Extrait  des  Mémoires de l'Académie  de  Stanislas - Année 1968-1969

 

Un grand serviteur du pays : le Doyen Jacques PARISOT

 

par G. RICHARD

 

Communication faite le 19 janvier 1968

 

Peut-être aurait-il fallu une voix plus haute que la mienne pour célébrer la grande figure de ce lorrain.

Du moins trouverai-je une excuse à avoir accepté de m'en charger dans les soixante années d'amitié confiante et de collaboration régulière qui nous ont étroitement unis.

C'est à l'aube du siècle qu'eurent lieu nos premières rencontres à la Faculté de Médecine ; il commençait, lui, sa seconde année, il avait vingt ans; j'en avais dix-neuf et je débutais dans la première.

La grande salle de dissection est notre point de contact quotidien ; les jeunes que nous sommes témoignent une considération justifiée pour leurs anciens de seconde année, riche de valeurs et d'espoirs parmi lesquels nos futurs confrères Remy Collin, Maurice Lucien et Jacques Parisot.

Ce dernier, en raison peut-être des grandes traditions médicales dont il est l'héritier, s'impose surtout à notre attention ; son arrière grand-père et son grand-père avaient illustré l'école de médecine de notre ville ; son oncle, le doyen Heydenreich et son père, le Pr Pierre Parisot, honorèrent les chaires de clinique chirurgicale et de médecine légale qu'ils occupaient.

Nos rapports sont d'abord rares et distants, mais d'emblée je suis séduit par la forte personnalité du jeune étudiant.

Tout en lui est harmonie; il est grand, mince, élancé, mais carré d'épaules; il dégage une impression de force et d'équilibre : son maintien assuré, sa taille droite sans raideur, en imposent déjà ; mais ce qui surtout attire et retient l'attention, c'est la tête portée haute ; elle eut tenté jadis un sculpteur grec à la recherche d'un modèle digne de figurer un personnage de l'Olympe.

L'ensemble charme dès le premier abord et l'examen le plus minutieux, l'analyse la plus attentive ne font déceler dans cette physionomie aucun détail susceptible d'en troubler l'harmonie ; la figure est fine et intelligente ; une chevelure brune abondante, séparée par une raie impeccable, la couronne ; des sourcils finement dessinés, de longs cils tamisent l'éclat des yeux clairs d'où filtre un regard droit et franc ; le nez est mince et busqué, juste ce qu'il faut pour donner du caractère à cette effigie juvénile ; de petites moustaches brunes soulignent le dessin des lèvres ; le menton à fossette complète heureusement cet ensemble racé.

Si la physionomie apparaît d'abord sérieuse, voire quelque peu austère, son aspect se transforme dès que la conversation s'engage ; la mobilité des traits accusée par un fin sourire éclaire le visage lui donnant un charme auquel bien peu résistent.

Si son interlocuteur le met en confiance, une certaine causticité émaille ses propos ; elle reste cordiale et amicale et ne devient acerbe que si elle s'applique à des faiseurs, à des flatteurs, à des profiteurs dont il a horreur.

Cette image de l'étudiant à l'orée de sa vingtième année, devait s'accuser sans toutefois se modifier avec le temps. Dans sa maturité alors qu'il apparaît sous son aspect définitif, son charme demeure et son autorité s'affirme.

La première guerre éclate ; elle va mettre en évidence les qualités morales du Dr Parisot ; il la fait brillamment, car le courage est l'un de ses caractères dominants, il est démontré par 4 citations et la Légion d'Honneur.

Pendant la seconde guerre, il obtient comme médecin-colonel sa cinquième citation à l'ordre de l'Armée.

A son retour de captivité, il ne craint pas de prendre avec la résistance locale, un contact qui doit entraîner sa déportation.

Si son courage apparaissait évident et indiscutable, moins apparente était une autre forme de sa grandeur morale, la générosité que seuls ses amis connaissaient, tant il s'ingéniait à en cacher les manifestations.

Jamais je ne lui ai demandé son aide en vain pour des hommes dont il n'ignorait pas l'hostilité à son égard.

Bien mieux, un procès de collaboration permit d'apprendre la générosité de cet homme qui venait de quitter les camps de déportation ; son arrestation était la conséquence d'une dénonciation attribuée à un professeur de notre Université ; les Allemands apprennent de lui que la résistance a désigné le Professeur Parisot pour le poste de Commissaire de la République dès la libération ; il fut aussitôt arrêté et déporté. Il était dans ce procès le principal témoin à charge.

Or, sa générosité l'amène à présenter la révélation dont il avait été la victime comme le fait d'une imprudence de langage et non d'une volonté consciente et délibérée de nuire ; un verdict modéré fut la conséquence de l'attitude du principal intéressé.

Il fallait aussi le bien connaître pour savoir que chez cet homme en apparence insensible et imperméable aux émotions, la froideur n'est qu'un masque destiné à cacher une timidité naturelle contre laquelle il avait souvent à lutter ; il y trouvait aussi une efficace protection contre les solliciteurs. Il était en réalité tin grand sensible bien qu'il s'en cachât ; il souffrait plus qu'on ne peut l'imaginer quand il se voyait en butte à la jalousie ou à l'incompréhension.

Lui-même gardait une affection profonde et agissante pour ceux qui avaient su gagner son amitié et sa confiance ; il dissimulait soigneusement les preuves de cette affection ; il fallait parfois chercher longtemps pour découvrir l'auteur d'événements heureux, résultats de son intervention discrète.

