Le Docteur Louis SENLECQ et le Docteur Maurice LUCIEN
Une belle rencontre et une belle amitié dans le Grand Couronné !
(février 1915 - mars 1918)
Hélène GRANGE
pour la famille du Docteur Louis Senlecq
Tous deux sont nés en 1880... Tous deux sont partis faire leur métier de médecin en août 1914. Maurice Lucien, médecin installé à Nancy, jeune agrégé de la Faculté de médecine, est blessé : il rentre à Nancy en fin d'année 1914. A peine guéri, il se met à la disposition du Service de santé de l'armée.
Louis Senlecq, médecin et chirurgien installé à l'Isle-Adam (aujourd'hui dans le Val d'Oise) passe les mois d'août et septembre "à l'ambulance" dans le Grand Couronné. En octobre, gravement malade et malgré son refus, il est contraint de rentrer sur Beauvais. Avant la fin de sa convalescence, il aide son ami le chirurgien Fernand Martin à l'hôpital de Caen. Affecté ensuite entre Toul et Troyes, il est nommé responsable de l'hôpital auxiliaire n°111 de Maxéville le 5 janvier 1915. Cet hôpital prend place dans les bâtiments de l'Ecole normale d'institutrice, réquisitionnés par l'armée. L'Union des femmes françaises en assure la gestion.
La
rencontre
Le Docteur Lucien a un cabinet à Nancy, 16 rue de Verdun. Le Service de santé lui demande d'aider à l'hôpital 111 de Maxéville. De suite les deux hommes s'apprécient : même souci des blessés, même énergie à soigner, à organiser et à faire progresser l'asepsie, le transport des blessés, la réduction des fractures. Louis Senlecq, ingénieux photographe, prend des centaines de photographies de "ses" blessés sur des plaques de verre et quelque 200 photographies qu'il "tire" partout (dans les tranchées parfois, dans son bureau ou dans sa chambre). Il écrit la légende au dos de chaque cliché.
Il prend de nombreuses photographies du
Docteur Lucien, et il écrit à son épouse combien il apprécie ce médecin calme
et efficace. Les
légendes sont "deux bons amis",
"le Dr Lucien coupe le plâtre",
"Dr Lucien" au
poste de garde de voie de communication" : il leur arrive en effet de quitter l'hôpital 111 pour assurer des gardes ou même pour un
stationnement de l'ambulance : "dans
la cour du château de Custine, groupe de médecins, de personnel, de blessés ;
assis sur la marche-pied, l'ami Lucien", ou
encore : "Entrée d'une tranchée abri de troisième ligne : le Docteur Lucien
y attend les boches calmement".
Maurice Lucien partage de nombreux repas avec Louis Senlecq, parfois il l'invite chez lui. Ils ont des enfants du même âge... Tout cela est fixé sur la pellicule, légende à l'appui : "annexe de l'hôpital 111, quelle bonne hospitalité notre ami Lucien y a reçu" (il s'agit de l'hôpital bénévole situé en face du 111), "la salle à manger et un coin du salon du Dr Lucien. Les pièces évoquent le souvenir du meilleur accueil et d'une bonne amitié, Ricquette sur sa chaise, André par terre, deux des petits héritiers du ménage Lucien, un groupe bien sympathique au seuil d'une maison non moins sympathique : Dr Lucien, Mme Lucien, André, Riquette et Tototte, Chez le docteur Lucien à l'heure du thé !".
En mars 1915, de nombreux blessés
arrivent du Xon où ont lieu de terribles combats au
corps à corps, avec 2000 morts en trois jours. Les deux médecins constatent les
mêmes fractures de cuisse, et Louis Senlecq cherche
un moyen d'alléger les souffrances des blessés et d'accélérer le processus de
réparation des fractures. Il
met au point un "appareil de sa
confection fait de tringles à rideaux et d'escalier qui lui a coûté 15 francs".
Maurice Lucien lui indique le moyen de rencontrer les professeurs de la Faculté
de médecine, Weiss en particulier et les membres de la Société de médecine qui se réunit chaque semaine dans un
amphithéâtre de l'Hôpital civil. Mille appareils sont fabriqués et expédiés
dans toute la France. Senlecq donne des cours aux
jeunes médecins en vue de leur utilisation. Plusieurs étudiants qui soutiennent
leur thèse à la Faculté de médecine de Nancy au cours du conflit ou peu après
évoquent son activité et mentionnent ses appareils : Louvard
en 1916, Bozellec et Etienne en 1917, Grandineau en 1918, Duvernoy en 1919.
L'hôpital s'organise : bureau des entrées, blanchisserie, stérilisation, pharmacie, lingerie. "Les deux amis attendent la voiture "des rayons X"... Louis Senlecq n'y tient plus : au cours d'une permission, il va voir ses amis, ses relations et il revient avec un appareil de radiographie qu'il installe dans l'hôpital.
Lucien participe aux matinées récréatives pour distraire les blessés. Il ira aussi raccompagner Nungesser à son avion sur le plateau de Malzéville. Au cours d'une de ses nombreuses patrouilles aériennes, Nungesser a été blessé aux deux jambes. Il reste plusieurs semaines à l'hôpital et il fait connaissance avec les caves de la brasserie Henning lors des alertes dues aux bombardements.
Senlecq et Lucien passent donc trois années ensemble. A travers ces photographies, retrouvées seulement en 2010, après le décès de ma mère Jacqueline Senlecq, j'ai découvert un nouvel éclairage sur la vie de mon grand-père et une belle histoire d'amitié. Souhaitant retrouver des descendants du docteur Lucien, lors de mes passages à Nancy, je suis allée voir sa maison au 16 de la rue de Verdun : la maison est restée inchangée de l'extérieur. Mais elle venait d'être vendue... N'ayant que les surnoms des trois enfants Lucien, je me suis tournée vers l'état civil. C'est ainsi que j'ai dû me rendre à l'évidence : les trois enfants du Docteur Lucien n'ont pas laissé de postérité, ils ont vécu jusqu'à leur décès dans la maison de la rue de Verdun, et la famille est aujourd'hui réunie dans la paix du cimetière de Préville...
Grâce aux articles mis sur le site internet de l'Association des amis du musée, j'ai pu avoir connaissance de la belle carrière du Professeur Lucien qui a eu la chance de vivre jusqu'en 1968. Le Docteur Senlecq, rentré en octobre 1919 après 5 ans de guerre, donnera de son temps à l'Association des Mutilés de France et il en deviendra le président. A L'Isle-Adam, il crée sa clinique ainsi que le musée qui porte aujourd'hui son nom, il installe la première ambulance gratuite pour tous. Il sera maire de la ville entre 1935 et 1940. Il reçoit la Légion d'honneur en 1928. Ses inventions et ses photographies sont maintenant au musée du Val-de-Grâce. Il est décédé en 1950.
Il n'y a jamais eu un seul mot dans ma
famille à propos de ces photographies sur papier. Le témoignage de ces deux
médecins pendant la Grande Guerre, au cours de laquelle les hommes ont
tellement souffert de leurs blessures, montre combien ils avaient tous les deux
le souci de soulager, de guérir, d'inventer pour faire progresser la chirurgie
; tout cela dans des conditions très difficiles.