LES DERNIERS MEDECINS DU
ROI STANISLAS
Anne-Isabelle SAÏDOU
Cette année, l’anniversaire
de la place Stanislas, restaurée et réaménagée deux siècles et demi après sa
construction, a donné lieu à une succession de manifestations transformant Nancy,
en capitale du temps des Lumières. Stanislas Leszczynski, qui en fut le maître
d’ouvrage et qui marqua de son empreinte l’architecture lorraine, trouva en
Lorraine un asile dont il fit une terre privilégiée de cette nouvelle
philosophie. Tout au long de cette année, la lettre du musée a
développé des articles rappelant l’oeuvre sociale et l’action en faveur de la
médecine et de la santé publique du roi dit “bienfaisant ”. De son rôle dans la
création du Collège royal de médecine, en passant par l’oeuvre accomplie en
matière sanitaire, Stanislas entretint sa vie durant un rapport privilégié avec
la médecine et les médecins. L’accident du feu le 5 février 1766 qui devait
entraîner sa mort, réunit une dernière fois autour de lui les médecins à qui il
avait confié sa santé. Une santé hors du commun : la longévité du roi était
exceptionnelle.
Agé de quatre-vingt-huit ans,
au moment du drame, il avait conservé une intelligence vive.
Cependant, son autonomie
était fortement limitée : baisse de l’acuité visuelle presque totale, hypoacousie,
obésité rendant ses déplacements impossibles.
Dans son article “La mort du
roi Stanislas”, le doyen Beau nous rappelle les circonstances de l’accident qui
devait lui être fatal. Seul près de sa cheminée ce matin d’hiver, le roi
Stanislas en posant sa pipe achevée, met le feu au pan de sa robe de chambre.
Impotent et seul dans sa chambre, il ne peut appeler les secours et l’éveil
n’est donné qu’au bout de plusieurs minutes. On trouve alors le roi évanoui
devant le brasier. Son premier médecin et son premier chirurgien, immédiatement
alertés, peuvent quelques minutes après l’accident constater l’étendue des brûlures
dont est atteint le roi de Pologne.
Son premier médecin est Casten Rönnow et son premier
chirurgien Charles Hilaire Perret.
Un troisième praticien est
appelé à son chevet : Nicolas Maillard.
Pendant les 10 premiers
jours, ces trois praticiens unissent leurs efforts pour soigner leur
illustre malade. Qui sont-ils ?
Casten Rönnow
Originaire de Suède, Casten Ronnöw est né le 15 février
1700 à Calshamm. Orphelin à deux ans, il est
recueilli par son oncle Johann Ronnöw, médecin
militaire. Il s’oriente lui-même vers la médecine et devient chirurgien
militaire. Il appartient à la noblesse de ce pays, en qualité de chevalier. Il
quitte ensuite l’armée, étudie à Stockholm et à Uppsala. Il voyage au Danemark,
en Allemagne, en France où il soutient sa thèse à Reims en 1730. Il est
remarqué pour ses talents d’aquarelliste, illustre le traité du chirurgien
Henri François Le Dran. Il est envoyé auprès de
Stanislas à Königsberg en 1734 par la reine de Pologne Catherine Opalinska, alors à Paris. Il suit ensuite le roi dans son
existence mouvementée à Meulon puis en Lorraine.
Luthérien convaincu, il a de
nombreuses controverses avec les confesseurs de Stanislas. Par contre, il
entretient d’excellentes relations avec les médecins nancéiens et notamment
avec Charles Bagard. C’est grâce à son entremise et
au crédit dont il jouit auprès du roi Stanislas, que fût créé le Collège royal
de médecine de Nancy en1752. Il en est nommé membre associé d’honneur. Il fait
don de son portrait, comme bon nombre de médecins à ce Collège, portrait attribué
au peintre lorrain Jean Girardet. Sur le tableau d’excellente facture, on
reconnaît en haut à droite les armes de Casten Rönnow. A la mort du roi Stanislas, dont il était un
conseiller intime, il quitte Lunéville et la France et retourne en Suède où il
est couvert d’honneur. Il s’y éteint le 5 mai 1787.
Charles Hilaire Perret
Chirurgien-major de l’hôpital de Lunéville, Charles Hilaire Perret devient
en 1757, chirurgien ordinaire du roi puis en 1763, premier chirurgien du roi en
considération des services rendus. C’est un chirurgien stipendié de Lunéville
et de l’hôpital militaire et bourgeois, c’est-à-dire qu’il a été recruté et
qu’il est rémunéré par la municipalité pour donner des soins aux pauvres de la
ville. Il lui a été également accordé par Stanislas, “la direction en chef des
opérations de lithotomies établies gratuitement à l’hôpital Saint-Jacques de
Lunéville”. Dû au duc Léopold et entretenu par Stanislas, ce centre de
traitement de la lithiase rénale ou “maladie de pierre “ fut un des plus
réputés, grâce à l’habilité des lithotomistes, dirigé par Charles Hilaire
Perret.
