` sommaire

UN MAIRE DE NANCY INJUSTEMENT OUBLIE

 LE DOCTEUR BARON LALLEMAND

(1743 - 1817)

par G. RICHARD

Annales Médicales de Nancy, 1966, 85-102

  

Blason et tombe (ensemble - détail) du Baron F-A Lallemand (photos de Mr. Louis Brun)

 

François-Antoine Lallemand avait vu le jour le l0 mai 1743, à Lixheim, petite bourgade lorraine.

Son père, Pierre Lallemand, avocat au Parlement, exerçait les fonctions de procureur du roi au baillage de la petite ville.

Issu d'une famille de petite bourgeoisie lorraine, Pierre Lallemand avait épousé une jeune Alsacienne, Anne Marguerite Knœffler.

Le ménage du procureur au baillage menait la vie calme, paisible et retirée de la bourgeoisie provinciale du milieu de ce XVIIIème siècle.

Deux filles étaient nées, puis un garçon, François Antoine ; le comportement du jeune Lorrain devait longtemps se ressentir de cette enfance passée dans cette bourgade en compagnie d’enfants de son âge de condition plus modeste. A leur contact, il comprend de bonne heure le malaise dont souffrent les masses populaires au cours de ce siècle où les problèmes de transformation sociale commencent à se poser ;  la tendance réformatrice ne va pas chez les Lallemand jusqu'à la révolte ; ils se bornent à espérer que le pouvoir royal saura s’adapter à une évolution indispensable. Ses études secondaires terminées, le jeune Lallemand part à Strasbourg s’inscrire à la Faculté de Médecine ; ses sœurs aînées, héritières des traditions religieuses de la famille, entrent en religion.

Pour l’étudiant, les années de faculté se passent sans incident ; un travail acharné et un esprit critique naturel, affiné par l’expérience acquise au lit du malade lui permettent de franchir rapidement les étapes des examens. Sa thèse passée, Lallemand se fixe à Nancy, comme praticien de médecine générale.

Une, certaine fermentation agite Nancy où se célèbre la réunion officielle de la Lorraine à la France ; la raison n'en est pas tant la réaction à la disparition du régime ducal, mais plutôt une tendance des jeunes intellectuels lorrains à voir s'appliquer au pays qui les accueille les doctrines politiques prônées par les philosophes élevés à l'ombre de Stanislas le Bienfaisant.

Dans les premières années qui suivent son installation, Lallemand est médecin surnuméraire de l’hôpital de Nancy. En ce temps de paix, ses occupations militaires, même doublées d’un début de clientèle ne suffisent pas à satisfaire le besoin d'action du jeune praticien. Très intéressé par les sciences naturelles en vogue à cette époque et particulièrement à la botanique, il accepte de diriger le jardin botanique récemment créé par Bagard.

D’autre part, sa clientèle privée s’étant développée, Lallemand abandonne ses fonctions militaires pour se consacrer à ses malades civils, de plus en plus nombreux. 

Dans le dernier quart du XVIIIB siècle, Nancy fait vraiment figure de capitale provinciale; grâce à Stanislas, une impulsion importante a été donnée aux lettres, aux sciences et aux arts ; à Nancy même, il y a des artistes de qualité, des sculpteurs comme Clodion et Dominique Labroise; des architectes comme Mique, des peintres dont le paysagiste J.B. Claudot, le portraitiste Ducreux, élève de Latour ; les savants lorrains honorent leur nouvelle patrie, tels le célèbre astronome Messier, François Nicolas et Nicolas Saucerotte, qui enseigne les sciences naturelles à la Faculté de Médecine de Nancy; le médecin Jadelot, qui fit une brillante carrière à Paris. Les lettres abondent dans la capitale lorraine ; Palissot le dramaturge, Hoffmann dont on joue sur les scènes parisiennes les opéras et les opéras comiques ; les Lacretelle et beaucoup d’autres.

Bien qu’ayant une culture humaniste solide, c’est vers la politique que se porte le goût du jeune Dr Lallemand, il milite dans les clubs en faveur des réformes à réaliser.

Il soutient et fait adopter entre autres vœux celui-ci : « L'union de la Lorraine à la France est récente ; cette province a payé les dettes contractées par ses anciens souverains, et elle se trouve maintenant, du fait  de la réunion, appelée à contribuer au paiement de celles dont l’organisme était grevé avant qu'elle n’y fut unie; aussi la Lorraine espère-t-elle que lorsqu'il s'agira de répartir les impôts, ce sacrifice sera pris  en considération ». 

Le rôle joué par Lallemand dans la préparation des Etats Généraux avait mis en évidence ce jeune médecin de trente ans, animateur dynamique,  administrateur avisé, doué d'un robuste bon sens.

Pour la première fois en 1790, Nancy, comme toutes les villes de France est dotée d'un corps municipal en vertu de la loi de 1789.

Le corps municipal est composé de quatre membres élus par tous les actifs, c’est-à-dire âgés d’au moins 25 ans et payant une contribution évaluée à trois journées de travail ; les quatre membres désignent parmi eux pour deux ans, le maire, qui ne pourra briguer un nouveau mandat  qu'après deux ans d’inégibilité. Le corps municipal a pour attribution  essentielle la police de la ville sous le contrôle du directoire de district.

