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Nicolas BLONDLOT (1808-1877), professeur de chimie, pharmacie et toxicologie

 

Pierre LABRUDE

 

Bien qu'un tableau représentant Nicolas Blondlot orne actuellement une des salles des thèses de la Faculté, ce professeur semble bien oublié aujourd'hui, d'autant plus qu'en dépit des discours prononcés au moment de ses obsèques et publiés dans la Revue médicale de l'Est, il ne semble pas avoir fait l'objet d'un éloge par le doyen de l'époque. C'est ainsi que notre collègue le Professeur Legras n'a pu lui consacrer que quelques lignes dans ses ouvrages. Ces quelques pages sur la vie et l'œuvre du Professeur Blondlot répareront cette lacune.

 

Les origines familiales et les premières années

 

Nicolas Blondlot naît à Charmes (Vosges) le 4 février 1808. Il est le fils de Jean Baptiste Blondlot, tanneur, et de son épouse Anne Louise Toussaint, qui se sont mariés dans la cité le 29 avril 1807. Jean Baptiste Blondlot, né le 24 juin 1781 à Lorquin (aujourd'hui dans le département de la Moselle), où le nom existe encore, est le fils de Martin Blondlot et d'Anne Elisabeth Jeannequin (ou Jannequin). Anne Louise Toussaint, née à Charmes le 19 août 1785, est la fille de Nicolas Toussaint et de Françoise Mosson.

 

A l'issue de ses études primaires et secondaires, il décide de devenir médecin et il s'inscrit à l'Ecole secondaire de médecine de Nancy. Pour y être admis, les postulants doivent être âgés de seize ans, disposer d'une autorisation parentale s'ils sont mineurs et de plusieurs certificats de bonne conduite, savoir lire et écrire correctement en français, expliquer "au moins les auteurs latins que l'on voit en troisième" et posséder les quatre règles de l'arithmétique. Le recteur leur fait passer un examen d'admission, et ils doivent être présentés par un "répondant" résidant à Nancy. Nicolas prend sa première inscription trimestrielle le 10 novembre 1825 et sa septième et dernière le 9 avril 1827. S'il était resté dans notre cité, la huitième aurait dû être prise vers le 10 juillet. Il quitte donc Nancy pour la rentrée du semestre d'hiver 1827. Le 13 avril 1827, il a été nommé aide d'opérations chirurgicales, ce qui montre sa vocation déjà dessinée pour la chirurgie.

   

Il poursuit ses études à la Faculté de médecine de Paris où il reçoit le premier second prix (médaille d'argent et livres) de l'Ecole pratique où les enseignements durent trois années et où seuls les meilleurs étudiants sont admis. Il est aussi reçu major au prestigieux concours de l'Internat des Hôpitaux en 1828. Il fréquente le service du célèbre professeur Dupuytren à l'Hôtel-Dieu, où il est Premier interne et se destine à la chirurgie. A l'issue d'un bref séjour dans les Vosges pendant l'épidémie de choléra de 1832, il retourne à Paris où il soutient sa thèse, consacrée à la "fistule lacrymale", le 6 juin 1833. Il revient alors en Lorraine et se fixe à Nancy.

 

Le retour en Lorraine et le professorat à Nancy

 

Blondlot souhaite s'installer à Nancy en qualité de chirurgien, mais, constatant les difficultés qu'il rencontrera dans cette spécialité, il se tourne vers l'enseignement. Il va cependant être pendant trente ans et à titre gracieux le chirurgien ordinaire de l'Hospice des orphelins. Il entre à l'Ecole secondaire de médecine en octobre 1835 à l'occasion d'un concours de recrutement de professeurs suppléants et devient le collaborateur du professeur Charles-Nicolas Alexandre de Haldat du Lys, titulaire de la chaire de physiologie, hygiène, chimie, matière médicale et histoire naturelle, et en même temps directeur de l'établissement.

