KAMINSKY Pierre

1951-2015

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ELOGE FUNEBRE

Jamais je n'aurais imaginé qu'un jour ma fonction de Chef de Pôle des Spécialités Médicales conduirait notre Président de CME à me proposer de prononcer l'hommage à un collègue Chef de Service. Mais malheureusement, du fait de ces petites cellules malignes, nous nous retrouvons cet après-midi pour accompagner une dernière fois notre ami Pierre et retracer le parcours de cette étoile qui a filé beaucoup trop vite.

Pierre est né à Strasbourg un 16 août, probablement par une nuit constellée d'étoiles et sur son berceau une bonne fée lui a transmis la bosse des maths et un sens tout particulier de la disponibilité. Après avoir réalisé ses études secondaires à Strasbourg, suivies de 2 années de prépa maths sup et maths spé, il intègre l'Ecole des Mines de Nancy dans les années 70, à une période où son look était plutôt celui de Georges Harrison ou de Paul Mac Cartney ; il en sortira avec un DEA de Statistiques Mathématiques. Son père qui était conducteur de train à la SNCF est victime d'une leucémie et, à la suite de son décès qui va profondément le marquer, Pierre décide de se retourner vers une carrière de médecin, avec le besoin profond de faire progresser la recherche médicale.

A 25 ans, il entreprend à nouveau des études à la Faculté de Médecine de Nancy, études qu'il financera par des cours de mathématiques et le soutien de son oncle Raymond. Nommé Interne des Hôpitaux de Nancy en 1981, Pierre se dirige vers la Médecine Interne, spécialité choisie par ceux qui allient intelligence, curiosité et désintéressement. Nommé Assistant Chef de Clinique en 1985 dans le service de Médecine J du Pr. Michel DUC à la Tour Drouet, il est promu Praticien Hospitalier en 1989. Son goût pour la recherche l'amène à publier dans les revues internationales dans le domaine des maladies neuromusculaires et il est naturellement nommé Professeur des Universités en 1998. Son parcours jusque-là linéaire va le mener ensuite, tel le croquis de la grande Ourse, aux différents coins de notre CHU.

Toujours Adjoint du service de Médecine Interne, Pierre accepte, à la fin des années 90, de reprendre la responsabilité du Service d'Accueil et d'Urgences de Brabois au départ du Pr. Gilbert THIBAUT. Il se retrouve après le départ en retraite du Pr. DUC à cohabiter avec le Pr. Gérard GAY, plus gastroentérologue qu'interniste. La gravitation de ces 2 planètes allait générer quelques étincelles et, pour développer ses domaines de prédilection: les maladies rares et les maladies systémiques, il va prendre un peu de hauteur au 9 ème étage de la Tour Drouet pour y diriger le service de Médecine Interne et Maladies Orphelines et Systémiques, sous le nom de MIMOS, MIMOS également une des étoiles de la constellation de la Croix du Sud.

Pierre est amené en 2007 à mutualiser son activité d'hospitalisation dans le service d'Endocrinologie de son ancien co-interne et ami, le Pr. Georges WERHYA, au 11ème étage dans le grand bâtiment du CHU de Brabois. Après quelques années de coexistence, il me sollicite pour rejoindre la planète des Spécialités Médicales au sein de notre Pôle et de notre bâtiment au voisinage des Maladies Infectieuses, de la Dermatologie, de la Pneumologie et c'est avec grand plaisir que nous l'avons accueilli. Deux ans plus tard, porteur d'un grand projet de restructuration de la Médecine Interne pour le CHU, il est nommé responsable du Département de Médecine Interne et Immunologie Clinique, issu de la fusion de MIMOS, de MIICA du Pr. Gisèle KANNY et de la Médecine H du Pr. Jean-Dominique De KORWIN. Il retrouve comme collaboratrice Joelle, son épouse, et désormais les Maladies Orphelines et Systémiques vont côtoyer les Déficits Immunitaires.

Il structure le Département en confiant la responsabilité de l'hospitalisation à Marie HEYMONET, de l'HDS à Shirine MOHAMED et de l'HDJ à Joëlle DEIBENER-KAMINSKY ; les 2 autres PU-PH conservant une activité de consultation. Il s'implique personnellement dans la prise en charge des patients atteints de maladies neuromusculaires, de maladies héréditaires du métabolisme et de la maladie de Rendu-Osler au sein des centres de référence et de compétence dont il assure la responsabilité. Il poursuit une activité de recherche dans l'équipe du Pr. Philippe PERRIN sur les régulations cardio-respiratoires et de la motricité dans les maladies rares. Il structure avec Shirine MOHAMED l'activité d'enseignement de Médecine Interne en réorganisant les cours du DES destinés à la génération montante des internes qu'il affectionnait particulièrement et qui le lui rendaient bien. Parallèlement, il consacre toujours une demi-journée par semaine au suivi des patients à l'Unité de Post Urgence de l'Hôpital Central.