La régie des biens de la Communauté est du domaine du Conseil général de la commune ; cet organisme est constitué par le corps municipal et par les notables élus en nombre double de celui des membres du corps municipal. Le premier maire de Nancy, élu le 17 février 1790, est le comte de Custine ; il démissionne six mois plus tard et ce sont des municipalités Mollevaut, Theret, Duquesnoy qui lui succèdent.

Le 21 décembre 1792, c’est une municipalité Lallemand qui prend la direction de la cité.

A ce moment précis, Nancy est envahi par une bande d’aventuriers venus de tous les coins du pays, mais surtout de la capitale et de la côte méditerranéenne. Quelques-uns parmi eux entreprennent de prendre en mains la direction de la ville ; le plus entreprenant est Glasson-Brisse, cabotin sans talent, sifflé sur les planches des petits théâtres parisiens ; venu chercher fortune à Nancy, il s’est engagé dans la troupe du théâtre.

Poussé par la société populaire composée de la plupart des éléments troubles de la ville, il arrive à s’emparer de la mairie. Il a comme collaborateurs Bonnet-Bonneville, autres acteurs faméliques venus de Marseille où il n’a pas réussi en passant par les petits théâtres de la capitale.

C’est de Strasbourg qu’est arrivé pour les rejoindre le sans-culotte Philip ; celui-ci a dû quitter l’Alsace à la suite de malversations commises au préjudice d’un organisme de confection de vêtements militaires.

Ces malandrins trouvent un chef en la personne de Marat-Mauger, envoyé de Paris comme commissaire du directoire exécutif provisoire de la Meurthe.

Mauger s’assure la collaboration de quelques autorités du département ; Febvé, de Lunéville, juge de paix à Nancy, est, en 1793, membre du comité de salut public, il entreprend de « patriotiser » le département, « livré, dit-il, aux modérés et aux juifs » ?  Ils ont avec eux Arsant et Grandjean, membres de la fraction extrémiste de la société populaire.

Ils s’emparent de tous les postes et traitent Nancy en pays conquis, avec la société populaire, ils établissent des listes de proscription des ennemis de la République. Leur tyrannie devient si insupportable qu’en 1793, elle soulève contre eux une véritable émeute populaire.

La municipalité Lallemand se décide alors à intervenir : dans la nuit du 17 au 18 août, elle fait arrêter Marat-Mauger.

La société populaire était assez puissance pour réagir : elle envoie sur-le-champ une délégation à Paris pour protester contre l’acte de force du maire Lallemand ; Paris, où dominent les hébertistes, destitue la municipalité Lallemand. i

Glasson-Brisse et ses amis partent alors à la conquête de toutes les places. Le directoire du district a nommé une commission municipale provisoire de sept membres ; celle-ci reste en fonction jusqu'au 4 septembre, date des nouvelles élections qui amènent à la mairie le vicaire épiscopal Géhin ; très vite, celui-ci démissionne ; c’est alors Philip qui est choisi, il refuse et c’est Glasson-Brisse qui devient maire.

Heureusement pour Nancy, Faure, conventionnel en mission spéciale dans la Meurthe, est chargé d’une enquête. Elle aboutit à l’arrestation de Marat-Mauger ; son initiative est approuvée par Legendre, autre conventionnel en mission.

Ce dernier écrit dans le « Journal de la Montagne » à propos de Mauger : « Le scélérat n'était pas seulement avide d’or et de présents ; il mettait à contribution la vertu des femmes éplorées dont les maris étaient détenus, l’innocence des jeunes filles qui sollicitaient la liberté des leurs ».

Le même Legendre écrivait encore pour justifier les mesures prises contre les extrémistes : « Dans Nancy, il n’est plus question de spectacles ecclésiastiques, pas de messes, pas de vêpres ou de fantômes de charlatans et l’on peut dire, comme aux ombres chinoises, ils ont disparu « presto-presto ».

Glasson-Brisse, révoqué par Faure le 30 novembre 1793, est remplacé  par un négociant nancéien Vuillez. Le 14 décembre, Genevois, représentant  en mission dans la Meurthe, destitue Vuillez. La municipalité est alors complètement renouvelée, et c'est Malarmé, homme de loi, qui prend la mairie. Les élections ont lieu le 1er mai 1795, c`est Lallemand, officier municipal, qui vient en tête du scrutin.

            Dr Lallemand : 24 voix.

            Thériet, ancien maire : 21 voix.

            Malglaive, agent national de la commune : 9 voix.

 C'est Thériet que le Directoire du département de la Meurthe met  à la mairie. Bientôt le nouveau maire est touché par une décision de la Convention ; celle-ci, le 24 septembre 1795, écarte des fonctions publiques  les parents et alliés des émigrés.

Theriet démissionne, et c’est Lallemand qui, le 3 octobre 1795, prend la mairie de Nancy. Mais la Constitution du 22 août 1795 modifie le régime des municipalités des villes de plus de cinq mille habitants. Désormais, c’est une municipalité de cinq à sept membres qui est élue par les assemblées primaires du canton, elle est renouvelable par moitié chaque année ; un commissaire nommé par le directoire exécutif du département est placé à ses côtés.

