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Jehan (Jean) MOUSIN (1573-1645)

 

son Discours de l'yvresse et yvrongnerie...

 

et son Hortus iatrophysicus...

 

Pierre LABRUDE et Jean FLOQUET

 

 

Les importantes manifestations historiques et culturelles qui ont eu lieu au cours de l'année 2013 à propos de la Renaissance en Lorraine ont été l'occasion pour notre musée de prêter des œuvres, et pour ses animateurs de rédiger des notices pour les catalogues des expositions qui se sont tenues dans les musées de Nancy et de Toul. Parmi les médecins qui ont ainsi été cités, figure Jean (ou Jehan) Mousin, que nous connaissons peu, et à qui cette note est donc consacrée.

 

Jean Mousin naît en 15731 à Nancy dans une famille suffisamment fortunée et cultivée pour lui assurer une éducation et une formation intellectuelle nourrie par des séjours dans diverses universités et enrichie par des voyages en Europe. Après avoir appris la philosophie et la littérature à l'université de Cologne, il étudie la médecine à Paris, puis il parcourt notre pays, les états d'Allemagne, l'Espagne et l'Italie où il suit les cours des universités. C'est à Padoue qu'il obtient le bonnet de docteur. Passionné par l'étude, il se livre assidûment à celle des mathématiques et, en médecine, à celle des ouvrages des médecins grecs.

 

A l'issue de ce périple, il revient en Lorraine où Charles III fait de lui l'un de ses médecins. Il devient donc "conseiller médecin de Son Altesse". Manifestant, dans l'exercice de cette importante fonction, le vif désir que l'exercice de la médecine et de la pharmacie soit assuré par des praticiens compétents et honnêtes, il dénonce les abus commis, parfois avec l'appui des magistrats, par les médecins qui flattent leurs malades au lieu de chercher à les guérir, en vue d'entretenir leur clientèle, mais aussi par les charlatans et les vendeurs d'orviétan et de mithridate. Ceci lui vaut bien sûr de se faire de nombreux ennemis. Il se moque aussi des astrologues et réfute le péripatétisme.

 

Il est anobli par le duc Henri II le 8 novembre 1608 en même temps que son frère Pierre, conseiller et auditeur de la Chambre des comptes de Bar. Les lettres du duc au comte de Tornielle, destinées à l'enregistrement de cet anoblissement, datent du 5 janvier 1609. Mais Jean Mousin a été touché par les attaques dont il est l'objet et il se retire bientôt dans la propriété qu'il a fait bâtir à Buthegnémont2, "qui jouit d'une vue charmante sur une petite montagne située au couchant de Nancy et qui n'en est éloignée que d'une demi lieue", où il vit heureux tout en se consacrant jusqu'à son décès, survenu en 1645, à l'étude de l'histoire naturelle et à la pratique de la médecine "libérale". Dans sa Bibliothèque lorraine, Dom Calmet cite des consultations datées de 1665 dans lesquelles il conseille les eaux de Plombières et la manière de les prendre. Ceci n'est pas possible si sa mort est intervenue en 1645, ce qui est classiquement admis. Il y a donc là une erreur de date ou une fausse attribution, la consultation citée ayant pu être effectuée par l'un de ses fils, Henry ou Jacques, qui sont tous les deux médecins.      

 

Jean Mousin épouse Marthe Caboche le 19 mars 1609. Elle est peut-être la fille de Jean Caboche, valet de chambre de Henri II, anobli le 12 mars 1582 et conseiller d'Etat en 1609, et de son épouse Catherine Fusy. Sinon elle appartient certainement à sa parenté. Le couple a au moins six enfants, dont les deux fils médecins précités. L'aîné de ces fils, Henry, a été successivement l'époux de Madeleine Genet, fille de noble Albert Genet, puis d'Anne de Beuviller, noble également. Pour sa part, Jacques a épousé Jeanne Barbe d'Immersel, fille de Jean d'Immersel, trésorier de la duchesse de Lorraine. Il est, comme son père, conseiller et médecin ordinaire de Son Altesse, et il reçoit du duc Charles IV, signée du 28 novembre 1662 à Mirecourt, "patente de l'état de doyen, premier professeur et lecteur à la Faculté de médecine de l'université de Pont-à-Mousson", "vacant par suite du décès du Sieur de Champé3, dernier possesseur d'icelle". Toutefois, selon M. Grignon, il n'a pas exercé ces fonctions. Jacques Mousin est cité également avec les titres de conseiller d'Etat et de Premier médecin de Son Altesse Charles IV. Dans les Archives de Nancy..., Lepage cite un autre fils, Nicolas, né en 1604.

