De la Renfermerie à la Maison hospitalière Saint-Charles
(1652-2018)
Bernard MATHIEU
Directeur de la Maison hospitalière Saint-Charles de 1975 à 2017
La
Maison hospitalière Saint-Charles a de très anciennes racines d’accueil et de
soins, et elle a côtoyé pendant toute son évolution d’autres structures
identiques, toujours existantes ou disparues. Nous allons faire quelques pas
ensemble dans son histoire et son évolution à Nancy, une petite promenade à
travers les siècles.
Les
institutions propres aux vénériens ne furent créées à Nancy qu’au XVIIème
siècle. C’est ainsi qu’une maison de charité, « La Renfermerie
», fut fondée en 1624 par Elisabeth de Ranfaing pour
« s’intéresser aux filles perdues, tombées dans la débauche la plus vile et aux
prostituées de bas étage que tout le monde repousse et dont on se détourne ».
Elisabeth
de Ranfaing, née le 15 octobre 1592 à Remiremont, fut
mariée à l’âge de 15 ans avec le prévôt d’Arches-sur-Moselle, François du Bois,
qui avait 57 ans... Elle eut six enfants dont trois filles survécurent. Son
mari décéda neuf ans après leur mariage, en 1616. Elle fut donc veuve à l’âge
de 24 ans.
Elle
eut aussi une jeunesse très mouvementée causée par des problèmes de possession
avec de violentes crises nerveuses de 1618 à 1624. En 1620, le médecin Poirot, qui avait essayé de l’ensorceler, fut soumis à la
question. Son corps, disloqué et étranglé, fut attaché à un poteau puis réduit
en cendres. A 27 ans, après avoir été exorcisée à Nancy lors de séances qui
durèrent encore trois ans, ses crises diminuèrent d’intensité.
Dès
1624, elle avait ouvert cette maison de charité à quelques-unes de ces
malheureuses dont certaines, privées de leurs parents, n’avaient d’autre asile
que celui de la débauche. Elle fonde ainsi cette « Renfermerie
» rue Saint-Nicolas, au n° 94 actuel.
Après
l’acquisition de maisons voisines, elle décida d’y établir un monastère qu’elle
fonda en 1627 en lui donnant le nom de Notre-Dame du Refuge. Charles IV, duc de
Lorraine, prit le couvent sous sa protection spéciale, et le cardinal
Nicolas-François, nouvel évêque de Toul et frère du duc, accorda la permission
de construire une chapelle dans le couvent.
Elisabeth
prit l’habit de religieuse avec ses trois enfants et neuf autres jeunes filles
le 1er janvier 1631 ; elle fit profession le 1er mai et
devint désormais « mère Marie Elisabeth de la Croix de Jésus ». Les
Madeleinettes s’unirent à Notre-Dame du Refuge le 4 décembre 1632, assurant,
par la même, l’avenir du couvent. Elisabeth de Ranfaing
mourut le 14 janvier 1649 à l’âge de 56 ans.
Marie Elisabeth de la Croix de
Jésus
Ne
pouvant étendre leurs bâtiments de la renfermerie et
du refuge, et à la suite d’un conflit avec le couvent des Pères capucins, les
religieuses décidèrent en 1695 d’en élever de nouveaux sur des terrains du jeu
de paillemaille acquis sur les rues de Grève
(actuelle rue Charles III) et rue de l’Eglise.
En
1735, une nouvelle chapelle fut construite. Elle est à l’origine du nom de la
rue des Quatre-Eglises avec celles des couvents des Annonciades (n°79-85), des Tiercelines (n°71-75) et des Grandes Carmélites (n°52-54).
D’ailleurs à cette époque, dans la ville neuve de Charles III, il y avait une
concentration de couvents aux alentours du Refuge.
En
1754, après entente entre la ville de Nancy et la Maison du Refuge, un édit fut
fait, réglant l’internement des filles de mauvaise vie ou filles publiques.
A
la Révolution, l’interdiction de porter l’habit religieux fut décrétée, et les
religieuses du Refuge furent expulsées le 28 septembre 1793. L’ordre du Refuge
disparaît à Nancy. Les bâtiments, déclassés, devinrent une prison pour suspects
laïques ou ecclésiastiques. En 1795, les portes des prisons s’ouvrirent. Les
bâtiments furent repris par le département de la Meurthe et devinrent un dépôt
de mendicité : la « Maison de répression et de secours ».
