Extrait des Mémoires
de l'Académie de Stanislas - Année 1968-1969
Un grand serviteur du pays : le Doyen Jacques PARISOT
par G. RICHARD
Communication faite le 19
janvier 1968
Peut-être aurait-il fallu
une voix plus haute que la mienne pour célébrer la grande figure de ce lorrain.
Du moins trouverai-je une
excuse à avoir accepté de m'en charger dans les soixante années d'amitié
confiante et de collaboration régulière qui nous ont étroitement unis.
C'est à l'aube du siècle
qu'eurent lieu nos premières rencontres à la Faculté de Médecine ; il
commençait, lui, sa seconde année, il avait vingt ans; j'en avais dix-neuf et
je débutais dans la première.
La grande salle de
dissection est notre point de contact quotidien ; les jeunes que nous sommes
témoignent une considération justifiée pour leurs anciens de seconde année,
riche de valeurs et d'espoirs parmi lesquels nos futurs confrères Remy Collin,
Maurice Lucien et Jacques Parisot.
Ce dernier, en raison
peut-être des grandes traditions médicales dont il est l'héritier, s'impose
surtout à notre attention ; son arrière grand-père et son grand-père avaient
illustré l'école de médecine de notre ville ; son oncle, le doyen Heydenreich et son père, le Pr
Pierre Parisot, honorèrent les chaires de clinique
chirurgicale et de médecine légale qu'ils occupaient.
Nos rapports sont d'abord
rares et distants, mais d'emblée je suis séduit par la forte personnalité du
jeune étudiant.
Tout en lui est harmonie;
il est grand, mince, élancé, mais carré d'épaules; il dégage une impression de
force et d'équilibre : son maintien assuré, sa taille droite sans raideur, en
imposent déjà ; mais ce qui surtout attire et retient l'attention, c'est la
tête portée haute ; elle eut tenté jadis un sculpteur grec à la recherche d'un
modèle digne de figurer un personnage de l'Olympe.
L'ensemble charme dès le
premier abord et l'examen le plus minutieux, l'analyse la plus attentive ne
font déceler dans cette physionomie aucun détail susceptible d'en troubler
l'harmonie ; la figure est fine et intelligente ; une chevelure brune
abondante, séparée par une raie impeccable, la couronne ; des sourcils finement
dessinés, de longs cils tamisent l'éclat des yeux clairs d'où filtre un regard
droit et franc ; le nez est mince et busqué, juste ce qu'il faut pour donner du
caractère à cette effigie juvénile ; de petites moustaches brunes soulignent
le dessin des lèvres ; le menton à fossette complète heureusement cet ensemble
racé.
Si la physionomie apparaît
d'abord sérieuse, voire quelque peu austère, son aspect se transforme dès que
la conversation s'engage ; la mobilité des traits accusée par un fin sourire
éclaire le visage lui donnant un charme auquel bien peu résistent.
Si son interlocuteur le met
en confiance, une certaine causticité émaille ses propos ; elle reste cordiale
et amicale et ne devient acerbe que si elle s'applique à des faiseurs, à des
flatteurs, à des profiteurs dont il a horreur.
Cette
image de l'étudiant à l'orée de sa vingtième année, devait s'accuser sans
toutefois se modifier avec le temps. Dans sa maturité alors qu'il apparaît sous
son aspect définitif, son charme demeure et son autorité s'affirme.
La première guerre éclate ;
elle va mettre en évidence les qualités morales du Dr Parisot
; il la fait brillamment, car le courage est l'un de ses caractères dominants,
il est démontré par 4 citations et la Légion d'Honneur.
Pendant la seconde guerre,
il obtient comme médecin-colonel sa cinquième
citation à l'ordre de l'Armée.
A son retour de captivité,
il ne craint pas de prendre avec la résistance locale, un contact qui doit
entraîner sa déportation.
Si son courage apparaissait
évident et indiscutable, moins apparente était une autre forme de sa grandeur
morale, la générosité que seuls ses amis connaissaient, tant il s'ingéniait à
en cacher les manifestations.
Jamais je ne lui ai demandé
son aide en vain pour des hommes dont il n'ignorait pas l'hostilité à son
égard.
Bien mieux, un procès de
collaboration permit d'apprendre la générosité de cet homme qui venait de quitter
les camps de déportation ; son arrestation était la conséquence d'une
dénonciation attribuée à un professeur de notre Université ; les Allemands
apprennent de lui que la résistance a désigné le Professeur Parisot
pour le poste de Commissaire de la République dès la libération ; il fut
aussitôt arrêté et déporté. Il était dans ce procès le principal témoin à
charge.
Or, sa générosité l'amène à
présenter la révélation dont il avait été la victime comme le fait d'une imprudence
de langage et non d'une volonté consciente et délibérée de nuire ; un verdict
modéré fut la conséquence de l'attitude du principal intéressé.
Il
fallait aussi le bien connaître pour savoir que chez cet homme en apparence
insensible et imperméable aux émotions, la froideur n'est qu'un masque destiné
à cacher une timidité naturelle contre laquelle il avait souvent à lutter ;
il y trouvait aussi une efficace protection contre les solliciteurs. Il était
en réalité tin grand sensible bien qu'il s'en cachât ; il souffrait plus qu'on
ne peut l'imaginer quand il se voyait en butte à la jalousie ou à
l'incompréhension.
Lui-même gardait une
affection profonde et agissante pour ceux qui avaient su gagner son amitié et
sa confiance ; il dissimulait soigneusement les preuves de cette affection ;
il fallait parfois chercher longtemps pour découvrir l'auteur d'événements
heureux, résultats de son intervention discrète.