 Le docteur Lallemand garde la mairie jusqu’à la première élection de novembre 1795, qui donne la présidence de l’assemblée municipal à Gueraces  de Dumast, ex-commissaire des guerres.

 Celui-ci ayant démissionné le 3 avril 1796, c’est le Dr Lallemand, vice-président de l’assemblée, qui remplit les fonctions de maire; le 30 octobre 1797, un décret du Directoire destitue la municipalité de Nancy, deux de ses membres dont le Dr Lallemand sont exceptés de cette mesure.  Lallemand reste vice-président de la municipalité Saulnier; celui-ci démissionne le 15 janvier 1798. C'est le Dr Lallemand qui est nommé à sa place, il est réélu président au renouvellement du 28 août 1798.

 Les élections de 1799 et du 3 avril 1800 le maintiennent en place.

Un décret du Premier Consul du 24 avril 1800 le nomme maire de Nancy.

 Peu à peu l'ordre s’était rétabli à Nancy tant au point de vue moral que financier ; l’énergique impulsion donnée par la dynamique administration du préfet Marquis procura à la ville une prospérité inconnue depuis la révolution.

En dehors des tâches quotidiennes qui échoient au responsable d'une grande cité, le Dr Lallemand doit régler toutes celles dépendant de la situation de la ville frontière : assurer le cantonnement des troupes, veiller à l’hébergement des nombreux officiers prussiens ou espagnols prisonniers sur parole; recevoir les hauts personnages de toutes nationalités appelés à traverser Nancy pour se rendre dans la capitale.

Les besognes municipales terminées, ses obligations municipales remplies, le Dr Lallemand se donne tout entier à sa clientèle nombreuse, mais peu fortunée. Célibataire, il vit modestement au 36, rue des Carmes, maison dont il est le propriétaire ; ses deux sœurs, Marie-Anne et Charlotte, maintenant sécularisées, partagent son existence et dirigent son ménage. 

Le docteur Lallemand ne se désintéresse pas du mouvement intellectuel qui continue à se développer à Nancy. Il fréquente le couarail littéraire et artistique qui se tient vers les cinq heures du soir chez le libraire Psaume. Il s'y rencontre avec ses collègues : le docteur Haldat, le docteur Lamoureux, professeur de sciences naturelles, et aussi helléniste connu par de nombreuses traductions ; Mercy, qui, après avoir tâté, de la médecine, est devenu ingénieur des Ponts et Chaussées et spécialiste apprécié de la littérature grecque ; Michel Berr, latiniste autant qu'hébraïsant ; Rouchon, qu'une brillante carrière d’ingénieur des Ponts et Chaussées en Espagne, a amené à se passionner pour la littérature hispanique: il avait traduit plusieurs œuvres de Cervantès et surtout son don Quichotte ; le naturaliste Nicole, membre de l'Institut, qui avait enseigné à la Faculté de Médecine de Nancy ; le littérateur Blau, le futur recteur de l’Académie de Nancy ; Durival, Mollevaut, l’ancien maire de Nancy sous la Révolution, maintenant proviseur du Lycée impérial.

Lallemand retrouvait la plupart de ces hommes distingués aux réunions de l’Académie de Stanislas, reconstituée depuis la tourmente révolutionnaire, mais sans le titre compromettant du ci-devant roi Stanislas.

Elu membre correspondant de cette compagnie en 1802, il avait été élu membre titulaire en 1804; il était souvent chargé par ses confrères de rapports sur des travaux médicaux soumis à l’Académie.

C'est ainsi qu'il eut à faire un rapport favorable sur un travail du Dr traitant « des bons effets du cautère appliqué sur la tête ou sur la nuque dans plusieurs maladies ».

 Président au cours de l'année académique 1812-1813, il avait, au de la séance solennelle tenue dans le salon carré de l’Hôtel de ville, répondu aux remerciements des récipiendaires Mathieu et Azaïs ; il avait félicité le premier d’avoir su trouver dans la culture des lettres et des sciences la source principale de la perfectibilité humaine et de la félicité publique.

 Au second récipiendaire, le pittoresque Azaïs, le philosophe venu à Nancy comme inspecteur de la librairie et futur recteur de l'Université de cette ville aux Cent Jours, il avait prodigué les encouragements, et incité cet auteur prolifique « à mûrir » par de longues méditations des vues philosophiques ingénieuses, mais qui ne peuvent recevoir leur sanction que par le temps.

 L'Empire, victorieux de l’Europe, est solidement installé, la paix paraît établie. Il semble que le moment soit venu pour la Meurthe de jouir de la prospérité qu'une administration forte et contrôlée a instaurée.

Les révolutionnaires se sont ralliés au régime : beaucoup occupent des situations officielles : l’abbé Grégoire est sénateur, Boulay de la Meurthe, conseiller d'Etat ; l'avocat Régnier de Blâmont est grand juge, puis ministre de la justice, Poullain de Grandprey magistrat.

Les tenants de l’ancien régime n'ont pas été moins bien traités : les de Metz, de Riocourt, Rolland de Malleloy, de Noailles remplissent de hautes fonctions.

