` sommaire

Leçon inaugurale

 

Par le Professeur COLLIN (1920)

 

L'Histologie et la Médecine

 

Monsieur le Recteur, Monsieur le Doyen, Messieurs,
Mon premier sentiment, en prenant possession de la chaire d'histologie de Nancy, est un sentiment d'hommage envers mes Maîtres de la Faculté de Médecine qui m'ont appelé à l'honneur de siéger au milieu d'eux.
Je sens vivement le poids des devoirs nouveaux qui m'incombent à partir d'aujourd'hui, et, comme il est naturel en pareil cas, je cherche autour de moi des appuis.
Le principal, Messieurs et honorés Collègues, me vient de la confiance que vous avez bien voulu me témoigner et dont votre vote unanime fut pour moi une marque aussi précieuse qu'encourageante. Je suis sûr, désormais, que vous suivrez avec sympathie mes efforts pour maintenir à cette chaire le renom légitime dont elle jouit depuis de longues années, et c'est pour moi, ancien élève de vos cliniques et de vos laboratoires, une obligation bien douce de vous dire toute ma reconnaissance, ainsi qu'à M, le Recteur de l'Université de Nancy, à MM. les Membres de la Section permanente, et à M. le Ministre de l'Instruction publique dont les propositions et décisions successives ont ratifié votre choix. A notre dévoué Doyen, si soucieux des intérêts dont il a la garde, et dont j'ai éprouvé personnellement la bonté, j'adresse ici l'expression de ma très vive et particulière gratitude.
Et maintenant, Messieurs les Etudiants, c'est avec vous qu'il me faut prendre contact. Vos aînés, auxquels je suis heureux d'adresser un affectueux souvenir, savent qui je suis, d'où je viens et comment j'envisage mes fonctions d'enseignement. Ils n'ignorent pas, en particulier, que j'ai toujours été guidé par le désir de leur être utile et de leur rendre ce que, j'avais moi-même reçu de mes Maîtres. Mais le jugement qu'ils portent sur moi, favorable ou défavorable, vous ne le connaissez guère, car la tourmente, en creusant un fossé entre votre génération et les générations précédentes, a interrompu les traditions orales. A beaucoup d'entre vous, aux Français comme aux Etrangers - nos amis d'hier et de demain, - le nouveau professeur apparaît sans doute un peu énigmatique et vous cherchez certainement à le classer dans quelque catégorie déjà connue et, pour ainsi dire, à le replacer dans son cadre. Je ne saurais mieux faire, pour satisfaire votre légitime curiosité, que d'appliquer à mon cas la formule commode, quoiqu'un peu artificielle de Taine, et que d'expliquer mon arrivée parmi vous par la race, le milieu et le moment.
Dans le cas particulier, le facteur race n'a certainement pas joué le rôle le plus important. Il est à noter, toutefois, que la culture des sciences morphologiques qui exige de l'application, de l'attention et une certaine habileté manuelle s'accorde assez bien avec une qualité éminemment lorraine, la ténacité dans l'effort. Elle s'accorde aussi avec ce goût inné que nous avons pour la beauté des formes vivantes, depuis les plus élevées en organisation jusqu'aux plus humbles, avec cette recherche ardente de la vérité expressive et exprimable qui fournit à nos artistes des thèmes inépuisables et qui ajoute aux satisfactions intellectuelles du naturaliste quelques ­unes des émotions de l'artiste.

A de certains moments, de la conjonction de quelques hommes possédant une certaine communauté d'origine, de tendances et, je dirais volontiers, de passions intellectuelles, il résulte quelque chose de nouveau, une sorte d'atmosphère, un milieu, qui exerce une attraction, puis une action puissante sur ceux qui y pénètrent. C'est ainsi qu'il y a ainsi qu'il y a quelques lustres naquit l'Ecole anatomique de Nancy, dont la fécondité et le rayonnement s'imposaient à l'attention des biologistes lorsque, timide étudiant, je pénétrai pour la première fois dans cet amphithéâtre. Il me suffira de vous rappeler qu'à cette époque, M. le Professeur PRENANT enseignait l'histologie, M. le Professeur NICOLAS l'anatomie descriptive, entourés tous deux d'une pléiade de jeunes savants devenus des maîtres à leur tour, tels que M. le Docteur Wéber, professeur à l'Université de Genève, MM. les Docteurs P. BOUIN et P. ANCEL, professeurs à la Faculté de Médecine de Strasbourg. Vers l'année 1900, il semble que l'Ecole Anatomique de Nancy se caractérisait par un double effort : d'une part, effort d'organisation et de groupement ; d'autre part, effort d'orientation nouvelle imprimée aux sciences morphologiques. Les œuvres se succédaient, obéissant à cette double tendance. En 1893, M. Nicolas publie le premier numéro de la Bibliographie Anatomique, recueil des travaux d'anthropologie, d'embryologie, d'anatomie et d'histologie, écrits en langue française. En 1896, M. Prenant fonde la Réunion Biologique, prototype des Réunions biologiques de province et de l'étranger, maintenant rattachées à la Société de Biologie de Paris. Puis M. Nicolas, aidé par M. le Professeur Laguesse, de Lille, prend 1'initiative de grouper les anatomistes français en un puissant faisceau : l'Association des Anatomistes, conçue à Nancy et à Lille, vient au monde à Paris en 1899, sous la présidence de Balbiani, et depuis lors, elle est restée entre les mains de son secrétaire perpétuel Nicolas un instrument fécond de travail scientifique.
