L’Hôpital Jeanne d’Arc de Dommartin-les-Toul :
de l’Armée des
Etats-Unis au Centre hospitalier régional de Nancy
Pierre LABRUDE
L’Hôpital
Jeanne d’Arc a fermé ses portes à la fin du mois de février 2011. Seuls
quelques locaux et le bâtiment à usage d’entrepôt sont encore employés
temporairement pour la conservation d’archives médicales. Pendant plus de
quarante années, Jeanne d’Arc a fait partie du « paysage hospitalier »
lorrain, comme on dit aujourd’hui, mais il est un peu plus ancien puisqu’il a
été construit pour l’Armée des Etats-Unis entre 1953 et 1960 dans le cadre de
l’OTAN, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, qui constitue la mise en
application des clauses du traité de Washington du 4 avril 1949. Ce traité a
lui-même été précédé par des accords secrets américano-français, signés peu
après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Quelles
sont donc les motivations de la présence américaine en France après la Seconde
Guerre mondiale, avant l’OTAN puis pendant les années où notre pays est
pleinement intégré dans son organisation et dans son fonctionnement ?
A
l’issue du conflit, en 1945, les Alliés s’installent en Allemagne et divisent
le pays en zones d’occupation. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se
partagent (avec la France) ce qui deviendra la RFA, cependant que l’URSS occupe
le reste. La Guerre froide survenant, les Américains se rendent compte qu’en
cas de conflit avec leur ancien allié soviétique, ils ne pourront plus utiliser
l’enclave de Brême et son port que les Anglais ont accepté de leur concéder
pour faire arriver par mer leurs approvisionnements. Aussi les USA
demandent-ils à la France l’autorisation d’y mettre sur pied une zone de
communication et de logistique partant des ports de l’Atlantique et se
dirigeant vers le Palatinat en traversant notre pays où ils pour- raient
déployer tout un ensemble de dépôts de matériels. Les négociations entamées en
1947 se concrétisent par l’accord secret du 16 avril 1948. Lorsque l’OTAN se
met en place, tout cet ensemble y est intégré, mais un nouvel accord est signé
avec la France le 6 novembre 1950 à propos de la ligne de communication. Notre
pays accueille d’autres structures, américaines, canadiennes et interalliées :
plusieurs grands commandements, et ultérieurement un ensemble de bases
aériennes et un réseau d’oléoducs.
En
cas de conflit, les troupes alliées et les approvisionnements débarqueront du
côté atlantique, cependant que les blessés venant de la zone des combats y
embarqueront sur des navires-hôpitaux à destination de l’Amérique. Des hôpitaux
sont donc nécessaires pour ces soldats blessés, cependant que les troupes
stationnées en France et leurs familles ont aussi l’usage de telles structures
en période de paix, ne serait-ce que d’infirmeries et de maternités.
La
« ligne de communication » ou Communication Zone ou ComZ
se déploie en France sur un itinéraire qui n’est pas fondamentalement
différent de celui de 1917-1918, sauf à son extrémité Est. Aussi les Américains
demandent-ils la réaffectation de nombreux sites qu’ils avaient utilisés à ce
moment. La France y répond favorablement ou non selon ses disponibilités et ses
intérêts. Pour les hôpitaux, les Américains utilisent tout d’abord des
bâtiments existants qu’ils transforment rapide- ment et très remarquablement,
puis ils entreprennent avec la France et l’OTAN la construction d’un ensemble
d’une douzaine d’hôpitaux neufs réalisés sur un modèle standardisé de l’US Army, possédant une grande adaptabilité au terrain et dont
la modularité permet une grande variabilité de la capacité d’hospitalisation.
Pour sa part, l’US Army Air Force n’a bénéficié - en dépit de son désir - que d’un seul hôpital «
en ville », à Evreux, et d’hôpitaux de diverses dimensions sur ses bases
aériennes.