Les grands fonctionnaires du département sont bien choisis ; les préfets Marquis et Riouife laissent le souvenir d’administrateurs intègres et avisés.

Les maires des grandes villes sont maintenus en fonction en dépit des contingences politiques. Ils font ainsi bénéficier leurs administrés de leur expérience. C'est le cas du maire de Nancy dont l’administration a reconnu les éminentes qualités en le nommant baron d’Empire et chevalier de la Légion d’honneur. Toutefois, à partir de 1807, mais surtout après la désastreuse campagne de Russie, Nancy et la région souffrent d'un malaise économique qui, selon les rapports du baron Lallemand, commença à se manifester dès 1807.

Depuis, le malaise s’est aggravé, les faillites se multiplient ; le poids des impôts, le fardeau de la conscription pèsent lourdement sur les populations lorraines. L'inquiétude grandit avec les premiers échecs de nos armées dans l`Est, les industries de la région réduisent leur production ou ferment leurs portes, en raison des hauts prix atteints par le combustible.

En 1812, le prix des denrées de première nécessité s'est élevé au point qu’il faut taxer le blé. La misère est si grande à Nancy que la municipalité doit faire distribuer chaque jour quinze cents soupes populaires.

Bientôt, une nouvelle tâche incombe au maire : préparer des hôpitaux auxiliaires pour recevoir malades et blessés évacués des hôpitaux d'outre-Rhin.

L’arrivée à Nancy du commissaire extraordinaire Colchen matérialise toutes les craintes et accentue l’inquiétude populaire ;  il trouve des dépôts et des arsenaux vides ; il constate que le patriotisme des populations se brise devant l’indifférence des fonctionnaires, jaloux de ne pas se compromettre pour un régime qui s’écroule. Nombreux sont les Lorrains qui reprochent à l’Empereur son orgueilleuse confiance et l'absence de toute préparation de défense sur la frontière de l'Est.

Alors que tant de tâches urgentes s’offrent à l'activité de l’administration du département, le préfet mobilise la police pour surveiller les réunions maçonniques où « sous prétexte de se divertir on échauffe les têtes ». 

Le Dr Lallemand se borne à transmettre cet avis aux commissaires de police.

Le 15 janvier 1814, une partie de la jeune garde traverse Nancy : la population l’accueille avec des manifestations d’amitié.

On sait peu de choses sur les préparatifs entrepris pour assurer la défense des Vosges contre l’invasion. On apprend par des voyageurs que le duc de Bellune, chargé de contenir l’envahisseur avec une dizaine de mille hommes, évacue l’Alsace en refusant le combat.

Comme il se doit dans un régime autoritaire, la presse est muette sur ces évènements ; le « Journal de la Meurthe » du 11 janvier annonce le passage de Ney le 9 janvier au soir ; il se garde de préciser que le maréchal couvre avec l’arrière-garde, la retraite française.

Ce même jour, la même feuille publie une information d'Epinal en date du 6 janvier disant : « Tout est tranquille dans nos environs ».

Même silence dans son numéro du 12 janvier, le dernier paru avant l’entrée des alliés.

Cependant, nul dans la ville n'ignore l’imminence de l'arrivée de l’ennemi, il n'y a ni panique ni exode : une enquête officielle menée dans le département de la Marne, aux carrefours de routes venant du

Nord et de l’Est, signale le passage d’un seul Nancéien : M. de Vannoz.

D’Arbois, de son côté, écrit dans ses « souvenirs d’un avocat » : « Personne de notre connaissance ne quitte Nancy ».

Les quelques mesures militaires prises par les autorités sont illusoires ;  depuis le 11 janvier, une pièce de canon est installée au faubourg Saint-Pierre, à l'angle de la rue de la Prairie ; on en signale quelques autres à Jarville. Cette artillerie disparut dès le lendemain.

Les 12 et 13 janvier, les hauts fonctionnaires, le préfet, le directeur des finances et la Trésorerie, l’évêque, le président de la cour souveraine abandonnent la ville à son sort.

Sollicité de les imiter, le baron Lallemand refuse, ses conseillers l’approuvent et l’imitent. Pour excuser son départ, le préfet de Fréville écrit au ministre de l’Intérieur : « On parle du maire de Nancy avec éloges mais il aurait dû rentrer à l’intérieur ».

La municipalité fait alors placarder sur les murs de la ville, l'appel suivant :

« Le maire, les adjoints, les membres du conseil municipal à leurs concitoyens.

Les armées des puissances alliées pénètrent sur le territoire de cette ville, vos magistrats sont à leur poste et resteront en permanence pour veiller au maintien du bon ordre et de la tranquillité publique.

Dans votre propre intérêt, comme dans celui de vos familles, vous devez rester calmes, vous retirer dans vos maisons, fermer vos portes et fenêtres, les volets et persiennes ouverts, ne faire aucun rassemblement, ni exciter par des injures aucun sujet de mécontentement ; dans le cas d’infraction il sera pris des mesures contre tout perturbateur ».

Ney avait, à son passage, donné le commandement de la place de Nancy à un aventurier sans foi ni loi : le colonel Viriot. Cette désignation provoque dans la population un vif mécontentement ; une délégation va protester à l’Hôtel de ville ; le baron Lallemand intervient auprès de l`autorité militaire ; la nomination est rapportée et Viriot remplacé par un officier en retraite, le général Frétach.