Cette générosité naturelle,
cette sensibilité aiguë, ce sens de la solidarité humaine conditionnaient son
esprit social. A l'hôpital, sa froideur apparente fondait au pied du lit du
malade; la souffrance lui imposait un affectueux abandon ; il aimait ses
malades, partageait leurs peines et doublait sa thérapeutique d'un réconfort
moral dont les bénéficiaires sentaient tout le prix.
Du cercle restreint du
service hospitalier ou des dispensaires, toute sa carrière allait s'orienter
vers les plus hautes fonctions internationales. Il allait aborder des tâches
difficiles et de lourdes responsabilités. Il les acceptera, car fort des
qualités héritées de son terroir, à son goût du travail il joint une volonté
tenace, un vif souci de la continuité, une méfiance instinctive pour les
improvisations ; son esprit clair et ordonné l'a mis à même de se fixer une
méthode générale de travail valable pour toutes les activités régionales,
nationales ou mondiales.
I1 réfléchit longuement au
problème posé; il en cerne les aspects, en mesure les difficultés, en évalue
les incidences. La conception du plan suivi s'impose alors à son esprit ;
l'édifice repose sur une base solide, capable de résister aux critiques des
hommes et aux injures du temps.
Il est réaliste et tient
compte exactement des crédits éventuels et des possibilités financières ; il
est prudent ; à une réalisation massive et spectaculaire, il préfère un lent et
sûr cheminement par étapes successives.
Dès que
le projet a pris pour lui une forme définitive, il le défend avec une
persévérance et une ténacité toutes lorraines.
Qui ne se souvient des
luttes qu'il soutint pendant des années pour faire prévaloir son plan de
rénovation clés centres hospitaliers de notre ville.
Quand il est contraint
d'écrire, il réduit son texte au minimum, se bornant à enregistrer les faits et
formuler les conclusions.
Il n'aime pas plus parler,
encore qu'il le fasse avec élégance et pertinence, il a plaisir à rédiger un
rapport d'activité; il possède si bien son sujet qu'en les lisant il laisse
tomber ses notes et parle d'abondance.
Reste à mener à bien le
projet conçu et fixé; pour cette besogne capitale, Jacques Parisot
fait figure de chef.
Le choix de ses
collaborateurs lui apparaît comme une condition naturelle du succès. Aussi y
apporte-t-il un soin tout particulier ; il exige d'eux la compétence et le goût
du travail, la probité scientifique et l'esprit d'équipe.
A
chacun d'eux, il attribue un domaine bien défini ; dans l'exécution, il leur
laisse une certaine liberté d'action qui sera le meilleur des stimulants ; en
cas d'erreur commise par l'un d'eux, il en endosse la responsabilité ; il forme
ainsi en dehors des universitaires, qui ont mission de le seconder pour la
chaire d'hygiène, une équipe d'hommes et de femmes où se rencontrent des
médecins, des hygiénistes, des administrateurs, des religieuses, des
assistantes sociales ; il dispose ainsi d'un instrument de travail
singulièrement efficace. I1 exerce sur eux le contrôle indispensable avec une
suprême discrétion ; s'il est un chef autoritaire et exigeant, cette autorité
reste toujours souriante et paternelle ; aussi existe-t-il entre les membres de
l'équipe et leur chef une atmosphère de compréhension et d'estime ; les
résultats de cette ambiance confiante sont considérables et le Pr Parisot y trouve la récompense
à laquelle il tient le plus. Ce n'est pas que les marques officielles de la
gratitude des Pouvoirs publics le laissent indifférent, mais il les considère
comme des repères fixant les étapes des réalisations effectuées.
Ceux qui le connaissent
mal, attribuent à l'ambition personnelle l'escalade dans les honneurs et les
hautes fonctions ; c'est une erreur à laquelle la jalousie n'est pas toujours
étrangère ; s'il avait recherché dans son action autre chose que le plaisir de
concevoir, d'organiser, de créer, il aurait accepté de faire la carrière politique
qui lui fût proposée à diverses reprises avec certitude de succès.
Parlementaire, il n'eut pas manqué de recevoir le Ministère de la Santé
publique où il eut pu montrer sa valeur. Je fus moi-même l'intermédiaire de ces
négociations. Il refusa toujours car il avait horreur de la politique avec les
combinaisons qu'elle entraîne ; il se contenta donc de rester le conseiller
technique du Ministère de la Santé publique.
Ces quelques aspects de la
forte personnalité du Professeur Parisot permettent
d'en dégager les traits caractéristiques : une intelligence originale et
créatrice mais ordonnée par une vue exacte du possible ; une sensibilité qui
avait développé en lui l'esprit de solidarité, lui faisant préférer aux
entreprises individuelles les grandes tâches collectives d'intérêt général ; le
goût de l'action efficace; un sens aigu de l'autorité et de la responsabilité.
A étudier les étapes de la
vie active du Pr Parisot,
on le voit se consacrer d'abord au long travail de sa formation personnelle,
s'entraînant à mettre au point une méthode efficace de travail ; il en
expérimente la valeur par une organisation modèle de l'hygiène sociale de sa
région, synthétisée par l'Office de Meurthe-et-Moselle.
Du plan régional, il étend
son action au plan national comme conseiller technique du Ministère de la Santé
publique.
L'importance
des résultats obtenus en France le destinait tout naturellement à représenter
ce pays au Comité d'hygiène de la Société des Nations, puis à l'Organisation
mondiale de la Santé ; il y jouera un rôle de premier plan.
Formation personnelle et
initiation médicale
Le jeune étudiant estime à
juste titre que les progrès récents de la Physiologie sont susceptibles
d'éclairer nombre de problèmes cliniques encore mystérieux. Aussi, est-ce de ce
côté qu'il s'oriente d'abord et il devient le préparateur du laboratoire du
Professeur Meyer.
Externe du service du
Professeur Paul Spillman, il mène de front
l'expérimentation au laboratoire et les applications cliniques à l'hôpital.
