène, elle avait de graves conséquences pour leur santé. Bien souvent des épidémies éclataient : la seule vaccination connue à l'époque était celle découverte contre la petite vérole par le médecin anglais Jenner dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Bien qu'elle ait été rendue obligatoire en 1793, une épidémie parvint à décimer, en 1800, un sixième des enfants abrités par l'Hospice. La mortalité, moins élevée que durant la période précédente, restait toujours très importante, surtout parmi les nourrissons de moins d'une semaine ou d'un mois. Certaines années, elle fut même favorisée par l'état de sous-alimentation auquel la faiblesse des ressources réduisait l'établissement.
Les activités et la vie à l'intérieur de l'Hospice restèrent assez semblables à celles de l'Ancien Régime, surtout après le retour des religieuses. En 1805, après l'emménagement dans l'ancien collège des Jésuites, le nouveau règlement donnait à la sœur économe la responsabilité de la discipline comme il lui confiait la gestion financière de l'institution : il précisait qu' « elle entretiendra les enfants dans la soumission, le choix du mode et de la distribution des peines et récompenses lui appartiendront ; ces peines doivent se borner à quelques privations de récréation ou en mettant les enfants aux arrêts ou en leur faisant subir quelque mortification, enfin en ne leur donnant que de la soupe et du pain ».
Les journées se déroulaient de la manière suivante : les enfants, qui étaient répartis en quatre dortoirs (un par office), devaient se lever à 6 heures en hiver, c'est-à-dire du 1er octobre au 1er avril, et à 5 heures le reste de l'année. Leur emploi du temps était marqué par les heures des prières et des repas, qui se déroulaient dans deux réfectoires séparant les garçons des filles, et égayé par les récréations (une heure après le déjeuner, une demi-heure après dîner). En dehors de ces moments, les enfants étaient occupés par deux types d'activités : deux heures d'instruction au minimum chaque jour et consistant en lecture, écriture et arithmétique, pour les garçons comme pour les filles, et d'autre part des travaux manuels, de jardinage, de cordonnerie, de tissage et de filature. Les filles étaient progressivement initiées à des travaux de filature, de tricotage, de couture, de raccommodage, puis au repassage au soin et à la propreté des enfants, à la cuisine, etc... La journée, enfin, se terminait par le coucher à 8 heures en été et à 7 heures en hiver. Désormais, un tiers du produit des ouvrages qu'ils confectionnaient revenait aux enfants qui ainsi se constituaient un pécule en vue de leur sortie. Et deux fois par an, pour les encourager, les membres de !a Commission administrative procédaient à une distribution des prix « aux enfants qui par leur sagesse, leur conduite et leur travail les auront mérités ».
Les dimanches, jeudis et jours de fêtes, les enfants qui avaient encore leur père ou leur mère, un tuteur ou un ami de leur famille, étaient autorisés à sortir. Les autres étaient conduits en promenade après le déjeuner.
Telle était la vie calme et
régulière que menaient les enfants dans le monde clos de l'orphelinat, tandis
qu'à l'extérieur se produisaient des bouleversements qui changèrent le cours de
l'histoire de notre pays. Indirectement, pour l'Hospice aussi, l'effondrement
de l'Empire et
Troisième époque (1820-1904)
L'Hospice Saint-Stanislas ou les débuts de l'ère des progrès
C'est sous
L'Hospice Saint-Stanislas,
comme on finit par l'appeler, continua à être préoccupé par deux problèmes, du
moins jusqu'en 1869 : celui de l'augmentation constante du nombre des enfants,
à sa charge et, par conséquent, celui aussi du financement.
