Le médecin inspecteur général Venant LEGOUEST (1820-1889)
Venant Antoine Léon LEGOUEST naît
à Metz le 1er mai 1820, rue du Pont Saint-Marcel. Son père est
chirurgien du Premier Empire et sa mère est de Sarrebourg. Legouest
est scolarisé à Metz puis, de 1831 à
1839, au Lycée royal de Nancy (actuel Lycée Poincaré).
En 1839, il intègre l’hôpital
militaire de Strasbourg, où il sera l’élève de Louis-Jacques Bégin, chirurgien
de la Grande Armée et ami de son père. Il obtient le grade de chirurgien
sous-aide en novembre de la même année. C’est l’époque de la conquête de
l’Algérie et Legouest y effectue un séjour de deux
ans où il exerce « sur le terrain » en hôpital provisoire. A son retour en
1841, il est affecté à Metz, à l’hôpital du Fort-Moselle, puis à Paris, à
l’hôpital de Charonne.
Il soutient sa thèse de doctorat
en médecine à Paris en mars 1845. Elle s’intitule De la pneumonie
traumatique. Il s’agit d’une étude des pneumopathies secondaires à des
traumatismes thoraciques pénétrants. Legouest s’intéresse
particulièrement à l’épidémiologie militaire ; il rappelle que les plaies par
armes blanches sont plutôt bénignes, comparées à la gravité potentielle des
plaies par armes à feu, notamment du fait des surinfections. On y trouve même
la description du pneumothorax suffocant : « Il n’en est pas de même sous le
rapport de la gravité de l’épanchement de l’air dans le thorax. « Des fluides
élastiques sont-ils épanchés dans la cavité des plèvres, dit M. Breschet, les accidents qui surviennent sont rapides et effrayants
; le jeu du poumon du côté affecté est difficile ou même impossible, le
décubitus ne peut se faire que sur ce côté ; la poitrine est inégalement
dilatée, la face est pâle, il y a menace de suffocation, et quelquefois, après
quelques heures d’angoisses, la mort survient. » Enfin, il ne voit pas de contre-indication à conserver un corps étranger balistique
dans le thorax après cicatrisation des plaies et absence de surinfection, dans
la mesure où il persiste une possibilité de l’expectorer secondairement (et
spectaculairement). Au niveau curatif, il propose d’abord la réunion des plaies
par suture et bandes agglutinatives (sic),
ainsi que des mesures physiques telles que des saignées (effet antalgique et
anti-inflammatoire), du repos, des antitussifs (potions narcotiques) ou la
diète temporaire.
Il effectue ensuite un second
séjour en Algérie, en tant que chef de l’ambulance de la subdivision d’Alger. A
son retour en France, il est muté au 6e régiment de chasseurs, puis
au 17e léger, avant d’être affecté à l’hôpital militaire de Lyon. Il
publie Observation d’un épanchement purulent de la plèvre, résolutif après
injection iodée dans la cavité pleurale et obtient l’agrégation de
chirurgie au Val-de-Grâce en février 1853.
Legouest prend ensuite part à la Guerre
de Crimée, conflit opposant une coalition menée par la France à l’Empire russe
qui est défait. Sur le plan tactique, on assiste à une guerre de mouvement,
puis à une guerre de position, avec le siège de Sébastopol. La mortalité élevée
est historique dans les deux camps, notamment du fait de maladies. Legouest les impute aux conditions météorologiques
défavorables, au ravitaillement difficile, et à plusieurs maladies épidémiques.
Il sera engagé à partir de septembre 1854 à l’hôpital de Constantinople (actuel
Istanbul). Pour ses services, il est honoré de la croix de la Légion d’honneur et reçoit l’ordre russe de
Saint-Stanislas pour avoir soigné des blessés et des prisonniers russes. Il
reçoit aussi l’ordre ottoman du Medjidié.