 

Jean Mousin est l'auteur de deux ouvrages. Le premier, le célèbre Discours de l'yvresse et yvrongnerie..., paraît en français et au format in-8°, à Toul en 1612 chez l'imprimeur-éditeur juré Sébastien Philippe. A cette occasion, le gruyer d'Arches, entre Remiremont et Epinal, reçoit du duc l'ordre de fournir à Mousin treize balles de papier pour faire imprimer son livre. Le papier est une spécialité d'Arches où le premier moulin à papier, l'un des plus anciens, a été créé en 1492.

 

L'ouvrage a pour titre complet : Discours de l'yvresse et yvrongnerie, auquel les causes, nature, et effects de l'yvresse sont amplement deduicts avec la guerison et preservation d'icelle Ensemble la maniere de carousser4 et les combats bachiques des anciens yvrognes. Le tout pour le contentement des curieux. Riche de 390 pages réparties en soixante-sept chapitres qui sont donc très courts et dont deux comportent des "problèmes", c'est-à-dire des questions posées au lecteur (dix-huit en tout), cet ouvrage se présente comme une sorte de manuel ou de vade-mecum dans lequel l'intitulé des chapitres se lit comme une question ou une réponse.

 

Quelques exemples méritent d'illustrer cette assertion : "Que le vin est un aliment vrayment salutaire et médicamenteux", "Comment se fait l'yvresse", "D'où vient que quelcuns se desennyvrent en buvant", "Si le vin exite la luxure", "Que l'yvresse a été familière à toutes nations", "Que les femmes n'ont pas été exemptes de vice d'yvrognerie", "Comment il se faut preserver de l'yvresse", "Si le vin blanc enyvre plus que le rouge", "Guerison de l'yvresse", "Des vins mixtionnez de plastre, ou resine, ou poix, ou chaux"5. Le Discours est donc consacré à la "physiologie" de l'ivresse et aux manières de s'en protéger. Celles-ci sont inattendues et, bien sûr, en relation avec les connaissances et croyances de l'époque, comme consommer préventivement du poumon de mouton rôti, ou boire dans un verre banal plutôt que dans de la riche vaisselle...  Au début de l'ouvrage figure une ode, dédiée à son auteur par Christophe Cachet, médecin à la cour ducale comme Mousin.

 

L'ouvrage est traduit en latin par Christophe Cachet et réalisé chez le même éditeur, Sébastien Philippe à Toul, en 1614 au format in-12°, avec pour titre Pandora bacchica furens, medicis armis oppugnata.... Dans cette traduction, et contrairement à ce qui est annoncé dans le frontispice, le texte n'a pas été enrichi. Peut-être s'agissait-il d'un projet qui n'a pas été suivi d'effet, à moins que cette annonce n'ait constitué une sorte de "publicité mensongère" imaginée par Philippe.

 

Le second ouvrage, en latin, intitulé Hortus iatrophysicus. Ex quo immensam exoticorum florum sylvam cuivis decerpere licet. Opus delectabilis novitate jucundum pariter, ac studiosa lectione utile, paraît à Nancy en 1632 chez Antoine Charlot. C'est une épitre dédicatoire au duc Charles IV. Consacré à des questions d'hygiène et de "santé publique", il est présenté, dans un esprit proche du précédent, comme un recueil de dialogues. Il débute par une correspondance louangeuse de Charles Le Pois, doyen de la Faculté de médecine de Pont-à-Mousson, à Jean Mousin dont il est l'ami, et qui incite ce dernier à poursuivre ses études des mathématiques. L'ouvrage, de 444 pages, est une suite de seize dialogues entre des personnages dont certains sont supposés représenter ses confrères. Ils concluent, le premier que "la joie et la gaité sont plus puissantes que tous les remèdes", le second qu'il en est de même pour les "effets de l'air", le troisième que "les aliments tirés du règne végétal sont plus salutaires que ceux du règne animal". Enfin, le dixième dialogue indique que la médecine ne peut tirer aucun secours de la "physique péripatéticienne et scolastique" et le douzième que "le fœtus de huit mois peut vivre". 