Mais ces institutions .n'étaient en quelque sorte que la manifestation extérieure et publique d'une activité plus profonde et d'une véritable impulsion imprimée par nos maîtres Nicolas et Prenant aux études morphologiques. L'esprit nouveau se manifeste dans des ouvrages didactiques, tels que les Éléments d'embryogénie et d'organogénie de M. Prenant, le Traité d'anatomie humaine de Poirier ; il anime bientôt le Traité d'histologie de MM. Prenant et Bouin ; mais il a sa source dans les travaux originaux de ces maîtres qui concernent en particulier l'embryologie et la cytologie et il a sa source dans l'enseignement donné aux élèves. L'innovation consiste essentiellement dans ce caractère de cohésion que puisent les descriptions d'anatomie ou d'histologie dans l'utilisation judicieuse des enseignements de la morphologie comparée et de l'embryologie. L'organogénèse et l'histogénèse sont mises à leur place normale : elles précèdent et expliquent les dispositions observées dans l'organe adulte, elles permettent de simplifier beaucoup certains développements, de même que le rappel fait à point d'un rapport ou d'une structure, observés chez un Vertébré ou un Invertébré convenablement choisi, éclaire soudain, de la façon la plus heureuse, tel rapport ou tel structure plus compliqués observés chez l'Homme. Telle est, Messieurs, du moins dans ses grandes lignes, la méthode d'enseignement que nos maîtres maniaient avec une habileté incomparable, tel est le milieu dans lequel j'ai eu l'avantage de me former ; et, en évoquant avec émotion les deux années passées au laboratoire de M. Prenant, et les cinq années, très laborieuses et très douces, passées dans le service de M. Nicolas, je salue avec respect et affection ces Maîtres qui firent tant d'honneur à la Faculté de Nancy et qui restent l'honneur de la Science française.
Vous dirais-je maintenant ce que je dois à mon prédécesseur immédiat, à M. le professeur Bouin ? Nous avons vécu côte à côte pendant sept ans dans cette atmosphère de sérénité, d'intelligence et d'indulgence qu'il répandait autour de lui et qui s'apparie si bien avec le calme d'un laboratoire d'histologie. Tout entier à ses élèves, tout entier à ces mémorables recherches d'histophysiologie qu'il poursuivait avec M. le Professeur Ancel, il savait entraîner ses interlocuteurs très haut dans le domaine des anticipations qui devenaient souvent des faits expérimentalement démontrés et contrôlables au microscope. Elève préféré de M. Prenant, il a laissé ici une trace ineffaçable. Nos vœux et notre affection l'accompagnent à la Faculté de Médecine de Strasbourg où il sera ce qu'il a été à Nancy, un pionnier de la pensée histologique française.
Le départ de M. Bouin est la cause occasionnelle de ma nomination à cette chaire et c'est ainsi que se marque, dans ma carrière, l'influence du moment. J'ai eu la joie, en 1918, de pénétrer en Alsace reconquise avec une division d'infanterie toute frémissante encore des derniers combats, et c'est à Mulhouse que j'appris, par une lettre de M. Bouin, la répercussion que la victoire allait imprimer à nos destinées respectives. Mais si j'évoque ici, Messieurs, avec quelque complaisance, les minutes sacrées de l'automne de 1918, ce n'est pas seulement pour le plaisir de revivre des souvenirs personnels, c'est surtout pour dégager avec vous, de ces grands événements, la leçon qu'ils comportent. Tous, à des degrés divers, nous avons été marqués par la guerre et tous nous sentons que le cycle héroïque de 1914 n'est pas clos. La France de 1920 a le front illuminé par la victoire, certes, mais elle reste en deuil elle pleure sur les ruines de ses plus belles provinces, elle compte les tombes de ses fils - nos frères d'armes, - elle entend gronder la rumeur des foules hallucinées à laquelle répond, au loin, la menace éternelle de l'ennemi. Dans ces heures solennelles de l'histoire du monde, nous désirons tous, ardemment, contribuer, dans la mesure de nos moyens, au relèvement de notre pays ; nous voulons le sauver une fois encore et nous cherchons autour de nous les directions qui nous conduiront au salut. Je suis sûr, Messieurs les Etudiants, qu'avec votre générosité naturelle, vous aspirez à compter parmi les meilleurs agents du renouveau national et que vous êtes impatients de remplir votre devoir civique comme, hier, vous accomplissiez votre devoir militaire jusqu'à la preuve du sang.   Ne croyez pas, d'ailleurs, qu'il soit nécessaire de chercher bien loin la meilleure façon de servir encore. Sans doute, nous savons que les conditions de l'ordre, dans une société, sont complexes et diverses et que nous ne sommes pas tous destinés à ces grands emplois où l'on peut, dans une certaine mesure, agir sur les événements. Mais il est une des conditions de l'ordre à laquelle nous pouvons satisfaire à coup sûr et qui devient décisive quand elle est multipliée par l'effort conjugué de tous les bons citoyens il n'est pour chacun de nous que de rester à sa place - j'allais dire à son poste - et de développer complètement sa valeur professionnelle. Ne vous y trompez pas, c'est un dessein très haut que de vouloir faire honneur à la profession qu'on a choisie, et puisque vous désirez devenir des médecins, soyez médecins avec tout ce que ce mot comporte d'élévation morale, de culture intellectuelle et de pitié agissante.            ,
Et ceci, Messieurs, m'amène directement au sujet que je désire traités dans cette première leçon, la place de l'histologie, science biologique, dans l'ensemble des connaissances médicales.

