L’HOpital Jeanne d’Arc de Dommartin-les-Toul et
les hOpitaux militaires
Pierre LABRUDE
Le
contexte de la présence américaine en France après 1945
Dans les années qui
suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, et avant la signature du Traité
de Washington du 4 avril 1949 qui aboutit à la création de l’OTAN (Organisation
du Traité de l’Atlantique Nord), le gouvernement des Etats-Unis entame avec son
homologue français des discussions en vue de la création dans notre pays d’une
ligne de communication et d’une zone logistique permettant le passage des
troupes vers l’Allemagne et le stockage de tous les approvisionnements
nécessaires au fonctionnement d’une armée en campagne.
Le but est également de
donner de l’espace à l’US Army et aux armées alliées dans l’éventualité d’un conflit.
En effet la Guerre froide commence et ses premiers combats auraient lieu dans ce
qui va devenir la RFA. Dans ce cas, les approvisionnements et les renforts
arriveraient des Etats-Unis par les ports français de l’Atlantique et seraient
acheminés vers l’Allemagne par la route et par le rail, les stocks constitués
en France permettant d’attendre leur arrivée pendant plusieurs semaines. Les
pourparlers ayant abouti en 1948, les Américains commencent aussitôt à se
déployer entre les ports de Saint-Nazaire, de La Rochelle et son avant-port La Pallice, de Bordeaux, et de
l’Est de la France : en particulier Verdun, Metz, Toul et Nancy, en passant par
Poitiers, Saumur, Chinon, Orléans et Vitry-le-François. Depuis les quatre
villes de Lorraine précitées, les convois se dirigent vers le Palatinat, avec
comme centre de gravité Kaiserslautern. Les dépôts du Palatinat dépendent de la
ligne de communication dont le quartier général est à Orléans et la zone
avancée à Verdun.
La création de l’OTAN
amplifie le mouvement de constitution des dépôts. Les années qui suivent voient
la création d’un pipeline au départ de Saint-Nazaire en direction de Metz et, à
la suite de la Guerre de Corée, est décidé l’aménagement d’une dizaine de bases
aériennes sur lesquelles stationnent des avions « offensifs » et de
transport : Chambley, Etain, Phalsbourg, Chaumont
pour ne citer que les plus proches. De nombreuses bases de secours (Chenevières près de Lunéville, Juvaincourt
et Damblain dans les Vosges, par exemple) et deux
bases canadiennes « offensives » voient le jour, l’une en Meuse à Marville, l’autre en Moselle à Grostenquin.
Le siège de l’OTAN s’installe à Paris, et les grands commandements interalliés
se constituent à Fontainebleau, Rocquencourt et Saint-Germain-en-Laye.
La
création des hôpitaux
Dans l’hypothèse d’un
conflit avec l’URSS et ses alliés, il est initialement prévu que les blessés
américains seront évacués au travers de notre pays pour être embarqués sur des
navires-hôpitaux dans les ports précités. Les Américains et l’OTAN ont donc
besoin d’hôpitaux d’infrastructure le long de la ligne de communication. Les
discussions avec l’Armée française montrent qu’il n’existe que peu de
possibilités de mettre à leur disposition des hôpitaux militaires français au
voisinage de la « route » Verdun-La Rochelle.
Ces situations étant
donc l’exception, le gouvernement français met à la disposition de l’US Army des casernes et des infrastructures dans lesquelles elle
crée des hôpitaux ou des services hospitaliers temporaires dans l’attente de la
construction d’hôpitaux neufs sur le modèle américain, dont Jeanne d’Arc est
un exemple parfait, et qu’on retrouvera aussi en RFA.
Pendant les premières
années de leur présence en France, approximativement de 1948 à 1960, les
Américains installent donc des structures hospitalières à La Rochelle dans
l’ancien hôpital Aufrédy de la Marine nationale, à côté de la cathédrale ; à La
Chapelle-Saint-Mesmin, dans la banlieue ouest d’Orléans, à l’intérieur d’un
ancien séminaire devenu sanatorium ; à Verdun dans un bâtiment de la caserne Maginot ; à Dommartin-les-Toul dans les quartiers Jeanne d’Arc et du Luxembourg. Un
petit hôpital est créé dans une caserne de Fontainebleau. Ces installations
transformées rapidement et excellemment par l’US Army ne sont pas destinées à durer. Toutefois les Américains
conserveront jusqu’au bout l’hôpital de La Chapelle. Je ne connais pas d’autres
implantations, comme ci-dessus, mais il a néanmoins pu en exister.