 

Le 17 octobre 1843, une ordonnance transforme l'Ecole secondaire en Ecole préparatoire de médecine et de pharmacie, avec six chaires au lieu de quatre. Blondlot est nommé professeur adjoint de pathologie interne le 20 octobre. Mais De Haldat prend sa retraite, ce qui fait que le 1er novembre, Blondlot est nommé professeur titulaire de la chaire de chimie et pharmacie, concernée par les enseignements destinés aux élèves en médecine, mais aussi en pharmacie. Au cours de cette année, il assure également l'enseignement de pathologie interne ou médicale. En 1854, la chaire est dédoublée, et celle que conserve Blondlot, qui occupe le huitième rang, s'intitule "pharmacie et notions de toxicologie". Cet intitulé reste inchangé jusqu'au 1er octobre 1872, jour où prend effet le transfèrement de la Faculté de médecine de Strasbourg à Nancy. Toutefois, on lit souvent qu'il est "professeur de chimie et pharmacie", ou encore "professeur de chimie et toxicologie".

 

La Guerre de 1870 a en effet d'importantes conséquences pour le Professeur Blondlot. Aux dires de son collègue Parisot à ses obsèques, sa notoriété avait conduit un ministre de l'Instruction publique à lui promettre une chaire dans une faculté. C'est à Nancy que cette promesse se réalise car il est nommé professeur de chimie médicale et toxicologie à la Faculté qui s'installe. Il siège au jury médical du département qui, en dehors des réceptions des officiers de santé, a aussi la charge d'examiner diverses préparations avant leur commercialisation, par exemple les cosmétiques, et également de visiter et de contrôler les pharmacies, les drogueries et les épiceries. C'est en cette même qualité de chimiste qu'il appartient au Conseil central d'hygiène publique et de salubrité du département.

 

Nicolas Blondlot meurt à Nancy le 7 janvier 1877 à l'issue d'une assez longue maladie au cours de laquelle il a fréquenté la faculté et l'amphithéâtre aussi longtemps que possible. Ses obsèques, officielles comme c'est alors l'usage et en raison de son appartenance à l'Ordre de la Légion d'honneur, ont lieu le 9 en présence des autorités et des professeurs de l'université dont quatre tiennent les cordons du poêle.

 

L'oeuvre scientifique : physiologie, chimie et toxicologie

 

Nicolas Blondlot exerce son talent de chercheur dans trois domaines : la physiologie qu'on peut aussi qualifier ici de chimie physiologique, la chimie et la toxicologie.

 

Son premier thème de recherche est l'étude des mécanismes de la digestion, qui se rapporte à la physiologie et à la chimie. Afin de pouvoir observer le fonctionnement de l'estomac puis de l'intestin et de ses sécrétions, et de pratiquer sur des animaux vivants comme le chien, Blondlot met à profit ses connaissances chirurgicales pour inventer et mettre au point les fistules gastriques et biliaires artificielles. D'autres animaux font aussi l'objet de ses observations. Les résultats accumulés au fil des années lui permettent en 1843 de publier à Nancy un "Traité analytique de la digestion considérée particulièrement dans l'homme et dans les animaux vertébrés". C'est le plus important de ses nombreux travaux, et il lui vaut le titre de lauréat de l'Institut l'année suivante, mais aussi celui de lauréat de la Société royale des sciences, lettres et arts de Nancy, qui l'accueille parmi ses membres.

 

Il porte un grand intérêt aux mécanismes chimiques de la digestion, et à leurs intermédiaires que l'on ne connaît encore pas et qui sont les enzymes des diverses sécrétions des organes digestifs. La digestion des graisses et le rôle de la bile attirent son attention et il en tire la conclusion qu'en l'absence de bile, peu de matières grasses sont absorbées par l'intestin. Quelques titres de publications attestent de ces recherches : "Sur l'origine du sucre de lait, Essai sur les fonctions du foie et de ses annexes (Masson, 1846), Nouvelles recherches chimiques sur la nature et l'origine du principe acide qui domine dans le suc gastrique, Inutilité de la bile dans la digestion proprement dite, Recherches sur la digestion des matières amylacées, Recherches sur la digestion des matières grasses... (doctorat ès sciences, Paris, 1855), Sur la manière d'agir du suc gastrique, Sur quelques perfectionnements à apporter dans l'établissement des fistules gastriques artificielles, Recherche sur la fermentation alcoolique du sucre de lait". Tous ces titres correspondent aux questions auxquelles il tente de répondre par une théorie sur la division et l'absorption des matières alimentaires, avec des volets plus fondamentaux comme "l'antagonisme foie-poumons". Grâce aux fistules qu'il crée chez les animaux, Blondlot détermine la durée de la digestion des différents aliments, observe l'indigestibilité du mucus, étudie l'acide gastrique, estime que la bile n'est pas indispensable pour la digestion proprement dite.