L'étudiant qui arrive dans une Faculté de Médecine se trouve, en général, un peu désorienté quand il consulte le tableau des enseignements. Il se représente en effet la profession qu'il désire embrasser, sous la forme d'une série d'actes qui apparaissent à son imagination adolescente comme relativement simples. Palpation, percussion et auscultation des malades, confection d'une ordonnance, opérations chirurgicales, voilà de quoi rêve en général le néophyte qui, pour la première fois, s'assoit sur les bancs de nos amphithéâtres. Il vient demander à ses nouveaux maîtres des méthodes et des procédés de guérison et il s'étonne de ne pas passer tout son temps à l'hôpital. Il s'étonne bien davantage en constatant qu'avant d'obtenir le droit d'exercer sa profession, il devra subir une série d'initiations qui ne lui paraissent avoir que de lointains rapports avec la pratique courante de la médecine. Il s'effraie un peu de voir que, sur la route qu'il s'était imaginée toute droite et au bout de laquelle il y a un diplôme de docteur, se dressent de véritables obstacles qui s'appellent anatomie, histologie, physiologie, chimie et physique médicale, parasitologie, etc... L'étudiant se demande s'il va indéfiniment recommencer son P. C. N. et ses anciens se chargent de refroidir encore son zèle hésitant en lui peignant les déboires des examens et la vanité des sciences que les uns appellent fondamentales et les autres accessoires. L'histologie a souvent l'infortune d'être classée parmi ces disciplines austères dont l'intérêt n'apparaît que tardivement à des yeux prévenus ; c'est pourquoi je voudrais, en inaugurant ce cours, justifier par avance l'enseignement que je suis chargé de vous dispenser.
Vous avez vu, à juste titre, dans le mot médecine, le mot remède et, à votre entrée dans la carrière, vous avez la noble ambition d'exercer l'art de prévenir, de traiter, de guérir les maladies et, à tout le moins, de soulager les malades. D'où votre étonnement de n'être pas mis directement, et tout de suite, en face des réalités cliniques. Peut-être serez-vous tentés alors de juger sans indulgence des méthodes d'enseignement que vous qualifierez de discursives ; peut-être reprendrez-vous à votre compte, et contre vos maîtres, le mot d'un écrivain, Charles Péguy, sur l'appareil critique de certains historiens modernes ; la méthode de la grande ceinture ! Essayons de juger en passant, ce procès de tendances qui fût, naguère, intenté aux Facultés de Médecine et qui est débattu encore tous les jours dans la presse, dans les conversations des cliniques, des laboratoires et des salles de garde. La discussion repose essentiellement sur l'idée même qu'on se fait de la médecine.
Redisons donc que la médecine, loin d'être une science autonome comme la mathématique, la physique ou la chimie est un art, c'est-à-dire l'utilisation pour l'action curative d'une foule de données empruntées aux sciences les plus diverses. La clinique et la thérapeutique elles-mêmes constituent plus la synthèse d'enseignements d'origine variée que des sciences autonomes qui, avec d'autres sciences autonomes, fourniraient la matière d'une discipline particulière et nouvelle. C'est ainsi que, avant d'être immédiatement pratique ou appliqué, l'enseignement de la médecine doit viser d'abord à un enrichissement de la culture générale. On peut concevoir à la rigueur des praticiens qui n'auraient pas reçu cette culture générale ; je me flatte de penser que vous repoussez d'avance toutes les suggestions qui tendent à rétrécir les avenues de l'intelligence au profit de je ne sais quelles nécessités d'ordre pratique. Vous connaissez tous le type de cet excellent infirmier qui, par la force de l'habitude, est capable de poser un diagnostic ou plus exactement de coller une étiquette sur une maladie et qui, à la rigueur, est également capable d'indiquer et d'appliquer les remèdes appropriés. Est-ce à ce brave homme dont l'ignorance excuse les prétentions que vous confierez la santé des êtres qui vous sont chers ? Et vous vous insurgeriez à juste titre contre un enseignement qui ne serait qu'un formulaire de procédés, susceptible peut-être de vous faire réaliser une économie de temps et d'efforts, mais qui ne satisferait pas votre besoin de comprendre. Mais vous souhaitez aussi ne pas vous écarter du but que vous poursuivez, c'est-à-dire de recevoir une instruction qui vous mette en mesure de devenir des médecins distingués. Eh bien, je vous le déclare, on est effrayé de tout l'ensemble imposant de connaissances variées qu'il convient de posséder pour exercer avec distinction la médecine, car l'objet de vos études et de votre sollicitude, c'est l'homme même et non pas seulement l'homme animal, mais encore l'homme raisonnable et l'homme moral. Ne croyez pas que ce patient qui souffre dans un lit et qui réclame des soins, soit un individu banal, exactement pareil à des millions d'autres, comme une machine construite en série. Vous n'avez pas affaire à l'homme en soi, au noumène de l'Homme, mais à un homme, composé à la fois, chétif et formidable, où, aux éléments essentiels, se mêlent en proportions indéterminées les influences complexes de la famille et de l'hérédité, du métier et du milieu social, de la race et de la patrie, du climat et de la géologie. Vous apercevez déjà qu'en face d'un malade, vous n'aurez pas à appliquer sans discernement des procédés appris par cœur, mais avant tout à choisir des méthodes thérapeutiques, à faire preuve de finesse, de discernement, vous aurez sans cesse à exercer vos facultés d'adaptation. Qu'est-ce à dire, sinon que le domaine de la médecine est infiniment plus vaste que ne l'imagine notre infirmier et que cet art si délicat doit être souple pour être efficace et éclairé pour que le médecin puisse modeler chaque jour son action sur des réalités parentes mais non jumelles. Il n'est pas possible et il n'est pas souhaitable que Pic de la Mirandole devienne le modèle du médecin moderne, mais il est nécessaire à l'exercice correct et fécond de notre art que le praticien possède des clartés suffisantes de toutes les sciences qui traitent de l'homme. L'enseignement secondaire que vous avez reçu a tendu à ce que rien d'humain ne vous fût étranger. L'enseignement médical doit tendre au même but, avec une orientation pratique, et c'est pourquoi les sciences fondamentales sont à la base même de l'art que vous vous proposez d'exercer.

