L’OEUVRE
DU DUC LEOPOLD (1679-1729)
Georges GRIGNON et Isabelle
KIPPER
A son arrivée en Lorraine en
août 1698, le jeune duc Léopold (il a 19 ans) trouve un pays dévasté, dépeuplé,
ruiné. Dom Calmet résume bien cette situation “… On
voyait encore la plupart des villages ruinés et abandonnés, les campagnes
désertes, les peuples réduits à la dernière pauvreté, la noblesse dans
l’obscurité et dans l’indigence, les ecclésiastiques peu instruits, peu réglés
et peu respectés de leur peuple”.
La tâche à accomplir est
immense. A côté des nécessaires et judicieuses réformes de l’administration du
duché qui sont accomplies en premier lieu, Léopold s’attache avec détermination
et une intelligence parfois un peu brutale mais efficace, à lutter contre la
misère et la précarité, à améliorer les conditions de vie et l’environnement, à
fournir à ses sujets des soins médicaux de qualité. Il prend de nombreuses
initiatives dans des domaines différents mais complémentaires et accomplit une
oeuvre foisonnante dans le domaine de la santé au sens très large et dans la
mise en place d’une politique sociale qui sera poursuivie par ses successeurs, son
fils François III pendant son court règne et surtout Stanislas Leszczynski à
qui il serait profondément injuste d’en attribuer tout le mérite.
En ce qui concerne la médecine,
son enseignement et les modalités de son exercice, le duc Léopold réprime
durement la témérité de ceux qui “s’ingèrent sans caractère et sans étude
dans l’exercice de la médecine et jouent impunément de la vie et de la santé
des hommes (ordonnance du 18 mars 1708)”. Il combat, par ailleurs, le
laxisme qui s’est installé à la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson,
accusée de toutes parts de délivrer les diplômes à la légère.
Aussi le duc Léopold
légifère-t-il à propos de l’enseignement médical et de la formation des praticiens
médecins ou chirurgiens. On peut noter la dépendance dans laquelle il place les
chirurgiens vis-à-vis des médecins, ce qui sera la source de conflits aux
multiples épisodes entre médecins et chirurgiens, conflits qu’aura notamment à
connaître et à arbitrer son successeur Stanislas Leszczynski.
La création de médecins
stipendiés fut, en 1714, une initiative heureuse prise par le duc Léopold. Ces
médecins recrutés et rémunérés par les municipalités avaient pour rôle de
donner gratuitement des soins aux pauvres dans la ville et ses faubourgs, comme
dans les hôpitaux. Ils devenaient en cas de nécessité médecins des épidémies.
Les médecins stipendiés, par ailleurs, avaient obligation de dresser un relevé
quotidien des malades qu’ils avaient soignés et de la nature de la maladie
rencontrée. Ils permettaient ainsi de dresser un véritable bulletin
épidémiologique et réalisaient eux-mêmes un véritable observatoire de la santé
dont les données permettaient, le cas échéant, de prendre toutes les mesures
nécessaires pour prévenir les épidémies et l’extension de certaines maladies.
La restauration d’établissements
hospitaliers existants, la création de nouveaux représentent une part importante
des réalisations du duc Léopold pour augmenter les moyens mis à la disposition
de la population. Le vieil hôpital Saint-Maur des Fossés à Lunéville construit
en 1406, accueillit des malades jusqu’en 1706, mais était devenu insuffisant,
tant par sa capacité que par son état de vétusté, pour faire face aux besoins
d’une population de plus en plus nombreuse dans des conditions décentes. La
construction d’un nouvel établissement, l’hôpital Saint-Jacques, est achevée en
1706 ; son financement est assuré par la générosité du duc lui-même et par des
nombreuses donations comme celle des Dames de la Charité qui s’élevait à 3000
francs.
Le duc a recours également à un
redéploiement des moyens attribués à des hôpitaux, fondés à la campagne au
Moyen Âge et contraints de fermer comme ceux d’Einville
et d’Ogeviller. La création d’une loterie qui connut
une existence éphémère, constitue une ressource plus inattendue. Les soeurs de
Saint-Charles furent chargées des soins destinés aux seuls malades hospitaliers
; elles étaient cependant autorisées à distribuer des médicaments aux habitants
des campagnes.
Pour faire face aux frais de
fonctionnement de l’hôpital, Léopold, par une mesure autoritaire, contraint les
habitants de la ville de faire des legs, faute de quoi le dixième de leurs
meubles serait dévolu de plein droit à l’hôpital. Une taxe sur la viande vendue
pendant le carême vient également “arrondir” les crédits.
Devant le nombre important des
patients souffrant de lithiase rénale, le duc Léopold organise au sein de
l’hôpital Saint-Jacques une unité de traitement de cette affection qu’il place
sous la responsabilité d’un chirurgien lithotomiste de grande réputation, le
docteur Denis Rivard. Lunéville devient ainsi un
centre réputé du traitement de la lithiase rénale.
