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HENRY TOUSSAINT (1847-1890)

PIONNIER OUBLIE DE LA MICROBIOLOGIE

 

A. LE COUSTUMIER - N. CHEVALLIER-JUSSIAU

 

Né le 30 avril 1847 à Rouvres-la-Chétive, près de Neufchâteau, Henry Toussaint eut une carrière brillante, prématurément interrompue par la maladie alors qu’il n’avait que 33 ans.

L’importance de son oeuvre, dont L. Pasteur sut se servir, mérite qu’on le dispute à un injuste oubli.

Vétérinaire formé à la prestigieuse Prime École de Lyon de 1865 à 1869, élève chéri du grand physiologiste Chauveau, nommé Chef de Service de Physiologie à 22 ans, il applique avec ferveur et rigueur la méthode expérimentale dans tous ses travaux. Il mène des recherches remarquées en anatomie, paléontologie (roche de Solutré) et physiologie, particulièrement en électrophysiologie qui soulèvent, notamment, l’enthousiasme de Claude Bernard. Il obtient en 1877 le prix Monthyon de l’Académie des Sciences.

Docteur ès Sciences, docteur en Médecine, il est nommé Professeur de Physiologie à l’Ecole Vétérinaire de Toulouse ainsi qu’à la Faculté de Médecine (1876). Il s’engage alors sur les nouvelles voies de la microbiologie naissante ouvertes par Pasteur. Il est le premier (juillet 1878) à isoler l’agent du choléra des poules (Pasteurella), second agent infectieux cultivé in vitro et en fournit une souche qu’il envoie de Toulouse à Louis Pasteur grâce à un ingénieux système de prélèvement sanguin stérile et sous vide ! Ces travaux lui valent le prix Bréant. La souche de Toussaint servira à Pasteur pour ses études sur l’atténuation de la virulence.

H. Toussaint réalise également de brillantes recherches sur le charbon, sa nature, ses cultures et sa physiopathogénie. Il reconnaît la toxinogénèse de la bactéridie : “de l’action phlogogène du sang charbonneux” (1877). Lors des missions diligentées par le ministère de l’Agriculture dans la Beauce (été 1878), il constitue la seconde commission et collabore de nouveau étroitement avec Pasteur qui dirige la première commission, mais surtout il met au point et publie en juillet 1880 le premier vaccin anti-charbonneux alors que Pasteur n’a pas encore rendu public son procédé d’obtention du vaccin du choléra des poules. Son procédé de vaccination contre le charbon (sang de rate) consistait en l’injection (avec rappels) de sang charbonneux, filtré, puis ayant subi l’action de la chaleur (55°) et de l’acide phénique (phénol). Son idée initiatrice d’éliminer toute virulence au vaccin pour ne conserver que le pouvoir immunisant fut à l’origine de tous les vaccins dits “tués”. Il avait bien différencié, sans les connaître, la fraction immunisante de la fraction responsable de la virulence. A la suite de leurs observations chez les brebis et agneaux algériens d’immunité transmise par la mère au foetus, il soutenait avec son maître Chauveau la théorie de l’immunité par addition : l’organisme se protège contre le micro-organisme en produisant “quelque chose” contre ce dernier. Cette conception s’oppose à celle de Pasteur de l’immunité par soustraction : un organisme est immun parce que le micro-organisme atténué, qui s’est développé chez lui sans le tuer, a épuisé les nutriments et oligo-éléments nécessaires à sa croissance, de même qu’une bactérie ne peut pas vivre et se multiplier sur un milieu déjà utilisé et épuisé par des cultures antérieures ; la durée de l’immunité correspondrait alors au temps nécessaire pour que l’organisme se recharge en oligo-éléments indispensables à la bactérie. La méthode d’atténuation par un agent chimique, qui en fait revient à tuer le bacille et, partant, à obtenir un vaccin “tué”, fut utilisée par Pasteur dans la fameuse expérience de Pouilly-le-Fort.

Pasteur avait annoncé qu’il immuniserait des moutons contre le charbon grâce à un vaccin atténué par l’oxygène de l’air, selon ses conceptions. Dans un lot de cinquante moutons, 25 avaient été vaccinés, 25 non. Devant une assemblée savamment réunie, on put, en effet, constater que les 25 moutons vaccinés étaient indemnes après avoir été contaminés volontairement par le bacille du charbon, les 25 autres étaient morts ou mourants. En réalité les collaborateurs de Pasteur, Roux et Chamberland avaient préparé un vaccin tué par le bichromate de potassium, donc préparé “à La Toussaint” et non pas, comme on l’avait laissé entendre, “à la Pasteur”. Le mérite de la conception de ce vaccin revient donc à H. Toussaint et non à L. Pasteur, comme le montrent, solides arguments à l’appui, des contemporains comme Bouley et Chauveau et des journalistes ou historiens comme E. Bloc et plus récemment Gérald Geison.

H. Toussaint accueille dans son laboratoire à Toulouse, pendant trois mois en 1881, son ami, 1’illustre chirurgien écossais Joseph Lister ; leurs expériences et observations préfigurent celles de Metchnikoff sur la diapédèse et la phagocytose des globules blancs.

Il poursuit des études sur la contagiosité et l’agent de la tuberculose quand une maladie neurologique (neuroborreliose, neurosyphilis ?) le prive précocement de toute activité intellectuelle à partir de 33 ans. Il survit pendant huit années de lente dégradation et meurt à Toulouse dans sa quarante-troisième année en 1890.