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LA CREATION DU COLLEGE ROYAL DE MEDECINE (1752-1793)

 

Georges GRIGNON

 

En 1752, le Roi Stanislas signe les “Lettres patentes du Roi, portant établissement d’un

Collège Royal de Médecine, à Nancy, 15 mai 1752”.

A son arrivée à Nancy, le Roi Stanislas aurait trouvé une organisation de la Santé qui laissait encore à désirer. et un certain laisser-aller dans l’exercice de la médecine. Pourtant, son prédécesseur, le duc Léopold avait contribué, avec autorité, à améliorer l’état sanitaire du duché; il avait notamment énoncé des règles claires de l’exercice de la médecine et avait pris de nombreuses initiatives dans divers domaines : médicaux, sociaux et environnementaux.

Beaucoup, pourtant, restait à faire, et Stanislas Leszczynski continuera avec brio à poursuivre et à compléter l’oeuvre du duc Léopold.

Tout au long de son règne, le Roi Stanislas s’est montré très attentif à la santé de ses sujets, ce qu’il exprime clairement et avec une certaine solennité dans le préambule des lettres patentes portant création d’un Collège Royal de Médecine à Nancy : “… Nous avons toujours eu à coeur de faire fleurir dans nos états les sciences et les arts pour procurer à nos sujets tous les fruits qu’on peut en recueillir : la médecine étant la plus importante et la plus nécessaire à leur conservation, nous croyons devoir porter plus particulièrement notre attention à tout ce qui peut contribuer à ses progrès et à sa perfection …”.

Il ne peut guère compter sur la Faculté de Médecine qui fait partie de l’Université de Pont-à-Mousson créée en 1572. Hélas, après une période de grand rayonnement interrompue par la guerre et les épidémies, cette faculté a perdu de son lustre et peine à se défaire d’une réputation de laxisme et à retrouver son crédit. Peut-être le transfert de cette faculté à Nancy aurait-elle eu un effet bénéfique sur son activité, mais c’était compter sans la détermination des Jésuites, des professeurs et des habitants de Pont-à-Mousson qui s’opposèrent avec la plus grande fermeté à ce projet.

Pour réaliser ses voeux dans le domaine de la santé et mener à bien ses généreux projets, Stanislas Leszczynski va trouver un appui sans faille auprès de deux de ses médecins, l’un Lorrain, Charles Bagard, l’autre Suédois, Casten Rönnow, qui ont eu un rôle éminent à la Cour de Lorraine et ont uni leurs efforts pour le conseiller et le seconder.

Charles Bagard est né en1696, dans une famille de médecins, son père Antoine Bagard est médecin du duc de Lorraine, son oncle Charles Joseph est médecin stipendié de Nancy.

Le jeune Charles part à Montpellier, fait de brillantes études et revient à Nancy où il devient médecin de l’hôpital Saint-Charles puis de l’hôpital Saint-Julien. Personnage brillant, ambitieux, autoritaire mais très affable et habile, il s’intègre à la société lorraine et notamment au milieu médical où il se fait apprécier. Il devient médecin ordinaire du duc Léopold en 1722 et on le trouve en 1724 président du jury du recrutement d’un professeur à la Faculté de médecine de Pont-à-Mousson dont il ne fait pourtant pas partie. Sa renommée et le souvenir qu’il a laissé au cours de ses études sont tels que lors de l’occupation française en 1734, il est amené à diriger l’hôpital militaire sur ordre du premier médecin du Roi de France, ancien professeur à la Faculté de médecine de Montpellier. Lors de l’arrivée de Stanislas en Lorraine, Ch. Bagard conserve ses fonctions et devient premier médecin ordinaire de sa majesté le Roi de Pologne. Il va alors rencontrer Casten Rönnow qui a accompagné Stanislas Leszczynski.

Personnage parfois énigmatique dont on connaît les principales étapes d’une carrière peu classique, Casten Rönnow est né le 15 février 1700 à Calshamm en Suède dans une famille de médecins très connue. Orphelin à 2 ans, il est recueilli par son oncle Johann Rönnow, médecin militaire et passe son enfance chez lui à Göteborg, puis s’oriente vers la médecine et devient chirurgien militaire en 1715. Il se distingue rapidement par ses qualités, mais, malgré les perspectives qui lui sont offertes, il quitte l’armée pour aller étudier à Stockholm et à Upsala. Bénéficiaire d’une bourse pour parfaire ses connaissances à l’étranger, il va successivement au Danemark, en Allemagne et enfin en France à Paris, où il est remarqué pour son talent d’artiste, dessinateur et aquarelliste. Il a notamment réalisé en 1727 un portrait de Lars Roberg qui fut son professeur à Upsala et, en 1730, une miniature, copie d’un portrait de Madame Hedvig Elisabet Sack par Gustav Lunberg. Il va illustrer le traité de Henri François Le Dran, chirurgien et lithotomiste réputé : “Parallèle des différentes manières de tirer la pierre hors de la vessie”. Cependant, c’est devant la Faculté de médecine de Reims qu’il soutient sa thèse en 1730. Pourquoi Reims ? et quelle thèse ? Les recherches sont jusqu’ici restées vaines qui expliqueraient cette démarche étonnante et qui donneraient le titre du travail présenté. Quoi qu’il en soit, C. Rönnow acquiert une réputation flatteuse. Il est sollicité pour collaborer à divers travaux. Douglas, Winslow cherchent à s’attacher ses talents d’illustrateur, le duc de Marcy souhaite le voir rejoindre l’armée, mais C. Rönnow choisit de répondre à l’invitation de Catherine Opalinska et rejoint en 1735 Stanislas Leszczynski en exil à Kösnigsberg.