Un don de 3000 livres est
consenti par Léopold, en 1724, pour fonder une Maison de la Charité à Lunéville
qui était encore à l’état de projet au moment de sa mort et dont la réalisation
fut assurée par son fils François III.
En 1720, une épidémie de peste
se déclare à Marseille. Léopold prend immédiatement des mesures exceptionnelles
pour en empêcher la propagation en Lorraine : interdiction des marchandises de
provenance méditerranéenne, des rassemblements, foires, manifestations publiques
(ordonnances de septembre et novembre 1720) ; les frontières du duché sont
étroitement surveillées par 3000 hommes en armes ayant consigne de tirer à vue
sur les voyageurs tentant d’entrer en Lorraine. Mesures excessives, a-t-on dit,
mais mesures montrant, à coup sûr, le souci du duc de protéger ses sujets.
A Gondreville
est fondé l’hôpital Saint-Léopold par Lettres
patentes du 1er août 1726, hôpital dont la direction est confiée aux frères de Saint-Jean-de-Dieu. D’abord installé dans l’ancien château
de Gondreville, cet hôpital fut transféré dans un
immeuble nouveau dont la première pierre fut posée en mai 1727.
Enfin, le duc Léopold intervient
dans la création de deux autres établissements : la maison des orphelines Sainte-Elisabeth et la maison de retraite du faubourg
Saint-Jean. L’hôpital Maudomé d’abord hôpital
Saint-Roch est réuni, en 1710, selon la volonté de Léopold à l’hôpital Saint-Charles
dont une salle prend le nom de salle Saint-Roch. Une maison qui avait servi, à l’origine,
à la réalisation de l’hôpital Saint-Roch, devient la maison des orphelines
destinée à recevoir des jeunes filles orphelines, à condition qu’elles ne
soient pas nées hors mariage. La maison de retraite du faubourg Saint-Jean fut
installée dans une maison acquise par le duc dans le faubourg Saint-Jean.
Cette énumération montre à
l’évidence le dynamisme du duc Léopold dans la création de nouvelles structures
de soins, adaptées aux besoins de la population. Nombre d’entre elles ont été
utilisées bien au-delà du règne de Léopold et ont constitué un patrimoine
hospitalier dont la Lorraine a pu, à juste titre, s’enorgueillir.
En plus de nouveaux
établissements qu’il fit construire, le duc Léopold s’attache à moderniser ou
tout au moins à rendre plus performants les hôpitaux existants. Il prend à ce sujet
des mesures autoritaires qui peuvent surprendre et qui ont créé une sorte de
générosité obligatoire.
Il y avait à Nancy au début du XVIIIe siècle deux véritables hôpitaux : l’hôpital
Saint-Charles et l’hôpital Saint-Julien lequel accueillait surtout les
vieillards, les infirmes et les enfants mais dont les moyens n’étaient pas à la
hauteur de sa mission. Léopold impose des mesures charitables et ordonne (édit
du 13 avril 1723) que “tout testament authentique doit comporter, sous peine de
nullité, l’obligation de faire un legs à l’hôpital Saint-Charles”. Un nouvel
édit,
en 1724, autorise les directeurs
de l’hôpital à prendre le “dixième des meubles laissés par le défunt”. Ces
ressources sont complétées notamment par les produits des taxes sur la vente de
la viande durant le carême (dont une partie était affectée à l’hôpital
Saint-Jacques de Lunéville).
Le rez-de-chaussée de l’hôpital
Saint-Julien fut aménagé pour pouvoir y recevoir des aliénés.
Enfin, dans le cadre de
l’extension et de la réorganisation des hôpitaux, Léopold apporte une aide
matérielle à divers hôpitaux lorrains et étend, notamment, à tous les
établissements hospitaliers des duchés de Lorraine et de Bar, les dispositions
de l’édit du 13 avril 1727 relatif à l’attribution à l’hôpital du dixième des
meubles laissés par les malades décédés.
A côté de la construction et de
l’organisation de ce patrimoine lorrain, comme on a pu le voir, d’une main
ferme, un autre volet à connotation plus sociale complète l’oeuvre de Léopold.