Expositions et abandons étaient très nombreux en cette première moitié du XIXe siècle et ce, malgré la fermeture du tour dès 1818 à Nancy (officiellement, il devait être supprimé en 1860 en raison des accidents qui survenaient lorsqu'on faisait tourner l'enfant) et en dépit des mesures restrictives apportées par l'instruction ministérielle du 8 février 1823 à l'application du décret de 1811. Celle-ci interdisait l'accès à l'Hospice des enfants ayant plus de douze ans et prétendait même, en totale contradiction avec les mesures instituées en 1811, que « l'indigence et la mort naturelle des pères et mères ne sont pas des circonstances qui puissent faire admettre leurs enfants au rang des enfants abandonnés ». En pratique, on se montra heureusement un peu moins sévère. La moyenne annuelle, entre 1810 et 1834, tournait autour de 350 entrées tandis que l'Hospice devait veiller en permanence sur plus de 1800 enfants (1843 en 1821, 1882 en 1823). Il existait en effet des moyens peu honnêtes pour faire introduire les enfants, sans y avoir droit. Le maire de Saint-Nicolas, en 1821, signala par exemple qu'il suffisait aux mères de sa commune de verser 12 francs à une sage-femme pour que cette dernière accepte de faire admettre le bébé à Saint-Stanislas. On découvrit aussi que, bien que le placement soit secret, la plupart des mères parvenaient à connaître le lieu où leur enfant était en nourrice grâce à une marchande de fruits qui, établie près de l'Hospice, trouvait plus lucratif de faire commerce de renseignements que de marchandises. Une surveillance étroite dut dorénavant être exercée sur tout le personnel de l'établissement.
Le Conseil général de
On imagina alors un moyen pour inciter les parents à reprendre leur progéniture : celui de déplacer leur enfant mis en nourrice d'une localité à une autre. En effet, il n'était pas rare qu'ils sachent où était leur enfant et nouent des relations avec les nourrices à l'insu de l'institution. Le transfert à l'autre bout du département les laissait souvent désemparés, au point que certains venaient à l'Hospice reprendre leur bien. Selon le rapport d'un inspecteur, « sur 90 enfants trouvés, changés de nourrice, il y en a toujours 19 à 20 qui sont réclamés par les parents ». Mais ces déplacements compliquaient la tâche de l'établissement tout en perturbant les enfants pour qui un placement continu était davantage bénéfique en raison des liens affectifs qu'il favorisait avec les parents nourriciers. Il s'avérait donc plutôt difficile de limiter l'accroissement du nombre des enfants assistés, d'autant plus qu'en se montrant trop sévère, on risquait de pousser les gens à l'infanticide.
Mais comment s'expliquait
cette vague d'abandon ? Vers 1831, le Préfet, qui s'interrogeait aussi,
évoquait la présence de garnisons plus nombreuses et désœuvrées, la rigueur des
hivers et sa conséquence, le prix élevé des denrées. En
« La débauche peuple sans doute les hospices des enfants trouvés, mais la misère est aussi une des causes les plus fréquentes des abandons. Si la mère pouvait nourrir son enfant, si au moment de la naissance elle n'était pas dépourvue du strict nécessaire, elle se déterminerait difficilement à l'abandonner. »
La misère était donc la grande coupable : une enquête générale, effectuée en 1860 et qui arrivait à la même conclusion, fut à l'origine d'un règlement paru le 2 décembre 1861. Reprenant l'idée du secours à domicile préconisée en 1793 par certains révolutionnaires, il instituait des allocations, prélevées sur le budget départemental, pour les enfants de moins de douze ans : « Ces secours ne seront concédés, précisaient les textes, que pour trois années sauf renouvellement s'il y a lieu. Ils sont applicables aux enfants qui ont perdu leur père et mère, à ceux qui sont orphelins de père seulement, à ceux dont la mère est abandonnée de son mari et enfin aux enfants naturels régulièrement reconnus. »
Cependant, bien avant que
soient prises ces mesures, il y eut une résorption des effectifs. En 1834, on
compte à peine 94 enfants admis ; c'est exceptionnellement bas, mais par la
suite, dans la seconde moitié du siècle, les chiffres se maintinrent autour de
120, mis à part un maximum de 212 dû à la guerre de
1870. Ils traduisaient sans doute une meilleure conjoncture économique. Mais
quelles qu'aient été les raisons et l'importance des abandons, l'entretien des
enfants demandait souvent d'accomplir de véritables prouesses en matière de
gestion vu la modicité des moyens dont disposaient la sœur économe et les
administrateurs de
Le décret de 1811 avait confirmé le double système de financement des dépenses : les dépenses intérieures, c'est-à-dire celles occasionnées par les enfants qui restaient à l'Hospice, étaient à la charge de l'établissement, mais les dépenses extérieures, c'est-à-dire celles dues aux enfants placés à la campagne, restaient en partie couvertes par l'Etat, le reste devant être payé sur les fonds de communes. En 1817, la loi de finances fit également participer les départements aux frais.