A son retour, il publie une série
d’articles basés sur son expérience en Crimée, comme une Etude sur la
désarticulation coxo-fémorale dans les fracas fémoraux. Après analyse de
ses résultats et de ceux de ses anciens comme Larrey ou Baudens,
il juge cette désarticulation trop lourde pour être réalisée d’emblée. Il vaut
mieux dans un premier temps privilégier une alternative orthopédique. Cas
clinique fameux d’une désarticulation coxo-fémorale, un patient russe d’origine
polonaise décède cinq mois après la cure chirurgicale d’un sepsis secondaire à
un foyer infectieux passé inaperçu au départ de la prise en charge : Elle [la
désarticulation] fut exécutée par le procédé à lambeau intérieur, avec cette
modification que toute la partie postérieure du membre fut circonscrite d’un coup
de couteau n’intéressant que la peau et allant d’un côté à l’autre de la base
du lambeau antérieur, suivant le trajet du pli de la fesse. En conclusion,
on note une recherche d’un résultat fonctionnel correct pour le membre
traumatisé.
Il publie également un article Sur
les gelures observées pendant la Guerre de Crimée, qui sont potentiellement
chirurgicales, s’appuyant sur les centaines de cas observés durant cette
campagne, avec une catégorisation en premier degré (simple érythème douloureux
limité à l’épiderme), second degré (phlyctènes sanglantes douloureuses,
étendues au derme) et troisième degré (phlyctènes avec escarres pouvant
atteindre le tissu osseux, relativement peu douloureux, avec gangrène). Il met
en évidence un risque commun à toutes ces gelures : la surinfection. Les
localisations habituelles de ces lésions sont les zones exposées au froid et à
l’humidité, soit les extrémités et la face latérale des jambes (port de
guêtres). Il rappelle aussi le traitement utilisé sur place :
- traitement local à base
d’onguent au charbon, camphre, quinquina ;
- traitement chirurgical :
parages et amputations, en privilégiant l’indication de seconde intention et
l’économie, et fréquentes désarticulations métatarso-phalangiennes.
Cette dernière publication est
elle-même complétée par une Etude sur les amputations partielles du pied et
de la jambe, avec toujours en ligne de mire l’obtention d’un moignon
stable, gage d’un résultat fonctionnel correct. Il rappelle la complexité
articulaire, offrant de nombreuses possibilités opératoires, l’absence de
consensus entre chirurgiens. Pour lui, il n’y a pas de place pour l’amputation
sous-astragalienne, rendant le moignon peu stable
avec des risques de luxation de l’astragale, et la résection tibio-calcanéenne ne donne pas encore de bons résultats. Il
rappelle l’indication de l’amputation tibio-tarsienne,
donnant un moignon de qualité avec résection des malléoles, voire l’amputation
intra-malléolaire. Il rejette l’amputation de la jambe en sus-malléolaire.
En 1857 paraît dans la Gazette
des hôpitaux une Note sur le
traitement des uréthrites par les injections de
chlorure de zinc en solution. Extraite d’un rapport adressé au Conseil de
santé des armées, cette note conclut à l’efficacité et à l’innocuité en général
des injections de chlorure de zinc en solution au millième. Ce moyen de
traitement ne guérit ni mieux ni plus vite les uréthrites
simples et les uréthrites aigues que les moyens
ordinairement employés, et il est doué d’une efficacité remarquable dans les cas
d’uréthrites chroniques très anciennes, connues sous
le nom de goutte militaire. Sa simplicité et la modicité de son prix le
recommandent aux chirurgiens des corps de troupes, chargés de traiter les uréthrites dans les infirmeries régimentaires. Il
succède ensuite à son ami Hippolyte Larrey à la chaire de chirurgie du
Val-de-Grâce.
Legouest participe à la Campagne d’Italie
en 1859. Il assiste à la bataille de Solférino qui
fait 10.000 blessés dans chaque camp, alors qu’il n'y a que 150 médecins du
côté français. Le Suisse Henry Dunant sera spectateur de cette bataille. Il
publiera Un souvenir de Solférino, et sera
l’instigateur des Conventions de Genève quelques années plus tard. Legouest quant à lui prend conscience des lacunes du
Service de santé, par manque d’autonomie vis-à-vis de l’Intendance. Il est fait
officier de la Légion d’honneur et reçoit la médaille commémorative d’Italie.