Deux ans plus tard, il
passe brillamment l'internat sans quitter le service dont il sera bientôt le
chef de clinique; j'eus alors le privilège d'être son interne et j'ai été à
même de juger avec quelle rigueur il observe, avec quelle probité scientifique
il tire des conclusions de ses observations.
Sa thèse en 1907 a pour
sujet « Pression artérielle et glandes à sécrétion interne ». Ce travail
retient l'attention du monde savant, comme l'avait retenue quelques mois
auparavant l'importante thèse de notre confrère, le Professeur Jeandelize, sur le corps thyroïde. Ces travaux, de qualité,
l'un et l'autre, couronnés par l'Académie de médecine ajoutaient encore à la
réputation déjà acquise par l'école endocrinologique
de Nancy de Nicolas, de Prenant, d'Ancel, de Bouin,
de Remy Collin.
Le dernier pas à franchir
dans l'ascension au professorat est l'agrégation ; le jeune Dr Parisot l'enlève brillamment en 1913. Il est alors chargé
de diriger le service des tuberculeux de l'hôpital Villemin. La grande guerre
allait pour un temps mettre un terme à son activité scientifique.
Le clinicien et le
savant
Arrivé
à Royat à la fin de la guerre, j'avais eu l'occasion de traduire de l'Anglais
avec Guy Laroche, le futur professeur de clinique médicale de la Faculté de
Paris :
« La Physiologie des glandes endocrines »
de Schafer
d'Edimbourg.
Le succès rencontré par
cette publication si nouvelle en France est tel que notre éditeur nous demande
de poursuivre dans cette voie.
Mais Guy Laroche étant
rentré à Paris et moi-même à Nancy, c'est avec le Professeur Parisot que j'entrepris de réaliser les travaux demandés.
Nous publions dès 1923 un
nouveau livre : « Les glandes endocrines, leur valeur fonctionnelle ». En 1925,
nous rédigeons l'article « Thymus » pour le grand traité de physiologie, publié
sous la direction du Professeur Binet de Paris. Sur ces entrefaites, notre
éditeur parisien réclame un traité d'ensemble sur les glandes à sécrétion
interne. Nous acceptons, mais nous demandons à notre ami Maurice Lucien de se
charger de la partie anatomique et histologique.
Le Traité sera complet en
six volumes in-quarto de six cents à huit cents pages, un pour chaque glande.
Nous abordons ce gros
travail en commun, ce qui accentue encore notre amitié confiante.
C'est en 1925 que paraît le
premier volume consacré à la thyroïde. I1 est accueilli avec faveur en France
et même à l'étranger ainsi que le montre l'incident suivant: Un jeune médecin
russe, fils d'un professeur de la Faculté de Pétrograd,
nous transmet les félicitations de son père pour le succès rencontré en Russie
par notre ouvrage. Alerté, notre éditeur nous objecte que trois exemplaires
seulement ont été vendus dans ce pays. Renseignements pris, en dépit du copyright,
il existe une édition russe qui s'est rapidement répandue.
Nous protestons auprès du
Ministère de l'Instruction publique russe. Il nous répond nous avoir rendu
service en diffusant nos idées. Nous protestons à nouveau contre une traduction
faite sans contrôle.
Les autres volumes :
Parathyroïdes et Thymus, Surrénales et organes chromaffines,
Hypophyse, s'échelonnent de deux en deux
ans. L'Académie de
médecine nous décerne alors son prix
Blondet.
Le volume consacré au
testicule est retardé par la guerre et paraît en 1942. Dans le même temps, nous
avions fondé la Revue française d'endocrinologie ; nous en assurions la
direction et la rédaction avec un comité de patronage rassemblant la plupart
des grands noms de l'endocrinologie mondiale. Elle connut un vif succès que la
guerre allait interrompre.
Au reste, c'est vers la
prophylaxie sociale que l'activité du Professeur Parisot
allait désormais se tourner.
Le sociologue
L'organisation de l'hygiène
dans le département comme sa désignation pour la chaire d'hygiène sociale
avaient définitivement orienté l'action future du jeune professeur.
Son choix était fait ; il
estimait que l'on peut sauver plus de vies humaines par une efficace prévention
sociale que par la lutte individuelle contre la maladie.
Il y avait à ce point de
vue beaucoup à faire ; il s'attelle à la tâche ; il crée des réseaux de
dispensaires urbains et ruraux, des dispensaires d'usine ; il fonde des maisons
de repos, des préventoriums et développe ceux existant déjà.
Avec le doyen Louis Spilmann, il fait paraître la Revue d'hygiène sociale,
organe de liaison entre les formations d'hygiène de la région, mais aussi
organe de propagande pour les projets et les réformes à promouvoir.
Il inaugure contre les
fléaux sociaux : tuberculose, syphilis, alcoolisme, de grandes enquêtes menées
par les collaborateurs de ce service. C'est par la tuberculose dans la classe
ouvrière que débute cette investigation.
L'analyse des résultats
enregistrés nous amène, Parisot et moi-même, à des
constatations intéressantes : II y a en Lorraine une progression générale de la
tuberculose dans les milieux ouvriers urbains ; certains sont plus touchés que
d'autres ; c'est le cas des ouvriers boulangers chez qui la morbidité
tuberculeuse est dix fois supérieure à celle des autres corporations, celle des
ouvriers pâtissiers en particulier.
Cette anomalie nous frappe
et nous en cherchons les causes. Or, c'est le travail de nuit qui nous apparaît
en être responsable ; il agit non pas seulement par la fatigue anormale
entraînée par cette activité nocturne, mais il s'opère de plus dans des locaux
surchauffés, mal aérés ; le contrat de travail prévoit en outre l'octroi de
trois litres de vin par nuit, sans compter les petits verres consommés dès
l'ouverture des cafés voisins. Rentré chez lui, harassé, le mitron trouve la
maison vide, mange mal, ne participe en rien à la vie de famille.
