Dominique Benoît Harmant (1723-1782) : une brillante
carrière médicale à Nancy au XVIIIe siècle
En hommage au Professeur Alain Larcan
qui, le premier, s'est
intéressé à D.B. Harmant
Pierre LABRUDE
Dominique Benoît Harmant
(également orthographié Harmand) appartient à une
famille connue à Nancy depuis le début du XVIIe siècle. Son aïeul Nicolas est «
concierge en l’artillerie » du duc Charles III (1543-1608, duc de Lorraine à sa
majorité en 1559). Il faut considérer ce mot concierge dans son acception
d’autrefois : un officier pourvu de la charge d’un édifice ou d’une structure
importante, dont il est le directeur ou le conservateur. L’arsenal d’artillerie
avait été érigé, à partir de 1550, par la régente Chrétienne de Danemark, sa
mère, et le co-régent des duchés, son oncle Nicolas,
à la place de maisons qui s’appuyaient contre les murailles de la ville. Cet
arsenal était riche et réputé ; la Cour de Lorraine s’en enorgueillissait ; il
était servi par un important personnel spécialisé et comportait une manufacture
de canons, des dépôts et des entrepôts. Il servit jusqu’en 1737, puis « reprit
» du service à partir de 1775. Une place porte aujourd’hui son nom : « place de
l’Arsenal » et les locaux abritent l’école Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle.
Deux des fils de Nicolas Harmant sont chirurgiens, et la famille compte aussi
plusieurs apothicaires, dont certains par alliance, et plusieurs médecins. Le
père de Dominique Benoît, Louis Harmant, médecin
diplômé de la Faculté de Montpellier en 1713, est le fils de Jean Harmant, premier apothicaire du duc Léopold en 1715. Il
occupe plusieurs fonctions éminentes : médecin des pauvres de Nancy, le premier
à avoir été nommé officiellement en 1714 après avoir exercé bénévolement, et
médecin ordinaire du duc Léopold en 1716. La mère de Dominique Benoît est Barbe
Dieudonnée Hanus, fille de
Jean-Baptiste Hanus, juge conseil de Lorraine, anobli
en 1716, et dont la maison, ornée d’un buste du duc Léopold, est visible
aujourd’hui encore 48 rue Saint-Dizier à Nancy. Louis Harmant
meurt en 1729. Son oncle Nicolas, frère de son père Jean, avait été anobli en
1710. C’est peut-être la raison pour laquelle Dominique Benoît, dans ses
démêlés avec la ville de Nancy, rappellera l’anoblissement de ses aïeux.
Dominique Benoît Harmant,
né à Nancy le 22 mars 1723, effectue ses études de médecine à Pont-à-Mousson
puis à Montpellier où il soutient sa thèse de doctorat le 1er août 1744. De retour à Nancy, il est nommé
médecin ordinaire de Stanislas dès 1745. Il est membre fondateur du Collège
royal de médecine, étant présent à l’assemblée constitutive du 10 septembre
1751 au cours de laquelle le premier bureau est élu. Puis il devient médecin
stipendié, c’est-à-dire médecin des pauvres, en 1756. Il est également médecin
de l’hôpital Saint-Stanislas, créé par Stanislas en 1750, et il est cité pour
la même fonction à « l’infirmerie royale », institution de nature imprécise.
S’agit-il de l’infirmerie du Quartier royal, c’est-à-dire du casernement
de la rue Sainte-Catherine ? Pour sa part, l’hôpital Saint-Stanislas est
l’hôpital des Frères de la Charité de Saint-Jean de Dieu, dont le contrat de
fondation est passé à Lunéville le 25 avril 1750. D’abord installé dans une
maison mise à sa disposition par la ville, il bénéficie rapidement de la construction,
rue Sainte-Catherine, d’un bâtiment érigé sur les plans de Héré. Selon M. Streiff, le service médical y est assuré par les médecins
stipendiés de la ville. C’est donc à ce titre qu’Harmant
y exercerait son activité.