Les oeuvres caritatives du duc
Léopold comportent un premier volet pragmatique à défaut d’être élégant, c’est
la lutte en quelque sorte discriminative contre la mendicité. Un décret de
juillet 1698 ordonne l’expulsion des mendiants et des vagabonds étrangers ; ces
derniers, souvent organisés en bandes, pillent la Lorraine sans retenue. De
nouveaux agents municipaux : les “chasse gueux” ou “chasse coquins” ont pour
rôle de procéder à leur expulsion. En 1709, Léopold fait distribuer aux
indigents de la cité des plaques de laiton frappées aux armes de la ville,
destinées à les distinguer des mendiants étrangers. Ces mesures furent insuffisantes
et le nombre des indésirables ne fit qu’augmenter. Léopold décide alors de
faire enfermer mendiants et vagabonds dans une ancienne caserne du faubourg
Saint-Nicolas surnommée la Tonderie ou l’Hôtel des
poux, où les détenus étaient tondus dès leur arrivée et où leur emprisonnement devait
durer un an.
Une aumône publique est rétablie
en 1709. Des “commissions” ont alors pour mission de désigner dans le quartier
qui leur est affecté, les pauvres qu’ils estiment les plus démunis.
Le 8 mai 1717, est créée une
caisse de secours alimentée par les souscriptions et par les quêtes faites lors
des messes dominicales. Les curés des paroisses dressaient les listes des pauvres
qui pouvaient recevoir cet argent. Devant le peu d’empressement de ses sujets à
faire des dons, Léopold décide qu’en présence de cette carence il les “fera
taxer d’office doublement de ce qu’ils auraient dû raisonnablement offrir”.
Quelques mois plus tard (11 novembre 1717) est
créé dans chaque paroisse un “bureau de charité” ou “bureau des
pauvres” qui avait sensiblement les mêmes prérogatives que la caisse de secours
et est habilité, en 1723, à taxer d’office ceux dont les offres ne sont pas en
rapport avec leurs moyens. Chaque village possède son bureau de charité, chaque
communauté peut ainsi tenter d’assurer les subsides de ses pauvres.
Pour lutter contre la famine qui
sévit à plusieurs reprises au cours de son règne, Léopold prend des mesures efficaces
en interdisant l’exportation du blé d’abord, des autres céréales : avoine,
orge, seigle, ensuite la fabrication de pain blanc remplacée par celle d’un
pain élaboré à partir d’un mélange de farine de blé et d’avoine. Il fait abattre
les chiens, à l’exception de ceux des bouchers, des jardiniers et des bergers
pour éviter le gaspillage de nourriture. Il achète enfin du blé dans les pays
voisins et pour cela vide les caisses du duché qu’il renflouera par des emprunts.
Dans le domaine de
l’amélioration de l’environnement, le duc Léopold contribue à améliorer
l’hygiène des villes par diverses mesures. En ce qui concerne la distribution
de l’eau potable, il confirme l’interdiction d’utiliser l’eau fournie par les
huit fontaines de la ville pour le lavage du linge sous peine de sanctions et
fait installer de nouveaux lavoirs publics. En 1699, il renouvelle
l’interdiction d’élever des animaux : porcs, canards, lapins … dans les maisons
et fait abattre les chiens errants susceptibles d’être enragés.
Soucieux d’un minimum de
propreté dans les rues, Léopold procède à la réfection des chaussées et
notamment au pavage des rues ; il instaure un dispositif efficace de ramassage des
détritus après avoir rappelé, ce qui laisse perplexe le lecteur de 2005, “qu’il
est interdit de jeter ou de faire vider par les fenêtres (des) maisons les eaux
usagées”. Enfin, le duc Léopold introduit les premiers éclairages publics dans
les villes de Lorraine. Les premières pompes à incendies furent mises en place
en 1719.
La mémoire du duc Léopold reste
auréolée du jugement porté par Voltaire dans “Le siècle de Louis XIV”. “Il est
à souhaiter que la dernière postérité apprenne qu’un des plus petits souverains
de l’Europe a été celui qui a fait le plus de bien à son peuple. Léopold trouva
la Lorraine désolée et déserte, il la repeupla, l’enrichit, il l’a toujours
conservée en paix pendant que le reste de l’Europe a été ravagé par la guerre…
Il a procuré à ses peuples l’abondance qu’ils ne connaissaient plus”. Jugement
qui corrige fort heureusement l’appréciation de Saint- Simon : “La lorraine …
dont aucun duc gagna jamais tant si gros ni si bon marché que celui-ci et ne
fut pourtant jamais si peu considérable”.
L’exposé qui précède permet de
mesurer à quel point le duc Léopold est intervenu efficacement dans le domaine
de la santé proprement dit et dans la mise en place de mesures sociales, dans
les progrès de l’hygiène publique : réorganisation de l’enseignement et de l’exercice
de la médecine, création des médecins stipendiés, lutte contre les épidémies et
les famines, extension et modernisation du patrimoine hospitalier, mesures
nouvelles en hygiène publique, mesures d’ordre social, la liste est longue et
riche.
Stanislas eut le mérite de
conserver cette richesse et de lui donner une suite, mais il serait
profondément injuste et contraire à la vérité que ses bienfaits masquent et
fassent oublier ceux de Léopold.