L’attitude courageuse du maire de Nancy lui conquiert les suffrages de ses concitoyens qui se groupent autour de celui qui constitue la dernière protection contre le danger qui les menace. Les Nancéiens se rappelleront longtemps ces journées tragiques et distingueront entre ceux qui ont fui et ceux qui sont restés.

Mais les chefs militaires en retraite n’observèrent pas, vis-à-vis du baron Lallemand, l`attitude de confiante gratitude manifestée par les habitants.

« Le 13 janvier, écrit dans ses souvenirs, le comte de Ségur, commandant un régiment de gardes d’honneur, les gardes d’honneur couvrent la retraite des troupes françaises, et marchaient depuis deux jours sans pain, ni abri... Vers une heure, nous entrâmes à Nancy par une porte (la porte St-Nicolas) à l`instant même où, par une porte opposée (la porte St-Georges), Biron et l’avant-garde ennemie y pénétraient.Une heure plus tard, c'en était fait ; séparés des nôtres, pris entre deux invasions, il nous aurait peut-être fallu mette bas les armes. Malgré la présence de l’ennemi, le cœur me saignait de la détresse des gardes, ayant reçu l’ordre de requérir le fer nécessaire à la ferrure de la cavalerie du corps d`armée, ou quinze mille francs pour en acheter et même en cas de refus, d’emmener le maire comme otage ».

Cet ordre était absurde et inexécutable puisque l`arsenal était depuis longtemps vide de fer et que la trésorerie avait fui avec les fonds municipaux; il émanait des généraux Grouchy et Piré.

D’Arbois écrit à ce sujet : « Le général français de Piré, en se retirant, avait frappé sur la ville une contribution de trente mille francs ; ne les trouvant pas dans les caisses municipales, il fit arrêter le maire et ses deux adjoints et les emmena à Toul, disant que si le lendemain à midi, les trente mille francs ne lui étaient pas rapportés, il ferait fusiller les trois messieurs ».

Nancy, après avoir assisté à la fuite sans combat de ceux qui avaient mission de le défendre, put avoir le spectacle de leur maire, septuagénaire, défilant comme un malfaiteur, entouré de soldats, à pied dans la neige par un froid glacial. Il en résulte dans la ville une agitation contre les chefs militaires qui lui enlevaient son maire, dont le seul crime était de n’avoir pas accompagné dans sa fuite, la trésorerie détentrice de son avoir !

Les membres du conseil municipal se mettent à quêter chez les habitants les plus aisés ; ils arrivèrent même de leurs deniers à parfaire la rançon. Un conseiller partit à brides abattues, vers Toul, apporter les fonds. Il rejoignit les prisonniers et leur escorte un peu avant Toul ; ils sont aussitôt relâchés. Ils regagnent l’Hôtel de ville où les conseillers siègent en permanence. En manière de protestation, ils avaient adressé leur démission collective au préfet en fuite.

Le baron Lallemand les apaise de son mieux, représentant à ses collaborateurs que les mauvais jours allaient seulement commencer, et qu’ils sont responsables sinon vis-à-vis d’un pouvoir qui les ignore, du moins vis-à-vis d'une grande cité qui leur a donné sa confiance.

Les cosaques, avant-garde de l’armée d’invasion, avaient fait une courte apparition dans Nancy le 13 janvier ; ils s’étaient heurtés aux gardes d’honneur se rendant de Lunéville à Toul ; sans insister ils avaient disparu.

Le 15 janvier, vers quatre heures de l’après-midi, l'avant-garde de l’armée de Silésio fait son entrée dans Nancy ; elle est commandée par le prince Biron de Courlande ; elle atteint la rue Saint-Dizier et se répand dans la ville pour s’y installer.

Le 16 janvier, la municipalité doit faire placarder sur les murs de la ville une proclamation de Blucher datée de Saint-Avold : « Qui aura des relations avec les autorités ou les troupes françaises sera puni de mort ».

Le maréchal prussien entreprend de régler son entrée solennelle ; son envoyé prétend exiger du maire qu’il vienne à la porte St-Georges, remettre au vainqueur les clefs de la ville ; il devra en outre, prononcer en allemand une allocution de bienvenue dont le texte aura préalablement été communiqué à l'état-major du maréchal.

Le baron Lallemand refuse tout net d'accéder à ces conditions humiliantes ; c’est un employé de la municipalité qui apportera à la porte St-Georges la clef réclamée par le maréchal. Il prononcera en

Allemand l’allocution exigée mais il le fera à l’Hôtel de ville en présence de son conseil municipal. Le maréchal accepte cette transaction et son conseiller prépare la réponse du maréchal au maire.

Le 17, Blucher entre dans Nancy par la porte St-Georges ; il n’y a pas un Nancéien dans les rues. Les fenêtres sont closes ; seuls les filets de fumée qui sortent des cheminées montrent que cette ville est habitée. Blucher s'étonne du silence hostile de la population ; Muffling, son aide de camp, croit pouvoir l'expliquer par la terreur qu’inspirent les cosaques aux habitants.

