LES MALADIES DE LA
PETITE ENFANCE DANS LES PAPYRUS MEDICAUX EGYPTIENS
Pascal HENNEQUIN avec la
collaboration d’Eric SALF
Bien qu’il n’y ait pas eu de
spécialiste de la Médecine de l’enfant à l’instar du médecin “des deux yeux”,
celui des “maladies incertaines” ou d’autres spécialités, l’enfant a une partie
des écrits médicaux qui lui sont consacrés. Le souci de protéger l’enfant a
très certainement obligé le médecin égyptien à trouver des remèdes pour
protéger l’être cher face aux agressions de la vie quotidienne. Ce sont les
papyrus du Moyen Empire, mais surtout ceux du Nouvel Empire qui nous
renseignent sur les traitements des différents maux identifiables ou inconnus et
touchant spécifiquement le jeune enfant nourri au sein de sa mère (jusqu’à
l’âge de 3 ans) appelé “le gentil petit”. L’analyse du papyrus Ebers et du Papyrus de Berlin 3027 entre autres, présente
les traitements de quelques pathologies rencontrées chez le “gentil petit”.
Le lait maternel était l’aliment
essentiel de l’enfant égyptien. Il était alors relativement peu exposé aux
pathologies digestives parasitaires. Mais d’autres affections pouvaient venir perturber
la santé de l’enfant : éruption, troubles urinaires, toux, coryza, et un mal
étrange appelé bââ.
Le mot bââ,
dont nous ignorons totalement la signification, n’est retrouvé que dans les
textes médicaux concernant les jeunes enfants : le papyrus Ramasseum
(III, B 20-24) et le papyrus Berlin de protection de la mère et de l’enfant
3027 (7, 1-6). La mère “porteuse saine” de la substance bââ,
infecte son enfant par l’intermédiaire de son lait. Bââ
va alors se répandre dans tout l’organisme de l’enfant et détruire les
viscères dont les conduit-met (conduits dans lesquelles circule le souffle vital).
Plusieurs conjurations du papyrus Ramasseum insistent
sur la gravité de cette maladie : l’utilisation de la magie pour obtenir une
guérison est un des signes de cette gravité. Dans un des paragraphes, le remède
est donné uniquement à la mère. Le médecin en déduit qu’en traitant la mère, il
soigne l’enfant grâce au passage du remède dans le lait maternel. Plusieurs
auteurs ont tenté d’expliquer cette entité nosologique et de rapprocher le mot bââ d’une pathologie de la médecine moderne. Thierry Bardinet en donne l’interprétation la plus prudente,
évitant ainsi de partir sur de mauvaises pistes de traduction : “Il
s’agirait plutôt d’une substance particulière entraînant une maladie
spécifique, animée par quelque souffle nocif et ayant un pouvoir destructeur
qui lui est propre”. Mais l’idée importante de ces textes médicaux
consacrés à la substance bââ, est que
les traitements étaient dirigés contre cette substance nocive et non pas contre
les différents symptômes que présentait l’enfant atteint.
Cette idée est rencontrée dans
la plupart des papyrus médicaux et semble être la démarche classique des
médecins égyptiens.
La substance “temyt”, autre agent pathogène, est citée dans le
papyrus Hearst (168 et 169) consacré aux atteintes cutanées et dans le papyrus
de protection de la mère et de l’enfant (Berlin 3027). Elle est ainsi
responsable d’une maladie cutanée touchant à priori l’enfant.
Mais les lacunes des textes et
les incertitudes des traductions ne nous permettent pas d’avoir la description
exacte des symptômes. Dans le papyrus de Londres (7, 8, 25), cette substance “temyt” est associée au démon “nesyt”.
Celui-ci se rapporterait à des troubles neurologiques, voire peut-être à
l’épilepsie. Ces textes médicaux nous donnent ainsi une description très
incomplète d’une pathologie infantile, présentant des signes dermatologiques et
parfois neurologiques, et semblant relativement grave.
Cette substance “temyt” pourrait ainsi se
rapporter à la rougeole, responsable, encore maintenant, de nombreux décès dans
les pays en voie de développement. Le traitement de cette maladie utilise le
pouvoir magique des divinités de la mythologie égyptienne car les pathologies
cutanées de l’enfant, comme celles de l’adulte, étaient considérées comme la
marque du châtiment divin.