Il va rayonner sur la Lorraine en initiant avec ses collègues et amis, le Pr. Denis WAHL et le Dr. François MAURIER de Metz, les réunions mensuelles du Collège de Biothérapie dont l'affluence va vite grandir. Il avait encore de multiples projets en tête tels que la mise en place de protocoles de recherche clinique sur les maladies métaboliques. Il se réjouissait particulièrement de la nomination prochaine comme Assistante, de Sabine REVUZ. Il avait déjà envisagé sa succession en m'annonçant, il y a un an, son souhait de faire venir à Nancy son collègue et ami, le Pr. Roland JAUSSAUD de Reims. Ils avaient les mêmes atomes crochus pour leurs domaines cliniques et leur vision de la pédagogie. Mais l'annonce du diagnostic de la maladie de Pierre et son évolution rapide allaient devoir précipiter l'arrivée de Roland JAUSSAUD à Nancy.

Pierre était un Chef de Service atypique. La tête dans les étoiles, rêveur et poète, il était plutôt réfractaire aux charges administratives inhérentes à sa fonction et si le mot rangement ne faisait pas vraiment partie de son vocabulaire quotidien au grand dam de ses secrétaires Ghislaine, Stéphanie, Josépha, il était capable de retrouver précisément et en quelques instants chaque résultat biologique dans le magma de son bureau. C'était un remarquable clinicien, au sens diagnostic particulièrement aigu, capable de résoudre et démêler les cas les plus complexes. Il était d'une disponibilité, d'une simplicité et d'une sensibilité sans pareilles. Sa générosité le portait toujours vers les autres, témoignant d'une attention permanente auprès de ses collaborateurs, des membres de son équipe et de ses patients qui en retour lui étaient particulièrement attachés. Il était toujours prêt à bousculer son agenda pour voir un consultant supplémentaire et démêler une situation difficile. Malgré les effectifs restreints de son équipe clinique, composée pendant 10 ans d'un seul poste de Chef de Clinique successivement occupé par Gihane CHALHOUB et Lilia PRUNA, toutes deux parties à Metz, puis par Shirine MOHAMED destinée à reprendre le poste de Praticien Hospitalier libéré par le décès du regretté Michel MAIGNAN, il n'avait jamais cessé de publier 3 ou 4 articles par an, en particulier dans les domaines de la dystrophie myotonique.

Au-delà de sa vie médicale, Pierre m'avait confié avoir une vie familiale particulièrement épanouie, formant un couple très uni avec sa femme Joëlle, entouré de ses 4 grands enfants et ses 2 chiens. Il portait une passion toute particulière pour les mondes de l'infiniment petit à l'infiniment grand. Il se passionnait au fond de son jardin dans sa maison de Sexey-aux-Forges pour la vie des insectes et des plantes de son étang mais surtout pour l'observation des étoiles et des comètes. Avec l'aide de Joëlle promue ingénieur en bâtiment et maçon, Pierre avait bâti un observatoire lui permettant, par temps de nuit claire, de passer des heures à observer et photographier les galaxies, étoiles et comètes, en compagnie de ses 2 chiens et de sa grenouille. Son site Internet "astrosurf", illustré de magnifiques photos et de conseils pratiques est particulièrement apprécié de tous les amateurs d'astronomie.

Depuis le début de l'année, Pierre savait malheureusement que son étoile allait un jour s'éteindre et je peux témoigner que jusqu'aux derniers jours, il a manifesté son intérêt et sa passion pour son service et son équipe. Hospitalisé ces dernières semaines au CHU alors qu'il venait d'avoir la douleur de perdre sa mère, Pierre était particulièrement reconnaissant de la qualité de prise en charge de ceux qui l'ont aidé à combattre contre sa maladie: son chirurgien Gilles GROSDIDIER, ses pneumologues Pierre VAILLANT et Christelle CLEMENT DUCHENE.

Tous ses enfants, Nicolas, Anne Laure, Elsa, Yannick et ses proches peuvent être fiers de son parcours en tant qu'homme, en tant que chercheur, en tant que médecin Et avant que cette trajectoire ne s'achève, je souhaiterais rappeler à Tous ces quelques mots d'Antoine de Saint Exupéry " les étoiles sont éclairées pour que chacun puisse un jour retrouver la sienne".

Professeur Th. MAY