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Hommage à Jacques Parisot

Un éclatant et solennel hommage a été rendu au professeur Jacques Parisot à la Faculté de Médecine de Nancy, le 2 mars 1957, au cours d'une cérémonie présidée par M. Albert Sarraut, président de l'Assemblée de l'Union française, en présence de M. Gaston Berger, Directeur général de l’enseignement supérieur, du Docteur Aujaleu, Directeur général de la Santé, de M. Bernard Toussaint, Conseiller au Ministère des Affaires Etrangères, et de très nombreuses personnalités venues de Paris, de Genève, de différentes villes universitaires. Toutes les autorités civiles, judiciaires, militaires, religieuses, avaient tenu à s'associer à ce témoignage de reconnaissance.

Parmi les différentes personnalités qui s'étaient déplacées pour prendre part à la cérémonie, citons MM. Donsimoni et Gandouin, respectivement directeur et chef du cabinet du Président Sarraut, MM. les Docteurs Dorolle, directeur adjoint de l'O.M.S., Van de Calseyde, directeur du Bureau régional pour l'Europe de l'O.M.S., Paul Bertrand, assistant du directeur de l'O.M.S. ; sur le plan universitaire : le Recteur Richard, de Besançon, les Doyens Binet. Hermann. Fontaine et Lefebvre des Facultés de Médecine de Paris, Lyon, Strasbourg et Toulouse, le Directeur Bessot de l'Ecole nationale de Médecine de Besançon... La place manque pour citer tous les visiteurs de marque.

La manifestation s'est déroulée dans le grand amphithéâtre de la Faculté, nouvellement achevé, qui portera désormais à son fronton l'effigie en bronze du professeur Parisot. Successivement, avec éloquence, furent magnifiées les activités si diverses du Doyen honoraire. Tout d'abord le Doyen Simonin évoqua le brillant décanat de son prédécesseur, puis le Recteur Mayer salua l'étonnante carrière du Professeur. Le Directeur général Aujaleu rendit alors hommage à l'hygiéniste, à l'administrateur et à l'homme d'action. Au nom du Ministère des Affaires Etrangères, le Conseiller Toussaint évoqua son rôle international, et le Docteur Dorolle y ajouta le témoignage du Docteur Candau,  Directeur général de l'O.M.S., qui avait tenu à assurer le Professeur Parisot de son déférent attachement. Le Directeur général Berger magnifia enfin le grand Médecin.

Après avoir rendu aux orateurs qui venaient de s'adresser à lui une partie des éloges recueillis, et remercié les organisateurs et les personnalités présentes, en particulier le président Sarraut avec lequel il fut déporté au camp de Neuengamme-Hambourg, le professeur Parisot s'attacha à définir la mission des Facultés devant l'orientation de la médecine et les impératifs de révolution sociale.

Enfin, rendant hommage « au grand Français, au grand patriote qui, dans une époque tragique » sut montrer un impassible courage et défendre avec une dignité héroïque les droits de ses compagnons de captivité, le vibrant discours du président Sarraut clôtura dans l'émotion générale cette très brillante manifestation.

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Réponse du Doyen Parisot

Prenant la parole pour la dernière fois, je pense, dans cet amphithéâtre, je voudrais évoquer par quelques très brèves considérations un sujet qui m’apparaît d'importance primordiale, dont je me suis toujours préoccupé aussi bien comme Professeur d Hygiène et de Médecine Sociale que comme actif participant à l’action sanitaire et sociale sur le plan national et international : la formation du médecin. Les institutions médicales, comme toutes autres, doivent s’adapter et se perfectionner sans cesse vis-à-vis des situations nouvelles, impressionnées qu'elles sont et modifiées qu'elles doivent être par les acquisitions fécondes dont, depuis un demi-siècle tout particulièrement, s'est enrichie la Science médicale au profit de l'art de guérir, de prévenir la maladie, comme de conserver et de développer la santé physique et mentale, aussi bien que par le progrès social dont les constructions nouvelles visent à assurer de mieux en mieux la sécurité nécessaire à la vie des populations.

L’Economie nationale a pour base l'Economie humaine : travail, production, force d un pays sont en étroit et réciproque rapport avec la richesse du capital-santé de sa population. A cet égard donc le rôle imparti au corps médical tout entier se manifeste primordial.