 

A partir de 1855, il s'intéresse beaucoup à la chimie toxicologique, et il publie souvent dans cette discipline : "Recherches médico-légales sur l'arsenic, Problème de la destruction des matières organiques par l'acide sulfurique..., Sur la recherche de l'arsenic par la méthode de Marsh, Influence des corps gras sur la solubilité de l'acide arsénieux, Sur la recherche toxicologique du phosphore par la coloration de la flamme, Recherche toxicologique sur la transformation de l'arsenic en hydrure solide par l'hydrogène naissant..., Sur le dosage de l'antimoine dans les analyses et dans les recherches toxicologiques", etc. Ce n'est toutefois pas une réorientation car il s'est intéressé à la recherche de l'arsenic dès 1845 : "Nouveaux perfectionnements à la méthode de Marsh, pour la recherche chimico-légale de l'arsenic". L'arsenic est en effet un poison très classiquement employé à ce moment, comme la célèbre affaire Lafarge en avait été une illustration.

 

Le phosphore est enfin un thème important de recherche pour ses dernières années d'activité. Elément chimique dangereux, il conduit à une série de publications entre 1865 et 1874 : "Recherches sur le phosphore noir, Remarques sur la pulvérisation du phosphore, Sur la cristallisation du phosphore, Sur l'absorption du phosphore, Nouvelles recherches sur le phosphore noir". Le futur agrégé Rodolphe Engel travaille avec lui sur la cristallisation du phosphore et présente en leurs deux noms une communication portant ce titre à la séance de la Société des sciences de Nancy du 18 janvier 1875.

 

Avec Blondlot, la physiologie et la chimie sont des sciences auxiliaires de la justice. N'oubliant pas qu'il est médecin et toxicologue, il préconise le microscope pour la recherche des taches de sang. Il ne perd pas de vue qu'il appartient au Conseil central d'hygiène publique et de salubrité, et certains de ses travaux sont réalisés dans le cadre des questions qui lui sont posées, comme nous le verrons plus loin. D'autres relèvent de la chimie analytique : "Note sur une modification à la pipette graduée de Mohr", ou de la chimie industrielle : "Note sur une particularité relative à la trempe de l'acier et de la fonte de fer". Il y a enfin des travaux de chimie pure, comme certains de ceux portant sur le phosphore, qui concernent aussi la toxicologie.

 

En dépit d'une apparence qui peut donner un sentiment de confusion ou d'incohérence, l'oeuvre scientifique de Nicolas Blondlot est d'une grande homogénéité puisqu'elle s'appuie sur quelques mots-clés qui restent valables pendant trois décennies et qui possèdent des implications réciproques : physiologie, chimie, toxicologie, hygiène. Nombre de ses publications concernent deux d'entre eux : physiologie et chimie, physiologie et toxicologie, chimie et toxicologie, et même trois : hydrologie, chimie et hygiène.   

 

Beaucoup de ces travaux sont présentés aux séances de la Société royale des sciences, lettres et arts, et ils figurent dans ses Mémoires et dans sa Table alphabétique. Au total, de 1844 à 1874, soit en trente années, j'y ai relevé vingt-neuf communications que j'ai pu classer sous quatre thèmes, avec tout l'arbitraire que cela représente et les nombreuses interactions entre ces thèmes : la physiologie de la digestion : 7 ; la chimie : 14 ; la toxicologie : 5 ; l'hydrologie : 2. Un nombre significatif de résultats est également présenté au Journal de pharmacie et de chimie : vingt au total dont beaucoup sont une reprise  comme cela est classique à ce moment. Neuf des dix derniers sont consacrés au phosphore, ce qui montre l'intérêt que Blondlot porte à ce produit.