La boulangerie française
est la seule au monde à imposer à son personnel ce travail inhumain.
Le danger est grand aussi
pour la clientèle, car les enquêteurs ont vu dans de nombreux fournils, le
pain, au sortir du four, déposé à même le sol souillé par les crachats des
mitrons porteurs de germes.
Nous soumettons ces faits à
l'Académie de médecine ; celle-ci, dans sa séance du 5 janvier 1926, émet à la
quasi-unanimité un vœu aux Pouvoirs publics réclamant la suppression du travail
de nuit dans la boulangerie. Ce vœu est reproduit en grandes affiches
placardées dans tout le pays par les syndicats ouvriers de l'alimentation de la
CGT.
Quelques jours plus tard, Parisot et moi-même recevons une assignation en dommages-intérêts lancée par le Syndicat patronal de 1a
boulangerie de Meurthe-et-Moselle. Mais celui-ci se ravise, annule son
assignation et nous met au défi de défendre notre thèse au cours d'un meeting
organisé à Nancy par les Syndicats patronaux lorrains de l'alimentation.
Bien entendu, nous relevons
le défi ; délégué par mon ami dans les fonctions d'accusateur public, je
justifie notre initiative devant un très nombreux auditoire ; je parle dans un
silence glacial mais à la contradiction il ne m'est opposé aucune objection
valable, si bien que l'assemblée accepte le principe d'une Commission chargée
d'étudier les conditions d'une suppression du travail de nuit dans la région
lorraine.
Quelques mois plus tard, la
Revue d'hygiène annonce l'heureuse conclusion de cette tractation sous ce titre
« une intéressante réalisation dans l'organisation de la boulangerie, c'est
pratiquement la suppression du travail de nuit dans la boulangerie lorraine ».
L'année suivante, en mai
1927, nous publions un article réclamant pour la classe ouvrière française des
congés payés déjà réalisés dans plusieurs pays d'Europe.
Le scandale soulevé dans
les milieux conservateurs sociaux par une telle proposition devait lui assurer
une rapide diffusion. Un grand industriel lorrain, camarade de lycée de Parisot, lui adresse une lettre véhémente ; il y dénonce
l'étourderie de quelques démagogues incompétents et sans mandat, leur projet
est susceptible de provoquer une crise grave dans l'industrie française.
Quelques années plus tard,
l'auteur de cette lettre signait à l'hôtel Matignon l'accord octroyant
d'emblée à la classe ouvrière un congé pavé cinq fois plus long que celui
proposé dans notre projet.
Cette attribution des
congés payés postulait pour qu'elle soit bénéfique à l'aménagement des loisirs
ainsi créés.
Nous réclamons donc dans la
revue d'hygiène une organisation méthodique de ces loisirs.
Ces campagnes audacieuses
mais nécessaires ne soulevaient pas que des protestations ; elles étaient
hautement appréciées par les Pouvoirs publics et par les instances les plus
élevées de l'hygiène internationale.
Aussi
en 1937, le Comité d'hygiène de la Société des Nations dont Parisot
faisait partie depuis 1934, le choisit-il pour le présider. Il devait occuper
cette présidence jusqu'à ce qu'éclate la guerre de 1939.
Ces hautes fonctions ne
ralentissent pas la propagande sociale du Professeur Parisot.
Prévoyant la mécanisation progressive des moyens de transport et de l'outillage
agricole, il en redoute les conséquences pour l'artisanat rural si répandu
dans notre pays. Nous réclamons donc une reconversion de ces artisans dans une
étude de la revue d'hygiène parue sous ce titre : « Un remède contre le chômage
; retour à l'artisanat rural par des cours de dépannage. »
Nous proposons pour la
France l'octroi de cures thermales aux assurés sociaux, réforme depuis
longtemps instaurée en Allemagne.
Mais la lutte contre la
tuberculose n'est pas la seule à promouvoir dans notre région ; la
multiplication des maladies vénériennes alarme le maire de Nancy et l'amène à
réglementer la police des cafés et à réaliser la fermeture des maisons
d'illusions. La compétence du Professeur Parisot est
souvent mise à contribution au cours de cette campagne.
On enregistre d'autre part
une rapide progression de l'alcoolisme officiellement entretenu pendant la
guerre par la distribution excessive de vin et d'alcool dans les tranchées ;
poursuivie après la victoire par l'octroi d'un supplément de contingent pour
les bouilleurs de cru anciens combattants et aussi par la rapide diffusion rie
boissons anisées assurée par une publicité scandaleuse.
Une telle situation n'est
pas sans inquiéter les sociologues. Le Professeur Parisot
décide de faire le point de la question par une enquête sérieuse.
Une large investigation est
menée dans la région lorraine par les services de l'Office d'hygiène ; les
résultats en sont très alarmants.
Le Professeur Parisot voulut bien encore associer mon nom au sien en
cette affaire ; nous présentons une étude d'ensemble de la question à
l'Académie de médecine. Celle-ci, dans sa séance du 4 avril 1939, approuve et
fait siennes nos conclusions.
Une polémique dans la
presse est suscitée par cet exposé ; nous décidons alors de publier chez Berger-Levrault un livre sur le danger présenté pour notre
pays par l'alcoolisme. Il paraît sous ce titre : « Un pays qui s'abandonne
devant un danger qui grandit, l'alcool. »
La première édition venait
d'être épuisée, quand éclate la seconde guerre mondiale.
**
Le conflit terminé, une
refonte complète des organismes internationaux de la Santé publique s'impose.
Dès son retour de
déportation, le Professeur Parisot est prié par le
gouvernement de représenter la France pour la fondation de l'Organisation
mondiale de la santé.
