LES BLESSES DE LA FACE
DE LA GRANDE GUERRE ET
LES ORIGINES DE LA
CHIRURGIE MAXILLO-FACIALE MODERNE
François-Xavier LONG
Le terme de “Brutalization”
employé par Mosse reflète bien l’horreur engendrée
par la Grande Guerre. Il en découlera des mutations dans les sociétés
européennes et particulièrement en France, où trois principaux effets s’en
dégagent :
- les femmes commencent à
occuper des postes de responsabilité durant et après cette guerre ;
- l’élite intellectuelle
considérablement décimée par les combats et la maladie se reconstitue
péniblement car la Deuxième Guerre mondiale poursuivra ce pouvoir dévastateur ;
- enfin, le Service de Santé des
Armées va se trouver confronté à des situations inédites face aux nouvelles
blessures et au nombre imprévu de blessés jamais rencontré jusque là.
Les Blessés de la Face (10.000 à
15.000 environ du côté français) n’échappent pas à cette règle ; ils
représentent une des plus lourdes séquelles de l’après-guerre, phénomène qui a
été occulté pendant de nombreuses décennies par un voile pudique, qui a été
enfin soulevé par les historiens modernes spécialistes de la Première Guerre
mondiale dont Sophie Delaporte (Les Gueules Cassées).
Le chirurgien s’adaptera au fur
et à mesure du conflit pour lutter contre le handicap physique et moral des
blessés de la face.
Les nouvelles armes à feu
(légères ou lourdes) permettent de comprendre que les blessures faciales ne
sont plus superficielles (comme elles l’étaient auparavant avec l’arme blanche)
et intéressent désormais toutes les parties du squelette facial de manière
étendue, avec les désordres fonctionnels qui en découlent.
Les grosses blessures de la face
sont prises en charge dès le ramassage sur le champ de bataille, mais la
lenteur d’évacuation et les différentes étapes dans les établissements de soins
de la zone des armées jusqu’aux hôpitaux spécialisés de l’Arrière, retarde le
traitement réparateur.
La chirurgie maxillo-faciale
moderne se développe progressivement pendant cette guerre par la mise au point
de techniques de reconstruction audacieuses (lambeaux, greffes osseuses, ...)
et par la fabrication de prothèses modelantes à
partir de moulages dont les résultats esthétiques sont parfois étonnants.
Le malheur des blessés de la
face ne se termine pas le 11 Novembre 1918, car le traitement n’est pas terminé
pour beaucoup ; la réinsertion dans la vie sociale et familiale est difficile.
Il est venu l’idée à trois d’entre eux (Picot, Jugon,
Jourdain) de créer “l’Union des Blessés de la Face” qui deviendra plus tard une
association prenant le nom de “Gueules Cassées”, qui est destinée à prendre en
charge ceux que la vie quotidienne a rejetés.
L’appui timide des pouvoirs
publics après la Première Guerre mondiale ne se concrétisera qu’au bout d’une
dizaine d’années après la fin du conflit, par la reconnaissance officielle qui consistera
à pensionner ces blessés au même titre que les autres mutilés de la guerre.
Parallèlement, la chirurgie
maxillo-faciale française moderne, qui est bien issue de la Première Guerre
mondiale, va poursuivre son essor grâce aux chirurgiens civils (Dufourmentel, Pont) mais surtout militaires (Ginestet, Bercher, Pons, Frezieres) qui ont mis en application les bases de cette
nouvelle spécialité chirurgicale lors des conflits suivants (Deuxième Guerre mondiale,
Indochine, Algérie, Guerre du Golfe, …).
Les blessés de la face ont été
accompagnés de façon admirable dans toutes les étapes de leur traitement par le
corps médical (médecins, chirurgiens et infirmières) dont l’exemple doit rester
vivant dans la mémoire des jeunes générations.