Les logisticiens
estiment que, dans notre pays, les besoins sont d’environ 15.000 lits
d’infrastructure qui seront obtenus par la construction d’une quinzaine
d’hôpitaux dont le type est l’Emergency Hospital d’une capacité de 1000 lits, en réalité 920. Leur plan
hospitalier les répartit le long de la ligne de communication, le plus proche
de la France en RFA étant celui de Landstuhl, à côté
de Kaiserslautern et de la grande base aérienne de Ramstein.
L’ensemble est toujours en activité.
Le programme de construction d’hôpitaux standardisés
La construction de ces
établissements, identiques à Jeanne d’Arc, se heurte à diverses
difficultés en dépit des moyens et du pragmatisme américain : la recherche de
la « perfection » avec des changements fréquents de plans et d’installations,
l’importance des coûts, et des contraintes de localisation dues à des
divergences entre les désirs des militaires, ceux du Medical Corps et ceux du gouvernement français.
C’est en effet notre pays qui fournit les terrains ou les exproprie, et qui
doit avancer l’argent. Afin de minimiser ces dépenses avancées, la France
propose le plus possible d’infrastructures et de terrains militaires ou
domaniaux. Pour leur part, les USA semblent vouloir beaucoup se réinstaller
dans des lieux qu’ils ont utilisés pendant les deux précédents conflits. C’est
la France qui décide en dernier recours des sites.
Le programme sera
finalement réalisé presque entièrement, à l’exception des projets de
Viry-Châtillon jugé par la France trop proche de l’agglomération parisienne, et
de Bordeaux-Pessac. Je pense que ce dernier a été remplacé par l’hôpital
construit sous baraquements dans le camp militaire de Bussac-Forêt,
à 35 kilomètres au nord de Libourne, et qui sera lui aussi conservé par les
Américains jusqu’à leur départ.
C’est ainsi que débute
vers 1953 cet ambitieux programme qui nécessite l’achat et l’expropriation de
terrains, environ 50 ha par hôpital de 1000 lits, la viabilisation des
parcelles puis la construction et l’aménagement. Je reviendrai sur ce mot. Le
programme s’achève vers 1960. Les plans les plus récents des installations de Jeanne d’Arc
datent de cette année. De l’Atlantique à la Lorraine, les hôpitaux sont
construits à :
-
Aigrefeuille d’Aunis, au bord de la route et raccordé à la voie ferrée entre La
Rochelle et Surgères, sous le nom d’hôpital de Croix-Chapeau, le
village le plus voisin ;
-
Poitiers, en bordure de ville à l’Est ;
-
Chinon, en réalité Saint-Benoît-la-Forêt, dans la forêt au bord de la route
vers Azay-le-Rideau ;
-
Orléans, où sont créés deux ensembles, l’un au sud, à Olivet, l’autre au nord à
Chanteau-La Foulon- nerie, celui-ci raccordé à la
voie ferrée vers Paris ;
-
Marolles, dans la « banlieue » de Vitry-le-Fran- çois,
raccordé à la voie ferrée de Paris à Strasbourg, du modèle général mais plus
petit : environ 300 lits ;
- Vassincourt, sur le plateau entre Revigny-sur-Ornain et
Bar-le-Duc, le dernier à avoir été entrepris, non terminé et comptant seulement
200 lits ;
-
Verdun, en sortie de ville un peu en retrait le long de la route d’Etain sur
l’ancien terrain d’aviation ;
- Dommartin-les-Toul, en partie sur l’ancien quartier de
cavalerie.
Ces
deux derniers hôpitaux ont été baptisés par les Américains : Jeanne d’Arc
(photographie) du nom de l’ancien quartier, et Désandrouins à
Verdun, du nom d’un officier français né dans cette ville et l’un des
fondateurs de l’Armée des Etats-Unis.
Un
petit hôpital a aussi été édifié sur la petite base aérienne de
Montoir-de-Bretagne, entre Saint-Nazaire et Donges. Il ne ressemble pas au
modèle classique.
