LES EPIDEMIES DE PESTE
EN LORRAINE AU XVIIe SIECLE
Gérard MICHAUX
“Libera nos, Domine, a bello, a fame, a peste : libère nous, Seigneur, de la guerre, de la faim et de la
peste”. On connaît l’antienne célèbre fréquemment utilisée aux siècles passés
par les populations désespérées pour conjurer les principaux fléaux qui s’abattaient sur
elles. Bien que derrière le terme de peste, il faille entendre diverses épidémies
(typhus exanthématique, fièvres multiples ...), la peste stricto sensu restait
la maladie la plus redoutée et son image continua de hanter les esprits et de
frapper fortement les mentalités jusqu’au XVIIIe
siècle.
Depuis la grande épidémie de
peste noire, qui ravagea l’Europe de 1348 jusqu’en 1670, la terrible maladie ne
disparut jamais complètement, même si elle s’assoupit parfois. En France, durant
ces trois siècles, les poussées violentes (26 principales et 11 annexes)
alternèrent avec des périodes de régression endémiques (27) ou totales (9). Les
années 1600-1642 se signalent tout particulièrement par leur violence.
En Lorraine, le XVIe siècle fut ponctué par plusieurs phases de résurgence
de l’épidémie : 1517-1519 (Epinal, Toul, Nancy, Metz), 1523-1527 (Bar-le-Duc,
Nancy, Pont-à-Mousson) ; 1545-1552 (région de Saint-Nicolas de Port, de Nancy
et de Toul) ; et 1576-1589. Après plusieurs années d’accalmie, une alerte
brutale en 1610 justifia de la part des autorités des mesures de protection et
de quarantaine pour empêcher la contagion. Une recrudescence de la peste se
manifesta de 1621 à 1625 (Pays messin, Verdunois,
bailliage de Mirecourt), puis l’épidémie s’amplifia à partir de 1627,
concourant à la plus grande catastrophe démographique de l’histoire lorraine.
LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉPIDÉMIE
Il est assez bien connu grâce
aux témoignages des contemporains. L’épidémie de peste bubonique, à laquelle se
mêlent le typhus et peut-être la scarlatine, accompagne les armées en marche.
Parfois, elle les précède. L’épidémie vient de l’Est. A partir des marches
orientales de la Lorraine, elle se propage par les vallées de la Seille et de
la Meurthe, puis de la Moselle.
En 1627, Saint-Nicolas de Port,
Lunéville et Moyenvic sont touchés. En 1628, la
contagion est à Villers-lès-Nancy. Au milieu de 1629, la peste réapparaît à
Epinal et à Toul. Elle affecte à la même date quelques paroisses messines et
l’on transforme une partie de l’île Chambière en lieu
de quarantaine. Au printemps 1630, il faut arrêter l’enseignement universitaire
à Pont-à-Mousson (pour quatre ans) et Nancy, la capitale ducale, est atteinte à
son tour. De 1630 à 1632, la peste sévit à peu près partout en Lorraine, avec
une violence inconnue jusque-là. Après un court répit (fin 1632-1634),
1’épidémie (la peste “suédoise”) reprend de plus belle pour atteindre son
paroxysme en 1636.
L’ATTENTE
DE LA PESTE
Il fallait surtout empêcher la
propagation du mal qui, compte tenu de son caractère et de son agent vecteur,
atteignait son plus haut degré mortifère durant les mois d’août, de septembre et
d’octobre. La première mesure consiste à expulser les villageois qui, aux
premières alertes, s’étaient réfugiés dans les villes surpeuplées. A Metz,
devenue ville refuge, les paysans et vignerons du plat-pays,
qui avaient fui leurs villages à l’été 1635 devant le déferlement des troupes
et l’avancée de la peste, sont renvoyés chez eux en
mai 1636, au plus fort de 1’épidémie. Deux mois plus tard arrivent de Lorraine
germanophone deux mille mendiants qu’on finit par expulser sous escorte armée
en juin 1637.
Pour empêcher cette immigration,
on ferme les portes des villes et des bourgs. Les entrées sont filtrées, les
gardiens des portes disposant d’une liste des localités réputées pestiférées.
A Verdun, cette liste est
placardée en 1630. Les suspects sont emprisonnés. On va même jusqu’à exécuter
ceux qui, venant de localités infectées, sont entrés clandestinement. On relève
plusieurs cas à Châtel-sur-Moselle, Nancy, Pont-à-Mousson, Metz, Toul et
Verdun. Les autorités municipales prennent en ce sens des ordonnances très
sévères.
La suspicion s’étend également
aux animaux et aux marchandises. Dès le mois de mars 1630, le duc Charles IV
défend d’acheter “meubles et bétails des troupes voisines, à cause des maladies
qui règnent parmi elles”. A Metz, à la même époque, on sacrifie chats, chiens
et lapins de la cité.