Quelle est la place, parmi celles-ci, de l'histologie ? Quelle est son utilité à la culture médicale, à la pratique quotidienne et à l'avancement même de l'art de guérir ?
Etymologiquement, le mot histologie désigne la science des tissus dont se composent les organismes vivants, animaux et végétaux. Dans une Faculté de Médecine, l'histologie est avant tout la science des tissus de l'Homme, mais le domaine de cette science est beaucoup plus étendu à l'heure actuelle que ne l'entendaient ses fondateurs. C'est Bichat, le génial créateur de l'anatomie générale qui, en 1801, introduisit dans les sciences biologiques la notion des tissus. Cet illustre observateur remarque que nos organes sont formés par l'association de plusieurs tissus de nature très différente qu'il compare aux corps simples, de la chimie lesquels se combinent entre eux pour former des corps composés. L'immense mérite de Bichat fut de montrer, sans le secours du microscope, que les différents tissus présentent une foule d'attributs caractéristiques de chacun et exclusifs des autres. Nous avons souvent le tort de sourire quand, nous reportant à plus d'un siècle en arrière, nous relisons les travaux de nos devanciers, et très fiers de la technique actuelle, nous n'imaginons pas assez qu'elle sera dépassée et que nos arrière-neveux considèreront aussi notre époque comme l'enfance des sciences biologiques. Gardons-nous de l'infatuation et rendons grâces à un savant comme Bichat, même si sa pauvre technique a été dépassée : nous ne qualifierons pas d'enfantins ses procédés, action du calorique, de l'air, de l'eau, des acides, des sels neutres, dessiccation, putréfaction, macération, coction qui nous ont valu une des notions fondamentales de l'histologie.
Bichat ignorait la nature même des tissus qu'il avait reconnus et il avouait cette ignorance sans la croire irréductible. Quelque trente ans plus tard, grâce à l'emploi raisonné du microscope, l'analyse était en effet poussée plus loin. Schleiden (188) et Schwann (1839) fondaient définitivement, le premier pour les végétaux, le second pour les animaux, la théorie cellulaire et, dès lors, la question de la vie devenant inséparable de la notion de cellule et toutes les sciences biologiques se trouvaient du même coup éclairées et dominées par cette acquisition incomparable.
Arrêtons-nous un instant et mesurons le chemin parcouru. Nous sommes au milieu du XIX° siècle. Ch Bernard, succédant à Magendie, enseigne au Collège de France et publie ses Leçons de Physiologie expérimentale appliquée à la Médecine (1854) ; Pasteur, doyen de la Faculté des Sciences de Lille, publie un Mémoire sur la fermentation appelée lactique (1857). A Berlin, Virchow prépare les vingt leçons fameuses de Pathologie cellulaire fondée sur l'étude physiologique et pathologique des tissus, qu'il devait donner en 1858 à un auditoire d'élite.
En ces années décisives pour l'orientation moderne des sciences biologiques, l'histologie parvient à une étape notable de son développement. Leydig (1856) vient de définir la cellule : une masse de protoplasma munie d'un noyau. De toutes parts, on considère la cellule comme l'organisme élémentaire et la théorie cellulaire peut être formulée en quelques propositions très simples. Tous les êtres vivants, animaux ou végétaux, sont formés de cellules. Les Protozoaires et les Protophytes sont formés d'une seule cellule ; les Métazoaires et les Métaphytes sont formés d'un nombre plus ou moins considérable de cellules jouissant chacune jusqu'à un certain point de son autonomie. Toute cellule provient d'une cellule préexistante c'est l'axiome de Virchow « omnis cellula e cellula », complété plus tard par celui de Strassburger « omnis nucleus e nucleo ». Le monde de la nature vivante apparaît aux observateurs éblouis comme une société hiérarchisée, formée d'individualités inégales qui procèdent toutes du même limon, c'est-à-dire de l'organisme élémentaire, de la cellule. Si l'on regarde dès lors l'univers animé dans un de ces miroirs de la nature comme ceux qui plaisaient tant aux théologiens du XIII° siècle, on est en face d'une construction solide où sous l'apparente diversité des formes, on retrouve toujours l'unité essentielle du matériau, la cellule. On établit des séries croissantes : cellules, tissus, organes, personnes, états. Le tissu est une association de cellules semblables entre elles, les organes sont des complexes de tissus, la personne est le groupement formé par différents organes, les `états sont des agglomérations de personnes. L'esprit humain, toujours avide de saisir le simple dans le composé et l'unité dans la diversité s'empare avec faveur do la notion de la cellule. Puisqu'il n'y a pas de vie sans cellule, puisque les problèmes généraux de la vie se posent déjà à propos de la cellule, il s'ensuit que la physiologie générale, qui représente la plus haute aspiration des sciences biologiques, ne peut être qu'une physiologie cellulaire.