La
structure d’un hôpital et de son site
L’hôpital est structuré
autour de deux couloirs perpendiculaires (plan) : un couloir reliant les
pavillons de l’entrée, du dispensaire, du bâtiment administratif et du service
dentaire, au bâtiment des cuisines et salles à manger à l’autre extrémité avec
un « point central » à peu près au milieu, et un second couloir qui lui est
perpendiculaire et le croise au point central, sur lequel sont « embranchés »
perpendiculairement les pavillons d’hospitalisation à un étage abritant chacun
une centaine de lits. Autour de l’hôpital et dans l’enceinte fermée se
répartissent selon le terrain divers bâtiments techniques (« hôtel » pour
jeunes officiers célibataires, ateliers, local des pompiers et de leurs
véhicules, hall de stockage, chaufferie, forage et château d’eau), une chapelle
et des installations sportives nombreuses (gymnase et bowling éventuellement et
terrains pour divers sports), plus de grands parkings pour les voitures
particulières, les véhicules sanitaires et les autocars sanitaires et
scolaires, ainsi qu’une aire pour hélicoptère comme à Jeanne d’Arc,
voire pour avion léger (Croix-Chapeau, Vassincourt).
Seule la station d’épuration des eaux est à l’extérieur. Un embranche- ment de
voie ferrée est réalisé dans les trois ensembles où se trouve un grand dépôt
sanitaire : Croix-Chapeau, Orléans-Chanteau et Vitry-Marolles. En dehors des
trains de matériels, des trains sanitaires américains circulent entre la France
et l’Allemagne chaque semaine et peuvent entrer dans les emprises ou stationner
dans les gares proches, Toul par exemple, Jeanne d’Arc
n’ayant pu être relié vu son emplacement.
L’emploi
des hôpitaux par l’US Army
L’US Army n’a nullement l’usage de tout cela en temps de paix et,
comme ces ensembles coûtent très cher, ils ne sont pas tous terminés et servent
à autre chose. Pour leur achèvement, je m’appuie sur les plans et documents
d’époque que j’ai pu consulter et sur les visites que j’ai faites à Jeanne d’Arc. Si
certains services sont terminés voire équipés, en particulier le dispensaire,
le bâtiment de chirurgie et ce qui sert de maternité et l’hospitalisation
correspondante, les autres bâtiments sont laissés à l’état de gros-œuvre, ou
plâtrés ou peints mais ne servent pas d’hôpital, la mise sur pied complète
étant prévue en quelques jours en cas de conflit. Ces ensembles servent aussi
et d’abord d’école et/ou de lycée, un pavillon complet étant d’emblée construit
pour l’enseignement avec tous les équipements nécessaires. C’est le cas à Toul
et à Verdun, ainsi qu’à La Rochelle. Ces hôpitaux servent aussi de locaux
d’états-majors, de casernements (Olivet) ou de locaux d’instruction. À Toul, le
dispensaire à gauche de l’entrée est une école pour les élèves pontonniers.
Les
autres structures sanitaires et hospitalières
En dehors des hôpitaux,
l’US Army a installé des infirmeries (dispensaires) très bien
équipées dans les divers dépôts qu’elle a créés, même si un hôpital est proche.
Il existe ainsi un dispensaire dans le dépôt du Génie de Toul-Croix-de-Metz et
dans le dépôt « général » de la Forêt-de-Haye, bien qu’ils soient
tous les deux très voisins de Jeanne d’Arc. À Paris, elle peut
utiliser les services de l’Hôpital américain de Neuilly. Par ailleurs, beaucoup des blessés et des
malades sont rapidement évacués vers l’Allemagne, en particulier à Landstuhl, et de là par avion vers les USA.
L’United States Army Air Force in
Europe (USAFE) a voulu disposer de ses
propres hôpitaux, différents de ceux de l’US Army, et elle a dressé un plan hospitalier qui n’a pas été
réalisé, sans doute pour des raisons de coût et de diversité. En effet, une
agence implantée à Boulogne-Billancourt a pour mission de rationaliser les
plans et les constructions. Sur les bases de l’USAFE, seuls les casernements
sont à étage, tous les autres bâtiments sont en rez-de-chaussée et ceci est
valable pour les hôpitaux Air dont un seul a été réalisé, à Evreux et en ville,
non sur la base d’Evreux-Fauville. Les vrais hôpitaux
n’ayant donc pas été réalisés, toutes
les bases aériennes opérationnelles ont été dotées d’un « petit » hôpital sans
étage et de plan assez compliqué dont il existe plusieurs types différents, sans
doute en fonction de l’importance de la base. À Chambley,
l’hôpital démoli en 2008-2009 était du « grand » modèle avec une maternité et
comportait à mon avis au moins 100 lits. À cet hôpital s’ajoute une clinique
dentaire séparée avec cinq fauteuils. Un hôpital de plusieurs dizaines de lits
est installé à Orly tant que les Américains utilisent l’aéroport. À
Châteauroux-Déols, ils ajoutent une grande installation en rez-de-chaussée à
l’infirmerie de l’ancienne base française.