C’est
seulement en 1804 que les Dames hospitalières de la Congrégation de
Saint-Charles arrivèrent. Cette congrégation, fondée en 1652, était placée sous
l’invocation de la Sainte Famille et de saint Charles Borromée. Ces dames
œuvraient déjà dans d’autres établissements et prodiguaient leurs soins aux
malades et aux plus démunis. Sur l’invitation de Monseigneur l’évêque et de
Monsieur le préfet, elles consentirent à se charger de l’administration et des
soins de cet établissement sous le nom de « Maison départementale de Secours ».
La maison recevait des malades vénériens des deux sexes, des filles et des
femmes enceintes, des sujets atteints de gale, de teigne, de chancre, de rage,
etc., et plus tard, vers l’an II, des filles prostituées dans un service
spécialisé. Un nouveau bâtiment fut construit en 1872, en bordure de la rue des
Ponts, pour y accueillir la Maternité départementale.
En
1880, la Faculté de médecine créa un enseignement de dermatologie et de syphiligraphie.
Une clinique fut installée, avec son entrée propre à la consultation, située au
56bis de la rue des Quatre-Eglises, à l’angle avec la rue Didelot. A ce moment,
l’établissement disposait également des services de maladie chronique de
médecine et de chirurgie, avec également, de chaque côté, le quartier hommes
(côté Didelot) et le quartier femmes (côté Charles III). Il disposait toujours
de son quartier des prostituées séparées des autres malades. Situé à l’angle de
la rue des Ponts, il n’avait pas de fenêtres sur l’extérieur et prenait jour
sur une cour intérieure. Ces dames occupaient trois grands dortoirs au premier
étage. Leur quartier jouxtait le cloître où se trouvaient des cachots pour les
agitées et les violentes qui bouleversaient la maison.
Le cloître
Longtemps
consacrée à la dermatologie, aux prostituées et aux malades vénériens,
l’activité se tourna aussi vers l’ophtalmologie et la gynécologie. Mais la
Maison resta surtout vouée à l’accueil et aux soins des personnes âgées et convalescentes.
Le quartier des prostituées quitta l’établissement pour l’hôpital Maringer au moment du transfert de la clinique de
dermatologie le 1er avril 1914.
Entre
temps, les enfants atteints d’affection chronique avaient été envoyés en 1900 à
l’hospice J.-B. Thiéry. En effet, Jean-Baptiste Thiéry, entrepreneur du bâtiment et propriétaire d’une très
vaste propriété, sise Grande-Rue à Maxéville, avait
formulé le vœu que son patrimoine soit légué à une œuvre caritative. En 1891,
par testament son fils lègua sa propriété de
Maxéville pour y créer cette maison de charité destinée aux enfants soignés à
la Maison départementale de secours, rue des Quatre-Eglises.
En
affectant le legs à la création d’une annexe de la Maison départementale de
secours devenu trop petite, le conseil général de Meurthe-et-Moselle décida la
construction de l’hospice pour enfants et lui donna le nom du père du donateur
: Jean-Baptiste Thiéry.
L’établissement
fut ouvert le 16 mai 1900 avec 54 enfants accompagnés de six sœurs de Saint-Charles,
puis avec 180 enfants et 15 sœurs et, plus tard, de 400 à 500 enfants.
Puis
vint le tour de la Maternité départementale d’être transférée sur son site
actuel, rue Heydenreich, en 1929. Au début de la
guerre de 1939, tous les vieillards, au nombre de 420, furent évacués en
Gironde jusqu’en juin 1943. Pendant cette douloureuse période de guerre, la
Maison de secours donna asile à un grand nombre de réfugiés. Après 1946,
l’établissement fut réorganisé et comprit :
-
d’une part, un quartier d’hospice de vieillards invalides ou semi-valides ;
Au rez-de-chaussée, le secteur
hommes
-
et d’autre part une clinique gériatrique avec un service de consultations et de
médecine pour personnes âgées ayant des affections chroniques, des troubles
psychiques, etc. Ce service est assuré par le professeur Herbeuval avec l’appui
de seize religieuses de la congrégation. Les sept lits du service de chirurgie
furent supprimés entre 1964 et 1966.