On le retrouve donc tout naturellement à la cour de Lunéville. Il porte le titre de “Conseiller intime du Roi” et jouit auprès de lui d’un immense crédit. Il est bien entendu médecin du Roi mais aussi chargé de veiller à l’administration de la médecine dans les duchés de Lorraine et de Bar.

A son arrivée à Lunéville, C. Rönnow va rencontrer Ch. Bagard. Les deux hommes vont, sinon se lier d’une amitié profonde, du moins entretenir des relations cordiales et conjuguer sans heurt leurs efforts. Ils seront aussi aidés par Jean Christophe Kast premier médecin de la Reine Catherine Opalinska jusqu’à son décès en 1747, puis premier médecin du Roi et Conseiller. Un quatrième personnage, Pierre Alliot, Grand-Maître des cérémonies de Lorraine, se comportera en allié sûr et avisé de Ch. Bagard qu’il informera et conseillera avec sagesse.

Depuis longtemps Ch. Bagard pense que la création d’un Collège de Médecine à Nancy est nécessaire. Comme nous l’avons vu, l’exercice de la Médecine n’est pas entièrement satisfaisant en Lorraine, la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson a perdu son crédit et son autorité est faible, Stanislas Leszczynski est très soucieux de tout ce qui peut améliorer les services de santé dans ses Etats.

Sans doute faut-il ajouter à ces raisons, comme on l’a souvent dit, l’amertume de Ch. Bagard de n’avoir pas été accueilli par la Faculté parmi ses professeurs. Aussi est-il dans l’ordre des choses que Ch. Bagard, sûr du bien-fondé de son entreprise, fort de l’aide qu’il sait pouvoir trouver auprès de C. Rönnow et de l’influence de ce dernier sur le Roi Stanislas, se mette à la tâche. Il réunit les médecins de Nancy et obtient leur accord sur le principe de la création d’un Collège Royal de Médecine. Il mène alors rondement les choses et fait adopter, le 23 octobre 1751, les statuts du Collège à l’unanimité des médecins. Ces statuts sont soumis au duc de Lorraine qui est prêt à donner son approbation. C’était sans compter sur la vigilance du chancelier Chaumont de la Galaizière, représentant du Roi de France, qui oppose un refus à cette création, décision prise, semble-t-il sous la pression de la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson, qui n’admet pas, en particulier, que ses membres soient contraints de subir un examen pour devenir agrégés au Collège. “On peut être bon professeur sans être bon praticien” écrivait Grégoire de Bordeaux, affirmation que n’aurait certainement pas désavoué Ch. Bagard.

Nullement découragé, ce dernier appelle à l’aide les autres collèges existants dans le royaume de France. Il en reçoit un soutien sans faille et on peut mesurer aussi à l’aune des commentaires de ses correspondants quelle mauvaise réputation a encore la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson. Bref, Chaumont de la Galaizière, politique averti, ne s’obstine

pas dans son refus et le 15 mai 1752, le Roi Stanislas signe les lettres patentes portant création

d’un Collège Royal de Médecine à Nancy dont la première assemblée générale a lieu le 25 mai suivant : “L’honneur et les progrès de la médecine, le maintien d’une bonne police dans cette profession et celles qui en dépendent sont les motifs qui ont incité les médecins de Nancy à former un Collège”.

Le Collège est composé par les médecins de Nancy, ils sont 15 en 1752. Il s’attachera les nouveaux venus après leur avoir fait subir un examen, il comportera des membres associés, médecins célèbres d’autres villes, lesquels pourront manifester leur gratitude d’avoir été cooptés en faisant don de leur portrait ; c’est ainsi que le Musée de la Faculté de Médecine de Nancy possède deux toiles représentant deux illustres médecins de Paris, Helvetius et Louis, la seconde étant attribuée à Greuze.

Le Collège va se comporter comme un Ordre des Médecins avant son temps. Il a, en effet, pour mission de faire respecter par ses membres les règles de la déontologie, d’assurer la surveillance de la qualité des soins prodigués, d’arbitrer les différends qui peuvent opposer les praticiens. Le Collège donne obligation aux médecins de se réunir au moins une fois par mois et d’échanger les observations qu’ils auront pu faire dans l’exercice de leur profession. Des règles très strictes et minutieusement détaillées quant aux conditions de publication de certaines observations sont établies. Ce faisant, le Collège devient une véritable Société de Médecine.