Cette générosité naturelle, cette sensibilité aiguë, ce sens de la solidarité humaine conditionnaient son esprit social. A l'hôpital, sa froideur apparente fondait au pied du lit du malade; la souffrance lui imposait un affectueux abandon ; il aimait ses malades, partageait leurs peines et doublait sa thérapeutique d'un réconfort moral dont les bénéficiaires sentaient tout le prix.

Du cercle restreint du service hospitalier ou des dispensaires, toute sa carrière allait s'orienter vers les plus hautes fonctions internationales. Il allait aborder des tâches difficiles et de lourdes responsabilités. Il les acceptera, car fort des qualités héritées de son terroir, à son goût du travail il joint une volonté tenace, un vif souci de la continuité, une méfiance instinctive pour les improvisations ; son esprit clair et ordonné l'a mis à même de se fixer une méthode générale de travail valable pour toutes les activités régionales, nationales ou mondiales.

I1 réfléchit longuement au problème posé; il en cerne les aspects, en mesure les difficultés, en évalue les incidences. La conception du plan suivi s'impose alors à son esprit ; l'édifice repose sur une base solide, capable de résister aux critiques des hommes et aux injures du temps.

Il est réaliste et tient compte exactement des crédits éventuels et des possibilités financières ; il est prudent ; à une réalisation massive et spectaculaire, il préfère un lent et sûr cheminement par étapes successives.

Dès que le projet a pris pour lui une forme définitive, il le défend avec une persévérance et une ténacité toutes lorraines.

Qui ne se souvient des luttes qu'il soutint pendant des années pour faire prévaloir son plan de rénovation clés centres hospitaliers de notre ville.

Quand il est contraint d'écrire, il réduit son texte au minimum, se bornant à enregistrer les faits et formuler les conclusions.

Il n'aime pas plus parler, encore qu'il le fasse avec élégance et pertinence, il a plaisir à rédiger un rapport d'activité; il possède si bien son sujet qu'en les lisant il laisse tomber ses notes et parle d'abondance.

Reste à mener à bien le projet conçu et fixé; pour cette besogne capitale, Jacques Parisot fait figure de chef.

Le choix de ses collaborateurs lui apparaît comme une condition naturelle du succès. Aussi y apporte-t-il un soin tout particulier ; il exige d'eux la compétence et le goût du travail, la probité scientifique et l'esprit d'équipe.

A chacun d'eux, il attribue un domaine bien défini ; dans l'exécution, il leur laisse une certaine liberté d'action qui sera le meilleur des stimulants ; en cas d'erreur commise par l'un d'eux, il en endosse la responsabilité ; il forme ainsi en dehors des universitaires, qui ont mission de le seconder pour la chaire d'hygiène, une équipe d'hommes et de femmes où se rencontrent des médecins, des hygiénistes, des administrateurs, des religieuses, des assistantes sociales ; il dispose ainsi d'un instrument de travail singulièrement efficace. I1 exerce sur eux le contrôle indispensable avec une suprême discrétion ; s'il est un chef autoritaire et exigeant, cette autorité reste toujours souriante et paternelle ; aussi existe-t-il entre les membres de l'équipe et leur chef une atmosphère de compréhension et d'estime ; les résultats de cette ambiance confiante sont considérables et le Pr Parisot y trouve la récompense à laquelle il tient le plus. Ce n'est pas que les marques officielles de la gratitude des Pouvoirs publics le laissent indifférent, mais il les considère comme des repères fixant les étapes des réalisations effectuées.

Ceux qui le connaissent mal, attribuent à l'ambition personnelle l'escalade dans les honneurs et les hautes fonctions ; c'est une erreur à laquelle la jalousie n'est pas toujours étrangère ; s'il avait recherché dans son action autre chose que le plaisir de concevoir, d'organiser, de créer, il aurait accepté de faire la carrière politique qui lui fût proposée à diverses reprises avec certitude de succès. Parlementaire, il n'eut pas manqué de recevoir le Ministère de la Santé publique où il eut pu montrer sa valeur. Je fus moi-même l'intermédiaire de ces négociations. Il refusa toujours car il avait horreur de la politique avec les combinaisons qu'elle entraîne ; il se contenta donc de rester le conseiller technique du Ministère de la Santé publique.

Ces quelques aspects de la forte personnalité du Professeur Parisot permettent d'en dégager les traits caractéristiques : une intelligence originale et créatrice mais ordonnée par une vue exacte du possible ; une sensibilité qui avait développé en lui l'esprit de solidarité, lui faisant préférer aux entreprises individuelles les grandes tâches collectives d'intérêt général ; le goût de l'action efficace; un sens aigu de l'autorité et de la responsabilité.

A étudier les étapes de la vie active du Pr Parisot, on le voit se consacrer d'abord au long travail de sa formation personnelle, s'entraînant à mettre au point une méthode efficace de travail ; il en expérimente la valeur par une organisation modèle de l'hygiène sociale de sa région, synthétisée par l'Office de Meurthe-et-Moselle.

Du plan régional, il étend son action au plan national comme conseiller technique du Ministère de la Santé publique.

L'importance des résultats obtenus en France le destinait tout naturellement à représenter ce pays au Comité d'hygiène de la Société des Nations, puis à l'Organisation mondiale de la Santé ; il y jouera un rôle de premier plan.

Formation personnelle et initiation médicale

Le jeune étudiant estime à juste titre que les progrès récents de la Physiologie sont susceptibles d'éclairer nombre de problèmes cliniques encore mystérieux. Aussi, est-ce de ce côté qu'il s'oriente d'abord et il devient le préparateur du laboratoire du Professeur Meyer.