Quatre
hôpitaux sont prévus dans le Grand-Est dont un près de Nancy et de Toul. Or
Toul dispose de nombreuses casernes et a constitué un très important complexe
hospitalier militaire américain à la fin de la Première Guerre mondiale. De
plus, et pour sa part, le quartier de cavalerie Jeanne d’Arc situé au
bord de la route nationale 4 à Dommartin-les-Toul a
servi d’hôpital complémentaire en 1939-1940. Dans un premier temps, lorsqu’ils
prennent possession des terrains et bâtiments militaires toulois en 1953, les
Américains installent leurs services hospitaliers dans les emprises des
quartiers Luxembourg et Jeanne d’Arc à Dommartin-les-Toul.
Différents sites sont envisagés pour la construction d’un hôpital. Finalement,
après l’expropriation d’une cinquantaine d’hectares à côté du quartier Jeanne
d’Arc, l’aménagement du sol et la construction de l’ensemble hospitalier,
d’abord de 500 lits, puis de 1000 lits, sont entrepris en 1953 sur le terrain
d’environ 53 ha ainsi constitué, dont les Américains reçoivent la jouissance en
août 1952.
L’hôpital
Jeanne d’Arc, du nom du quartier français, qui est conservé par les
Américains, est construit par l’entreprise Chambert
de Nancy pour le gros œuvre, avec de multiples entreprises françaises et les
services américains, en particulier du Génie. Le plan et la capacité sont
similaires à ceux de presque tous ses homo- logues construits dans notre pays
au même moment. Seuls diffère l’emplacement des bâtiments annexes (« hôtel », château
d’eau, station d’épuration, ateliers, entrepôt, garages) et la nature des
installations sportives et de détente.
L’hôpital
est construit « autour » de deux couloirs perpendiculaires, l’un « allant » des
bâtiments administratifs et d’admission aux ensembles de cuisine et de
restauration, l’autre « voyant » s’embrancher sur lui de part et d’autre, le
bâtiment des salles d’opération et des services médico-techniques
et tous les bâtiments d’hospitalisation. Ces derniers correspondent
approximativement chacun à cent lits. De vastes parkings destinés entre autres
aux autocars de transport des malades et blessés, et une plateforme pour
hélicoptère complètent l’ensemble qui est parcouru de routes goudronnées,
environné de bornes d’incendie, de haut-parleurs et d’un système d’éclairage,
et complètement clôturé avec plusieurs portails. Les derniers travaux de
l’ensemble toulois ont lieu en 1960 et concernent des garages pour les unités
du Train qui occupent le reste de l’emprise. Comme un tel hôpital n’est pas très
utilisé en temps de paix, il n’est pas terminé à l’intérieur et sert
essentielle- ment de dispensaire, de maternité, d’école et de lycée, de
casernement, voire de siège d’état-major. Des plans montrent un projet
d’agrandissement accroissant d’environ 50% le nombre de lits. Il ne sera pas
réalisé.
En
1965, Jeanne d’Arc Facility Toul abrite une structure proche d’un
état-major, le 60th General Dispensary, trois
unités du Train et une importante structure scolaire dont la partie « lycée » a
été ouverte en septembre 1962 à la suite du renforcement des moyens américains
consécutif à la « Crise de Berlin ». L’ensemble scolaire ferme à la fin des
enseignements de l’année 1965-1966. Sur le site, à peu près tous les anciens
bâtiments français ont été détruits, et l’ensemble comprend 31 bâtiments bâtis
sur 28.347 m2. Jeanne d’Arc a coûté presque 5.900.000 dollars.
Au
cours de ces années, tant les Etats-Unis que la France savent que la situation
créée en 1948-1950 ne se prolongera pas. Des annonces de changements sont
faites en 1965 par le gouvernement français, d’autres sont prévues pour l’année
1966. Le 21 février 1966, au cours d’une conférence de presse, le général de
Gaulle indique sa décision de retirer la France des commandements intégrés de
l’OTAN. Toutes les structures militaires étrangères doivent avoir quitté le
territoire français, et les installations avoir été rendues à la France, pour
le 1er avril 1967. Les Américains commencent leur retrait dès cette annonce.