Les statuts du Collège prévoient, ce qui ne pouvait que plaire au Roi de Pologne et satisfaire sa générosité, une consultation des pauvres. Cette consultation a commencé dès juillet 1752 et se poursuivra jusqu’en 1793. Elle a lieu tous les samedis, elle est gratuite et destinée aux pauvres des campagnes à condition qu’ils soient munis d’un certificat de pauvreté établi par le curé de leur paroisse. Cette oeuvre charitable ne se limitera pas à cette assistance médicale, en 1764, les bénéficiaires des consultations gratuites pourront obtenir, tout aussi gratuitement, les médicaments prescrits auprès des apothicaires de la ville.

Dans un souci de contrôler tout ce qui a trait à la santé, le Collège réglemente la pharmacie … et les apothicaires. Il a un droit de regard sur le recrutement des maîtres apothicaires, ce qui ne va pas sans quelques conflits avec la confrérie intéressée. Il donne son autorisation pour la confection et la distribution des nouvelles drogues, sorte d’autorisation de mise sur le marché avant l’heure, il arrête le prix des médicaments, il définit ce que doit être le contenu obligatoire des pharmacies, il assure des visites régulières des officines auxquelles participent dans la meilleure entente médecins du Collège et apothicaires. Ces visites sont destinées à contrôler que chaque officine possède bien les médicaments dont la liste est fixée par le Collège et que toutes précautions sont prises pour leur bonne conservation.

Le Collège obtient par ordonnance du 27 avril 1757 le contrôle du recrutement des médecins stipendiés, médecins rémunérés par la ville pour les soins qu’ils prodiguent aux pauvres. Les places de médecins stipendiés sont très recherchées et les prérogatives accordées au Collège accroissent considérablement son influence en lui permettant d’assurer seul et sans appel le recrutement de tous les médecins stipendiés de la région.

Le Collège donne son autorisation à certaines pratiques comme, par exemple, celle qu’il a accordée au sieur Pellier de Bar-le-Duc pour traiter la cataracte par l’ablation du cristallin.

Bref, le Collège est partout, voit tout, autorise, interdit, réglemente sous l’autorité sans faille d’un Président qui saura faire respecter l’ordre qu’il a imposé.

Le Collège a prodigué des cours d’anatomie, de chimie et de botanique, mais cette activité d’enseignement n’a certainement pas été son point fort.

Les relations du Collège avec la Faculté de médecine, comme on pouvait s’y attendre, seront difficiles et connaîtront de nombreuses péripéties malgré l’association entre les deux établissements décidée par le Roi Stanislas dès 1754. Toutefois, le transfert de la Faculté de médecine de Pont-à-Mousson à Nancy en 1768, contribua à apporter quelqu’apaisement et à voir se dessiner au moins en matière d’enseignement une coopération entre les deux protagonistes. Il convient de rappeler que le Collège offre l’hospitalité à la Faculté, lors de son transfert à Nancy, le Collège intervient aussi dans le contrôle de l’exercice de la chirurgie mais ses rapports avec les chirurgiens resteront très conflictuels et très tendus malgré les efforts du roi Stanislas dont, pourtant, la pensée était pleine de sagesse : “… Si on doit convenir qu’il n’y ait point de maladies ou du moins la plupart qui n’aient besoin de secours du médecin ou du chirurgien, il est étonnant que l’usage ait séparé ces deux sciences comme si elles étaient incompatibles, … on n’avait pas besoin d’écoles séparées, le principe de ces deux études n’étant pas différent”.

Médecins et chirurgiens vécurent dans une “cohabitation” émaillée de disputes et de procès. N’a-t-on pas dit à propos de l’une de leur rencontre qu’elle était “aussi tumultueuse que les diètes de Pologne”.

Charles Bagard s’est éteint le 7 décembre

1772, laissant une oeuvre importante. Il a mis en place, avec le Collège de médecine, une remarquable organisation de la médecine qui, pour bien des aspects, s’avère prophétique et préfigure certaines de nos actuelles structures, ce qui explique, sans doute, que nous pouvons mieux les comprendre et les apprécier que certains de ses contemporains qui l’ont combattu. Certes, on peut regretter qu’il n’ait pas pu obtenir une meilleure entente et une collaboration sans passion avec les chirurgiens. Mais peut-on l’en rendre seul responsable ?

C. Rönnow dont l’influence fut considérable et qui ne cessa jamais de soutenir Ch. Bagard, en particulier au plus fort des démêlés avec les chirurgiens, quitta Lunéville et la France après le décès de Stanislas et retourna en Suède où il fut couvert d’honneur. Il y mourut le 5 mai 1787.

Le Collège termina, quant à lui, son existence éphémère le 8 août 1793.