FRANÇOIS HUMBERT
(1776-1854)
LE PREMIER ETABLISSEMENT
DE SOINS ORTHOPEDIQUES FRANÇAIS A MORLEY OU LE TALENT OUBLIE
Georges GRIGNON
Le 4 juin 1854, à 1’aube,
s’éteignait, dans le village meusien de Morley, François Humbert que l’on
imagine vivant depuis quatre années avec ses souvenirs et, parcourant son
jardin, hanté par l’ombre du f ls disparu qui devait
assurer, sinon la pérennité, du moins la continuité de l’oeuvre qu’il avait
entreprise.
Originaire de Châlons-sur-Marne
où il était né le 22 octobre 1776, le jeune François eut une jeunesse en
demi-teinte entre un père autoritaire et une mère, semble-t-il, indifférente.
Il devient cependant grâce à
l’appui de son futur beau-frère, Hutier, chirurgien
de 3e classe, attaché à 1’hôpital militaire de Châlons-sur-Marne. En 1796, les
chirurgiens de 3e classe étant licenciés, il entreprend des études de Médecine
à Paris qu’il quitte en 1799 pour 1’armée d’Italie avec, à nouveau le grade de
chirurgien de 3e classe. Rentré en France, il se fixe finalement à Morley, d’où
est originaire sa jeune épouse, Jeanne de Fleury.
C’est en 1814 seulement, que François
Humbert s’oriente définitivement vers l’orthopédie et crée en 1817, un
établissement qui est, sans conteste, le premier établissement de soins orthopédiques
de l’histoire en France. Profondément convaincu qu’il convient de mettre en oeuvre
des moyens mécaniques pour traiter et guérir les difformités, il conçoit et
fait fabriquer nombre de « machines » nouvelles ou apporte des modifications à
des « machines » existantes et déjà connues qu’il adapte aux objectifs
poursuivis. Mais il importe d’être à la fois médecin et menuisier pour mener à
bien cette tâche. Il n’est, dit-il, si habile ouvrier qui puisse se pénétrer de
la pensée des médecins et saisir dans leur totalité les indications qu’ils
conçoivent; il n’est pas non plus suffisant pour le médecin de posséder des
connaissances approfondies ou une grande pratique de son art pour concevoir les
appareils, il lui faut aussi des « dispositions innées » pour la mécanique.
Aussi pour devenir un bon orthopédiste, est-il indispensable de réunir les deux
genres de connaissances. Par ailleurs, les difformités ne peuvent pas être
traitées avec des machines « dont la construction est toujours la même ».
Chacune doit pouvoir être adaptée au cas particulier auquel elle s’applique et
sa configuration doit pouvoir être modifiée, à tout moment, en fonction des
progrès du traitement. Comme l’écrit François Humbert lui-même à propos de ses
machines « tous les jours on peut se trouver dans la nécessité d’ajouter à
leurs modifications ».
Aussi François Humbert va-t-il
créer un atelier où seront construits et «ajustés» au jour le jour les
appareils qu’il a conçus. Cet atelier fera partie intégrante de son
établissement de soins et on l’imagine sans peine y passer, lui-même, de
nombreuses heures pour y surveiller attentivement les constructions en cours.
La liste des appareillages
conçus par François Humbert et fabriqués dans les ateliers de Morley est
impressionnante : l’hybomètre, ingénieux appareil
destiné à mesurer l’importance des gibbosités, lits et fauteuils orthorachidiques construits et équipés différemment les uns
des autres, en fonction des difformités traitées, appareils extenseurs, corsets
...etc. On peut encore contempler certaines maquettes de ces réalisations au
Musée de Bar-le-Duc ou consulter leurs plans.
De toute évidence, les
traitements mis en oeuvre sont de longue durée, plusieurs mois, souvent plus
d’un an. L’établissement de Morley, qui peut recevoir jusqu’à cent malades à la
fois, comporte outre des chambres pour les malades et des salles de traitement,
une salle de billard, une bibliothèque, une salle de danse ... etc. Un vaste
jardin offre d’agréables promenades. Des bâtiments annexes sont destinés dans
le village à héberger les familles des malades qui, toutes, sont des jeunes filles.
La journée dans l’établissement
est minutieusement organisée. Bain de quinze minutes très tôt (les employées
mettent l’eau à chauffer dès 2 heures du matin), retour au lit avec réinstallation
de l’appareillage, lever à 8 heures, mise en place des appareils ambulatoires, déjeuner
à 9 heures, promenade, nouveau bain à l1 heures, maintien, avec 1’appareillage
adapté, en position assise qui permet l’écriture, la lecture, les travaux de
couture ou de broderie jusqu’à 17H30, (goûter à 16H30) puis dîner à 18 heures,
promenade si la saison le permet, et coucher à 20H30, chaque patiente
retrouvant son appareillage de nuit. Le chef d’établissement passe alors dans
toutes les chambres, s’assure que tout est en ordre et vérifie, en particulier,
que chaque appareil est correctement posé.
Une fois par semaine, François
Humbert procède à un examen minutieux de chacune de ses patientes et décide
éventuellement d’adapter les modalités du traitement aux progrès observés.
L’oeuvre de François Humbert est
considérable. Il a analysé, avec un sens aigu de 1’observation et une grande
perspicacité, la plupart des difformités, il a conçu des appareils ingénieux
pour obtenir leur correction et il a, semble-t-il, obtenu d’excellents
résultats. Sa notoriété est devenue telle que les patientes affluent de toutes
les régions. Marques d’estime et honneurs lui sont prodigués. Certes, des
confrères jaloux tentent-ils de faire fermer son établissement. La visite
d’inspection, qu’ils ont suscitée, aboutit à des conclusions opposées à leurs
souhaits.
Cet homme passionné était
secondé par son fils qui devait lui succéder et assurer la continuité de son
oeuvre. Las, la destinée en a décidé autrement et le 28 décembre 1844 Nicolas Humbert
mourut à Morley. Son père, dès lors, continua les traitements en cours, refusa
de recevoir de nouveaux malades et ferma son établissement en 1846. Il se
consacra à des travaux d’horticulture et s’achemina peu à peu vers un oubli ô
combien immérité.