Externe du service du Professeur Paul Spillman, il mène de front l'expérimentation au laboratoire et les applications cliniques à l'hôpital.

Deux ans plus tard, il passe brillamment l'internat sans quitter le service dont il sera bientôt le chef de clinique; j'eus alors le privilège d'être son interne et j'ai été à même de juger avec quelle rigueur il observe, avec quelle probité scientifique il tire des conclusions de ses observations.

Sa thèse en 1907 a pour sujet « Pression artérielle et glandes à sécrétion interne ». Ce travail retient l'attention du monde savant, comme l'avait retenue quelques mois auparavant l'importante thèse de notre confrère, le Professeur Jeandelize, sur le corps thyroïde. Ces travaux, de qualité, l'un et l'autre, couronnés par l'Académie de médecine ajoutaient encore à la réputation déjà acquise par l'école endocrinologique de Nancy de Nicolas, de Prenant, d'Ancel, de Bouin, de Remy Collin.

Le dernier pas à franchir dans l'ascension au professorat est l'agrégation ; le jeune Dr Parisot l'enlève brillamment en 1913. Il est alors chargé de diriger le service des tuberculeux de l'hôpital Villemin. La grande guerre allait pour un temps mettre un terme à son activité scientifique.

Le clinicien et le savant

Arrivé à Royat à la fin de la guerre, j'avais eu l'occasion de traduire de l'Anglais avec Guy Laroche, le futur professeur de clinique médicale de la Faculté de Paris :

«  La Physiologie des glandes endocrines  »  de  Schafer d'Edimbourg.

Le succès rencontré par cette publication si nouvelle en France est tel que notre éditeur nous demande de poursuivre dans cette voie.

Mais Guy Laroche étant rentré à Paris et moi-même à Nancy, c'est avec le Professeur Parisot que j'entrepris de réaliser les travaux demandés.

Nous publions dès 1923 un nouveau livre : « Les glandes endocrines, leur valeur fonctionnelle ». En 1925, nous rédigeons l'article « Thymus » pour le grand traité de physiologie, publié sous la direction du Professeur Binet de Paris. Sur ces entrefaites, notre éditeur parisien réclame un traité d'ensemble sur les glandes à sécrétion interne. Nous acceptons, mais nous demandons à notre ami Maurice Lucien de se charger de la partie anatomique et histologique.

Le Traité sera complet en six volumes in-quarto de six cents à huit cents pages, un pour chaque glande.

Nous abordons ce gros travail en commun, ce qui accentue encore notre amitié confiante.

C'est en 1925 que paraît le premier volume consacré à la thyroïde. I1 est accueilli avec faveur en France et même à l'étranger ainsi que le montre l'incident suivant: Un jeune médecin russe, fils d'un professeur de la Faculté de Pétrograd, nous transmet les félicitations de son père pour le succès rencontré en Russie par notre ouvrage. Alerté, notre éditeur nous objecte que trois exemplaires seulement ont été vendus dans ce pays. Renseignements pris, en dépit du copyright, il existe une édition russe qui s'est rapidement répandue.

Nous protestons auprès du Ministère de l'Instruction publique russe. Il nous répond nous avoir rendu service en diffusant nos idées. Nous protestons à nouveau contre une traduction faite sans contrôle.

Les autres volumes : Parathyroïdes et Thymus, Surrénales et organes chromaffines, Hypophyse, s'échelonnent de  deux  en deux  ans.  L'Académie  de  médecine nous décerne alors son prix  Blondet.

Le volume consacré au testicule est retardé par la guerre et paraît en 1942. Dans le même temps, nous avions fondé la Revue française d'endocrinologie ; nous en assurions la direction et la rédaction avec un comité de patronage rassemblant la plupart des grands noms de l'endocrinologie mondiale. Elle connut un vif succès que la guerre allait interrompre.

Au reste, c'est vers la prophylaxie sociale que l'activité du Professeur Parisot allait désormais se tourner.

Le sociologue

L'organisation de l'hygiène dans le département comme sa désignation pour la chaire d'hygiène sociale avaient définitivement orienté l'action future du jeune professeur.

Son choix était fait ; il estimait que l'on peut sauver plus de vies humaines par une efficace prévention sociale que par la lutte individuelle contre la maladie.

Il y avait à ce point de vue beaucoup à faire ; il s'attelle à la tâche ; il crée des réseaux de dispensaires urbains et ruraux, des dispensaires d'usine ; il fonde des maisons de repos, des préventoriums et développe ceux existant déjà.

Avec le doyen Louis Spilmann, il fait paraître la Revue d'hygiène sociale, organe de liaison entre les formations d'hygiène de la région, mais aussi organe de propagande pour les projets et les réformes à promouvoir.

Il inaugure contre les fléaux sociaux : tuberculose, syphilis, alcoolisme, de grandes enquêtes menées par les collaborateurs de ce service. C'est par la tuberculose dans la classe ouvrière que débute cette investigation.

L'analyse des résultats enregistrés nous amène, Parisot et moi-même, à des constatations intéressantes : II y a en Lorraine une progression générale de la tuberculose dans les milieux ouvriers urbains ; certains sont plus touchés que d'autres ; c'est le cas des ouvriers boulangers chez qui la morbidité tuberculeuse est dix fois supérieure à celle des autres corporations, celle des ouvriers pâtissiers en particulier.

Cette anomalie nous frappe et nous en cherchons les causes. Or, c'est le travail de nuit qui nous apparaît en être responsable ; il agit non pas seulement par la fatigue anormale entraînée par cette activité nocturne, mais il s'opère de plus dans des locaux surchauffés, mal aérés ; le contrat de travail prévoit en outre l'octroi de trois litres de vin par nuit, sans compter les petits verres consommés dès l'ouverture des cafés voisins. Rentré chez lui, harassé, le mitron trouve la maison vide, mange mal, ne participe en rien à la vie de famille.