Et
c’est en 1967 que la Maison départementale de secours changea de nom et devint
la Maison hospitalière Saint-Charles. Il faut la dissocier de la Maison
Saint-Charles, maison de charité créée en 1626, anciennement rue Saint-Jean et
placée sous le vocable du saint patron du duc Charles IV, saint Charles
Borromée, dont la popularité était grande à l’époque. Cet établissement devint
l’hôpital Lepelletier, ensuite l’hôpital de la
Commune, puis l’hôpital Civil en 1883 et enfin l’hôpital Central en 1931.
En
1975, les sœurs de Saint-Charles ont souhaité se désengager de la partie
administrative qui devenait de plus en plus contraignante. Monsieur B. Mathieu
remplaça, comme gestionnaire, Monsieur P. Henry qui partait à la retraite. En
1976, le premier directeur civil, Monsieur J. Bergonzini
fut nommé. Il exerça jusqu’à 1982.
Vint
alors le temps des humanisations qui prenaient le relais de certaines salles du
secteur femmes qui avaient été transformées en boxes de 3 ou 4 lits avec un
simple lavabo.
Le cloître rénové
Ce
fut ensuite le « bâtiment des hommes » sur trois niveaux avec le
rez-de-chaussée du côté de la rue Didelot, puis le secteur « Femmes » où l’on
transforma les salles communes de 25 à 33 lits en chambres de 2 à 4 lits
beaucoup plus confortables à l’époque. Puis intervint en 1988-1989 la
modernisation de tout le bâtiment de médecine sur la rue des Ponts, et la
rénovation des services logistiques (cuisine et blanchisserie). En 1996, la congrégation
des Sœurs de Saint-Charles proposa une aile de ses bâtiments pour y créer une
maison de retraite de nouvelle génération dotée de trente lits avec tout le
confort. La rénovation complète du cloître fut ensuite décidée : façades, cour
et déambulatoire dans le respect de l’origine, en particulier la restitution
des cellules et des portes des cachots.
Avec
le développement des activités à la Maison hospitalière, et en particulier les
soins de suite et de réadaptation, une première extension fut réalisée en 2006.
Première extension, 2006, à l’angle
de
la rue des Ponts et de la rue Charles III
Ce
n’est qu’avec le départ des détenus et la déconstruction de la maison d’arrêt
en 2011, et dans l’emprise de l’opération Nancy Grand Cœur, que la seconde
extension, plus remarquable, permit à l’établissement de prendre ses aises en
dehors de l’espace contraint limité par les quatre rues qui le bordent.
L’établissement dispose maintenant d’une filière
gériatrique complète avec :
un service de
consultation gériatrique ; cinq places d’hôpital de jour ; six lits de soins
palliatifs ; 20 lits de médecine gériatrique : 51 lits de soins de suite et de
rééducation (SSR) ; 60 lits de soins de longue durée ; 90 lits d’E.H.P.A.D. ;
un service de radiologie ; un service de pharmacie à usage intérieur ; des
services logistiques.
Dernière extension (2013-2017),
anciennement
place des Justes.
Dans
ce nouvel espace, après le transfert du service pharmacie, seront créés un
accueil de jour et un pôle d’activité en soins adaptés. De 1975 à nos jours,
les effectifs du personnel sont passés de 144 à 216, et l’âge moyen des
personnes âgées accueillies de 75 à 86 ans.
Depuis
le Moyen Age, tous nos établissements, avec l’aide des religieux ou des
religieuses, des ducs ou des rois, des prêtres ou des bienfaiteurs, ont
participé à soulager bien des misères. Le corps médical et la faculté de
médecine ont constamment apporté leurs soins éclairés à la population
souffrante et malheureuse de la Maison de secours, devenue Maison hospitalière
Saint-Charles.
Souhaitons
que, pendant encore longtemps, les nécessiteux et les personnes âgées y soient
reçus, afin d’embellir leurs derniers jours dans les structures qui se
modernisent ou se créent depuis trente-cinq ans pour remplir leur office de paix,
de dévouement et de charité.
Documents utilisés :
-
C. Pfister, Histoire de Nancy ;
- M. Gauguery, Les
Etablissements hospitaliers à Nancy ;
-
J.J. Lionnois, Histoire des Villes vieille et neuve
de Nancy... ;
-
L. du Bois de Cendrecourt, De N.D. du Refuge et
autres lieux d’enfermerment ;
-
Dom Calmet, Histoire de Lorraine ;
-
B. Mathieu, archives personnelles et photographies, 2018.
Armoiries
d’Elisabeth de Ranfaing