Le nouvel organisme devra
poursuivre l'œuvre entreprise par le Comité d'hygiène de la S.D.N. : l'aide à la maternité, la protection de l'enfance,
l'assistance aux vieillards, la prophylaxie des maladies contagieuses, la lutte
contre le taudis et la désertion des campagnes, etc...
Des tâches nouvelles
incombaient au nouvel organisme : la lutte contre la faim dans le monde, la
natalité excessive dans certains pays, la mauvaise répartition des matières de
consommation, l'organisation de la Sécurité sociale.
Tous ces grands problèmes
étaient familiers au Professeur Parisot, aussi joua-t-il
dès la constitution de la nouvelle Assemblée un rôle prépondérant.
I1 est
amené à prendre l'initiative d'un mouvement visant à empêcher les Etats-Unis de
réaliser le transfert dans ce pays de la nouvelle organisation. Seules la
France et l'URSS sont opposées à cette mesure: le Professeur Parisot entreprend alors une campagne méthodique vis-à-vis
des délégations Sud-Américaines : il leur fait valoir
la nécessité pour le nouvel organisme d'assurer son indépendance ; il rappelle
les droits acquis par Genève d'en rester le siège puisqu'elle a les locaux, les
archives, le personnel. Il obtient gain de cause et Genève n'est pas
dépossédée.
Le prestige acquis par le
Professeur Parisot au sein de l'organisation ne cesse
de grandir. En 1949, il est élu président de son comité exécutif et cette
présidence lui est renouvelée en 1952.
Au cours de ces deux
mandats, son autorité, sa compétence, son esprit réalisateur l'imposent à
l'attention des délégués, aussi en 1956 est-il élu au poste suprême de la
présidence de l'Organisation mondiale de la santé.
Il n'aimait pas se vanter,
aussi savait-on peu de choses sur la manière dont il accomplit sa tâche. J'ai
eu l'occasion de traiter un membre sud-américain de cet organisme ; il put me décrire la manière dont le Professeur Parisot exerçait sa présidence.
Il fait décider une
limitation horaire des interventions ; quand une discussion se prolonge ou
s'envenime, il l'interrompt courtoisement, résumant les thèses opposées de
chaque adversaire et faisant apparaître les points de convergence sur lesquels
une entente peut se faire.
Le programme établi pour
les travaux témoigne de l'ordre dont le président est coutumier ne laissant
rien au hasard ou à l'improvisation.
L'autorité dont il jouit
maintenant dans le monde facilite singulièrement les rapports de l'organisation
avec les gouvernements intéressés. Si un problème apparaît particulièrement
urgent ou difficile à régler, le président se déplace en personne et va traiter
lui-même sur place les conditions d'un règlement rapide et équitable.
Quand l'âge et la fatigue
l'amènent à se décharger de sa haute fonction, c'est à regret qu'il est fait
droit à sa demande et l'honorariat de la présidence lui est décerné à
l'unanimité.
Il ne juge cependant pas sa
tâche terminée ; jusqu'au bout, il poursuit la direction de l'office d'hygiène;
il reste le conseiller écouté du Ministère de la Santé publique. En 1966, il
doit encore accepter la présidence de l'Institut National des études
médicales. La même année, l'Académie des sciences morales et politiques l'élit
membre correspondant et l'organisation de l'hygiène lui octroie sa médaille
d'or.
Même dans les dernières
semaines, c'est à son chevet que se réunissent certaines grandes Commissions
qu'il devait présider hors Nancy ; il donne ainsi jusqu'au dernier jour un
magnifique exemple de courage et d'abnégation.
Le patriote et le soldat
Déjà au cours de ses études
médicales, J. Parisot était du petit nombre de ceux
d'entre nous qui suivaient avec régularité les exercices organisés pour les
médecins de réserve sur le plateau de Malzéville.
Quand le conflit éclate, le
jeune médecin aide-major, a comme affectation de
mobilisation, médecin de bataillon au 269e Régiment d'Infanterie.
Il ne tient qu'à lui, en raison de ses titres universitaires et hospitaliers,
de troquer cette situation pour une autre moins dangereuse. Il s'y refuse,
gagne le front et dès les hostilités engagées, manifeste de telles qualités de
courage et de dévouement, qu'il est quatre fois cité et reçoit en 1916 la Croix
de Chevalier de la Légion d'Honneur. J'ai eu par la Maréchale Fayolle, l'écho
de l'estime affectueuse dans laquelle son mari alors divisionnaire tenait son
professeur médecin de bataillon.
La croix de guerre, la
médaille de la victoire, la croix du combattant, la croix de guerre pour la
civilisation furent de toutes les distinctions reçues par J. Parisot, celles auxquelles il tenait le plus.
Ses missions en Allemagne
entre les deux guerres lui font prévoir la prochaine catastrophe; aussi
consacre-t-il une part de son activité à des études sur les gaz asphyxiants
réputés comme devant bouleverser les conditions de la guerre classique; il est
souvent consulté sur ce point par les responsables du Grand Etat-Major.
La deuxième guerre mondiale
le trouve médecin-colonel attaché au Quartier général
de l'armée des Vosges. Il apporte tous ses soins à une organisation modèle des
services d'avant et d'arrière dont il a la charge.
Quand vint la débâcle de
1940, son secteur n'est pas épargné ; les services administratifs, le personnel
médical ont le plus souvent quitté leurs postes ;
malades et blessés risquent de se trouver sans soins.
D'accord avec le Professeur
Parisot, le commandement de l'armée décide, pendant
qu'il en est encore temps, de procéder à une évacuation massive sur l'intérieur
des formations sanitaires les plus menacées.
C'est le médecin-colonel Parisot qui a
mission de diriger ces immenses convois vers leur lieu de destination,
Besançon.
