UN SAVANT NANCEIEN
MECONNU : LEON MALAPRADE (1903-1982)
ET POURTANT ...
Georges GRIGNON
Les biologistes du monde entier
parlent, dans le langage quotidien, de substances P.A.S.-
positives ; P.A.S.-négatives ; la réaction dite au P.A.S., ou encore réaction de Mc
Manus, ou plus rarement réaction de McManus-Hotchkiss
fait partie des techniques de la routine la plus banale, notamment dans les
laboratoires d’Histologie et d’Anatomie-Pathologique.
Mais, qui sait ou qui se souvient qu’elle est issue des travaux d’un éminent
chimiste nancéien, le Professeur Léon Malaprade
(1903-1982) qui, en 1934, n’imaginait certainement pas que sa “réaction”,
appliquée au monde vivant, deviendrait une technique phare de l’histochimie
encore balbutiante ?
L’Histologie,
née de l’anatomie microscopique, a permis de reconnaître les édifices de cellules
dont sont formés les tissus et les organes. Mais son souci a été bien vite
d’identifier et de localiser au sein de ces édifices, les molécules qui les
constituent. Bien sûr, il y a eu d’abord des méthodes dites “extra situm” qui ont consisté à faire des broyats de tissus ou
d’organes puis à procéder à l’analyse chimique de la “soupe” ainsi obtenue (le
mot est du professeur Etienne Beaulieu, “père” de la DHEA).
Ces données, fort intéressantes
au demeurant, n’apportaient cependant aucune précision sur l’emplacement et
l’agencement des molécules au niveau des tissus. On a donc eu recours à des
méthodes dites in situ destinées précisément à identifier les
constituants moléculaires là où ils se trouvent dans les tissus ou organes
restés intacts. L’entreprise s’est révélée peu aisée ; il est difficile de
transposer purement et simplement les techniques de la chimie. En effet, les
propriétés de telle ou telle molécule pourtant bien connue des chimistes,
aisément identifiées dans un tube à essai, sont souvent modifiées ou masquées
par leur association avec d’autres dans la matière vivante. Les essais furent
nombreux, les résultats souvent incertains. Et pourtant, en 1946, Mc Manus applique à l’histochimie la réaction de Malaprade qui lui permet de mettre en évidence de façon
spécifique les composants polysaccharidiques sur les
préparations histologiques. Il réussit là, sans équivoque, la transposition, au
demeurant simple, d’une technique de la chimie organique à l’histochimie. La
voie vers la connaissance de l’architecture moléculaire de la matière vivante
s’enrichit.
Certes, depuis cette époque, un
chemin considérable a été parcouru, il n’empêche que la réaction de Malaprade, utilisée à d’autres fins que lui par Mc Manus, a marqué un grand progrès dans les connaissances
de la structure moléculaire des organismes et dans la mise en évidence de
certains dysfonctionnements cellulaires et tissulaires.
Léon Malaprade
est né en 1903 à Dieppe. Devenu ingénieur de l’Institut de Chimie de Nancy, il
opte pour l’enseignement à la Faculté des Sciences. Sa thèse marque le début de
brillantes recherches sur les hétéropolyacides
molybdique et tungstique qui lui vaudront une renommée internationale. Dans le
cadre de ses travaux sur l’analyse des polyalcools, il montre que leur
oxydation par l’acide périodique en provoque en quelque sorte la rupture en
même temps qu’apparaissent à leur niveau des fonctions aldéhydes. Or, on sait
qu’il existe un réactif, le réactif de Schiff qui
d’incolore devient rouge à rouge-violet en présence
d’aldéhydes, ce qui permet de les reconnaître.
L’importance de cette découverte
et son application possible à la mise en évidence des polysaccharides et/ou des
mucopolysaccharides sur le matériel biologique n’a
pas échappé à Mc Manus qui a aménagé à cet effet la
réaction de Malaprade devenue pour les morphologistes
réaction de Mc Manus.
Les échantillons (coupes
histologiques) sont plongés dans une solution d’acide périodique,
lavés, puis transportés dans le réactif “caméléon” de Schiff. Les structures où sont apparues des fonctions
aldéhydes deviennent colorées et contenaient donc des radicaux polysaccharides,
les autres non. C’est (presque) aussi simple que cela.
Homme observateur, curieux de tout,
infatigable travailleur, Léon Malaprade a contribué à
l’enseignement de la Chimie générale à la Faculté de Médecine (1961-1967) à la
suite de la suppression du PCB. Il s’est éteint à Nancy en 1982.
Il n’est pas possible de
terminer ce court texte consacré à Léon Malaprade
sans évoquer un autre aspect de son oeuvre et non le moindre. Il a légué, en
1967, l’enseignement de la chimie appliquée à la médecine en première année du
premier cycle des études médicales à son élève Daniel Burnel,
lui aussi éminent chimiste et enseignant talentueux, unanimement apprécié
d’ores et déjà par plus de trente-cinq promotions d’étudiants. Cela aussi
méritait d’être rappelé.