L'Hospice avait tout
intérêt à placer le maximum d'enfants à l'extérieur, puisque ce n'était pas sur
son budget qu'il réglait leurs nourrices. Mais comme les tarifs étaient
faibles, il n'était pas toujours facile de trouver des personnes voulant bien
élever des enfants. Les autorités départementales, et en particulier le Préfet,
jugeaient pourtant ces pensions encore trop élevées. Il lui arriva plus d'une
fois de reprocher à
Il y avait donc un certain égoïsme de la part des notables, qui ne contribuaient aux charges d'assistance qu'avec beaucoup de réticence. Peu leur importait que la vie se soit renchérie et que les nourrices ne puissent élever correctement les enfants avec leur maigre salaire ; la seule chose qui les inquiétait, c'était le nombre des abandons. Au point qu'en 1841, le ministre de l'Intérieur s'inquiéta et ordonna aux préfets de revaloriser les pensions et de rétablir les indemnités instituées par l'arrêté du 30 ventôse de l'an V pour encourager les gens à bien soigner et à garder les enfants : 18 francs pour les nourrices qui justifiaient après neuf mois que l'enfant vivait toujours et avait été bien traité ; 50 francs aux personnes qui se chargeaient de l'enfant jusqu'à 12 ans et 50 francs aussi aux cultivateurs, fabricants, etc., qui conserveraient les enfants déjà placés chez eux pour les employer. Enfin, il était rappelé aux établissements l'obligation qui leur était faite de fournir layette et vêture aux enfants mis en nourrice pour qu'ils n'aillent plus en haillons.
A Nancy, les pensions
restèrent inchangées puisque
En ce qui concernait
l'entretien des enfants gardés à Saint-Stanislas, la situation n'était pas
meilleure.
Outre le prix de journée,
la religieuse recevait, en vertu d'un traité du 26 novembre 1824, le produit
des rétributions pour assistance aux convois funèbres des enfants. Une pratique
ancienne voulait en effet qu'aux grands enterrements, des enfants pauvres tout
de noir vêtus pour la circonstance et la tête
recouverte d'un chapeau rond à larges bords suivent le corbillard. Ils
portaient d'une main un cierge éteint et dans l'autre un lourd chandelier. Le
droit d'aumônes et de quêtes, reconnu par les lettres de fondation en 1774 et
confirmé sous
Dès l'application du régime
de l'abonnement, une amélioration très sensible se produisit : grâce à leurs
vertus d'économie, les religieuses diminuèrent le déficit. La municipalité en
profita immédiatement pour réduire sa contribution. Mais en 1831, bien que le
système ait fait ses preuves et donné toute satisfaction, une ordonnance
prescrivit la révocation de tous les traités d'abonnement et imposa le retour à
la régie directe. Les administrateurs, mécontents de ces nouvelles
dispositions, passèrent outre et conclurent avec
Cependant, ce qui
déplaisait le plus à
II. - L'ÉVOLUTION DES CONDITIONS DE VIE DES ENFANTS
Les enfants placés
Les autorités compétentes
recommandaient toujours de placer les enfants à l'extérieur, tout en limitant
ce placement au département de
Mais quelles étaient les
personnes qui acceptaient de s'occuper d'enfants assistés ? Malheureusement, il
s'agissait des familles les plus indigentes, ce qui n'est pas surprenant vu la
modicité des pensions qu'on leur versait en compensation. Aussi beaucoup
d'enfants menaient une vie très misérable. Ils jouissaient du bon air de la
campagne, d'une plus grande liberté de mouvement qu'à Saint-Stanislas, mais en
revanche ils étaient souvent mal nourris, mal vêtus et ce, bien que l'Hospice
fournisse layettes et vêtements. Leur instruction n'était pas meilleure puisque
D'autres plaintes
s'élevèrent aussi contre certains parents nourriciers qui, tels les fameux
Thénardier du roman de Victor Hugo, maltraitaient leurs pensionnaires. Le sort
des enfants était souvent aggravé par le fait que leurs nourrices, non
seulement étaient mal rétribuées mais encore l'étaient avec retard. En attendant
que l'Hospice leur verse le montant de la pension, elles étaient parfois
réduites, en raison de leur pauvreté, à remettre le billet de promesse de
paiement à des usuriers qui, en échange, leur avançaient les deux tiers de la
somme en espèces, gardant pour eux un tiers comme bénéfice. Les autorités,
ayant eu connaissance de cet « agiotage », ordonnèrent que désormais les
nourrices devraient être directement payées par le percepteur de leur commune.