Puisque, d'autre part, la vie est essentiellement cellulaire, les troubles de l'équilibre vital doivent se manifester d'abord dans la cellule, et c'est l'entrée de l'histologie dans la pathologie. Ainsi, tout problème médical est une question de physiologie générale et comme la physiologie générale ne peut être qu'une physiologie cellulaire, il s'ensuit que l'histologie est devenue le lieu géométrique où se croisent les sciences de la vie, qu'elles soient théoriques ou appliquées. C'est ce qu'a lumineusement vu Cl. Bernard : « La physiologie générale, écrit-il dans « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale », est la science biologique fondamentale vers laquelle les autres convergent. Son problème consiste à déterminer la condition élémentaire des phénomènes de la vie. La pathologie et la thérapeutique reposent également sur cette base commune. C'est par l'activité normale des éléments organiques que la vie se manifeste à l'état de santé ; c'est par la manifestation anormale des mêmes éléments que se caractérisent les maladies, et, enfin, c'est par l'intermédiaire du milieu organique modifié au moyen de certaines substances toxiques ou médicamenteuses que la thérapeutique peut agir sur les éléments organiques. Pour arriver à résoudre ces divers problèmes, il faut en quelque sorte décomposer successivement l'organisme, comme on démonte une machine pour en reconnaître et en étudier tous les rouages ».
Ces aperçus vous montrent, Messieurs, pourquoi 1'histologie, science biologique, est en même temps et au plus haut degré une science médicale puisqu'elle vise à la fois à une interprétation des phénomènes de la vie, normaux et pathologiques, et qu'elle ouvre la voie à la thérapeutique, but suprême de l'activité du praticien. Les résultats déjà obtenus et les résultats espérés répondent-ils aux premiers enthousiasmes, devons-nous persévérer dans la voie tracée par nos prédécesseurs ? C'est ce que nous allons essayer d'élucider en esquissant le tableau de l'histologie contemporaine, de ses résultats, et de ses aspirations.

A l'heure actuelle, le cours d'histologie enseigné dans une Faculté de Médecine comprend deux parties bien distinctes, l'anatomie générale ou histologie proprement dite et l'anatomie microscopique. Ces deux branches, d'inégale importance au point de vue scientifique pur, sont inégalement importantes au point de vue de leurs applications acquises ou possibles. C'est l'anatomie générale qui paraît le plus éloignée de l'art médical et l'anatomie microscopique la plus voisine et c'est cependant de l'anatomie générale que l'art médical trouvera à s'enrichir et à se développer. Ceci mérite quelques explications. Qu'est-ce que l'anatomie microscopique, sinon le prolongement de l'anatomie descriptive révélée par la dissection ? L'anatomie normale est une science indispensable au médecin ; c'est un truisme de le répéter, mais c'est une science faite et qui a donné à peu près tous les résultats pratiques qu'on pouvait en attendre. Elle est et sera toujours nécessaire au médecin, comme une carte d'état-major est nécessaire au voyageur qui s'aventure dans un pays inconnu, mais c'est une carte si bien faite que tous les chemins y sont portés et qu'on ne peut guère lui demander plus qu'elle n'a donné jusqu'à présent. Ayant épuisé à la tracer toute la puissance de ses yeux, toute la finesse de ses scalpels et toute l'habileté de sa main, l'anatomiste a poursuivi sa tâche en empruntant à la science voisine, l'histologie, son principal instrument, le microscope. Il a pu ainsi ajouter à une carte déjà très complète des sentiers nouveaux, mais maintenant assez bien connus. L'anatomie normale a finit d'étudier la personne, l'anatomie microscopique a presque fini d'étudier les organes. Reconnaissons qu'elle a obtenu dans cette voie des résultats admirables ; elle a fixé en particulier la topographie des grandes voies qui parcourent le système nerveux central, et dans la substance d'apparence homogène du cerveau et de la moelle, nous distinguons aujourd'hui toute une architecture compliquée, mais claire, toute une systématisation dont nous connaissons le plan général. Mais nous ferons de l'anatomie microscopique comme nous faisons de la dissection, un ensemble de connaissances en quelque sorte géographiques destinées à nous orienter dans un pays inconnu plutôt qu'à nous instruire de ses mœurs et de sa politique. C'est à l'anatomie générale que nous demanderons ces derniers renseignements.