La boulangerie française est la seule au monde à imposer à son personnel ce travail inhumain.

Le danger est grand aussi pour la clientèle, car les enquêteurs ont vu dans de nombreux fournils, le pain, au sortir du four, déposé à même le sol souillé par les crachats des mitrons porteurs de germes.

Nous soumettons ces faits à l'Académie de médecine ; celle-ci, dans sa séance du 5 janvier 1926, émet à la quasi-unanimité un vœu aux Pouvoirs publics réclamant la suppression du travail de nuit dans la boulangerie. Ce vœu est reproduit en grandes affiches placardées dans tout le pays par les syndicats ouvriers de l'alimentation de la CGT.

Quelques jours plus tard, Parisot et moi-même recevons une assignation en dommages-intérêts lancée par le Syndicat patronal de 1a boulangerie de Meurthe-et-Moselle. Mais celui-ci se ravise, annule son assignation et nous met au défi de défendre notre thèse au cours d'un meeting organisé à Nancy par les Syndicats patronaux lorrains de l'alimentation.

Bien entendu, nous relevons le défi ; délégué par mon ami dans les fonctions d'accusateur public, je justifie notre initiative devant un très nombreux auditoire ; je parle dans un silence glacial mais à la contradiction il ne m'est opposé aucune objection valable, si bien que l'assemblée accepte le principe d'une Commission chargée d'étudier les conditions d'une suppression du travail de nuit dans la région lorraine.

Quelques mois plus tard, la Revue d'hygiène annonce l'heureuse conclusion de cette tractation sous ce titre « une intéressante réalisation dans l'organisation de la boulangerie, c'est pratiquement la suppression du travail de nuit dans la boulangerie lorraine ».

L'année suivante, en mai 1927, nous publions un article réclamant pour la classe ouvrière française des congés payés déjà réalisés dans plusieurs pays d'Europe.

Le scandale soulevé dans les milieux conservateurs sociaux par une telle proposition devait lui assurer une rapide diffusion. Un grand industriel lorrain, camarade de lycée de Parisot, lui adresse une lettre véhémente ; il y dénonce l'étourderie de quelques démagogues incompétents et sans mandat, leur projet est susceptible de provoquer une crise grave dans l'industrie française.

Quelques années plus tard, l'auteur de cette lettre signait à l'hôtel Matignon l'accord octroyant d'emblée à la classe ouvrière un congé pavé cinq fois plus long que celui proposé dans notre projet.

Cette attribution des congés payés postulait pour qu'elle soit bénéfique à l'aménagement des loisirs ainsi créés.

Nous réclamons donc dans la revue d'hygiène une organisation méthodique de ces loisirs.

Ces campagnes audacieuses mais nécessaires ne soulevaient pas que des protestations ; elles étaient hautement appréciées par les Pouvoirs publics et par les instances les plus élevées de l'hygiène internationale.

Aussi en 1937, le Comité d'hygiène de la Société des Nations dont Parisot faisait partie depuis 1934, le choisit-il pour le présider. Il devait occuper cette présidence jusqu'à ce qu'éclate la guerre de 1939.

Ces hautes fonctions ne ralentissent pas la propagande sociale du Professeur Parisot. Prévoyant la mécanisation progressive des moyens de transport et de l'outillage agricole, il en redoute les conséquences pour l'artisanat rural si répandu dans notre pays. Nous réclamons donc une reconversion de ces artisans dans une étude de la revue d'hygiène parue sous ce titre : « Un remède contre le chômage ; retour à l'artisanat rural par des cours de dépannage. »

Nous proposons pour la France l'octroi de cures thermales aux assurés sociaux, réforme depuis longtemps instaurée en Allemagne.

Mais la lutte contre la tuberculose n'est pas la seule à promouvoir dans notre région ; la multiplication des maladies vénériennes alarme le maire de Nancy et l'amène à réglementer la police des cafés et à réaliser la fermeture des maisons d'illusions. La compétence du Professeur Parisot est souvent mise à contribution au cours de cette campagne.

On enregistre d'autre part une rapide progression de l'alcoolisme officiellement entretenu pendant la guerre par la distribution excessive de vin et d'alcool dans les tranchées ; poursuivie après la victoire par l'octroi d'un supplément de contingent pour les bouilleurs de cru anciens combattants et aussi par la rapide diffusion rie boissons anisées assurée par une publicité scandaleuse.

Une telle situation n'est pas sans inquiéter les sociologues. Le Professeur Parisot décide de faire le point de la question par une enquête sérieuse.

Une large investigation est menée dans la région lorraine par les services de l'Office d'hygiène ; les résultats en sont très alarmants.

Le Professeur Parisot voulut bien encore associer mon nom au sien en cette affaire ; nous présentons une étude d'ensemble de la question à l'Académie de médecine. Celle-ci, dans sa séance du 4 avril 1939, approuve et fait siennes nos conclusions.

Une polémique dans la presse est suscitée par cet exposé ; nous décidons alors de publier chez Berger-Levrault un livre sur le danger présenté pour notre pays par l'alcoolisme. Il paraît sous ce titre : « Un pays qui s'abandonne devant un danger qui grandit, l'alcool. »

La première édition venait d'être épuisée, quand éclate la seconde guerre mondiale.

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Le conflit terminé, une refonte complète des organismes internationaux de la Santé publique s'impose.