Et d'autres mesures furent prises tout au long du siècle pour améliorer leur
situation et surtout celle des enfants : les nourrices reçurent plusieurs
gratifications supplémentaires, tandis que leurs protégés purent obtenir
gratuitement les fournitures scolaires dont ils avaient besoin, puis bénéficier
à partir de 1861 du service médical gratuit créé dès 1855 dans le département
de
Parallèlement à ces améliorations d'ordre matériel, une plus grande surveillance fut exercée. A l'origine, les contrôles étaient rares : théoriquement, les maires et les curés étaient tenus de signaler au Préfet les situations anormales. Quelques tournées d'inspection semblent aussi avoir été effectuées par des fonctionnaires en vue de vérifier si les instructions étaient appliquées. On peut citer à cette occasion l'exemple du collier.
Dès 1818, on aurait
envisagé de mettre un collier aux enfants pour les reconnaître et empêcher
toute substitution. Malgré des avis défavorables du corps médical qui le
jugeait dangereux, le Ministère ordonna en 1826 le port d'un collier en soie
fixé par une plaque d'étain sur laquelle devaient être inscrits l'année de
l'abandon et le numéro d'ordre de l'enfant, ainsi que le nom de l'hospice dont
il dépendait. Il subsiste le rapport d'une inspection effectuée dans
Du point de vue moral, le collier constituait « une marque de réprobation » dont souffraient les enfants. Or, en tant que mesure de prévention, les colliers s'avéraient inefficaces puisqu’ils ne pouvaient grandir avec l'enfant et, de ce fait, l'hospice devait en donner un trop grand et facile à retirer ou un qui soit à la taille de l'enfant mais que l'on devait briser par la suite.
Malgré les témoignages hostiles, l'obligation du collier fut maintenue jusqu'en 1843, date à laquelle on le remplaça par des marques encore plus visibles puisqu'il s'agissait de boucles d'oreilles. En 1861, le règlement du 2 décembre, plus sage, institua une simple médaille d'argent pour les enfants de moins de 4-5 ans, tandis que tous les enfants placés à la campagne devaient être pourvus, depuis 1859, d'un livret d'identité.
Mais ce n'est qu'en 1843 qu'une fonction d'inspecteur de l'Assistance était officiellement créée. En raison d un manque de crédit, elle fut provisoirement exercée par des inspecteurs d'écoles primaires. Par l'intermédiaire des instituteurs, ces derniers parvenaient à glaner beaucoup d'informations sur les enfants et les familles nourricières. C'est peut-être grâce à un contrôle plus suivi que des progrès apparurent. Un inspecteur pouvait noter avec satisfaction : « Les enfants, depuis l'âge de 6 ans, fréquentent régulièrement les écoles au moins pendant la saison de l'hiver, aussi savent-ils lire et écrire passablement à l'âge de 10 ans. » En 1872, un autre inspecteur signalait que, bien que l'intérêt soit le principal motif qui poussait les gens à élever un enfant de l'hospice, la situation était généralement satisfaisante. Son seul souci restait le problème du coucher : «Je ne parviens pas toujours, se plaignait-il, à obtenir que nos élèves aient un lit particulier. Fréquemment ils partagent celui des enfants de la maison. »
L'opinion des enfants
eux-mêmes, nous ne la connaissons malheureusement pas. Pourtant il reste le
témoignage d'une jeune fille qui, prouvant que tous les enfants ne
connaissaient pas le triste sort de Cosette avant sa rencontre avec Valjean,
écrivait à
« J'ai l'honneur de vous prier de me permettre de continuer de rester chez les personnes qui ont pris soin de m'élever. Je me croirais ingrate si je ne cherchais à rendre service à de si bons parents qui m'ont toujours montré tant d'attachement. »
Certains enfants
parvenaient ainsi, aux hasards des placements, à trouver le cadre familial et
l'affection propices à leur épanouissement. Pourtant tous les enfants ne
pouvaient être mis en nourrice en raison de leur statut (orphelins, abandonnés
temporaires), ou de leur état de santé (infirmes ou débiles).
Les enfants à l'Hospice
Ils restaient peu nombreux par rapport aux enfants placés : au XIXe siècle, la capacité de l'Hospice n'était que de 125 lits et le plus souvent ils n'étaient qu'une cinquantaine d'«orphelins » âgés d'un à dix-huit ans.