Le groupe V du papyrus Ebers évoque les affections urinaires dont certaines sont
spécifiques à l’enfant. L’une d’elle, décrite comme étant “un tas d’urine”,
regroupe probablement tous les signes fonctionnels urinaires, dont la rétention
urinaire, que pourrait présenter un enfant. En traitement, il est demandé au
médecin d’enduire le ventre du jeune malade jusqu’à ce qu’il puisse uriner.
Nous pensons que le fait de produire un massage de l’abdomen permet de
déclencher une miction par cette simple stimulation mécanique.
La toux, symptôme fréquent chez
l’enfant, était désignée par les médecins égyptiens sous le terme de
“soubresauts dus aux sécrétions seryt”. Ce
sont les papyrus Ebers (305 à 325) et Berlin (29 à
51) qui proposent différents remèdes. Ils sont, pour la plupart, constitués de
bière douce mélangée avec de la graisse et des plantes. Mais les traductions ne
sont pas toujours très précises. Un seul élément végétal est clairement identifié
: le mélilot. Cette plante herbacée que l’on connaît également sous le
nom “d’herbe aux mouches” ou “luzerne bâtarde” contient de la
coumarine. Cette substance, en dehors de ses propriétés anticoagulantes, est
également calmante et antitussive. La préparation devait être bue par l’enfant.
D’après Lefebvre, il existe un
remède proposé au jeune enfant et à sa mère pour calmer les désagréments des
poussées dentaires à partir de la traduction d’un chapitre du papyrus Berlin
3027 (verso 8, 2-3) : “On fait manger à l’enfant et à sa mère une souris
cuite. Les os de celle-ci sont placés à son cou dans une étoffe de lin fin à
laquelle on a fait sept noeuds”. Les souris entières ou leur graisse
étaient souvent utilisées dans les remèdes égyptiens. Ce genre de remède est
parvenu jusqu’au début de XXe siècle dans la médecine
populaire anglaise qui utilisait des décoctions à base de souris pour soigner
les incontinences urinaires, les troubles dentaires et la coqueluche.
La plante-chepen,
qui a été rapprochée du pavot par certains traducteurs, était utilisée pour
calmer “les cris répétés” d’un enfant (Ebers 782).
Les médecins égyptiens ont
décrit d’une manière remarquable trois stades dans l’otite moyenne avec leur
traitement. Le papyrus Berlin (200) reprend les premiers symptômes de l’otite
moyenne comme une lourdeur de l’oreille qu’il faut traiter par un mélange de
“résine de térébinthe, céleri, piset, fiel de
taureau”. Le deuxième stade de l’otite, également décrit dans le papyrus Berlin
(201 à 204) est caractérisé par des douleurs lancinantes provoquant les cris de
l’enfant. Plusieurs décoctions à base de pyrèthre, connu pour son effet
antiseptique, et de cumin pour son action anti-inflammatoire, proposent de
soulager le jeune patient. D’autres ingrédients entrant dans la composition de
ces mélanges, n’ont pas de traduction précise. Le troisième stade décrit, qui
correspond à l’otite purulente, est retrouvé sous les termes “oreille qui donne
de l’eau” ou “oreille anormale qui concentre du pus” dans les papyrus Ebers (765 à 769).
Toujours dans le papyrus Ebers (418, 761 à 763), le coryza est largement évoqué. Il est
cité sous différents noms : exsudat “khent”,
exsudat “rech”, exsudat “nia”. En
plus des mélanges à base de végétaux, l’invocation du Dieu Thot paraît être le
traitement privilégié de l’affection.
La plupart des maladies de
l’enfant de moins de trois ans (enfant au sein de sa mère) sont d’origine
obscure. La magie et l’invocation des dieux sont les traitements de
prédilection des affections du “gentil petit”, même si les recettes à base de
végétaux et de minéraux sont également utilisées. Tous ces moyens avaient comme
unique but de détruire l’agent pathogène responsable de la maladie. Ce principe
est rencontré dans tous les papyrus médicaux égyptiens.