L'anatomie générale comprend deux rameaux, l'histologie science des tissus, la cytologie qui tend à la connaissance de la cellule. Or, on passe assez facilement de l'anatomie microscopique qui étudie les organes à l'histologie qui s'occupe des tissus. En effet, les organes ne sont pas seulement le résultat d'une association de tissus variés : leur nom même indique qu'une telle association n'est pas indéterminée et en quelque sorte anarchique, mais une association où la division du travail physiologique s'accompagne, non seulement d'une interdépendance des parties constitutives, c'est-à-dire des tissus, mais d'une subordination de ces parties les unes aux autres de telle manière que l'une d'entre elle nous apparaît comme prédominante au point de vue physiologique. D'où la notion, dans chaque organe, d'un élément dominateur, tel que l'épithélium digestif pour l'intestin, le tissu musculaire pour le muscle, le tissu nerveux pour les organes nerveux. Donc, dans un organe, nous avons à accorder une attention plus grande à l'élément dominateur qui accomplit une fonction non plus générale, mais particulière, mais spécialisée, au tissu qui imprime à un organe déterminé sa caractéristique physiologique. Mais nous avons dit que les tissus, c'est leur définition, sont formés de parties élémentaires toutes semblables entre elles ou extrêmement voisines les unes des autres, d'où il suit que pour parvenir à la connaissance d'un tissu, il faut connaître et il suffit de connaître ses éléments, c'est-à-dire les cellules de ce tissu. Ainsi, l'histologie, science des tissus, se confond peu à peu et par une pente insensible avec l'étude des cellules et quand on connaît la cellule musculaire, la cellule glandulaire, il reste très peu à faire pour connaître les tissus musculaire et glandulaire et les organes tels que les Muscles et les glandes où l'élément prédominant est le tissu musculaire et le tissu glandulaire.
Il résulte de ces données que l'histologie tend à devenir de plus en plus générale et qu'elle trouve en quelque sorte sa plus haute expression dans la cytologie (laquelle, nous l'avons dit, se confond, à une certaine hauteur avec la physiologie générale, normale et pathologique, et avec la thérapeutique). Rien d'étonnant donc qu'arrivés sur le palier de la théorie cellulaire, les histologistes se soient élancés sans tarder vers un sommet plus élevé et que la cellule leur soit apparue comme la terre promise de la biologie. Cette ascension a été fertile en découvertes ; il ne m'est pas possible de les énumérer. Lisez cependant l'histoire de la fécondation ou de la division cellulaire et vous aurez l'impression d'être sur une de ces hauteurs d'où l'on voit partir les vallées et les sources et d'où l'on découvre d'immenses horizons. C'est quand ils sont réunis sur de tels sommets que le physiologiste, l'histologiste et le médecin comprennent qu'ils ne sont pas des frères ennemis et que s'ils veulent continuer leur ascension, ils ont tout intérêt à ne pas se séparer.

Nous venons de voir l'histologie parvenir au stade cytologique ; cette ère n'est pas terminée, mais je dois vous signaler qu'elle est marquée à ses différentes époques par des tentatives hardies de l'esprit d'analyse. Grâce aux perfectionnements de la partie optiques, des microscopes, grâce également aux progrès de la technique histologique proprement dite (emploi de plus en plus raisonné des réactifs fixateurs et des matières colorantes), l'œil de l'observateur contemporain aperçoit dans la cellule une foule de détails qui avaient échappé à ses prédécesseurs ; on avait cru toucher à l'unité vivante, simple et irréductible, et voilà que cette prétendue unité est tout un monde, un microcosme, un organisme. Entraîné par sa pente naturelle, l'esprit est bien obligé de quitter le mol oreiller de la théorie cellulaire et de se demander si, au-dessous de la cellule, n'y a pas une matière vivante, une matière essentiellement vivante et qu'il suffirait de connaître pour devenir en quelque sorte le maître de la vie et de la mort. D'où l'attention particulière avec laquelle on scrute tout à tour la structure du protoplasma, celle du noyau, celle des organites permanents de la cellule ; d'où la faveur qu'on accorde successivement à des théories comme celle des bioblaste d'Altmann, aux observations concernant le chondriome, d'où le polémiques qui accueillent des hypothèses comme celle des symbiotes. Mais plus l'analyse se poursuit et se précise, plus on voit s'évanouir le mirage de l'unité vivante, de l'unité de vie. Il n'y a pas un protoplasma, il y a des protoplasmas que l'on qualifie de plus ou moins vivants selon qu'ils sont plus ou moins différenciés ; d'où l'on conclut que, dans un organisme supérieur, le protoplasma le plus vivant, par conséquent essentiellement vivant, serait celui des premiers blastomères. Ainsi, la cytologie arrive peu à peu à un point où la notion de cellule-unité vivante se transforme en la notion de cellule-complexe d'organites déjà vivants. Rien ne. peut arrêter des observateurs engagés dans une voie nouvelle et l'on est conduit invinciblement à fouiller la structure des organes de la cellule jusqu'aux limites qui nous sont imposées par la constitution même de la lumière à laquelle est subordonnée le pouvoir résolvant des objectifs. Nous touchons là par conséquent à l'oméga de la cytologie envisagée comme science autonome et nous voyons qu'elle commence dès que l’œil est suffisamment armé pour distinguer la cellule et qu'elle finit quand son arme, l'objectif microscopique, a épuisé sa puissance.
Cependant, la cytologie, science biologique, nous lègue une indication. Au moment où elle cesse d'avoir un objet propre, elle nous montre que la structure des plus petits organes de la cellule ne diffère pas de la structure de la matière brute, que certains états des corps du monde minéral, comme l'état colloïdal, sont précisément l'état même dans lequel semblent se trouver les substances organiques infiniment complexes, mais réductibles à quelques corps simples, que l'analyse chimique découvre dans la substance vivante. Ainsi, le domaine de la cytologie déjà si étendu et si varié s'assoit véritablement sur des assises physico-chimiques et on peut envisager le moment où l'histologie de la cellule deviendra une physique et une chimie moléculaire. Ici encore, nous rejoignons la physiologie générale dont le but est d'atteindre et de fixer les conditions matérielles des phénomènes de la vie, c'est-à-dire leurs conditions physico-chimiques.