Dès son retour de déportation, le Professeur Parisot est prié par le gouvernement de représenter la France pour la fondation de l'Organisation mondiale de la santé.

Le nouvel organisme devra poursuivre l'œuvre entreprise par le Comité d'hygiène de la S.D.N. : l'aide à la maternité, la protection de l'enfance, l'assistance aux vieillards, la prophylaxie des maladies contagieuses, la lutte contre le taudis et la désertion des campagnes, etc...

Des tâches nouvelles incombaient au nouvel organisme : la lutte contre la faim dans le monde, la natalité excessive dans certains pays, la mauvaise répartition des matières de consommation, l'organisation de la Sécurité sociale.

Tous ces grands problèmes étaient familiers au Professeur Parisot, aussi joua-t-il dès la constitution de la nouvelle Assemblée un rôle prépondérant.

I1 est amené à prendre l'initiative d'un mouvement visant à empêcher les Etats-Unis de réaliser le transfert dans ce pays de la nouvelle organisation. Seules la France et l'URSS sont opposées à cette mesure: le Professeur Parisot entreprend alors une campagne méthodique vis-à-vis des délégations Sud-Américaines : il leur fait valoir la nécessité pour le nouvel organisme d'assurer son indépendance ; il rappelle les droits acquis par Genève d'en rester le siège puisqu'elle a les locaux, les archives, le personnel. Il obtient gain de cause et Genève n'est pas dépossédée.

Le prestige acquis par le Professeur Parisot au sein de l'organisation ne cesse de grandir. En 1949, il est élu président de son comité exécutif et cette présidence lui est renouvelée en 1952.

Au cours de ces deux mandats, son autorité, sa compétence, son esprit réalisateur l'imposent à l'attention des délégués, aussi en 1956 est-il élu au poste suprême de la présidence de l'Organisation mondiale de la santé.

Il n'aimait pas se vanter, aussi savait-on peu de choses sur la manière dont il accomplit sa tâche. J'ai eu l'occasion de traiter un membre sud-américain de cet organisme ; il put me décrire la manière dont le Professeur Parisot exerçait sa présidence.

Il fait décider une limitation horaire des interventions ; quand une discussion se prolonge ou s'envenime, il l'interrompt courtoisement, résumant les thèses opposées de chaque adversaire et faisant apparaître les points de convergence sur lesquels une entente peut se faire.

Le programme établi pour les travaux témoigne de l'ordre dont le président est coutumier ne laissant rien au hasard ou à l'improvisation.

L'autorité dont il jouit maintenant dans le monde facilite singulièrement les rapports de l'organisation avec les gouvernements intéressés. Si un problème apparaît particulièrement urgent ou difficile à régler, le président se déplace en personne et va traiter lui-même sur place les conditions d'un règlement rapide et équitable.

Quand l'âge et la fatigue l'amènent à se décharger de sa haute fonction, c'est à regret qu'il est fait droit à sa demande et l'honorariat de la présidence lui est décerné à l'unanimité.

Il ne juge cependant pas sa tâche terminée ; jusqu'au bout, il poursuit la direction de l'office d'hygiène; il reste le conseiller écouté du Ministère de la Santé publique. En 1966, il doit encore accepter la présidence de l'Institut National des études médicales. La même année, l'Académie des sciences morales et politiques l'élit membre correspondant et l'organisation de l'hygiène lui octroie sa médaille d'or.

Même dans les dernières semaines, c'est à son chevet que se réunissent certaines grandes Commissions qu'il devait présider hors Nancy ; il donne ainsi jusqu'au dernier jour un magnifique exemple de courage et d'abnégation.

Le patriote et le soldat

Déjà au cours de ses études médicales, J. Parisot était du petit nombre de ceux d'entre nous qui suivaient avec régularité les exercices organisés pour les médecins de réserve sur le plateau de Malzéville.

Quand le conflit éclate, le jeune médecin aide-major, a comme affectation de mobilisation, médecin de bataillon au 269e Régiment d'Infanterie. Il ne tient qu'à lui, en raison de ses titres universitaires et hospitaliers, de troquer cette situation pour une autre moins dangereuse. Il s'y refuse, gagne le front et dès les hostilités engagées, manifeste de telles qualités de courage et de dévouement, qu'il est quatre fois cité et reçoit en 1916 la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur. J'ai eu par la Maréchale Fayolle, l'écho de l'estime affectueuse dans laquelle son mari alors divisionnaire tenait son professeur médecin de bataillon.

La croix de guerre, la médaille de la victoire, la croix du combattant, la croix de guerre pour la civilisation furent de toutes les distinctions reçues par J. Parisot, celles auxquelles il tenait le plus.

Ses missions en Allemagne entre les deux guerres lui font prévoir la prochaine catastrophe; aussi consacre-t-il une part de son activité à des études sur les gaz asphyxiants réputés comme devant bouleverser les conditions de la guerre classique; il est souvent consulté sur ce point par les responsables du Grand Etat-Major.

La deuxième guerre mondiale le trouve médecin-colonel attaché au Quartier général de l'armée des Vosges. Il apporte tous ses soins à une organisation modèle des services d'avant et d'arrière dont il a la charge.

Quand vint la débâcle de 1940, son secteur n'est pas épargné ; les services administratifs, le personnel médical ont le plus souvent quitté leurs postes ; malades et blessés risquent de se trouver sans soins.

D'accord avec le Professeur Parisot, le commandement de l'armée décide, pendant qu'il en est encore temps, de procéder à une évacuation massive sur l'intérieur des formations sanitaires les plus menacées.

