Une étudiante américaine au Centre Alexis Vautrin en 1956-1957
Simone GILGENKRANTZ
Au cours de l’année universitaire 1956-1957, une
jeune biologiste de 27 ans, Evelyn Rivera,
venant de l’université de Berkeley
(Californie, E.U.), fait un stage au laboratoire d’anatomie pathologique du
Centre Alexis Vautrin. Pendant son séjour d’une année, elle se forme aux
techniques d’anatomie pathologique humaine tout en découvrant la Lorraine et le
mode de vie de ses habitants. Elle tisse de solides amitiés qui dureront toute
sa vie.
Après son retour aux Etats-Unis, elle est soutient
sa thèse de Ph.D. à l’université de Berkeley en 1963.
Puis elle quitte la Californie pour la Michigan State University
(université de l’Etat du Michigan) à East Lansing, où elle devient professeur
de zoologie. Elle publie de nombreux articles de qualité sur ses recherches en
cancérologie[1].
Son journal[2]
nous fait revivre la France des années 1950, encore marquée par la guerre, les privations
et la présence des bases américaines, ainsi que les soirées franco-américaines organisées
par la Croix-Rouge. Au laboratoire d’anatomie pathologique, dirigé par le
professeur Florentin, elle s’initie aux techniques mises au point par Bernard Pierson : des examens cytologiques extemporanés par
aspiration bronchique. Elle y fait la connaissance de Colette Macinot, alors chef de travaux d’anatomie pathologique,
malheureusement disparue trop tôt.
Le professeur Florentin et le docteur
Colette Macinot
A son arrivée en Lorraine, l’hiver 1956 est
particulièrement froid, surtout pour une jeune fille n’ayant vécu jusqu’alors
qu’en Californie. Comme elle est en sandales et n’a aucun lainage, Bernard Pierson l’accompagne, à sa grande confusion, dans des
magasins pour qu’elle se procure des vêtements chauds et des chaussures
d’hiver.
Car, dès son arrivée, elle est prise en charge par
la famille de Bernard Pierson. Elle y découvre l’ambiance
d’une famille bourgeoise, le cérémonial des repas de fêtes à Noël et au Nouvel
An, si différent des coutumes américaines. Elle se souviendra toujours de la
chaleur de leur accueil et sera extrêmement peinée quand, plus tard, elle
apprendra la mort prématurée de ce brillant cytologiste. Bernard Pierson a en effet été le premier à mettre au point un test
de diagnostic cytologique pour le cancer du poumon, à
la suite des travaux de Georges Papanicolaou sur le dépistage du cancer utérin par frottis vaginal.
Bernard Pierson
C’est avec minutie qu’elle note dans son journal ses étonnements sur
les coutumes françaises : la « fête des Rois » où il y a une
fève dans le gâteau alors que celle-ci est offerte à part dans le King Cake américain ; la « fête
du travail » où, justement, personne ne travaille ! Le cérémonial des
thèses avec les professeurs en toge et ce déroulement solennel se terminant par
le serment d’Hippocrate.
Alors qu’elle commence à bien parler français, elle n’est pas
mécontente de pouvoir parfois aussi parler anglais. A la suite de
l’insurrection de Budapest en octobre 1956, quelques Hongrois, anglophones, qui
avaient fui leur pays, résident encore en Lorraine, et elle est heureuse de communiquer
avec eux dans sa langue. A la Croix-Rouge, où elle peut aller jouer du piano, elle
va quelquefois écouter les militaires américains, venant avec leur guitare ou
leur saxophone faire de la musique ou accompagner des danses folkloriques dans
la soirée. Elle y retrouve les Hongrois qui jouent aussi bien des airs américains
que des ballades hongroises et russes.
Elle a trouvé une chambre chez une logeuse très heureuse de bavarder
avec elle chaque soir. Tout se passe bien jusqu’au jour où deux des musiciens
militaires américains viennent lui rendre visite. Pour sa logeuse, c’est un
scandale absolu. En effet, cette « occupation américaine » n’est pas
toujours bien supportée par la population française et il est très mal vu
qu’une jeune fille reçoive des soldats américains ! Cette « mauvaise
réputation » des GI’s
durera encore longtemps car ce n’est qu’en 1966 que le général de Gaulle décide
du retrait des forces de notre pays du commandement intégré de l’Otan. Evelyn
est évidemment très choquée par l’attitude de sa logeuse qui lui semble
incompréhensible, jusqu’au lendemain où, racontant sa mésaventure aux
techniciennes, celles-ci lui expliquent que dans l’ensemble de la population,
les Françaises fréquentant des soldats américains sont perçues, a priori, comme des « femmes
de mauvaise vie » !
Quand le printemps revient, Evelyn est souvent invitée par des amies et
amis pour visiter la Lorraine, l’Alsace, la Belgique, et c’est une grande joie
pour elle de découvrir la région. Ceci ne l’empêche pas de poursuivre son
travail au centre Alexis Vautrin, et même de remplacer Bernard Pierson lorsqu’il est absent. Avant de préparer son départ,
elle part avec lui à Bruxelles pour assister à une réunion sur le cancer,
présidée par Georges Papanicolaou. Puis, en novembre
1957, ce sont les adieux. Elle est invitée avant son départ chez toutes ses amies
et amis, et elle emporte avec elle de nombreuses et précieuses photographies de
son séjour à Nancy.
Plus tard, après sa mort, son journal sera diffusé à ses collègues de
l’université du Michigan. Il est aussi traduit en français pour que le passage
de cette jeune Américaine - une des premières dans l’après-guerre à venir séjourner à la faculté de médecine de Nancy - ne soit pas
oublié.
[1] Elias
J.J., Rivera E., « Comparaison of the responses
of normal precancerous and neoplasic mouse mammary
tissues to hormones in vitro, Cancer
research, 1959, 19,
505-511.
Rivera E.M.,
Howard A.B., « Influence
of insulin on maintenance and secretory stimulation of mouse mammary tissues by
hormones in organ-culture, Endocrinology, 1961, 69, 340–353.
[2]
Le journal qu’elle a tenu pendant
son séjour a été recueilli et se trouve à la disposition de ses amis.