Au cours de cette troisième
période de l'histoire de l'établissement, le fait le plus marquant est sans
conteste la diminution de la mortalité, grave problème aux époques précédentes.
Le pourcentage des décès, qui atteignait facilement 40 à 50% sous l'Ancien
Régime ou
Détail assez cocasse, le règlement général de 1861 prescrivait dans un même article :
« A leur arrivée à l'hospice, les enfants sont baptisés si rien ne constate qu'ils l'aient déjà été. Ils sont, en outre, vaccinés dès que leur âge ou leur état de santé le permet.»
Bien sûr, la médecine restait encore très ignorante et contre certaines épidémies (par exemple celle d'ophtalmie purulente en 1872) elle restait totalement désarmée.
Le régime alimentaire, qui
peut paraître de nos jours plutôt strict, était en grands progrès et très
convenable pour l'époque. Vers 1860, les enfants avaient au petit déjeuner de
la soupe et du pain, au déjeuner de la soupe et de la viande, des légumes ou du
lard. A dîner, ils recevaient de la soupe et le plus souvent un mets froid :
groseilles, poires ou pommes selon la saison ou du fromage blanc.
On procéda aussi à des
améliorations du cadre de la vie, en dépit des dépenses provoquées par
plusieurs incendies. Dès 1853, on installa partiellement le gaz. Peu après, le
bâtiment principal fut relevé d'un étage, mais c'est surtout après 1880 que les
travaux les plus importants furent accomplis. On construisit de nouveaux
dortoirs, on cimenta la cour de récréation des petits et la cour d'entrée fut
pavée.
Outre les loisirs, les
activités se diversifièrent grâce à l'acquisition de nouveaux métiers à tisser
et outils. Les enfants purent dorénavant fabriquer non seulement de simple
toile de coton ou de laine, mais aussi des toiles rayées de coton, de percale
et de chanvre et un maître tailleur enseignait l'art de la coupe et de la
couture aux plus habiles d'entre eux. Les enfants les plus zélés recevaient
chaque année une récompense de 50 francs et des distributions annuelles de prix
en argent, à la suite d'un bienfait de particuliers, étaient organisées. Ces
sommes allaient grossir le pécule des enfants qui était placé à
Dans l'ensemble, durant
cette troisième époque, la vie à l'Hospice Saint-Stanislas connut d'importants
progrès. Mais ces améliorations matérielles ne parvenaient pas à rendre les
enfants heureux. Malgré tout le dévouement du personnel et spécialement des
religieuses qui y consacraient leur vie et leurs efforts, l'univers de
l'orphelinat ne favorisait pas l’épanouissement des
enfants, à qui il manquait toujours une bonne famille adoptive, « ce bienfait
que l'hospice ne pourra jamais lui accorder» comme le notait avec justesse une
instruction ministérielle. C'est pour cette raison, sans doute, que des
rebellions éclatèrent parmi les adolescents, révoltés devant l'injustice de
leur sort et lassés d'une discipline astreignante. En 1873, un mouvement se
déclencha parmi les grandes filles ; en 1906, ce fut au tour des garçons.
Pourtant leur sort était moins intolérable que celui d'autres enfants. Deux
célèbres enquêtes du XIXe siècle, celle du
Docteur Villermé et celle de Buret, en témoignent. Villerme après avoir visité
les usines et les mines des principales régions industrielles de
« Les enfants sont partout pâles, énervés, lents dans leurs mouvements. Ils offrent un extérieur de misère, de souffrance, d'abattement. Ils restent seize à dix-sept heures debout chaque jour sans changer de place, ni d'attitude. On inflige ce travail à des enfants de 6 à 8 ans, mal nourris, mal vêtus, obligés de parcourir de longues distances pour aller travailler ».
Ce sont ces situations scandaleuses qui suscitèrent la naissance et favorisèrent le développement de l'idéologie socialiste aussi bien que des mouvements chrétien et littéraire. L'Etat réagit par une législation sociale appropriée, mais comme toujours avec un certain retard parce que, comme le remarquait M. Tudesq, « quand les pouvoirs publics s'intéressent à la condition humaine des ouvriers, c'est d'abord en fonction des dépenses provoquées par l’indigence et ses effets (enfants trouvés, hospices, etc.) ». Ce n'est que progressivement qu'ils s'attaquèrent aux racines du mal, en réglementant tout d'abord le travail des enfants puis en rendant gratuite et obligatoire la scolarisation de 6 à 13 ans.