Ainsi, à côté de la médecine dite « de soins » la médecine préventive et sociale constitue une étape logique dans l’évolution de la Science médicale. La Médecine sociale, en particulier, qu'il ne faut pas confondre avec la médecine socialisée, c’est-à-dire étatisée, somme d'action sanitaire et sociale, a pour programme fondamental la protection et le développement de la personnalité humaine considérée à la fois comme valeur économique et comme valeur spirituelle. Or, je l'ai dit et écrit bien des fois et ce n’est pas une vue théorique mais une conclusion tirée de l’expérience pratique, la protection d'une population, quelles que soient les modalités de son organisation ne requiert pas seulement l’intervention de techniciens, les uns médecins hygiénistes constituant le corps des fonctionnaires sanitaires chargés, suivant l'expression consacrée, de « l'Administration de la Santé publique », les autres médecins spécialisés dans les divers domaines de la Médecine sociale, phtisiologie, vénéréologie, pédiatrie, hygiène mentale, etc... mais elle repose également sur la coopération du Corps médical dans son ensemble, sur l’activité journalière du médecin praticien, auprès de la famille comme vis-à-vis de la collectivité, apportant le concours technique, moral, social que réclame cette protection moderne.

Il faut donc conclure que les besoins de celle-ci doivent être pris en considération dans l’élaboration et le perfectionnement continu des programmes comme des méthodes d'enseignement : en fait, la politique sanitaire et sociale d’un pays appelle une politique rationnelle et logiquement appropriée d’éducation médicale. On conçoit ainsi que si l’enseignement de la médecine concerne spécialement le Ministère responsable de l'Education Nationale, d’autres Ministères et Institutions ne peuvent s'en désintéresser. Et il m’apparaît particulièrement louable, qu'en plus de la Commission de réforme de cet enseignement, travaillant à cette étude depuis cinq ans au Ministère de l'Education nationale, ait été créé en septembre dernier un comité interministériel pour l'étude de ce problème, placé sous la présidence de mon collègue et ami le Professeur Debré et où se trouvent associés les représentants des Ministères de l'Education Nationale, des Affaires Sociales, de l'Intérieur, des Affaires Economiques, des Secrétariats d'Etat à la Santé et à la Population, du Travail et de la Sécurité Sociale, enfin de la présidence du conseil pour ce qui touche spécialement à cette question capitale de la recherche scientifique.

Cependant, sans attendre cette réforme qu'on doit espérer rapide, depuis vingt-cinq ans, je me suis efforcé de répondre à ces grandes indications, appuyé par des concours multiples, et visant en particulier à appliquer les directives principales suivantes, très brièvement esquissées. Il faut que d'une façon générale, sans cesse l’esprit de l’étudiant soit orienté vers l’aspect préventif et social de la médecine, et non exclusivement vers la médecine curative. S'il est normal que nos élèves soient renseignés sur les examens de laboratoire de plus en plus nombreux, sur les thérapeutiques également abondantes mais souvent coûteuses qu’ils pourront utiliser dans l'exercice de la profession, il paraît aussi rationnel qu'ils soient mis en garde contre leur abus. Sage leçon que d'enseigner l'économie, sans qu’en soit diminuée l'efficacité de l’acte médical, sage indication aussi que de les incliner à voir, dans le malade, non pas « un cas » ou le « numéro d'un lit », mais l'homme vis-à-vis de son passé et de son avenir, en tant que lui-même et au regard de sa famille et de la collectivité.

Les enseignements de pédiatrie, d’obstétrique, de phtisiologie, de vénéréologie, d'hygiène mentale, de cancérologie, etc... si on en oriente logiquement la portée, constituent des enseignements cliniques, sans doute, mais aussi de médecine préventive et sociale. Et de même que les services hospitaliers constituent un indispensable champ d’apprentissage, tous les éléments principaux de l’équipement sanitaire et social doivent être utilisés dans le même but. Il faut en particulier que la Faculté puisse posséder ou utiliser par coopération les Centres qui permettront au mieux à l'étudiant renseignement requis en même temps que le travail en équipe avec les techniciens et le service social qui les animent. Par ailleurs, la Chaire d'hygiène de médecine préventive et sociale (peu importe sa dénomination) ne doit pas être chaire théorique. Basée avec avantage sur un Institut d'hygiène universitaire qui, par ses Laboratoires et ses Services techniques, apporte un concours à la Santé publique dans le cadre local ou régional, en collaboration étroite avec les Centres de protection sanitaire et les Institutions sociales, elle ouvre ainsi au professeur et à ses collaborateurs un domaine d’action pratique, celui de la collectivité humaine tout entière, action dont peuvent bénéficier tout à la fois leur enseignement et leurs élèves. C'est bien suivant une telle politique mise en oeuvre avec lui que mon successeur et ami, le Professeur Melnotte continue avec une équipe dynamique à développer une féconde action. Les activités de beaucoup de nos collègues ont été ainsi associées à l'Office d'Hygiène Sociale que je préside depuis plus de trente ans, à ses Centres médico-sociaux, en collaboration étroite avec la Direction de la Santé et de la Population et en spéciale union avec les Institutions de Sécurité Sociale. L'occasion m'est donnée de rendre hommage à tous ceux qui collaborent depuis tant d'années à cet ensemble coordonné spécialement aux activités de l’Office d'Hygiène Sociale, sans omettre le corps des médecins praticiens, ainsi bien formés comme étudiants, qui, par leur concours confiant et qualifié apportent à l’action de celui-ci une large part de sa force et de son succès.