Le cortège s`arrête devant l`Hôtel de ville, Blucher fait sonner ses éperons sur les marches du grand escalier et pénètre dans la salle des séances du conseil. Il porte la main à son casque ; le baron Lallemand répond par une légère inclinaison de tête ; puis il lit sa harangue en allemand, il assure que Nancy ne se livrera pas à d’inutiles manifestations ; la population se remet sous la protection du vainqueur.

Blucher répond d’abord dans un français difficile et poursuit en allemand : « La guerre, dit le maréchal, a été imposée aux alliés par les ambitions de Napoléon ; ils vont restituer l’âge d`or où la Lorraine a vécu sous ses ducs ; ils supprimeront les droits réunis, la gabelle, les droits d’enregistrement ».

Le maréchal, en terminant, exprime le désir de voir la municipalité assister le soir même au banquet qui sera donné à l`Hôtel de ville en l`honneur des alliés.

La municipalité ne peut refuser; le dîner est morne, les Français se tenant dans une réserve digne et silencieuse. Un bref toast de Blucher à la « Bonne ville » est suivi d’une maladroite allocution du général von Sacken ; il boit à la France et à tous les autres peuples d`Europe quand seront consommées la mort et la ruine du tyran, fléau du peuple français et tourment de l`Europe.

Le maire et ses conseillers se bornent au geste symbolique du verre levé face à leurs invités sans le boire. Muffling constate dans ses souvenirs : « Nous autres, soldats, nous vidâmes nos verres avec le général Sacken et fûmes trop discrets pour attendre davantage de nos hôtes que des regards baissés à terre et de vagues soupirs ».

Cette pénible cérémonie terminée, le maire doit se consacrer à d`autres lourdes tâches ; assurer le cantonnement des troupes alliées en logeant dans chaque ménage un maximum de quatre soldats.

L`absence de fonds rend plus difficile la tâche de la municipalité ; c`est un fonctionnaire prussien, l'intendant Marquart, qui assure les fonctions de préfet; il rédige un arrêté en vertu duquel quiconque refusera d`assurer les fonctions dont il est investi, sera arrêté et déporté au-delà du Rhin. Il confirme Lallemand dans ses fonctions de maire, Payot de Beaumont et Collenot dans celles d`adjoints ; il confie la préfecture au conseiller Pinodier, celui-ci devra honorer les réquisitions alliées et assurer le recouvrement des impôts. Le 18 janvier, Marquart se rend à l’Hôtel de ville où il trouve le maire et ses conseillers ; il leur enjoint de reprendre leurs fonctions.

Les obligations qui pèsent sur le maire .sont écrasantes; il doit loger les troupes alliées qui traversent la ville, déférer aux réquisitions des autorités d'occupation, assurer logement et soins à de nombreux blessés et malades qui encombrent la ville ; les blessés et malades de l’Hôpital militaire trouvent asile à la Chartreuse de Bosserville.

Pour trouver les fonds nécessaires à la municipalité, il obtient, le 20 janvier, le droit de rétablir l’octroi, mais les alliés s'emparent de la plus grande partie des recettes ainsi obtenues. 

Aussi le maire lance-t-il, le 28 janvier, une souscription volontaire d’actions de 50 frs pour soulager les Nancéiens les plus touchés par les réquisitions. Le résultat obtenu est si médiocre que Marquart oblige la municipalité à recourir à un emprunt forcé de trois cent mille francs.

Cette mesure s’avère insuffisante eu égard aux charges qui s'accumulent et le préfet doit frapper le département tout entier d’une contribution extraordinaire proportionnée aux facultés contributives de chacun.

Le départ des Prussiens poursuivant leur marche sur Paris permet aux Nancéiens d'espérer une atténuation de leurs misères avec l'arrivée des Russes.

Le projet des alliés paraît de plus en plus évident: détacher la Lorraine de la France; la première mesure prise dans ce sens est la transformation du « Journal de la Meurthe », qui passe sous le contrôle allié avec le titre de « Journal de la Lorraine et du Barrois ».

Une résistance passive s’organise contre cette mesure ; le baron Lallemand est le premier à se dresser contre les exigences de l'occupant.

Il est bientôt imité par les maires de nombreuses communes de la région : Heillecourt, Dommartemont, Champigneulles ; tous accablent le préfet Pinodier, homme de paille du gouverneur allié de Lorraine et du Barois, d’Alopeus ; ils attestent l’impossibilité de satisfaire aux réquisitions : les uns demandent leur remplacement ; les autres, en dépit des sanctions dont les menacent les alliés, démissionnent. Les sous-préfets des arrondissements font écho à la protestation. D’Alopeus sent le danger, il se fait plus coulant, il accepte la démission du baron Lallemand ; il remplace la municipalité par un corps municipal de dix membres présidé par Payot de Beaumont, l’ex-adjoint de Lallemand.

Joseph Mique contrôlera le corps municipal avec le titre de lieurenant général de police et de subdélégué des alliés.

Encore en fonction, le l0 février 1814, Lallemand publie l`avis suivant : « Le corps d`armée (russe) composé de soldats dont on n`entend la langue, marche avec ordre mais exige que sa subsistance soit assurée, au moment où il arrive. Le moindre retard ou le plus petit manque entraînera des incidents très fâcheux ».