Mais ce furent les lois de 1889 et de 1904 qui, en France, transfigurèrent le service d'assistance aux enfants. En effet, les lois du 27 et 28 juin 1904 sont considérées comme la seconde charte des enfants assistés après celle de 1811. Outre quelques mesures nouvelles, ces textes reprennent le contenu de lois antérieures et codifient, sur le plan national, de multiples mesures qui avaient vu le jour sur le plan local durant le XIXe siècle. L'une de leurs innovations fut l'obligation pour les services de l'Assistance Publique de recevoir les enfants abandonnés à bureau ouvert, c'est-à-dire sans aucune formalité ; la présentation de l'enfant pouvait désormais avoir lieu dans un local ouvert le jour et la nuit, sans autre témoin que la personne préposée au bureau d'admission, généralement une femme. Celle-ci devait informer la personne qui présentait l'enfant de l'existence de secours pour aider les mères à élever leurs bébés et signaler les conséquences de l'abandon : secret du lieu de placement, obtention de renseignements sur l'existence ou la mort de l'enfant uniquement à certaines époques fixes. Enfin, la préposée devait insister sur le fait que la mère n'était pas assurée que son enfant lui serait rendu si elle le réclamait par la suite et en appeler à ses sentiments maternels. L'admission à bureau ouvert présentait les mêmes avantages d'anonymat que l'ancien système du tour sans en avoir les inconvénients pour l'enfant. Les lois de 1904, qui enlevèrent la tutelle des enfants aux hospices dépositaires pour la donner au Préfet, distinguaient deux catégories d'enfants assistés :
celle, traditionnelle malgré une dénomination nouvelle, des « pupilles de l'Assistance », qui regroupait les enfants trouvés, les enfants abandonnés, les orphelins pauvres ainsi qu'une nouvelle catégorie reconnue par la loi du 24 juillet 1889 : celle des enfants délaissés, maltraités ou moralement abandonnés ;
celle, plus récente, des enfants placés sous la protection de l'autorité publique, qui englobait les enfants secourus, les enfants en garde et les enfants en dépôt.
Les enfants secourus étaient ceux dont les familles percevaient des secours temporaires destinés à prévenir un éventuel abandon. Les enfants en garde étaient ceux que le juge d'instruction confiait à l'Assistance Publique dans les cas de délits ou de crimes commis par les enfants ou sur les enfants. Enfin, les enfants mis en dépôt étaient ceux laissés sans protection ni moyens d'existence par suite de la détention ou de l'hospitalisation de leurs parents ou ascendants.
Par rapport au décret de
1811, la notion d'assistance à l'enfance s'était donc considérablement
élargie. Le service de l'Assistance Publique ne se contentait plus de
recueillir, comme à l'origine, les enfants
physiquement délaissés, mais se voyait aussi confier par l'autorité judiciaire
les mineurs en danger physique puis moral dans leur famille légitime. La
protection judiciaire de l'enfance était née et son rôle fut de restreindre ou
de supprimer l'exercice abusif de la puissance paternelle. Ces principes ont
été consacrés par la législation postérieure.
Quatrième époque
Les bouleversements des guerres
Pendant les premières
années du XXe
siècle, l'Hospice Saint-Stanislas continua à
accueillir les orphelins et ceux qu'on appelait désormais les pupilles de
l'Assistance Publique. Les travaux d'aménagement se poursuivirent également :
l'utilisation du gaz fut généralisée, un nouveau gymnase fut installé pour les
garçons ainsi qu'un ouvroir pour les jeunes filles dans l'attente d'une place.
On améliora les conditions d'hygiène en supprimant la porcherie et en équipant
l'Hospice d'un service de bains et douches, et même d'une salle
d'hydrothérapie. Le fait le plus marquant de ce début de siècle concerne
toutefois l'instruction des enfants : à partir de
C'est sur ces entrefaites
que le premier conflit mondial se déclencha. Durant les premiers temps,
l'Hospice fonctionna normalement, abritant toujours les enfants qu'on employait
à la confection de la charpie destinée aux pansements pour les blessés. En
1916, les locaux étaient même encombrés; on comptait 125 enfants au lieu d'une
cinquantaine en temps normal. L'Administration redoutait que ce surpeuplement,
dû aux mobilisations des pères, ne favorise les maladies et surtout les
épidémies comme cela avait déjà été le cas en 1870 pendant la guerre franco-prussienne.
