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LA CONSULTATION DES PAUVRES MALADES DES CAMPAGNES ORGANISEE PAR LE COLLEGE ROYAL DE MEDECINE A NANCY

Maladies et prescriptions de l’année 1764

 

Pierre LABRUDE et Marie MEUNIER

 

Dès sa création en 1752, le Collège royal de médecine met sur pied une consultation gratuite qui a lieu les samedis matin dans ses locaux et qui est destinée aux pauvres des campagnes qui doivent, pour être admis, disposer d’un certificat de leur curé. La date, les informations sur les patients et leur provenance, la pathologie évoquée et la prescription délivrée sont notées dans des registres qui sont actuellement conservés aux Archives départementales de Meurthe-et-Moselle (15 J 9 à 11) et qui n’ont jusqu’à présent pratiquement jamais été étudiés.

 

Leur dépouillement permet de connaître la morbidité chez les pauvres gens et l’état de la thérapeutique en Lorraine, plus précisément à Nancy et aux alentours, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il est bien sûr difficile actuellement de se faire une idée exacte et précise sur les maladies qui règnent, car les observations sont naturellement rédigées en fonction des connaissances de l’époque, mais aussi sans toute la rigueur qui serait nécessaire et sans qu’un examen clinique soit pratiqué, ce qui permet l’exercice d’une « médecine par correspondance » à l’aide d’un billet...

 

Nous décrivons ici les pathologies les plus fréquemment rencontrées pendant l’année 1764 et les thérapeutiques auxquelles elles ont donné lieu. Les 51 samedis mentionnés dans le registre ont permis 267 consultations dont le plus grand nombre, 68, a été enregistré en juin ; les moins nombreuses, 7, ayant été notées en janvier et en décembre. Personne ne s’est présenté certains samedis, comme les 7 et 21 avril. Il peut aussi n’y avoir qu’un seul consultant, comme le 25 février, ou seulement deux, comme les 10, 17 et 24 mars.

 

Les hommes sont les plus nombreux, 120, les femmes sont 93 et les enfants 52, ce qui ne correspond pas aux 267 consultations, la rubrique n’étant quelquefois pas renseignée. Tous les malades ne viennent pas de la campagne, plus précisément des villages et bourgs entourant Nancy comme Pixérécourt, Malzéville, Dommartemont, Fléville, Houdemont, Dochey (sans doute Ochey), Lay-Saint-Christophe, Saint-Nicolas, etc., car nous avons compté 32 fois une paroisse de Nancy, ce qui n’est pas « normal » puisque la consultation s’adresse en principe aux malades des campagnes. Le mot « pauvre » est quelquefois mentionné, et la rubrique n’est pas toujours complétée.

 

De quoi est-il surtout fait état et qu’est-il alors prescrit ? Il est difficile de préciser le nombre exact de pathologies rencontrées car la description est variable d’un cas à l’autre et l’examen clinique fait défaut. Il est des pathologies fréquemment citées, et en particulier la fièvre, ou plutôt les fièvres, puisque la médecine en décrit alors de nombreuses formes. Elle n’est par ailleurs pas toujours isolée. Elle constitue la « maladie » la plus fréquemment rencontrée avec plus de 40 cas, de formes « lente, vermineuse, tierce, quarte, quotidienne, continue », etc.

 

Le ou les rhumatisme(s) et les pathologies oculaires, souvent mentionnées sous le nom d’ophtalmie, viennent en seconde place avec une quinzaine de cas, suivis par la perte ou l’absence de règles pour un nombre légèrement inférieur. Les scrofules ou humeurs froides (affections chroniques des ganglions lymphatiques du cou, d’origine tuberculeuse et provoquant des fistules purulentes) sous différentes formes, la sciatique et l’hydropisie comptent ensuite pour une dizaine de cas ou un peu moins. Les troubles digestifs divers sont en nombre similaire. L’asthme, les vers intestinaux, associés ou non à « autre chose » et les tumeurs (du foie, de l’épigastre) comptent pour quatre ou cinq cas. Le goitre et le scorbut associé aux affections buccales ne sont cités que quatre et trois fois. La toux est rare, trois cas. Enfin sont cités une ou deux fois l’épilepsie, la maniaquerie, la mélancolie, les convulsions, les vertiges, la cataracte et les teignes.

 

La difficulté à uriner conduit au sondage. Le bain et le demi-bain, le bain des pieds, constituent aussi des traitements. L’usage du pessaire est mentionné une fois. Lorsqu’elle apparaît nécessaire, l’opération (chirurgicale), par exemple du calcul de la vessie, est conseillée au patient. Une femme a sans doute été envoyée à l’hôpital.

 

Il est également difficile, à partir de ces pathologies, de décrire une thérapeutique spécifique à chacune d’entre elles. Il est cependant des traitements fréquemment prescrits par les médecins du Collège. C’est d’abord la purgation, rencontrée 79 fois, soit pour presque 30% des consultations, tant pour le rhumatisme que l’hydropisie, l’ophtalmie ou la sciatique, etc. C’est ensuite la saignée, au bras le plus souvent, mais aussi au pied, ou les deux successivement, que nous avons rencontrée 61 fois, soit dans plus d’un cas sur cinq. Elle « s’adresse » par exemple à l’asthme, à la tumeur hépatique, à l’épilepsie, à l’état maniaque, à la fièvre, à l’ophtalmie ou à la difficulté à uriner…  L’emploi des émétiques est moins fréquent, seulement 31 exemples, et l’envoi aux eaux plus réduit encore, 14 fois, ce qui ne nous étonnera pas. La « station thermale » retenue est Plombières, les autres, dont le malade se limitera à boire l’eau, qui se vend chez les apothicaires, étant Bourbonne et Bains, dans notre région. Les patients sont le plus souvent envoyés à Plombières pour une sciatique, un rhumatisme goutteux ou une paralysie. On peut toutefois s’interroger sur la capacité de ces pauvres gens à se rendre aux eaux et à y séjourner, ainsi qu’à s’acheter de l’eau minérale…    

 

La saignée et la purgation sont souvent associées, avec aussi la mention « contre-vers », ce qui explique la prescription de la « ptisane contre-vers » de l’apothicaire Pierson qui avait sollicité l’approbation du Collège en 1759 pour la « mise sur le marché » de sa formule. 