Cet appel est entendu et l`occupation russe est moins lourde aux Nancéiens que l`occupation prussienne ; un témoin oculaire décrit ainsi l`aspect de Nancy à cette époque.

« Toutes les demeures de particuliers riches ou pauvres regorgent de cavaliers ou de fantassins depuis l`opulent propriétaire jusqu`au locataire le plus infime, chacun avait son contingent, dans les faubourgs, sur les places, dans la rue, sur le seuil des portes, depuis les fenêtres du rez-de-chaussée à l`œil de bœuf de la mansarde, le regard n`apercevait que des physionomies étrangères et des bizarreries d`uniformes. Il n`est pas rare d`en rencontrer dévorant un morceau de pain de munition accompagné d`un bout de chandelle qu`ils savourent avec une voluptueuse sensibilité. Plus loin on entend une mélodie étrange : un certain nombre de soldats russes réunis à l`angle d`une rue ou sur une place forment le cercle, ils chantent en chœur les chants où le rythme, et la cadence sont assez bien observés; ils sont loin cependant de charmer les oreilles, les unes font fausset, les autres sifflent ; celui-ci fait entendre une voix flûtée, celui-là lance des notes criardes puis s`accompagne en frappant ensemble la terre de leurs bottes ferrées. Il y a quelque chose de sauvage dans cette harmonie qui ne manque jamais d`attirer beaucoup d`auditeurs ».

Un des derniers actes du baron Lallemand est de faire éditer un petit lexique de conversation franco-russe; il avait été rédigé par M. de Roguier, ancien émigré en Russie, rentré à Nancy dès l`abolition des mesures présentées prescrites contre les émigrés.

Quand le baron Lallemand quitte la mairie, ses administrés, s`ils s`accommodent assez bien de l`occupation russe, restent sceptiques quant aux promesses des alliés de rendre aux Lorrains le bon temps des ducs.

Le 3 mai, jour désigné pour célébrer l`entrée de Louis le Désiré dans sa bonne ville de Paris, ce n`est pas le Dr Lallemand qui aura, comme maire, à publier la déclaration de Saint-Ouen.

Déchargé d’un lourd fardeau, il va pouvoir se donner tout entier à sa clientèle.  La politique pure ne l’a jamais intéressé que dans sa jeunesse, au cours de la première Restauration, son nom ne figure dans aucun rapport de police ; contrairement à son successeur, Payot de Beaumont, il n’a jamais fait partie de la loge de Saint Jean de Jérusalem.

A Nancy, le 20 mars, vers quatre heures du soir, deux bataillons d’infanterie de la garnison quittent la ville par la rue de l’Esplanade ; ils marchent en ordre, encadré par leurs officiers, ils ont encore à leur

schako la cocarde blanche. Une fois franchie la porte Stanislas, le général Michel, qui les accompagne, commande « Halte ». Il arrache sa cocarde blanche et sa croix de St-Louis ; il la jette à terre et les fait piétiner par son cheval. Il crie : « Vive l’Empereur, Vive Napoléon ». Ses hommes l’imitent puis se mettent en marche vers Toul, au-devant de l’Empereur, dont on vient d’apprendre le débarquement.

Le 16 mars, dix membres du Conseil général et le préfet ont rédigé un appel au loyalisme des populations qui doivent rester fidèles au roi ; Le « Journal de Lorraine et du Barrois » publie un appel que l’on va afficher, mais il est trop tard quand il apparaît sur les murs, le roi est parti pour la Belgique.

Le 23 mars, la réussite de l'Empereur s'affirme ; en Lorraine, l’allégresse est générale. Il fait un temps splendide ; des drapeaux tricolores improvisés claquent aux fenêtres; la foule se porte sur la place pour voir arborer le drapeau tricolore sur la préfecture. C’est Vallet de Merville, l’ancien secrétaire général, qui prend l’intérim du préfet de la Meurthe.

Au milieu des acclamations, il apparaît à la fenêtre du cabinet préfectoral, brandissant le drapeau de la garde nationale, caché depuis l’entrée des alliés, dans les combles du bâtiment. 

Le 27 mars, un arrêté préfectoral rétablit le baron Lallemand dans ses fonctions de maire, il sera pourvu au remplacement des membres manquants.

L’arrêté qui lui rend ses fonctions fait un éloge vibrant de sa personnalité : « Il y a d'autant plus lieu de hâter ce rappel qu’en même temps qu’il remplit le véritable vœu de la loi, il devient un juste hommage à un citoyen éminent, son dévouement constant et désintéressé pour la patrie, pour la ville de Nancy, sa noble conduite dans les circonstances acquis à un si haut degré, depuis vingt-cinq ans, l'estime et la vénération publiques ». 

Le soir de Pâques, en signe de réjouissances, l`hôtel de ville et les édifices publics sont brillamment illuminés, toutes les cloches de la ville sonnent à la volée.