De plus en plus, par une entente logique entre les Ministères de la Santé, du Travail et de la Sécurité Sociale, dans le cadre d'une législation moderne, se créent des centres de réadaptation des diminués physiques, réadaptation fonctionnelle précoce en vue d'une réadaptation professionnelle et sociale appropriée. Lorsque la Caisse régionale de sécurité sociale du Nord-Est a pris l’initiative de créer à Nancy un Centre de réadaptation de conception moderne et originale, dont il faut sincèrement la féliciter, l'esprit d'entente qui règne ici a permis d'établir une logique et nécessaire coordination technique entre le Centre de la Sécurité Sociale, le Centre Hospitalier Régional et les Sections de réadaptation qui y furent réalisées et la Faculté. Bien plus, le Directeur Général de ce Centre est le titulaire de la Chaire de Médecine du Travail et de Réadaptation créée il y a quatre ans, solution avantageuse permettant le développement en ce domaine d’un enseignement complémentaire théorique et pratique, aux étudiants et de perfectionnement aux praticiens susceptible de susciter la collaboration avertie du corps médical à l'effort utile entrepris par la Sécurité Sociale.

Ces quelques exemples prouvent que la Faculté de Médecine, pour la modernisation de son enseignement, comme pour l'utilisation rationnelle des activités techniques précieuses qu'elle peut mettre en œuvre au profit de la collectivité, ne doit pas vivre en quelque sorte repliée sur elle-même, dépourvue de contacts, mais j’entends bien de contacts pratiquement organisés, avec le Corps des praticiens, les services sanitaires et sociaux, la Sécurité Sociale ; il importe que, par intérêt réciproque, elle soit introduite activement dans le circuit général de l’action, développée au profit de la santé des populations de sa région.

Est-il anormal de voir cette expansion de la Faculté de Médecine dans le domaine de l'économie sanitaire alors, pour en effleurer seulement certains exemples locaux, que de longue date la Faculté des Sciences, par ses grandes Ecoles, apporte non seulement dans la région mais sur une beaucoup plus vaste échelle, les concours techniques les plus appréciés. Alors que l’Université elle-même, depuis les créations du Recteur Capelle, développées par le Recteur Mayer à la mesure, cependant encore insuffisante, de leur intérêt et de leur succès, nous offre les réalisations du Centre Européen Universitaire, et du Centre Universitaire de Coopération économique et sociale, futur noyau, je le souhaite, autour duquel s'aggloméreront des organisations techniques complémentaires.

Bien préparé par un enseignement approprié, conscient de l’ « Unité de la médecine », le praticien ne comprendra-t-il pas mieux le rôle qu’il peut et doit jouer dans la vie contemporaine, se rendant compte que, dans son action peuvent s’associer, eu proportions variées, médecine individuelle et médecine collective, dans l’application même de la médecine préventive, curative et sociale.

Rejoignant l'humanisme dans sa culture de la personne et l’économie humaine dans son souci du rendement en valeur de santé, de travail, de bien-être, de vie, la Médecine Sociale, partie intégrante de la Médecine d'aujourd'hui, loin de viser à la disparition de la médecine individuelle, en multiplie l’efficacité pour couronner son effort séculaire vers la santé de tous. Inspirée, certes par des directives générales applicables en tous lieux, elle doit cependant s'adapter aux conditions et aux nécessités locales. En outre, elle ne saurait se targuer d'une définitive stabilité ; vivante, elle échappera à tout cadre rigide et à toute routine stérilisante, s'efforçant de rechercher les solutions pratiques que réclament les problèmes posés sans relâche par la vie et la situation nationales, d'orienter et de perfectionner ses interventions à la lumière du progrès médical et social. Mais sa mission et ses devoirs imposent que, dans ses applications collectives, elle n'en procède pas moins vis-à-vis de chacun suivant les règles de la médecine individuelle, dans le respect de la liberté et de la dignité personnelles comme des principes de la Charte Médicale, et que, pour être sociale, elle n’en reste pas moins avant tout foncièrement humaine.