C'est le médecin-colonel Parisot qui a mission de diriger ces immenses convois vers leur lieu de destination, Besançon.

Pendant qu'il assure dans cette ville la répartition de ses hommes, l'encerclement de l'armée des Vosges se poursuit; le Professeur Parisot est avisé qu'il ne pourra pas rejoindre et qu'il sera affecté avec le grade de médecin-général au grand Q.G.

Mais il sait dans quel état il a laissé les services sanitaires de son armée; sa présence y est plus que jamais nécessaire. Apprenant qu'il existe pour l'atteindre un chemin de montagne que les Allemands n'occupent pas encore, il prévient le commandement qu'il regagne son poste à l'armée des Vosges. Il y parvient au prix de sérieuses difficultés : il est accueilli avec une joyeuse stupéfaction par ses chefs, ceux-ci croyant à juste titre que l'époque des Régulus était close.

Avec l'état-major de son armée, il est transféré a Strasbourg. Il constate l'effroyable encombrement provoqué dans les camps par un afflux imprévu de prisonniers. Excipant de son titre de président du Comité d'hygiène de la S.D.N., il demande à visiter ces camps pour le compte de son organisation. Il est fait droit à sa demande contre sa parole d'officier français de ne pas en user pour s'évader ; il reçoit un ausweiss.

Il remplit sa tâche sans incident, mais apprenant que tous les prisonniers vont être transférés en Allemagne, il rend son ausweiss, reprend sa parole, désireux qu'il est, dit-il, de s'évader. Il ne peut mettre son projet à exécution,  car gravement malade, il  est  rapatrié.

Dès son retour en Lorraine, il prend contact avec les responsables de la résistance ; ceux-ci lui destinent la tâche de commissaire de la République en Lorraine dès la libération. Parisot en accepte le principe mais il y met des conditions : s'il faut dès le début sanctionner les crimes de collaboration, il importera de suite après cette épuration nécessaire de passer l'éponge et de refaire l'union entre les Français pour assurer un relèvement rapide du pays ; en particulier, il s'oppose aux poursuites que l'on veut intenter contre le Dr Schmidt, maire de Nancy.

Ces réserves empêchent qu'une conclusion ferme soit donnée à ces conversations et le Professeur Parisot peut partir se reposer quelques semaines dans sa propriété de Dordogne ; il y abrite de jeunes confrères recherchés par la Gestapo. Quand il revient à Nancy, il se sent surveillé et soupçonné par la police allemande. Il pense à juste titre que celle-ci est informée des pourparlers qu'il a engagés avec la résistance.

Il ne tient aucun compte de cette menace et n'hésite pas à répondre à deux reprises à l'appel angoissé que lui lance notre ami, le docteur Franck de Champigneulles, en ce moment interné à Ecrouves ; les Allemands n'ont à reprocher à ce praticien modèle, adoré de sa clientèle, que son origine israélite ; c'en est assez à leurs yeux pour justifier son départ vers un camp d'extermination. Quand les deux hommes se séparent pour la dernière fois, le docteur Franck confie à son ami l'avenir de son fils, brillant sujet, qui devait devenir notre excellent confrère, le recteur Franck. Le Professeur Parisot n'avait pas failli à sa mission.

L'homme d'action

C'est souvent dans les conditions les plus difficiles que l'homme d'action se révèle ; il s'impose alors à ceux qui, dans les circonstances ordinaires de la vie, l'auraient ignoré ou méconnu. S'il en était encore parmi ses concitoyens qui ne connussent pas le Professeur Parisot, le drame de la déportation allait leur ouvrir les yeux.

Le 8 juin 1944, au début de l'après-midi, le secrétaire général de la Préfecture avise discrètement le Professeur Parisot qu'il doit être arrêté le lendemain à l'aube.

Celui-ci songe un instant à partir; il prépare sa valise, se munit de la clef de la porte du jardin par où il sortira au coup de sonnette annonciateur. On lui a assuré dans le voisinage du préventorium de Flavigny une cache sûre où s'abritèrent pendant la Terreur les prêtres insermentés.

Mais dans la nuit, il pense que sa disparition entraînera l'arrestation de Madame Parisot ; il renonce alors à son projet d'autant plus volontiers qu'il n'est pas dans ses habitudes de fuir devant le danger.

Il attend donc sans impatience l'arrivée des sbires de la Gestapo ; à l'aube du 9 juin 1944, ceux-ci l'emmènent rejoindre les quarante-deux autres notabilités lorraines prises comme otages ; il y a parmi eux des hommes politiques (parlementaires, maires, conseillers généraux), des magistrats, des policiers, des prêtres, des universitaires et parmi ceux-ci nos confrères les professeurs Maurice Lucien et Drouet.

Leur départ vers le Nord de l'Allemagne tarde peu ; après une courte halte à Compiègne, leur transfert au camp de Nenengamme-Hambourg se fait dans les pires conditions.

Dans le camp où ils arrivent après un long et pénible voyage, ils rejoignent des contingents d'otages venus fies diverses provinces françaises : parmi ceux-ci il y a encore des personnages connus: parlementaires, grands industriels et même un ancien président du Conseil. Leur effectif total dépasse trois cents unités.

Les conditions de vie qui leur sont imposées sont des plus précaires ; deux baraques leur sont affectées avec des lits étroits à trois étages superposés. L'administration du camp paraît vouloir ignorer ses hôtes; elle a mis cependant à leur disposition deux médecins polonais qui ne demandent qu'à se faire oublier car ils n'ont ni instruments ni médicaments.

La nourriture est exécrable et nettement insuffisante jusqu'à ce que la réception de colis puisse quelque peu l'améliorer.