 

En dehors des médicaments classiques sur lesquels nous allons un peu nous attarder, il est des prescriptions curieuses, comme la « paire de pigeons (du colombier) de Mr le Curé », présente cinq fois au cours de l’année, et dont les indications sont, avec d’autres médicaments, « l’ophtalmie scrofuleuse », l’hydropisie et l’ascite, la fièvre « lente et pas réglée » et le « soupçon de vers »…

 

Le lait et le vin, généralement blanc, sont des véhicules classiques de principes actifs, essentiellement végétaux. Le lait, quelquefois de chèvre, et le petit-lait, le beurre frais et la mie de pain sont aussi des médicaments en tant que tels. Si certains vins médicamenteux sont certainement fournis par un apothicaire, comme le vin scillitique ou le vin antiscorbutique du Codex (le mot est souligné), de nombreux autres sont vraisemblablement préparés à la maison à partir de plantes du jardin, de la campagne ou de la forêt : le vin apéritif avec les cendres de sarment est par exemple souvent mentionné. On sait aussi que le « jardinier botaniste » du Collège doit fournir les plantes usuelles desséchées aux pauvres malades qui viennent en consultation, les préparations auxquelles elles sont destinées étant donc réalisées à la maison.

 

La tisane figure très fréquemment dans la prescription et la remarque faite à propos des vins s’applique bien sûr à elle. La décoction et l’apozème, qui en sont des « dérivés », se rencontrent également. À côté de ces remèdes familiaux et familiers, les prescriptions comportent aussi de nombreux médicaments de la pharmacopée classique et officielle, comme la poudre hydragogue du codex, la confection d’hyacinthe, les pilules mercurielles ou l’emplâtre vésicatoire. Trois prescriptions de thériaque ont été faites. Si les pilules, les poudres et les collyres sont d’emploi fréquent, il est peu fait usage de sirops, sans doute à cause du prix du sucre, et, curieusement, de miel, pourtant classique à l’époque pour édulcorer.  Aucun usage de vinaigre n’a été fait. Les prescriptions peuvent aussi comporter des produits chimiques, dont certains sont en même temps des médicaments, comme le sel d’Epson, le sel de Duobus, le safran de Mars apéritif ou le sucre de Saturne, et qui sont délivrés par les apothicaires et, pour les plus anodins d’entre eux, les droguistes.

 

Nous ne serons pas étonnés que la Boule de Mars, « le médicament nancéien », soit assez fréquemment employée sous différentes formes : eau de boule, lait de boule, infusion de boule avec des plantes vulnéraires. Il convient aussi de citer le cérat de Galien utilisé comme excipient en dermatologie, le millepertuis (ou hypericum ou hypericon) et l’eau de riz qui sont encore employés de nos jours. L’opothérapie reste en usage, mais nous n’avons rencontré ici que les cloportes pulvérisés, le plus souvent absorbés dans du vin…

 

Deux apothicaires de la ville sont cités : Pierson pour sa « tisane contre-vers » et Villemet pour l’emplâtre « de cannette ». 1764 est l’année où, par une délibération du 8 mai, les six apothicaires de Nancy décident de participer à la consultation en fournissant gratuitement les médicaments chacun à leur tour, un mois l’été et un mois l’hiver. Mais nous avons vu que les prescriptions mettant en œuvre des plantes médicinales, des tisanes, des décoctions, de nombreux vins devaient pour l’essentiel « échapper » au circuit pharmaceutique. L’usage du Manuel des Dames de Charité, ouvrage non officiel mais classique, est mentionné une fois.

 

En conclusion, il apparaît que la consultation des pauvres, mise sur pied par le Collège royal de médecine dès sa création, répond à un besoin, même si sa fréquentation est variable selon les jours et les mois. Un nombre non négligeable de pauvres Nancéiens s’y présente, bien qu’indûment… Quelques pathologies sont très fréquentes chez ces pauvres gens : fièvres, rhumatismes, pathologies oculaires, anomalies des règles, sciatique, scrofule en particulier. Les troubles digestifs et la présence de vers intestinaux sont aussi assez fréquents. Au contraire, la toux, l’asthme, le goitre, le scorbut – qui regroupe alors l’essentiel des affections buccales –, les tumeurs, sont rares. La thérapeutique utilise beaucoup la purgation, la saignée, les vomitifs, le thermalisme, mais elle fait aussi un usage important et constant des plantes et des formes pharmaceutiques orales comme la tisane, le vin, le lait, l’eau, qui servent de véhicules à leurs principes actifs. Les médicaments classiques, fournis par les apothicaires, sont aussi très nombreux. Enfin, la chirurgie n’est pas absente, mais elle n’est pas pratiquée à la consultation.