Au Collège royal, qui regroupe statutairement
tous les médecins exerçant à Nancy, Harmant a
successivement différentes fonctions : celle de professeur de chimie en 1769,
celle de membre du conseil en 1770, puis celle de président et de directeur du
jardin botanique de la rue Sainte-Catherine en 1781. Il n’occupera toutefois
que peu de temps ce fauteuil puisqu’il meurt l’année suivante à l’âge de 59
ans.
Ses fonctions de médecin stipendié le
conduisent à s’opposer à son « employeur », la ville de Nancy, au cours d’un
retentissant procès relatif aux privilèges dont doivent jouir les stipendiés. Pillement a narré les rebondissements de cette affaire qui
démarre en 1770 par un incident d’importance assez modeste, la question du
logement des gens de guerre, dont Harmant prétend
être exempté, en dépit d’une ordonnance royale de l’année précédente. Le
différend perdure jusqu’en 1780 après avoir occupé les officiers municipaux et
le chancelier de Lorraine... C’est ce dernier qui fait conclure cette triste
affaire en décidant qu’Harmant était débouté des
diverses prétentions qu’il avait manifestées depuis dix ans mais « qu’on
pouvait le laisser jouir de l’exemption des logements de gens de guerre ».
C’est tout ce qu’il désirait…
Harmant est
élu membre titulaire de la Société royale des sciences et belles-lettres de
Nancy en février 1751. Reçu le 20 octobre de la même année, il y présente
au fil des ans plusieurs communications : « Sur l’économie animale » en 1759, «
Dissertation sur l’œil » en 1760 et en 1762, et surtout son célèbre travail «
Sur les funestes effets de la vapeur des charbons allumés… » en 1764. Il est aussi l’auteur du
compte rendu d’un ouvrage de Coste en 1774 et du rapport sur un mémoire sur les
eaux minérales de Lorraine en 1778. Harmant devient
sous-directeur de l’académie en juin 1776 pour une durée d’une année.
Combattif
et tenace, certainement orgueilleux, il s’oppose à Nicolas Jadelot,
professeur à la Faculté de médecine, au sein de la Société royale, en
raison des mauvaises relations qui existent entre les deux institutions, Collège
et Faculté, mais aussi à propos des analyses d’eaux et de l’usage du titre de
professeur de chimie…
Les
analyses d’eau opposent les apothicaires nancéiens Mandel et Nicolas, et, à
travers eux, plusieurs médecins membres du Collège royal, dont Harmant, et de la Faculté, dont Jadelot.
En sa qualité de professeur de chimie au Collège, Harmant
participe à des expertises, avec l’aide de son préparateur, l’apothicaire
Pierre Remy Willemet, et nous connaissons celle
relative aux eaux de l’étuviste Mandel, de la famille de l’apothicaire éponyme.
Harmant s’oppose aussi à Jadelot
parce que la Faculté utilise le terme de professeur de chimie, et parce que le
professeur Jadelot – qui est un vrai professeur, ce
que n’est pas Harmant, et il n’en est que trop conscient
–, a été qualifié par la Faculté de « professeur d’instituts et de chimie »…
L’éloge
funèbre de Bagard, le président-créateur du Collège
royal, décédé d’apoplexie le 7 décembre 1772, a lieu en mai 1773. Harmant prononce celui du Collège royal lors de sa
séance publique du 1er mai
cependant que Jadelot est l’auteur de celui de la Société
royale des sciences et belles-lettres le 8 mai. C’est l’occasion pour Harmant de rompre quelques lances avec la Faculté… Il
suggère que la création du Collège a eu pour but de réprimer les abus
qui se commettaient à la Faculté de Pont dans la réception des candidats au
doctorat en médecine. Jadelot lui répond en lui
demandant de s’expliquer, et Harmant réplique
violemment en l’accusant d’avoir médit sur le Collège et son fondateur Bagard, en rappelant le travail de ce dernier sur les eaux
de Contrexéville où Jadelot avait contesté ses
méthodes d’analyse…, en reprochant aussi à Jadelot
d’usurper le titre de professeur de chimie et de négliger sa chaire d’anatomie…
Dans cette triste polémique, Harmant est «
l’attaquant », il n’est pas objectif et il n’est pas sûr qu’il en soit sorti
grandi... Mais c’est la marque de son caractère !