Pendant qu'il assure dans
cette ville la répartition de ses hommes, l'encerclement de l'armée des Vosges
se poursuit; le Professeur Parisot est avisé qu'il ne
pourra pas rejoindre et qu'il sera affecté avec le grade de médecin-général au
grand Q.G.
Mais il sait dans quel état
il a laissé les services sanitaires de son armée; sa présence y est plus que
jamais nécessaire. Apprenant qu'il existe pour l'atteindre un chemin de
montagne que les Allemands n'occupent pas encore, il prévient le commandement
qu'il regagne son poste à l'armée des Vosges. Il y parvient au prix de
sérieuses difficultés : il est accueilli avec une joyeuse stupéfaction par ses
chefs, ceux-ci croyant à juste titre que l'époque des Régulus
était close.
Avec l'état-major de son
armée, il est transféré a Strasbourg. Il constate
l'effroyable encombrement provoqué dans les camps par un afflux imprévu de
prisonniers. Excipant de son titre de président du Comité d'hygiène de la S.D.N., il demande à visiter ces camps pour le compte de
son organisation. Il est fait droit à sa demande contre sa parole d'officier
français de ne pas en user pour s'évader ; il reçoit un ausweiss.
Il remplit sa tâche sans
incident, mais apprenant que tous les prisonniers vont être transférés en
Allemagne, il rend son ausweiss, reprend sa parole,
désireux qu'il est, dit-il, de s'évader. Il ne peut mettre son projet à
exécution, car gravement malade, il est
rapatrié.
Dès son retour en Lorraine,
il prend contact avec les responsables de la résistance ; ceux-ci lui destinent
la tâche de commissaire de la République en Lorraine dès la libération. Parisot en accepte le principe mais il y met des conditions
: s'il faut dès le début sanctionner les crimes de collaboration, il importera
de suite après cette épuration nécessaire de passer l'éponge et de refaire
l'union entre les Français pour assurer un relèvement rapide du pays ; en
particulier, il s'oppose aux poursuites que l'on veut intenter contre le Dr
Schmidt, maire de Nancy.
Ces réserves empêchent
qu'une conclusion ferme soit donnée à ces conversations et le Professeur Parisot peut partir se reposer quelques semaines dans sa
propriété de Dordogne ; il y abrite de jeunes confrères recherchés par la
Gestapo. Quand il revient à Nancy, il se sent surveillé et soupçonné par la
police allemande. Il pense à juste titre que celle-ci est informée des
pourparlers qu'il a engagés avec la résistance.
Il ne tient aucun compte de
cette menace et n'hésite pas à répondre à deux reprises à l'appel angoissé que
lui lance notre ami, le docteur Franck de Champigneulles, en ce moment interné
à Ecrouves ; les Allemands n'ont à reprocher à ce praticien modèle, adoré de sa
clientèle, que son origine israélite ; c'en est assez à leurs yeux pour
justifier son départ vers un camp d'extermination. Quand les deux hommes se
séparent pour la dernière fois, le docteur Franck confie à son ami l'avenir de
son fils, brillant sujet, qui devait devenir notre excellent confrère, le
recteur Franck. Le Professeur Parisot n'avait pas
failli à sa mission.
L'homme d'action
C'est souvent dans les
conditions les plus difficiles que l'homme d'action se révèle ; il s'impose
alors à ceux qui, dans les circonstances ordinaires de la vie, l'auraient
ignoré ou méconnu. S'il en était encore parmi ses concitoyens qui ne
connussent pas le Professeur Parisot, le drame de la
déportation allait leur ouvrir les yeux.
Le 8 juin 1944, au début de
l'après-midi, le secrétaire général de la Préfecture avise discrètement le
Professeur Parisot qu'il doit être arrêté le
lendemain à l'aube.
Celui-ci songe un instant à
partir; il prépare sa valise, se munit de la clef de la porte du jardin par où
il sortira au coup de sonnette annonciateur. On lui a assuré dans le voisinage
du préventorium de Flavigny une cache sûre où
s'abritèrent pendant la Terreur les prêtres insermentés.
Mais dans la nuit, il pense
que sa disparition entraînera l'arrestation de Madame Parisot
; il renonce alors à son projet d'autant plus volontiers qu'il n'est pas dans
ses habitudes de fuir devant le danger.
Il attend donc sans
impatience l'arrivée des sbires de la Gestapo ; à l'aube du 9 juin 1944,
ceux-ci l'emmènent rejoindre les quarante-deux autres notabilités lorraines
prises comme otages ; il y a parmi eux des hommes politiques (parlementaires,
maires, conseillers généraux), des magistrats, des policiers, des prêtres, des
universitaires et parmi ceux-ci nos confrères les professeurs Maurice Lucien et
Drouet.
Leur départ vers le Nord de
l'Allemagne tarde peu ; après une courte halte à Compiègne, leur transfert au
camp de Nenengamme-Hambourg se fait dans les pires
conditions.
Dans le camp où ils
arrivent après un long et pénible voyage, ils rejoignent des contingents
d'otages venus fies diverses provinces françaises : parmi ceux-ci il y a
encore des personnages connus: parlementaires, grands industriels et même un
ancien président du Conseil. Leur effectif total dépasse trois cents unités.
Les conditions de vie qui
leur sont imposées sont des plus précaires ; deux baraques leur sont affectées
avec des lits étroits à trois étages superposés. L'administration du camp
paraît vouloir ignorer ses hôtes; elle a mis cependant à leur disposition deux
médecins polonais qui ne demandent qu'à se faire oublier car ils n'ont ni instruments
ni médicaments.
La nourriture est exécrable
et nettement insuffisante jusqu'à ce que la réception de colis puisse quelque
peu l'améliorer.