En dehors de sa collaboration dans ce cadre organisé, le médecin, dans l'exercice de sa pratique journalière, individuelle, se doit aussi d’intervenir non comme hier uniquement dans un but curatif, mais également au double point de vue préventif et social. Le malade est une unité, sans doute, mais au milieu d'une collectivité : la famille, l'atelier, la cité. Une médecine qui poursuivrait son but propre sans tenir compte de l'ambiance et des influences réciproques qui en résultent, sans se soucier de savoir si elle contribue au maintien ou à la destruction de la famille, serait insuffisante, et dangereuse pour la Société. De même qu'il doit avoir l'esprit d'observation, le sens clinique, le médecin doit aujourd'hui posséder, de plus en plus, une formation qui lui permette de prendre eu considération l'influence du milieu social au même titre que celle du milieu physique.

Ainsi la Médecine, surpassant chaque jour davantage les limites de l'action et des responsabilités qui normalement lui sont imparties pour la sauvegarde de la Santé, ne peut demeurer étrangère aux transformations sociales du monde moderne ; elle doit s'y associer et participer, de façon constructive, à l’essor de la Société. En vue d’une telle orientation et pour une telle qualification des futurs praticiens, une Faculté de Médecine doit savoir prendre ses responsabilités.

Peut-être, à l’exposé volontairement restreint de conceptions et de réalisations qui m'apparaissent logiquement répondre à quelques impératifs des temps que nous vivons, certains critiques, plus imbus de formalisme qu'inspirés par un esprit clairvoyant, constructif et social, objecteront-ils que c’est la s’écarter du rôle traditionnel imparti à une Faculté de Médecine.

Certes je sais bien qu'il est de mode aujourd'hui, pour certains, de vouloir paraître jeunes en perdant le souvenir des Anciens, comme si pour devenir un peuple jeune, il fallait oublier son passé, alors qu'en vérité le nôtre, que beaucoup nous envient, doit demeurer la source fortifiante du présent. En cette région lorraine et spécialement dans celte Maison, nous ne désirons être jeunes qu'en demeurant fidèlement attachés à ceux qui nous précédèrent, comme aux traditions qu ils nous transmirent.

Car, ce n’est point dire qu'une respectueuse mais rigide observance des habitudes anciennes doive s'opposer à une évolution rationnelle des esprits et de Faction vis-à-vis de circonstances et de nécessités nouvelles. Qu'ainsi soient empêchées des réformes, des mesures légales, des activités inédites et sans doute peu conformes au statut réglementaire de nos Etablissements d’Enseignement, utiles cependant pour le présent et en vue de l'avenir et dont, en vérité peuvent dépendre les modalités de l'exercice, la valeur de la médecine française et l'intérêt général de la Santé et de l'Economie nationales. Nos traditions sont trop riches d'exemples et de vertus pour qu'elles n'inspirent pas les esprits dans cette recherche de la modernisation de nos efforts et sans qu'atteinte soit portée à la dignité de notre action vis-à-vis des structures nouvelles imposées, pour le bien public, par le progrès social.

En vérité les transformations du monde moderne, découlant de la conjoncture économique et sociale, des progrès immenses en tous domaines, des besoins et des aspirations des collectivités, ne peuvent manquer d'intéresser la profession médicale, et spécialement nos Facultés. Or cette évolution, d'autant plus inexorable qu'elle ne concerne pas seulement notre pays mais l'ensemble du monde, faut-il s'en désintéresser au risque de s’exposer un jour, inéluctablement, à subir les conséquences de mesures hâtives répondant à ses impératifs, insuffisamment méditées quant à leur efficacité et à leur répercussion. N'est-il pas logique au contraire d’étudier attentivement les transformations en cours et celles à venir, de leur apporter un soutien rationnel en envisageant suffisamment à temps, dans la réflexion et la sagesse, les solutions et les activités nouvelles qui s’imposent, telles aussi que soient évités des bouleversements capables de nuire à l'avenir de la Médecine.

Ainsi que je l'esquissais précédemment, notre Faculté s'est engagée dans cette voie ; l'avenir prouvera, j'en ai la profonde conviction, que, ce faisant elle répond, dans l'ordre et la mesure, à cette haute mission qu’est la promotion du progrès médical cl social.

Je suis certain que cette vieille Maison, sans cesse rajeunie par l'animation de ses maîtres et par l'émulation de ses élèves, poursuivra sa marche ascendante dans la dignité de ses traditions et en complète harmonie avec les Facultés dont l'ensemble fait la juste renommée de notre Université. Je souhaite que, par le rayonnement de son enseignement et la valeur de ses recherches, elle manifeste toujours davantage la vitalité de son ardeur et de son enthousiasme ,consacrés au perfectionnement scientifique et à l'honneur de la Médecine française, qu'enfin elle persévère dans le concours apprécié qu'elle apporte à l'effort solidaire et confiant mené par le Corps Médical et les Institutions d'Action Sanitaire et Sociale, au service de la Santé et du bien-être des populations laborieuses de notre région lorraine.