Malgré les modifications des
statuts de la chirurgie décidées par Louis XV, il conserve ses fonctions de
premier chirurgien en Lorraine jusqu’en 1770. Bien que son office soit
supprimé, il est maintenu jusqu’à sa disparition en 1772 dans ses honneurs et
prérogatives.
Nicolas Maillard
Nicolas Maillard
arrive secondairement au chevet de Stanislas. C’est un médecin formé à la
faculté de Montpellier. Il possède le titre de médecin de l’hôtel du Roi. Nommé
membre associé correspondant du Collège royal de médecine de Nancy, il est
reconnu par ses pairs lorrains pour ses qualités de clinicien. Il est également
médecin stipendié de la ville de Lunéville, comme son confrère Charles Hilaire
Perret.
Dix jours plus tard, dès que
l’état de Stanislas devient alarmant, les trois médecins qui ont prodigué les
premiers soins au roi Stanislas n’hésitent pas à faire appel aux deux plus célèbres
médecins de la région : Charles Bagard et François Dezoteux.
Charles Bagard
Fils aîné d’Antoine Bagard, médecin estimé et médecin ordinaire de Léopold,
Charles Bagard naît le deux janvier 1696. A 15 ans,
il est nommé médecin de l’hôtel de son altesse royale grâce à l’influence de
son père qui jugea qu’un titre honorable serait un moyen propre à exciter son
émulation. L’évolution de sa carrière est à la hauteur de ces espérances. Charles
Bagard suit tout d’abord des études brillantes à
Montpellier. De retour à Nancy, il devient médecin à l’hôpital Saint-Charles
puis Saint-Julien. Il succède à son père en devenant en 1721 médecin ordinaire
du duc Léopold qui éprouve pour lui un attachement tout particulier. Le même
attachement est décrit entre Charles Bagard et
Stanislas qui en succédant à Léopold le retient également comme médecin
ordinaire. Douceur, fermeté, “il s’attirait encore cette distinction par une figure
avantageuse, ornée de ce que l’aisance et l’usage du monde peuvent y ajouter“
dit de lui Jadelot. Sa renommée et le souvenir qu’il
a laissé au cours de ses études à
Montpellier, l’amènent à être
nommé médecin en chef de l’hôpital militaire en 1734. L’histoire retient
surtout de son action la création du Collège royal dont l’objectif est pour lui
de « former un corps dont les membres peuvent coopérer plus efficacement à la
guérison des malades en se communiquant leur lumière ». Il est également
l’auteur d’observations médicales pertinentes, de nombreuses publications et de
la création du Jardin botanique de Nancy. Il s’intéresse en effet à l’histoire
naturelle, à la botanique mais aussi aux beaux-arts. Il étudie et défend les vertus
des eaux minérales de Lorraine, notamment celle de Contrexéville qui lui doit
sans aucun doute sa renommée actuelle. Sa grande déception fut de ne pas avoir
su imposer la méthode d’inoculation de la variole, méthode usitée en Orient et
qu’il défendit en vain contre la résistance du clergé, malgré l’appui de
Stanislas. Il disparaît en 1773 laissant derrière lui un lourd héritage.
Voltaire qu’il a personnellement
soigné et satisfait de ses soins, écrit de lui : “Les médecins font les
philosophes les plus utiles”.
François Dezoteux
Lorsqu’il est appelé au chevet
du roi Stanislas, François Dezoteux est chirurgien-major du régiment du roi, alors en garnison à
Lunéville. Né en 1724, il a fait ses études à la Faculté de Besançon.
Dezoteux s’intéresse de très bonne heure à l’inoculation de la
variole, c’est lui qui introduit en France le procédé de Sutton.
La maladie importée en Occident au début du XVIe
siècle cause, au XVIIIe siècle en Europe, environ 400000
décès chaque année. Il écrit avec Gandoger de Foigny le traité pratique de l’inoculation, et avec Valentin,
un traité historique et pratique de l’inoculation. Il mène une très brillante
carrière qu’il termine en qualité d’inspecteur général des hôpitaux militaires.
Il disparaît en 1803.
Le 23 février 1766, quinze
jours après l’accident, Stanislas s’éteint, entouré de ses cinq médecins
illustres mais impuissants devant les redoutables complications infectieuses
des brûlures de ce roi de 88 ans.
Avec sa disparition, le Duché
de Lorraine et de Bar se voit rattaché au royaume de France comme l’avait
précisé en 1737 le traité de Vienne. Une des oeuvres dans le domaine de la
santé, le Collège Royal, disparaît également quelques décennies plus tard en
1793.
Reste, aujourd’hui, une
oeuvre reconnue et célébrée mondialement, appartenant à un patrimoine
universel.