Dès les premiers jours, le Professeur Parisot s'impose à l'attention des déportés en raison d'abord de son passé que beaucoup ont été à même d'apprécier, mais aussi de l'attitude fière et digne qu'il adopte vis-à-vis des maîtres de l'heure et de la certitude qu'il affiche de la prochaine et inévitable victoire des alliés. Ses compagnons lui demandent de prendre la direction de la petite colonie ; il n'avait rien fait pour suggérer sa candidature à ce poste difficile et dangereux, il n'est pas homme à se dérober aux responsabilités et déférent simplement au voeu unanimement exprimé il se met au travail. La première chose à faire c'est d'organiser pour ces hommes dont beaucoup sont âgés, quelques-uns malades, un service de consultations et de soins qui leur donne confiance dans leur avenir. Grâce aux huit médecins déportés, il organise une infirmerie où se tiendront les malades couchés qui n'auront pas à répondre aux appels. Dans le fond d'une des baraques, il crée un petit hôpital de quatre lits où seront placés les malades plus graves qui veulent éviter l'hôpital du camp ; ils savent en effet qu'une fois entrés dans celui-ci, on n'en sort que pour la chambre à gaz.

Il peut ainsi tirer de situations difficiles des déportés gravement atteints. A défaut de médicaments, les médecins agissent comme agents de réconfort moral ; ce ne fut pas la partie la moins efficace de leur tâche.

L'autorité du « patron » est telle que dans ce rassemblement d'hommes différents d'origine, d'habitudes et de tendances, il n'y eut pas le moindre conflit à enregistrer ; quand des récriminations se font entendre, il lui suffit de faire miroiter aux yeux des plaignants la libération prochaine et le retour dans une France unie et fraternelle.

Le temps s'écoule ainsi lentement mais sans incident quand le Professeur Parisot apprend la prochaine arrivée au camp du Comte Bernadette, secrétaire général de la Croix-Rouge internationale ; celui-ci vient, après accord avec le gouvernement allemand, rapatrier un convoi de déportés nordiques pris aussi comme otages. Parisot qui l'a rencontré plusieurs fois dans des réunions internationales prend contact avec lui.

Or, le Comte Bernadotte se fait l'écho d'une rumeur suivant laquelle des négociations seraient engagées pour un échange des otages français de Neuengamme contre des chefs SS aux mains des alliés.

Déjà les captifs prévenus se réjouissent et parlent de leur départ éventuel mais l'un d'eux, Monsieur de V., administrateur à Reims d'une grande marque de Champagne, est gravement malade. Le Professeur Parisot le garde à son petit hôpital, mais il est démuni de médicaments indispensables. Il prend contact avec l'officier supérieur commandant le camp et lui dit :

« - J'ai un grand malade, il me faut des antibiotiques - Je n'en ai pas - J'insiste réplique le Professeur Parisot, j'en ai un besoin urgent - Je n'en ai pas même pour les soins à donner à nos SS, rétorque l'officier - Cela m'est indifférent, il m'en faut d'urgence, vous direz à ceux qui en disposent que la France n'échangera pas des SS contre des cadavres. »

Cette volonté ainsi affirmée sur un ton qui exclut toute tergiversation, produit son effet; le Professeur Parisot a ses antibiotiques et son patient hors d'affaire pourra, le moment venu, partir avec le convoi.

De fait, la situation du Reich empire rapidement : le moment n'est plus pour l'administration du camp de se montrer trop exigeante ; elle accepte le principe du départ des otages français vers le sud pour éviter qu'ils ne soient libérés par les Russes qui avancent sans cesse ; mais un projet diabolique est proposé : les Français feront une halte à Flossenbourg en Bavière ; or, ce camp est un camp d'extermination.

Le départ ne se fait plus en wagons à bestiaux mais en autocars escortés par des soldats en armes sous la direction d'un officier SS.

Au moment où la partie française du convoi doit bifurquer vers la Bavière, Parisot et le Comte Bernadette font connaître au commandant du convoi la décision des Français d'éviter Flossenbourg ; en cas de refus, ils emploieront la force au besoin, assurés qu'ils sont du concours éventuel de plusieurs soldats tchèques de l'escorte.

Après en avoir référé à ses chefs, l'officier accepte que les déportés français évitent Flossenbourg pour être répartis dans les camps de Therezin et de Brejanik, à peu de distance de Prague.

Il en est ainsi fait, mais bientôt le typhus se déclare dans ces camps ; le Professeur Parisot organise l'isolement et les soins ; ceux-ci seront assurés par les médecins français déportés qui s'engagent à rester dans ces camps tant que leur présence y apparaîtra nécessaire.

Mais un bruit court dans les camps : Hitler et Mussolini ont été assassinés et la paix va être conclue.

Faute de moyens d'information, le Professeur Parisot et l'ancien ministre français Maupoil se rendent à Prague pour obtenir des précisions.

La ville est sous le feu de l'artillerie russe ; la situation v est sérieuse pour les derniers habitants qui n'ont pu fuir, le ravitaillement fait défaut, l'émeute gronde dans les faubourgs.

Avec le consul de Suède chez qui ils ont trouvé abri, les deux français s'emploient à rétablir la situation.

C'est chose faite quand les Russes entrent dans la ville.

L'évacuation des Français déportés, libérés de leurs camps, donne lieu à Prague à une émouvante manifestation populaire de gratitude.