Sa
présidence du Collège royal, en 1781-1782, année où il meurt, est
l’occasion d’un autre conflit, cette fois avec Joseph Breton, le jardinier du Collège
pour le jardin des plantes, créé en 1758, qu’il possède rue
Sainte-Catherine, en face du Quartier Royal, l’actuelle caserne Thiry,
édifié à partir de 1764. Depuis l’origine du jardin, la fonction de directeur
allait de pair avec la présidence du Collège. Par ailleurs, le jardinier
bénéficiait par bail de la jouissance des revenus du jardin en contrepartie du
versement au Collège d’une somme d’argent. Or Harmant
décide de supprimer des carrés de plantes fourragères et d’arbres fruitiers.
Breton lui fait remarquer que ceci est contraire au bail et qu’il faut de ce
fait lui verser des indemnités. Harmant fait la
sourde oreille et un procès s’ensuit, au cours duquel les membres du Collège
soutiennent Breton… L’arrêt rendu le 9 août 1781 reconnaît le droit de
Breton à une indemnité et condamne le Collège aux frais du procès. Si Harmant conserve sa charge jusqu’à la fin de son mandat –
mais il meurt l’année suivante –, il est décidé que dorénavant le Collège élira
tous les six ans un directeur du jardin botanique choisi parmi ses membres.
Cette affaire n’est pas à l’honneur du Collège dont, de plus, les
membres n’ont pas été solidaires de leur président en raison de son
comportement.
Dominique
Benoît Harmant est surtout connu pour son « Mémoire
sur les funestes effets du charbon allumé, avec le détail des cures et des
observations faites à Nancy sur le même sujet ». Ce mémoire avait été présenté
au cours de la séance publique du 27 février 1764 de la Société royale des
sciences et belles-lettres de Nancy. Il paraît en 1775, imprimé chez
Scolastique Baltazard, 82 rue Saint-Julien à Nancy,
et nous ignorons les raisons de ce long délai de publication. Ce travail d’Harmant a été « ré- employé » par l’apothicaire Philippe
Nicolas Pia, à Paris, cette même année, dans la quatrième partie de son ouvrage
Détail des succès de l’établissement que la Ville de Paris a fait en faveur
des personnes noyées & qui a été adopté dans les diverses provinces de
France. Cette quatrième partie, de trois cents pages, paraît en 1776 chez Lottin l’aîné, rue Saint-Jacques. Il est également fait
mention du travail d’Harmant dans une brochure de
vingt-quatre pages du même auteur et d’un titre presque identique, qui paraît
la même année chez l’imprimeur Clousier, rue
Saint-Jacques également. Il y est indiqué en pages 3 et 4 : « On a inséré dans
le même volume plusieurs pièces relatives au même objet, parmi lesquelles on
trouve le Mémoire de M. Harmant, Médecin de
Nancy, sur les funestes effets du charbon allumé. Cet ouvrage se trouve à
Paris, chez Lottin l’aîné, imprimeur-libraire du Roi
et de la Ville, rue Saint-Jacques ». Les pièces en question se trouvent aux
pages 9 et 10 de la brochure. Ces travaux d’Harmant
et de Pia ont été repris par Portal dans son Instruction sur le traitement
des asphyxiés par les gaz méphitiques. La méthode que préconise Harmant pour tenter de sauver les victimes : leur jeter
brutalement de l’eau très froide au visage autant de fois que nécessaire
jusqu’à la reprise des mouvements respiratoires, est originale. Le soin que met
Portal à minimiser l’intérêt de la méthode nancéienne, tout en n’oubliant pas
d’insister sur l’antériorité de son propre travail, constitue une preuve de la
valeur du travail d’Harmant.