Dès les premiers jours, le
Professeur Parisot s'impose à l'attention des
déportés en raison d'abord de son passé que beaucoup ont été à même
d'apprécier, mais aussi de l'attitude fière et digne qu'il adopte vis-à-vis des
maîtres de l'heure et de la certitude qu'il affiche de la prochaine et
inévitable victoire des alliés. Ses compagnons lui demandent de prendre la
direction de la petite colonie ; il n'avait rien fait pour suggérer sa
candidature à ce poste difficile et dangereux, il n'est pas homme à se dérober
aux responsabilités et déférent simplement au voeu unanimement exprimé
il se met au travail. La première chose à faire c'est d'organiser pour ces
hommes dont beaucoup sont âgés, quelques-uns malades, un service de
consultations et de soins qui leur donne confiance dans leur avenir. Grâce aux
huit médecins déportés, il organise une infirmerie où se tiendront les malades
couchés qui n'auront pas à répondre aux appels. Dans le fond d'une des
baraques, il crée un petit hôpital de quatre lits où seront placés les malades
plus graves qui veulent éviter l'hôpital du camp ; ils savent en effet qu'une
fois entrés dans celui-ci, on n'en sort que pour la chambre à gaz.
Il peut ainsi tirer de
situations difficiles des déportés gravement atteints. A défaut de médicaments,
les médecins agissent comme agents de réconfort moral ; ce ne fut pas la
partie la moins efficace de leur tâche.
L'autorité
du « patron » est telle que dans ce rassemblement d'hommes différents
d'origine, d'habitudes et de tendances, il n'y eut pas le moindre conflit à
enregistrer ; quand des récriminations se font entendre, il lui suffit de
faire miroiter aux yeux des plaignants la libération prochaine et le retour
dans une France unie et fraternelle.
Le temps s'écoule ainsi
lentement mais sans incident quand le Professeur Parisot
apprend la prochaine arrivée au camp du Comte Bernadette, secrétaire général
de la Croix-Rouge internationale ; celui-ci vient, après accord avec le
gouvernement allemand, rapatrier un convoi de déportés nordiques pris aussi
comme otages. Parisot qui l'a rencontré plusieurs
fois dans des réunions internationales prend contact avec lui.
Or, le Comte Bernadotte se
fait l'écho d'une rumeur suivant laquelle des négociations seraient engagées
pour un échange des otages français de Neuengamme contre des chefs SS aux mains
des alliés.
Déjà les captifs prévenus
se réjouissent et parlent de leur départ éventuel mais l'un d'eux, Monsieur de
V., administrateur à Reims d'une grande marque de Champagne, est gravement
malade. Le Professeur Parisot le garde à son petit
hôpital, mais il est démuni de médicaments indispensables. Il prend contact
avec l'officier supérieur commandant le camp et lui dit :
« - J'ai un grand malade,
il me faut des antibiotiques - Je n'en ai pas - J'insiste réplique le Professeur
Parisot, j'en ai un besoin urgent - Je n'en ai pas
même pour les soins à donner à nos SS, rétorque
l'officier - Cela m'est indifférent, il m'en faut d'urgence, vous direz à ceux
qui en disposent que la France n'échangera pas des SS contre des cadavres. »
Cette volonté ainsi
affirmée sur un ton qui exclut toute tergiversation, produit son effet; le
Professeur Parisot a ses
antibiotiques et son patient hors d'affaire pourra, le moment venu, partir avec
le convoi.
De
fait, la situation du Reich empire rapidement : le moment n'est plus pour
l'administration du camp de se montrer trop exigeante ; elle accepte le
principe du départ des otages français vers le sud pour éviter qu'ils ne soient
libérés par les Russes qui avancent sans cesse ; mais un projet diabolique est
proposé : les Français feront une halte à Flossenbourg
en Bavière ; or, ce camp est un camp d'extermination.
Le départ ne se fait plus
en wagons à bestiaux mais en autocars escortés par des soldats en armes sous la
direction d'un officier SS.
Au moment où la partie
française du convoi doit bifurquer vers la Bavière, Parisot
et le Comte Bernadette font connaître au commandant du convoi la décision des
Français d'éviter Flossenbourg ; en cas de refus, ils
emploieront la force au besoin, assurés qu'ils sont du concours éventuel de
plusieurs soldats tchèques de l'escorte.
Après en avoir référé à ses
chefs, l'officier accepte que les déportés français évitent Flossenbourg
pour être répartis dans les camps de Therezin et de Brejanik, à peu de distance de Prague.
Il en est ainsi fait, mais
bientôt le typhus se déclare dans ces camps ; le Professeur Parisot
organise l'isolement et les soins ; ceux-ci seront assurés par les médecins
français déportés qui s'engagent à rester dans ces camps tant que leur présence
y apparaîtra nécessaire.
Mais un bruit court dans
les camps : Hitler et Mussolini ont été assassinés et la paix va être conclue.
Faute de moyens
d'information, le Professeur Parisot et l'ancien
ministre français Maupoil se rendent à Prague pour
obtenir des précisions.
La ville est sous le feu de
l'artillerie russe ; la situation v est sérieuse pour les derniers habitants
qui n'ont pu fuir, le ravitaillement fait défaut, l'émeute gronde dans les
faubourgs.
Avec le consul de Suède
chez qui ils ont trouvé abri, les deux français s'emploient à rétablir la
situation.
C'est chose faite quand les
Russes entrent dans la ville.
L'évacuation
des Français déportés, libérés de leurs camps, donne lieu à Prague à une
émouvante manifestation populaire de gratitude.