Les pestiférés sont retirés de
la communauté d’habitants. Dès qu’un cas de peste est signalé, la maison est
marquée d’une croix et son occupant est conduit en dehors de la ville. Il est
placé dans une loge, bâtisse sommaire construite en planches et destinée à isoler
les pestiférés. A Toul, en juin 1630, on en édifia hâtivement près de cinq
cents. A Nancy, de telles loges existaient à Maréville.
Toutes ces mesures préventives se révélèrent vite inopérantes.
LA LUTTE CONTRE LA MALADIE
Devant l’ampleur du fléau, en particulier
en 1630-1632 et en 1635-1636, diverses mesures sont édictées, mais de façon
générale les populations restent démunies devant la peste. Si la théorie
traditionnelle, selon laquelle la maladie se transmet par l’air, n’est pas
contestée, on n’écarte pas la contagion directe. Aussi le premier réflexe
est-il de s’enfermer et d’éviter tout contact, et même toute conversation, avec
ses voisins.
Il fallait aussi assainir l’air.
Partout, on allume de grands feux de bois aux carrefours et aux entrées des villes.
Les Messins, qui habitent un immeuble proche d’une maison touchée par la peste,
doivent chaque soir faire du feu devant chez eux. Il est en outre demandé aux
habitants de prendre des habitudes d’hygiène. Ils doivent en particulier porter
leurs immondices (au moins une fois par semaine) hors de la ville ou du bourg.
Pour lutter contre la corruption de l’air, on parfume les maisons avec des
plantes odoriférantes (thym, lavande, romarin, sauge ...).
La médecine elle aussi est
désemparée. Les médecins les plus renommés préconisent la purgation, la saignée
ou l’usage du citron. Dès 1630-1631, plusieurs brochures sont éditées à Epinal,
à Pont-à-Mousson et à Verdun, qui traitent de la Manière de faire élections
des personnes propres et idoines pour aérer et nettoyer les maisons
infectées de peste (Nancy, 1636) ou procurent des Conseils
préservatifs et curatifs contre la peste (Epinal 1631). Devant l’inefficacité
des remèdes, il ne reste plus aux populations qu’à recourir à la protection de la
Vierge et des saints guérisseurs. Saint-Sébastien et Saint-Roch deviennent de
vrais saints prophylactiques. Ces intercessions revêtent une forme soit
individuelle (ex-voto) soit collective.
En 1631, la ville de Nancy élève
un monument dans la chapelle de Notre-Dame de Bon-Secours et se consacre en 1633 à Notre-Dame
de Lorette. Religieux (capucins surtout) et médecins portent secours aux
pestiférés, parfois au péril de leur vie. Charles Le Pois, célèbre professeur de
médecine, contracta la maladie en soignant les pestiférés de Maréville et en mourut en 1632, de même que ses collègues Pierre-Claude Haguenier et René
Baudin.
UN BILAN MEURTRIER
Le bilan des épidémies de peste
en Lorraine au XVIIe siècle est terrifiant. Il est
bien sûr difficile de déterminer la part exacte de la peste dans l’hécatombe
qui frappa la Lorraine entre 1630 et 1670. La région perdit en moyenne 60% de
sa population. Deux vagues furent particulièrement meurtrières, qui touchèrent
toute la Lorraine en 1631, puis en 1635-1636.
Quelques exemples suffiront à en
donner la mesure. A Metz qui, en 1636 perd en quelques mois près de 20% de sa
population, la peste «suédoise» est nommément responsable de 1782 décès sur les
4430 enregistrés (soit 40,2%), tandis que 1350 maisons (45% du total) sont interdites
d’accès. Verdun connaît en 1635 une mortalité douze fois supérieure à celle de
1634. A Bar-le-Duc, la peste fait en moyenne 20 à 25
victimes par jour en 1636. A Nancy, une seule paroisse (Saint-Sébastien)
enregistre, d’août à décembre 1635, mille morts contre 158 pour le premier
semestre de la même année et 950 pour toute l’année 1636.
Après 1640, la peste disparaît
presque complètement de Lorraine. On peut considérer qu’il n’y a plus
d’épidémie de peste en France après 1670. Une exception cependant, la peste de
Marseille de 1720 qui décime la ville et la Provence. Mais il s’agit là d’un
accident dû au non respect de la quarantaine sur un bateau venu du Levant.
Néanmoins, cette peste fit craindre le pire et resurgir les peurs ancestrales.
En Lorraine, le duc Léopold s’empressa de prendre une ordonnance destinée à
mettre ses Etats à l’abri de la peste. Cette précaution s’avéra inutile, mais
elle montre que la peste incarne encore, au début du siècle des Lumières, la
fragilité de l’existence humaine.