Le 29 mars, le conseil municipal organise une réception solennelle du baron Lallemand pour sa reprise de fonction. A son arrivée, une foule considérable se presse devant l`hôtel de ville. Elle accueille par des vivats son vieux maire, entouré d`un immense cortège qui lui fait escorte depuis son domicile de la rue des Carmes. Au moment où il pénètre sous le porche de l’Hôtel de ville, la musique de la garde nationale commence à jouer ; au sommet du grand escalier, le préfet et le conseil municipal l'accueillent.

En un discours ému, le docteur Lallemand remercie sans faire aucune allusion à la mesure dont il a été victime, il donne son assentiment à l`adresse de fidélité à l`Empereur votée par le conseil municipal.

Mais de nouveau, la guerre menace ; le comte Rampont, commissaire extraordinaire pour la division militaire, vient prendre ses fonctions ; en même temps, arrive le nouveau préfet Bouvier Dumolard ; Vallet de Merville redevient secrétaire général de la préfecture.

Pendant que les préparatifs militaires s`intensifient, la municipalité se remet à la tâche, elle redresse les finances, active les réparations aux édifices publics négligées depuis des années, rendant aux rues de la ville leurs anciennes dénominations.

Les premières mesures militaires sont prises dans la région : vérification des réserves, réorganisations des gardes nationales; mais Nancy, comme le reste de la France, en a assez de la guerre ; d’Arbois écrit dans ses souvenirs que nombre d’habitants de la ville, pour échapper aux appels, partent pour Paris, ou se disent appelés dans la Meuse ou dans les Vosges.

Dès le début de juin, Nancy vit des jours enfiévrés, la mobilisation des jeunes classes, la mise en route de la garde nationale active vers le Nord n’est pas sans inquiéter.

A partir du 8 juin, le bruit court en ville d`une victoire remportée par l'empereur.

Toutefois, on s`interroge quand on apprend que le corps franc de Brice part pour tenir la ligne de la Sarre. On est sans nouvelles du théâtre des opérations en Belgique.

Le 24 juin, Puymaigre, le futur préfet de la Restauration, assiste, place Carrière, à l`arrivée d`un déserteur qui annonce un désastre de nos armées ; la foule veut l`écharper, mais la nouvelle est officiellement confirmé.

Le 25 juin au soir, on annonce à Nancy l’arrivée des armées alliées pour le lendemain.

Le 26 au matin, dès 8 heures, le maire et son conseil municipal se tiennent  en permanence à l'Hôtel de ville; à la demande du Dr Lallemand, Ficatier, commandant la garde nationale, est à ses côtés pour se concerter sur les moyens à utiliser pour assurer l’ordre. Le maire indique  les mesures qu’il a prises et ajoute que son grand âge et ses infirmités l’obligent à donner sa démission.

Le conseil le nomme maire honoraire et le baron Lallemand passe ses pouvoirs  à Mangin, président de la cour impériale.

Lallemand, toutefois, ne veut pas abandonner ses anciens collaborateurs ; il accepte de conduire la délégation composée du maire, du préfet  et d'un adjoint qui traitera avec les alliés dès leur entrée.

 A 7 heures du soir, un peloton de hussards bavarois entre dans Nancy  par la porte St-Georges et se rend sur la place royale. Le maire, qui sort à ce moment, donne l'ordre à l’officier d'évacuer la ville avec son peloton. Un agent les escorte jusqu'à la sortie.

Le 27 juin, les premiers éléments bavarois occupent Nancy en force ;  de nouveau, le drapeau tricolore disparaît, remplacé par le drapeau blanc.

 La vie publique du Dr Lallemand est terminée ; immobilisé dans sa petite maison de la rue des Carmes entouré des soins de ses sœurs, des visites de ses amis, il termine dignement une vie si noblement remplie.

 Le « Journal de la Meurthe », royaliste, dans son numéro du 26 septembre 1817, publie les lignes suivantes :

 « Les sciences et l’humanité viennent de perdre M. le baron Lallemand,  chevalier de l`ordre royal de la Légion d'honneur, ancien maire de Nancy, décédé en cette ville à l'âge de 74 ans. Reçu docteur de la Faculté de Strasbourg, il fut pourvu successivement des fonctions de médecin de l’Hôpital militaire et de président du collège de médecine de Nancy. Après avoir exercé la médecine avec distinction et cette délicatesse qui caractérise le vrai médecin, le Dr Lallemand sacrifia ses intérêts à ceux de cette cité dont il a été le premier magistrat pendant 22 ans. Sa probité, ses talents et son caractère obligeant le font regretter de tous. Le souvenir de ses vertus sera à jamais gardé dans les cœurs reconnaissants ».

 

Clause de style bien sûr qui n’engage à rien.

Qui, parmi les Nancéiens de ces cent cinquante dernières années, sait qu’un grand citoyen consacra à leur cité vingt années de sa vie.

Le nom du baron Lallemand ne figure pas dans les dossiers du fichier lorrain de la bibliothèque municipale, aucun bâtiment, aucune rue de la ville, aucun dispensaire ne rappellent son souvenir.

Puisse ce rappel d`une grande figure faire réparer un injuste oubli et remettre à l`honneur et citer en exemple ce médecin modèle, cet administrateur intègre et avisé, ce Lorrain patriote qui sut, en des jours tragiques, incarner avec courage et dignité les vertus lorraines.