La
notice qui est consacrée à Harmant dans l’Histoire
de la Société royale de médecine… (années 1780 & 1781 (sic),
parue en 1785), lue en août 1783, comporte une liste de ses travaux. En plus du
mémoire précédent et de l’Eloge de Bagard,
elle signale plusieurs manuscrits : un traité sur les Maladies des enfants,
un mémoire sur La Fièvre miliaire des femmes en couche, et des «
fragments pour servir à une Histoire des épidémies en Lorraine ». Cette
liste a été reprise par le Dictionnaire encyclopédique des sciences
médicales de Dechambre en 1886. Mais il apparaît
aujourd’hui qu’il existe d’autres manuscrits de Dominique Benoît Harmant. En effet, au début de l’année 2012, à la suite du
décès d’un de ses descendants, sont passés en vente à Metz trois autres manuscrits
qui étaient jusque-là sans doute inconnus : un Traité de pharmacie avec une
méthode qui apprend à formuler (un volume in octavo toilé) et un Traité
de matière médicale et de formules de remèdes (un volume in quarto de
320 pages manuscrites comportant des planches). Etait également proposé à la
vente un Traité de médecine manuscrit, dont on peut penser qu’Harmant en est l’auteur mais sans pouvoir l’affirmer, le
catalogue de la vente indiquant « ayant appartenu au Dr Harmand
».
Dominique
Benoît avait épousé Marie-François Dorothée Laprévote à Mirecourt en 1749. Ils eurent deux ou trois
enfants selon les sources : un fils et une ou deux filles. Le fils, Charles,
connu sous le nom de « Charles d’Harmant », capitaine
en premier au service de l’Empereur, est mort à Nancy en 1791. Une fille ou «
la » fille, Marie-Anne Stanislas, est réputée avoir épousé le chirurgien
Jean-Baptiste Lamoureux, ce qui est faux, une homonymie étant la source de
cette erreur : l’épouse de J.-B. Lamoureux est, selon Pillement,
qui s’appuie sur le contrat de mariage du 10 février 1767, une demoiselle
Armand, de même prénom, « fille du premier chef d’office du feu roi de Pologne,
(…) et de Marguerite Rose Voidel (…) ». Il est de
toute façon peu probable que Dominique Benoît Harmant
ait pu accepter un tel mariage… Imbu comme il l’était de son origine, de sa
noblesse et de ses titres, qu’aurait-il pensé d’un prétendant fils de brodeur
et seulement chirurgien ! Ce mariage étant donc exclu, nous ne savons rien pour
l’instant de l’éventuel mariage de Mademoiselle Harmant,
ni de sa soeur s’il en a existé une.
La
famille Harmant a habité rue de la Communauté, puis
rue Saint-Dizier. Dominique Benoît Harmant est mort à
Nancy le 27 septembre 1782.
En
dépit de son caractère assez peu sympathique, Dominique Benoît Harmant apparaît comme un personnage important de
l’histoire médicale nancéienne du XVIIIe siècle. Son mémoire sur « les funestes effets des vapeurs
du charbon allumé » y suffirait sans doute. Mais, par le nombre, la nature et
l’importance de ses autres publications et manuscrits, il se « hisse » au
niveau des professeurs de la Faculté de médecine qu’il aurait mérité d’être. A
ce sujet, peut-être serait-il intéressant de comparer ses titres à ceux de
celui à qui il s’est opposé, le professeur Nicolas Jadelot.
Il est aussi assurément l’un des grands parmi les membres du Collège royal.
Ses actions, et les maladresses qui les ont accompagnées, sont certainement
liées à son souci personnel d’exister, mais aussi à sa volonté de promouvoir la
grandeur de la médecine nancéienne et du Collège des médecins de Nancy.