Quand d'analyse physiologique en analyse physiologique, on parvient à réduire les phénomènes de la vie à leurs composantes physico-chimiques qui, comme telles, n'échappent pas à un déterminisme rigoureux, quand, en même temps, l'anatomie a décomposé l'individu en organes, les organes en tissus, les tissus en cellules, les cellules en organites et ceux-ci en molécules de substances organiques dont la physico-chimie s'empare pour les rendre finalement au monde minéral, c'est-à-dire au milieu cosmique, on en vient à se demander si la vie n'est pas une illusion, si par conséquent les sciences biologiques ont un objet propre, si l'étude de l'histologie est nécessaire, et si le médecin ne gagnerait pas à être surtout un physicien et un chimiste. Ces questions ne sont pas seulement des clauses de style, elles se posent et nous allons essayer d'y répondre.
Dès l'instant que les particules élémentaires de la matière vivante ne nous apparaissent pas différentes des particules élémentaires de la matière brute, il semble bien qu'on puisse leur étendre sans aucune audace la théorie atomique. Le terrain matériel des phénomènes vitaux nous apparaît alors comme constitué par un assemblage de molécules de substances organiques variées, appelées principes immédiats ou constituants primaires de la cellule, tels que protéides (glyco-protéides et nucléo-protéides, albumines, globulines, lécithines, cholestérine), dont nous concevons les réactions comme l'essence même des phénomènes vitaux. De ces substances, les plus caractéristiques, celles qui appartiennent sans exception à tous les organismes, ce sont les molécules de matières protéiques. Or la chimie ne conçoit pas un corps appelé protéique, elle distingue de nombreuses variétés de matières protéiques différentes les unes des autres; elle montre que toutes ces matières sont formées de molécules dont on connaît souvent la formule brute, mais moins nettement la structure, c'est-à-dire le mode suivant lequel les atomes constitutifs se trouvent assemblés les uns par rapport aux autres. Mais nous savons, entre autres choses que ces molécules, à constitution stéréochimique encore indéterminée sont de dimensions énormes en raison de la quantité d'atomes- qu'elles renferment et qu'elles présentent côte à côte un nombre considérable de fonctions chimiques diverses. Le problème scientifique des conditions élémentaires de la vie se présente donc à nous sous un premier aspect chimique. « Faire l'inventaire complet de tous les constituants cellulaires, écrit le professeur Lambling, établir nettement leur structure et par conséquent tout leur fonctionnement chimique, déterminer la manière dont ces corps sont associés dans la cellule, en un mot faire l'anatomie chimique des organismes, telle est la tâche la plus proche qui s'impose à la biochimie, d'une manière aussi pressante que s'imposait à l'anatomie générale, i1 y a soixante ans, l'étude morphologique des tissus et des organes ... » Et plus loin « L'étude de la structure des protéiques est le problème fondamental de la biologie cellulaire ». Qu'est-ce à dire sinon que la cytologie a une racine stéréochimique et que la morphologie des éléments cellulaires que nous étudions au microscope a pour condition la forme même des molécules des constituants primaires.
Mais la morphologie, entendue au sens ordinaire, c'est-à-dire des structures observées par l'œil muni de l'objectif microscopique, a d'autres conditions d'existence, des conditions d'ordre physique. Sous quel état se présentent les constituants cellulaires, quelles sont les forces qui interviennent dans l'organisation de ces constituants et dans le travail cellulaire ? La physique a déjà répondu à quelques-unes de ces questions. Elle nous fait connaître l'état colloïdal de la plupart des constituants cellulaires et nous montre cet état colloïdal comme la condition même du maintien de la forme et de la structure de la cellule, elle étudie les lois de la perméabilité des membranes, le rôle des lipoïdes dans la perméabilité cellulaire, la tension osmotique, les forces capillaires, l'état électrique, etc., bref la biophysique comme la biochimie tend à réduire les phénomènes infiniment complexes de la vie organique aux lois fondamentales de la matière et de l'énergie. Vous voyez donc que nos conceptions biologiques, et plus particulièrement cytologiques, sont liées aux conceptions générales de la physique et de la chimie, et appelées par conséquent à se transformer avec elles. En fait, certaines questions de cytologie ont toujours été influencées en quelque sorte par l'état d'avancement de la physico-chimie : la question de la structure du protoplasma en particulier a jusqu'ici suivi pas à pas les études de physique et de chimie concernant la matière et ses manifestations et dans cette direction, la science a devant elle un champ de recherches illimité.