Dans l’ensemble, les installations seront restituées dans les délais, sauf
celles à usage scolaire qui ne seront transférées qu’en juin afin que l’année
scolaire des écoliers et lycéens américains puisse se terminer normalement.
Dès
cette annonce, les services du Premier ministre et les préfectures
entreprennent de trouver des réemplois pour toutes ces installations très
récentes ou qui ont été profondément rénovées. Il est décidé que les hôpitaux
ne seront pas démantelés par les Américains, c’est-à-dire privés par eux -
comme ils peuvent le faire - des installations qui se démontent (chauffage et
installations sanitaires en particulier) en vue de leur usage par la France qui
a de grands besoins hospitaliers.
Il
est donc décidé presque immédiatement que l’hôpital Jeanne d’Arc entrera
dans le patrimoine du Centre hospitalier régional de Nancy, et une première
visite y est faite par ses représentants le 18 février 1967. L’opération doit
se dérouler en deux temps : achat direct aux Américains des installations
démontables et achat au ministère des Affaires sociales de l’ensemble des
terrains et des immeubles qui lui ont été transférés par le ministère des
Armées via l’administration des Domaines. La première opération est
relativement facile et rapide, l’accord se faisant finalement sur un montant
égal à la moitié de la valeur estimée par les Etats-Unis, soit 2.227.500
francs. Elle a lieu au moment du transfert de l’hôpital à la France en juin
1967. La seconde est longue pour des raisons qui restent inconnues et qui ne
sont pas essentiellement liées à des difficultés d’accord sur le prix d’achat
fixé par le ministère des Finances. Toujours est-il cependant que le prix de
cession de 5.826.000 francs n’est accepté par les Finances qu’en octobre 1968.
De plus et en même temps, le transfert des responsabilités entre le ministère
des Armées (M. Messmer) et l’administration des Domaines est d’une grande
lenteur, ce qui conduit M. Messmer à autoriser directement le CHR à prendre
possession de l’hôpital et des terrains le 15 janvier 1969. Une année et demie
s’est déjà écoulée depuis le départ des Américains et
la remise des bâtiments à la France le 16 juin 1967. Si l’ensemble est en assez
bon état, les toitures très peu pentues posent déjà de sérieux problèmes
d’étanchéité…
Néanmoins,
depuis l’annonce de la dévolution de l’hôpital à son profit, le CHR réfléchit
aux modalités de son intégration à son patrimoine et de son emploi optimal. Il
est d’abord envisagé d’installer à Jeanne d’Arc des malades chroniques
et convalescents ainsi qu’un hospice. L’idée est rapidement abandonnée et il
est décidé d’en faire un hôpital complet avec des services spécifiques
utilisant l’intégralité de la place existante, soit l’équivalent des mille
lits. Les bâtiments ont été trouvés vides de tout matériel médico-chirurgical
et pharmaceutique et non terminés (murs non plâtrés, etc.). Après des
hésitations bien compréhensibles sur la nature des services et sur le nombre
total des lits à implanter, plusieurs projets (service de contagieux, école
d’infirmières, accueil d’une partie de l’hôpital de Toul) ayant été abandonnés,
l’attribution de subventions d’aménagement ayant été obtenue en 1969, le
Conseil d’administration et les instances dirigeantes du CHR, avec l’appui,
mais aussi les directives, des services régionaux et du ministère, décident au
cours de cette année 1969 de la spécialité des services qui seront installés à Dommartin et des emplois qui y seront créés et affectés.