 

Les distinctions et les prix, la participation aux sociétés savantes

 

Officier de l'Instruction publique, Nicolas Blondlot est nommé chevalier de la Légion d'honneur le 13 août 1861. Déjà lauréat de l'Institut depuis 1844, il est en 1870 l'un des lauréats du Prix Montyon de l'Académie des sciences, qui est un prix de médecine et de chirurgie, "pour une série de mémoires concernant des questions litigieuses de médecine, de chimie toxicologique et de physiologie". Il est aussi élu membre associé national de l'Académie impériale de médecine, dans la section de physique et chimie médicales, le 18 avril 1865. Cette élection est, avec le prix Montyon, l'une des plus belles récompenses  consacrant son long et consciencieux travail.

 

Blondlot a été assez rapidement élu à la Société royale des sciences, lettres et arts de Nancy, devenue Académie de Stanislas en 1850. A la fin de l'année 1843, il lui a fait hommage de son "Traité analytique de la digestion..." et sollicité son admission. Il est élu membre titulaire le 4 janvier 1844. Académicien fidèle, il présente en séance un grand nombre de communications, réservant souvent à la compagnie la primeur de ses résultats. Une telle fidélité, qui signe aussi à coup sûr une présence soutenue aux séances, trouve son aboutissement dans son élection à la fonction présidentielle, traditionnellement précédée de la vice-présidence, respectivement pour les années 1852 et 1853. 

 

Blondlot est par ailleurs nommé membre du Conseil central d'hygiène publique et de salubrité du département le 1er décembre 1849 en qualité de chimiste, et il est régulièrement renouvelé dans ses fonctions. En 1864, il préside la commission de salubrité et, à sa mort, il est vice-président du conseil, c'est-à-dire qu'il en est le président effectif, le président réel étant le préfet ès qualité. D'après Poincaré, Blondlot a été élu à cette fonction en 1875. Sa formation, son enseignement et ses recherches rendent son expertise très pertinente. Au cours de son exercice, il est le rapporteur de nombreuses questions. Ses rapports figurent dans le dossier conservé aux Archives départementales et certains donnent lieu à publication comme : "Instruction médicale sur les précautions à prendre contre le choléra et sur les soins à donner, en l'absence de médecin, aux personnes qui en sont atteintes", et "Rapport au sujet de la pétition concernant l'établissement d'une fabrique de produits chimiques sur le territoire de Laneuveville-devant-Nancy". Quelques sujets examinés par Blondlot et indiqués ci-après, montrent la diversité des thèmes de travail dont cette assemblée est saisie : le canal Saint-Thiébaut à Nancy, un four à chaux et à coke à Tomblaine, une fabrique de sucre à Pont-à-Mousson, l'inspection des brasseries avec la présence anormale de cuivre et de plomb, la falsification du café et de la chicorée, la commercialisation d'acide sulfurique arsenical (cet acide intervient en effet dans la recherche de l'arsenic par la méthode de Marsh), la fabrique de papier peint de Nabécor à Nancy avec infiltration et empoisonnement des eaux, les eaux du sondage de l'usine à gaz de Nancy, etc.

 

La Société de médecine de Nancy est créée en 1842, mais la consultation de ses comptes rendus montre que Nicolas Blondlot n'en est pas membre fondateur, qu'il entretient avec elle des rapports discontinus et qu'il ne présente à ses séances qu'un petit nombre de communications. Il est membre de la Société centrale d'agriculture de Nancy mais il ne sollicite pas son admission à la Société des sciences lorsqu'elle s'installe à Nancy en même temps que la Faculté de médecine, peut-être en raison de son âge.

 

Conclusion

 

Ayant été l'un des rares Nancéiens à être nommé professeur titulaire à la Faculté de médecine en 1872, Nicolas Blondlot est à coup sûr un membre distingué de l'Académie de Stanislas à qui il offre la primauté de beaucoup de résultats et où il occupe le fauteuil présidentiel. Sa longue présence au Conseil d'hygiène et de salubrité constitue une marque de la considération dans laquelle il est tenu. Sa participation active dans les diverses instances dont il est membre fait de lui, plus qu'un savant, un citoyen utile, et sa carrière peut sans doute être correctement résumée par ces quatre mots : travail, savoir, rigueur et simplicité. La ville de Nancy conserve sa mémoire et celle de son fils Prosper-René par la rue et par le parc qui portent aujourd'hui leur nom.

 

 

 

Rue des Blondlot