Pour tous ces hôpitaux,
les photographies que j’en possède, les plans que j’ai consultés et les visites
que j’ai pu y faire, montrent des aménagements ultramodernes et que la France
militaire et civile est loin de posséder à l’époque : salle de bain avec
baignoire et installation sanitaire entre deux chambres pour l’US Army, douches très nombreuses dans l’USAFE, machine à laver la
vaisselle dans les « kitchenettes » des services, etc.
Le
départ des Américains
Lorsqu’en 1966 le
général de Gaulle et son gouvernement (M. Pompidou) décident que la France
quitte les organismes de commandement intégré de l’OTAN, toutes les troupes
étrangères stationnées sur le territoire français doivent l’avoir évacué pour
le 1er avril 1967 et toutes
les installations doivent avoir été rendues au ministère des Armées (M.
Messmer). Cela ne sera cependant pas le cas partout, et les hôpitaux ne seront
transférés qu’en juin afin que les écoliers et lycéens terminent leur année
avant de poursuivre leur scolarité à Kaiserslautern. Une mission de liquidation
est placée auprès du Premier ministre et il est décidé que les hôpitaux, tant
neufs que de réemploi, ne seront pas démantelés, sauf cas particuliers. La
France manque en effet d’hôpitaux et le but est de s’en servir. Malheureusement
ils ne sont pas tous situés là où ils seraient utiles et certains sont vraiment
à la campagne.
L’emploi
des installations par la France
Parmi les hôpitaux neufs
de l’US Army, l’Armée française en conserve trois : Olivet,
Orléans-Chanteau et Marolles. Seul ce dernier sera employé en tant qu’hôpital
en sommeil en vue d’une mobilisation et il sera dissous à la fin de la Guerre froide. Tous
les autres, à l’exception de Croix-Chapeau, seront réutilisés en
tant qu’hôpitaux ou établissements de santé, et ceci jusqu’à nos jours. Ils ont
beaucoup plus servi à la France et aux civils qu’à l’Amérique et à ses soldats…
Nous n’avons pas eu la guerre et c’est tant mieux.
Les hôpitaux créés dans
d’anciennes casernes ont disparu pendant la période américaine, sauf La
Chapelle-Saint-Mesmin et Bussac. Le paradoxe est que
« La Chapelle » a été constamment « l’hôpital américain » d’Orléans, les
hôpitaux neufs servant à autre chose. Il est vrai que cette vieille structure
est en bord de Loire… En 1967, elle a été achetée par le CHR d’Orléans qui en a
fait une maison de retraite et qui l’emploie toujours. Bussac
a été démoli.
Pour leur part, les
hôpitaux des bases aériennes ont suivi le destin de celles-ci et ont
généralement servi d’infirmeries dans celles qui ont été réemployées. Les
autres ont subi le pillage et le saccage habituels… Quant aux cliniques
dentaires, elles ont été désactivées et les bâtiments transformés.
La situation
en 2010
Toutes ces installations
avaient été construites pour une durée de cinquante années. Nous y sommes.
Elles étaient solides et bien conçues, mais elles ne correspondent plus aux
normes et aux besoins. Elles sont souvent éloignées et elles coûtent cher en
entretien… Aussi disparaissent-elles maintenant à un rythme accéléré et, dans
peu de temps, il ne restera plus aucun hôpital intact et en fonctionnement. À
l’exception de l’hôpital d’Olivet qui est depuis 1967 une caserne française et
qui était déjà un casernement du temps des Américains sous le nom d’Harbord Barracks, qui est intact et extrêmement bien entretenu, seul
l’hôpital Jeanne d’Arc a conservé jusqu’à aujourd’hui à la fois sa vocation
hospitalière et sa structure initiale. Il a rendu de grands et longs services à
notre CHR, et il est actuellement le seul à permettre de s’imaginer ce que
pouvait être un hôpital militaire américain en France dans la décennie
1960-1970.