Ces décisions conditionnent la nature des différents travaux à effectuer en
plus de ceux qui permettent de terminer la construction... Il s’agit de deux
services spécialisés de médecine, d’un service de psychiatrie et d’un de
chirurgie, auxquels sont associés les services médico-techniques,
administratifs et techniques nécessaires au fonctionnement quotidien d’un hôpital
d’un peu plus de 400 lits correspondant, au moment de l’ouverture, à 205
malades « actifs », 79 convalescents et 121 chroniques.
Les
travaux à réaliser sont considérables, coûteux et longs, et nécessitent le
recours à un grand nombre d’entreprises, si bien que la réception des travaux
n’intervient que les 10 et 11 février 1970, et que le premier malade n’est
admis que le 6 avril dans le service de cardiologie. En fin d’année est décidée
une importante extension du service de psychiatrie, et cette décision marque la
fin de la longue « gestation » de l’Hôpital Jeanne d’Arc au sein du CHR
de Nancy.
Au
fil des années, des modifications ont bien sûr lieu dans l’organisation des
services et des locaux, mais l’ensemble reste cependant très proche de la
disposition qui lui a été donnée par les Américains, cependant que les services
présents au moment de la décision de fermer l’hôpital à terme, sont les mêmes
que ceux créés en 1969-1970. Cette décision est annoncée le 21 décembre 2006,
et, au début de l’année 2007, si le nombre de lits a déjà beaucoup diminué,
près de 500 personnes sont encore au service des malades à Dommartin.
Le CHR a décidé de regrouper ses services sur deux pôles : l’Hôpital central en
ville de Nancy et le CHU de Brabois à Vandoeuvre-les-Nancy, dans les bâtiments hospitaliers neufs
ou rénovés. Les services déménagent peu à peu vers ces infrastructures
cependant que le site subit de profondes modifications avec la création d’une
zone commerciale et d’un grand supermarché. Ces constructions conduisent à la
disparition totale des derniers restes de l’ancien quartier de cavalerie
français et des installations non hospitalières qui y ont été créées par les
Américains.
En
conclusion, conçu comme un hôpital d’urgence pour l’US Army
dans le cadre de l’OTAN au début de la décennie 1950-1960, « terminé mais
non achevé », programmé pour une durée de vie de quelques décennies mais en
réalité construit avec des matériaux et des procédés lui conférant une
longévité d’au moins cinquante ans, ayant servi à divers usages militaires mais
très peu en tant qu’hôpital, Jeanne d’Arc est presque neuf et très
moderne au moment où le CHR en devient propriétaire. Son acquisition, très
facile d’un point de vue politique, est longue et compliquée en pratique et
n’est effective que dix-huit mois après sa remise à la France.
Acheté
pour permettre au CHR de mener diverses opérations sur ses sites du
centre-ville et de Brabois, Jeanne d’Arc ne
doit initialement servir que pendant un nombre d’années limité. La réalité
dépasse les projets initiaux, et l’hôpital est pendant quatre décennies un
établissement hospitalier à part entière du CHR, et, en dépit de son âge et de
l’entretien limité qui lui est affecté à la fin de sa vie active, il a toujours
belle allure et est très apprécié de ses usagers, malades et personnels
hospitaliers. Il aurait encore pu servir un certain temps. Son éloignement de
Nancy lui a été reproché et constitue, avec son « âge », une des raisons de sa
disparition.
Jeanne
d’Arc étant
parvenu au terme de sa vie active au début de l’année 2011, il demeurera dans
l’histoire du CHR de Nancy et dans nos souvenirs, comme un hôpital à part
entière, comme un établissement dont le rôle aura été important et n’aura rien
eu à envier à ses homologues. Enfin, au cours de ses dernières années, il était
le seul ancien hôpital militaire américain de la période d’intégration à l’OTAN
à n’avoir pas subi de modification importante ni de démolition, à avoir
toujours été utilisé intégralement en tant qu’hôpital et à donner une idée de
ce que pouvait être autour de 1960 un hôpital militaire américain dans notre
pays.