 

 

"Crédit Bibliothèque Médiathèque Nancy"

 

 

1. La date est imprécise : le 19 janvier pour certains auteurs et le 29 novembre pour d'autres...

2. Le lieu-dit Buthegnémont, encore écrit Bethlemont, Bathemont et Buttenoment, qui rappelle l'existence d'une butte, est attesté depuis le XIVe siècle. Une maison y est construite à la fin du XVIe siècle, à laquelle s'adjoignent diverses dépendances (château, chapelle et puits). Un bon air régnait sur cette butte quelque peu éloignée de Nancy, et pour cette raison on y relégua des pestiférés pendant l'épidémie de 1630. C'est de ces hauteurs que les troupes françaises ont bombardé Nancy en 1633, ce qui devait conduire à la prise de la ville et à l'abdication du duc Charles IV. Beaucoup plus tard, en 1756, la propriété a été érigée en fief par Stanislas en faveur du procureur général de Lorraine Claude-François Toustain de Viray qui, étant entré peu après en conflit avec le chancelier de la Galaizière, fut proscrit et mourut l'année suivante dans une autre de ses propriétés. Le domaine est occupé aujourd'hui par l'ancien couvent des Carmélites et par des habitations, dont le lotissement "de Viray".

3. Il s'agit du doyen Charles Le Pois, sieur de Champé, aujourd'hui Champey-sur-Moselle, à quelques kilomètres au nord de Pont-à-Mousson.

4. "Carousser" ou "faire carous" signifie festoyer, mais aussi boire excessivement.

5. Il s'agit de traitements destinés à remédier à certaines défectuosités des vins et à en améliorer la qualité.

 

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Compléments par Jacqueline CAROLUS-CURIEN

 

Dans cette lettre du Musée, l’article consacré à Jehan Mousin était d’un grand intérêt. Les auteurs citent son fils Jacques, nommé par le duc Charles IV, en 1662, « Premier professeur et lecteur de notre université de Pont » et doyen, « la charge de doyen étant vacante depuis le décès du sieur de Champé ». Il faut préciser que les professeurs en place à l’époque, Marc Barrot et Christophe Pillement, s’étant opposés formellement à cette nomination, Jacques Mousin a eu l’intelligence de ne pas s’imposer.

 

Cette récompense était pourtant amplement méritée ! Fidèle premier médecin du duc, il avait subi, aux côtés de son maître, une longue captivité. Charles IV, perpétuellement en campagnes, uni aux Espagnols contre la France, ayant perdu l'estime de ses alliés et ayant par sa légèreté, sa mauvaise foi, ses négociations sans cesse renouvelées avec la France, lassé la patience des généraux espagnols, fut arrêté à Bruxelles le 25 février 1654 et transféré à Tolède, où il fut séquestré plus de cinq ans. La plupart de ses gens, qui l’avaient suivi en captivité (conseillers, valets de chambre et même son chirurgien François Charles), ont été renvoyés. Seul Jacques Mousin est resté près de lui, à l’Alcazar de Tolède, durant ces cinq ans. Il était donc normal qu’il reçoive des récompenses : ce fut d’abord une pension annuelle de deux mille francs pour « services rendus depuis treize ans, y compris pendant notre séjour en Espagne où il nous a servi, non seulement pour les devoirs de sa charge, mais aussi en défaut de nos autres domestiques qui nous avaient été ostés ». Dans un premier temps, en 1662, le duc lui octroya le pressoir de Bar, puis le 28 novembre, le nomma « Premier professeur et lecteur de notre université de Pont » et « la charge de doyen… », poste qu’il n’accepta pas. Plus tard, en 1670, Jacques Mousin recevra la seigneurie de Ligéville, dont il jouira peu, puisqu’il meurt en 1679.