Mais, direz-vous, ces transformations de la science sont bien décevantes : ce que nous cherchons, nous autres médecins, c'est un terrain solide où nous appuyer. Le malade n'attend pas que l'accord soit fait sur quelque hypothèse définitive susceptible d'expliquer toutes les énigmes du monde sensible ; il avait besoin hier, il a besoin aujourd'hui qu'on lui porte secours ; la nécessité nous commande d'agir sans attendre des révélations magnifiques, certes, mais trop lointaines pour être efficaces aujourd'hui. Il est facile de répondre à ces objections par le mot de Cl. Bernard : « Nous pouvons plus que nous ne savons ». D'ailleurs, le terrain solide que vous cherchez, il est sous vos pas et vous pouvez vous y appuyer sans crainte. Dans sa marche à la découverte des explications fondamentales des phénomènes de la vie, l'anatomiste qui explore le domaine des formes a déjà élucidé bien des mystères de l'organisation et fourni au médecin des armes efficaces c'est de l'anatomie descriptive et topographique que sortent les plus audacieuses interventions chirurgicales, c'est l'anatomie microscopique et l'histologie qui éclairent le médecin et lui permettent une vision pénétrante des phénomènes normaux et pathologiques les plus secrets.. Comme le prisme dissocie un rayon de soleil, l'œil du médecin, éclairé par la lumière intérieure des souvenirs scientifiques qui composent son bagage, contemple et réduit à leurs éléments les épisodes aigus ou chroniques de la lutte qui met aux prises les tissus avec les agents pathogènes. Que ne peut-on pas attendre, au point de vue pratique, de cette magnifique opération intellectuelle et comme nous voilà loin du réflexe de l'infirmier dont je vous entretenais tout à l'heure ?
Mais le terrain solide de vos opérations, la base stratégique, comme diraient les anciens combattants, n'est pas seulement dans les faits acquis, dans les sciences faites ou presque faites, comme l'anatomie microscopique, l'histologie, la cytologie. Sans doute ces sciences retiendront la majeure partie de notre temps et nous en tirerons d'immenses bienfaits. Le terrain solide est encore, il est surtout dans la méthode des sciences biologiques et dans l'esprit de ces sciences. J'ai essayé de vous montrer, en vous traçant un rapide tableau de l'évolution histologique, dans quelle direction se meuvent les sciences biologiques depuis qu'à la suite de Cl. Bernard, elles se sont engagées délibérément dans la voie expérimentale. Vous savez ce qu'il faut entendre par ce mot science expérimentale appliquée aux êtres vivants et qu'il est à la fois un but et un moyen ; un but : la science expérimentale recherche le déterminisme des phénomènes de la vie ; un moyen pour atteindre au déterminisme des phénomènes, elle les étudie comme s'il s'agissait des corps bruts. Nous sommes ici, je m'empresse de le dire, sur le plan scientifique, le plan des causes secondes, le plan des choses matérielles que nous ne pouvons connaître en soi, mais seulement par leurs relations entre elles et avec nos sens. Nous ne plaçons pas d'abord à la base des sciences biologiques une définition de la vie. Nous constatons que les phénomènes dits biologiques et les formes matérielles qui en sont le théâtre, organes cellulaires, cellules, tissus, organes, etc., peuvent être ramenés par l'analyse à des modalités accessibles de l'énergie et de la matière. Nous ne posons pas la question, légitime d'ailleurs, mais purement philosophique et à laquelle les esprits les plus éminents ont tenu à donner leur réponse, de savoir si les matériaux de la vie, condition nécessaire de la vie en sont la condition suffisante ou si leur assemblage obéit, en outre, à « une idée créatrice qui se développe et se manifeste par l'organisation » (Cl. Bernard). Nous tenons seulement à faire remarquer en passant que quelle que soit la réponse, elle est toujours métaphysique, même quand elle s'en défend, tant il est vrai « que les métaphysiques inavouées, notamment celles que nous font les savants modernes, sont des métaphysiques tout de même » (Péguy). Nous voulons rester sur le plan physique précisément parce qu'il est celui de l'action curative vers laquelle vous tendez. Si en effet les propriétés de la matière vivante obéissent à un déterminisme rigoureux, si le rude effort du biologiste aboutit, en dernière analyse, à nous faire voir dans la vie et dans la mort de nos organes le jeu des mêmes forces physiques et chimiques qui régissent la matière brute, il est clair que la médecine voit s’ouvrir devant elles des espoirs illimités. Nous pouvons agir, telle est la conclusion réconfortante qui se dégage de la méthode expérimentale. Dès lors, nous voulons agir et nous agissons.
Nous savons, le vieux Bacon nous en avertissait déjà, qu'on ne commande à la nature qu'en lui obéissant, c'est-à-dire en nous soumettant à ses lois. La tache initiale du médecin est donc de s'instruire de toutes les lois biologiques qui ont pu être dégagées jusqu’à présent : c'est à cette seule condition qu'il peut espérer intervenir, c'est-à-dire introduire dans un mécanisme morbide la condition ou les conditions de sa restauration. En fait, et en restant toujours sur le plan scientifique, nous trouvons dans l'efficacité de la méthode expérimentale la légitimation de son emploi et des motifs plus que suffisants d'y persévérer. Pragmatisme, direz-vous!
Soit. Mais ce n'est pas à des praticiens ou à de futurs praticiens qu'il appartient de faire de ce mot un reproche à une méthode qui leur apporte non seulement des promesses, mais qui fournit à leur action quotidienne les meilleurs de ses moyens. Peut-être me direz-vous encore, faisant vôtre le mot d'Hamlet : « Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu'il n'y en a dans votre philosophie.». Soit encore, et je suis tout prêt à contresigner cette phrase illustre, mais restons à notre place et répétons cette formule que Cl. Bernard emprunta à Descartes pour en faire la conclusion de sa Définition de la vie « On pense métaphysiquement, mais on vit et on agit physiquement ». En restant sur le plan physique pour faire de l'histologie, pour cultiver les sciences biologiques et pour pratiquer la médecine, nous sommes sûrs, par surcroît, d'être utiles à nos semblables et de nous acheminer ainsi vers le but supérieur et le couronnement de la science : connaître pour aimer.