La population de Prague ne
fut pas la seule à rendre hommage à l'homme d'action dont l'intervention avait
été si efficace :
Relatant les faits
rapportés ci-dessus, le président des déportés, Lucien Pierson,
écrivait :
« Les camarades du
Professeur Parisot conserveront de lui le souvenir
d'un chef éminent, profondément humain ; il a su mettre à leur service son autorité,
sa compétence, son dévouement, ils l'en remercient chaleureusement et ne l'oublieront
pas ».
D'autre part, pour
témoigner au Professeur Parisot sa reconnaissance
pour l'action efficace menée en faveur de ses compagnons d'infortune, le Bureau
international des déportés devait lui décerner le Diplôme d'honneur
international de la Résistance et de la Déportation.
De son côté, le
gouvernement français lui conférait en 1945 la dignité de Grand Officier de la
Légion d'Honneur.
L'administrateur
La Faculté de Médecine de
Nancy avait, après la libération, connu de mauvais jours : une période de cinq
année pendant laquelle elle avait été isolée et neutralisée par les événements
: la mobilisation et la captivité de ses élèves et d'une partie de ses
professeurs, l'éloignement des antres ; tout cela ne pouvait manquer d'inspirer
des craintes quant à l'avenir.
Il ne fallait pas seulement
pour lui redonner vie et activité un homme résolu et entreprenant, mais aussi
une notabilité utilisant son autorité et ses relations pour se faire écouter
dans les administrations de la capitale.
Aussi en 1949, le conseil
de la Faculté avait-il demandé au Professeur Parisot
d'accepter le décanat : c'était une lourde tâche, car ce n'est pas seulement la
Faculté qui est en cause, mais aussi les services hospitaliers devenus
insuffisants et vétustés.
Une fois encore, il ne se
dérobe pas; il se met au travail, reprend contact avec les représentants de la
Préfecture et de la Municipalité, avec ceux du Conseil Général, avec les
architectes et les entrepreneurs. Il agrandit les laboratoires et les services
de la Faculté ; il y crée le grand amphithéâtre qui porte son nom.
Il établit surtout les
plans d'une transformation judicieuse et réaliste des hôpitaux de Nancy ; il
ne dépendit pas de lui que ces transformations ne soient pas encore réalisées.
Il reste doyen jusque 1955,
date où il demande à être libéré de cette charge. C'est avec le plus vif regret
que ses collègues défèrent à son désir ; ils lui confèrent en signe de
gratitude l'honorariat de la fonction.
C'est alors que, membre de
notre compagnie depuis la libération, il figure assidûment à nos séances, participe
à notre vie avec une impressionnante régularité.
A plusieurs reprises, il en
refusa la présidence, mais nous fit un jour une très
intéressante communication sur l'action de l'organisation mondiale de la santé
; elle est encore présente à nos souvenirs.
Souvent les présidents qui
se sont succédé, ainsi que notre secrétaire perpétuel, eurent à prendre ses
avis, à solliciter ses conseils toujours marqués au coin de l'expérience et du
bon sens.
La fin d'un sage
En cette année 1966,
l'octogénaire paraît encore défier les ans ; son corps est resté droit, son
intelligence active et lucide. Les distinctions qui lui échoient semblent marquer
de nouvelles étapes d'une carrière qui doit se prolonger : il est choisi comme
président de l'Institut des études médicales, poste important au moment où se
renouvellent les statuts de cette corporation ; il reçoit la médaille d'or de
l'Organisation internationale de l'hygiène ; l'Académie des sciences morales
et politiques l'associe à ses travaux.
Toutefois dans les premiers
mois de 1967, il se sent sérieusement atteint par la maladie. Il ne se fait du
reste que peu d'illusions sur les possibilités des thérapeutiques mises en œuvre
par ses élèves et ses amis pour tenter de prolonger cette belle carrière.
Quand il sent sa fin
inévitable et proche, il s'ingénie à trouver les mots d'encouragement capables
d'atténuer la profonde douleur de l'admirable compagne de sa vie.
Il prépare le dernier grand
acte de sa vie terrestre, le passage dans l'éternité.
La journée du 6 octobre fut
la plus dure de cette longue agonie ; le malade gravit les dernières étapes de
son douloureux calvaire avec un magnifique courage et une émouvante résignation
; celle-ci tenait bien évidemment à la force d'âme qu'il avait toujours manifestée
: elle résultait aussi de la conviction qu'en dehors des récompenses terrestres
il reste la perspective du bonheur promis clans l'autre vie à ceux qui, à son
exemple, ont satisfait à la grande loi d'amour édictée par le Christ.
J'ai eu le triste privilège
de le voir quelques heures seulement après que cette grande âme eut quitté son
enveloppe charnelle. Sa figure marmoréenne mais sereine et détendue, ses mains
diaphanes croisées sur sa poitrine semblaient déjà fixées par le ciseau d'un
sculpteur de génie.
Ainsi était entré dans
l'éternel repos celui dont la vie avait si bien justifié l'éloge fait de lui à
l'annonce de sa mort par le Président de l'Académie des inscriptions et belles
lettres : « Il fut un homme de grande race et d'un immense dévouement qui
servit, sans les séparer, sa patrie lorraine, son Université de Nancy, notre pays, la France et la cause commune des
hommes. »
II
n'avait voulu ni fleurs, ni discours, mais je sais que comme il avait souhaité
des prières dites pour son repos par ses amis et ses obligés, le médecin de
bataillon de 1914, le déporté de la dernière guerre avait désiré les honneurs
militaires rendus au Grand Croix de la Légion d'Honneur et la déchirante
sonnerie aux morts égrenée dans l'air lourd et bas d'une sombre matinée
d'automne lorrain.
Puisque
aussi bien il n'avait pas même voulu l'éloge qu'eut prononcé le président de
notre compagnie, peut-être pardonnera-t-il à son ami de toujours de lui avoir
rendu en votre nom à tous, mes chers Confrères, ce fraternel et affectueux
hommage.