La population de Prague ne fut pas la seule à rendre hommage à l'homme d'action dont l'intervention avait été si efficace :

Relatant les faits rapportés ci-dessus, le président des déportés, Lucien Pierson, écrivait :

« Les camarades du Professeur Parisot conserveront de lui le souvenir d'un chef éminent, profondément humain ; il a su mettre à leur service son autorité, sa compétence, son dévouement, ils l'en remercient chaleureusement et ne l'oublieront pas ».

D'autre part, pour témoigner au Professeur Parisot sa reconnaissance pour l'action efficace menée en faveur de ses compagnons d'infortune, le Bureau international des déportés devait lui décerner le Diplôme d'honneur international de la Résistance et de la Déportation.

De son côté, le gouvernement français lui conférait en 1945 la dignité de Grand Officier de la Légion d'Honneur.

L'administrateur

La Faculté de Médecine de Nancy avait, après la libération, connu de mauvais jours : une période de cinq année pendant laquelle elle avait été isolée et neutralisée par les événements : la mobilisation et la captivité de ses élèves et d'une partie de ses professeurs, l'éloignement des antres ; tout cela ne pouvait manquer d'inspirer des craintes quant à l'avenir.

Il ne fallait pas seulement pour lui redonner vie et activité un homme résolu et entreprenant, mais aussi une notabilité utilisant son autorité et ses relations pour se faire écouter dans les administrations de la capitale.

Aussi en 1949, le conseil de la Faculté avait-il demandé au Professeur Parisot d'accepter le décanat : c'était une lourde tâche, car ce n'est pas seulement la Faculté qui est en cause, mais aussi les services hospitaliers devenus insuffisants et vétustés.

Une fois encore, il ne se dérobe pas; il se met au travail, reprend contact avec les représentants de la Préfecture et de la Municipalité, avec ceux du Conseil Général, avec les architectes et les entrepreneurs. Il agrandit les laboratoires et les services de la Faculté ; il y crée le grand amphithéâtre qui porte son nom.

Il établit surtout les plans d'une transformation judicieuse et réaliste des hôpitaux de Nancy ; il ne dépendit pas de lui que ces transformations ne soient pas encore réalisées.

Il reste doyen jusque 1955, date où il demande à être libéré de cette charge. C'est avec le plus vif regret que ses collègues défèrent à son désir ; ils lui confèrent en signe de gratitude l'honorariat de la fonction.

C'est alors que, membre de notre compagnie depuis la libération, il figure assidûment à nos séances, participe à notre vie avec une impressionnante régularité.

A plusieurs reprises, il en refusa la présidence, mais nous fit un jour une très intéressante communication sur l'action de l'organisation mondiale de la santé ; elle est encore présente à nos souvenirs.

Souvent les présidents qui se sont succédé, ainsi que notre secrétaire perpétuel, eurent à prendre ses avis, à solliciter ses conseils toujours marqués au coin de l'expérience et du bon sens.

La fin d'un  sage

En cette année 1966, l'octogénaire paraît encore défier les ans ; son corps est resté droit, son intelligence active et lucide. Les distinctions qui lui échoient semblent marquer de nouvelles étapes d'une carrière qui doit se prolonger : il est choisi comme président de l'Institut des études médicales, poste important au moment où se renouvellent les statuts de cette corporation ; il reçoit la médaille d'or de l'Organisation internationale de l'hygiène ; l'Académie des sciences morales et politiques l'associe à ses travaux.

Toutefois dans les premiers mois de 1967, il se sent sérieusement atteint par la maladie. Il ne se fait du reste que peu d'illusions sur les possibilités des thérapeutiques mises en œuvre par ses élèves et ses amis pour tenter de prolonger cette belle carrière.

Quand il sent sa fin inévitable et proche, il s'ingénie à trouver les mots d'encouragement capables d'atténuer la profonde douleur de l'admirable compagne de sa vie.

Il prépare le dernier grand acte de sa vie terrestre, le passage dans l'éternité.

La journée du 6 octobre fut la plus dure de cette longue agonie ; le malade gravit les dernières étapes de son douloureux calvaire avec un magnifique courage et une émouvante résignation ; celle-ci tenait bien évidemment à la force d'âme qu'il avait toujours manifestée : elle résultait aussi de la conviction qu'en dehors des récompenses terrestres il reste la perspective du bonheur promis clans l'autre vie à ceux qui, à son exemple, ont satisfait à la grande loi d'amour édictée par le Christ.

J'ai eu le triste privilège de le voir quelques heures seulement après que cette grande âme eut quitté son enveloppe charnelle. Sa figure marmoréenne mais sereine et détendue, ses mains diaphanes croisées sur sa poitrine semblaient déjà fixées par le ciseau d'un sculpteur de génie.

Ainsi était entré dans l'éternel repos celui dont la vie avait si bien justifié l'éloge fait de lui à l'annonce de sa mort par le Président de l'Académie des inscriptions et belles lettres : « Il fut un homme de grande race et d'un immense dévouement qui servit, sans les séparer, sa patrie lorraine, son Université de Nancy, notre pays, la France et la cause commune des hommes. »

II n'avait voulu ni fleurs, ni discours, mais je sais que comme il avait souhaité des prières dites pour son repos par ses amis et ses obligés, le médecin de bataillon de 1914, le déporté de la dernière guerre avait désiré les honneurs militaires rendus au Grand Croix de la Légion d'Honneur et la déchirante sonnerie aux morts égrenée dans l'air lourd et bas d'une sombre matinée d'automne lorrain.

Puisque aussi bien il n'avait pas même voulu l'éloge qu'eut prononcé le président de notre compagnie, peut-être pardonnera-t-il à son ami de toujours de lui avoir rendu en votre nom à tous, mes chers Confrères, ce fraternel et affectueux hommage.