Plus grave : en 1916, Nancy essuya plusieurs bombardements. Heureusement, les
caves de l'établissement étaient un abri sûr, au point qu'en 1917, les
autorités (Préfet, Maire et Recteur) demandèrent à
Trouver de nouveaux locaux n'était pas
tâche facile, surtout en temps de guerre où la plupart étaient réquisitionnés
par l'Armée. D'autre part, il fallait que les nouveaux bâtiments soient situés
à l'arrière, à l'abri des bombardements, sans être trop éloignés de Nancy pour
permettre à
Le transfert du mobilier nécessaire et des enfants fut entrepris en mars 1917, grâce à des voitures automobiles prêtées par l'Armée. Le ravitaillement put être quotidiennement assuré de Nancy au moyen d'une automobile dont avait généreusement fait don un administrateur (J. Levy). Mais en mauvaise saison, quand il y avait de la neige, ce transport posait des problèmes. Plus d'une fois, les orphelins furent chargés d'aller chercher le ravitaillement au bas de la colline, que la voiture ne parvenait pas à grimper, en raison du verglas.
A Sion, d'autres problèmes se posèrent : par exemple celui d'assurer l'enseignement puisque les enfants ne pouvaient plus se rendre dans les écoles nancéiennes. On confia finalement cette mission à trois religieuses de l'établissement. D'autre part, il était impossible de trouver un médecin civil ou militaire pendant ces années de guerre. On résolut le problème en confiant le service médical des pupilles à une interne des Hospices de Nancy.
L'installation et
l'adaptation turent difficiles, mais grâce à la gentillesse des Pères et à la
bonne volonté de chacun, le personnel et les enfants purent mener une vie
presque normale. Si les petits ne supportèrent pas toujours le changement et
durent être renvoyés au service de
En raison des
bombardements, les locaux avaient été endommagés et il fallut procéder à des
travaux pour les remettre en état. Cependant, la conséquence la plus grave de
la guerre fut pour l'Hospice Saint-Stanislas la mise en cause des lits de
fondations. L'effondrement du franc obligea les administrateurs à procéder à une révision de leurs
charges. Sur les cent lits fondés par Charles IV, seule
la moitié put être conservée. Les ressources d'une dizaine de lits provenant de
fondations du XIXe siècle (exemple : celle
du général Drouot, de l'abbé Lesoiny, etc.) étant devenues insuffisantes,
furent affectées à de petits orphelins dont les familles pouvaient payer une
partie de leur pension. Mais les quinze lits subventionnés par la fondation
Collinet de
En outre, pendant
l’entre-deux-guerres, le service des tout-petits subit une importante réorganisation.
Les autorités compétentes (Commission administrative, Préfet et Médecins)
inquiets de voir la forte mortalité qui sévissait parmi les nourrissons (77 %
de décès en 1919), imaginèrent de nouvelles solutions. A la pouponnière,
installée depuis la guerre à l'Hôpital Marin, fut annexé en 1919 un Asile pour
mères-nourrices qui avait un double but : préserver si ce n'est sauver la vie
de l'enfant grâce à l'allaitement et attacher les mères à lui par ce moyen. Les
mères nourrices avaient même droit à une prime spéciale si, tout en nourrissant
leur propre bébé, elles pouvaient allaiter un nourrisson sans mère. Cependant,
comme l'installation matérielle à l'Hôpital Marin était mauvaise, et le
personnel subalterne insuffisant, en mars 1924, les deux services furent
confiés à la surveillance d un professeur d'obstétrique et transférés à
Saint-Stanislas jusqu'en avril 1929, date à laquelle l'Asile maternel fut
définitivement aménagé dans
Depuis 1914, les autorités
envisageaient de transférer totalement et définitivement l'Hospice
Saint-Stanislas dans de nouveaux bâtiments, car
Dès la déclaration de guerre,
en août 1939, les enfants des deux services existants alors à Saint-Stanislas
(pouponnière et foyer des pupilles de 1 à 21 ans) furent dirigés sur
Rosières-aux-Salines dans
Après cette longue parenthèse de la guerre, débuta pour l'Hospice, réintégré par ses pensionnaires traditionnels, une ère nouvelle.