Il reçoit également l’ordre savoyard de Saint-Maurice et Saint-Lazare. A son
retour, il est muté à l’Ecole impériale du Service de santé militaire de
Strasbourg, qui accueille depuis 1856 les « Carabins rouges ». Il poursuit une
activité chirurgicale au Val-de-Grâce.
Il se marie en novembre 1861 à
Marie Chabrol, parisienne d’origine et fille d’architecte de l'Empereur. Le contrat
de mariage reçoit l’agrément du général Prince Jérôme Napoléon et de la
Princesse Clotilde de Savoie, son épouse. Il reçoit en cadeau de son ami
Hippolyte Larrey une épée d'état-major modèle 1837 « au coq » ayant appartenu à
son père, Dominique-Jean Larrey, et marquée « viva espagna » (coll. privée).
Legouest publie ses Titres et travaux en
1862. L’année suivante paraît le Traité de Chirurgie d’Armée, sa
publication principale. Il s’agit d’une compilation de ses différentes
publications, véritable passage en revue de la traumatologie chirurgicale de
guerre en son temps. On notera par exemple : Un des officiers supérieurs les
plus distingués de l'armée, reçut au combat du col de Teniah
de (la) Mouzaïa (Algérie), en 1840, une balle qui,
pénétrant par l'orbite, fractura la paroi interne de cette cavité après avoir
détruit l'oeil, et vint se loger dans l'un des sinus qui s'ouvrent sur la voûte
des fosses nasales. Le projectile ne fut pas retrouvé immédiatement. Rentré en
France, cet officier se soumit, à plusieurs reprises, et sans succès, aux
explorations et aux tentatives d'extraction faites par Marjolin,
A. Pasquier et Blandin. Bégin, consulté à son tour, conseilla d'abandonner
toutes recherches, annonçant qu'un jour ou l'autre, la balle, après avoir usé
les parois osseuses qui la retenaient, tomberait d'elle-même dans le pharynx.
Pendant dix-huit ans, le blessé fut sujet à de violentes céphalalgies ; en
renversant la tête en arrière et en l'inclinant en avant, il sentait le
projectile se déplacer ; il le cracha tout à coup, un jour que celui-ci tomba
dans la bouche, sans déterminer d'autres phénomènes. Un autre blessé, officier
général, s'est éveillé pendant une nuit, en sentant tomber dans sa bouche la
balle qui, treize ans auparavant, lui avait crevé un oeil et s'était perdue
dans les sinus.
Cette autre observation, teintée
de psychologie médicale, est tout aussi intéressante : Les mutilations des
organes génitaux ont une influence marquée sur le moral des sujets qui en sont
atteints. Un grand nombre de blessés sont en proie à une profonde tristesse qui
les pousse au suicide. La perte des testicules est plus facilement supportée
que l'ablation totale de la verge qui ne permet plus les rapprochements
sexuels. Quelques chirurgiens se sont demandé, si dans les cas où, les
testicules restant intacts, la verge a été emportée à sa racine, la castration
ne remédierait pas au désespoir des mutilés en éteignant leurs désirs
impossibles à satisfaire. Nous pensons que la question doit être résolue
négativement : le temps apporte avec lui l'indifférence ou l'oubli, si, par des
artifices dont l'histoire des perversions génésiques renferme
de nombreux et tristes exemples, la passion érotique ne parvient pas à tromper
la nature.
Par ailleurs, il expose les trois
complications des blessures au combat : le tétanos, l’infection purulente et la
pourriture d’hôpital. Cette dernière peut être comparée aux actuelles
infections nosocomiales : Toutes les causes déprimantes, physiques ou
morales, les privations et les fatigues,
les revers des armées, la nostalgie, ont été invoquées comme autant de causes
capables de la faire naître. Il publie ensuite un article sur le Service de
santé américain pendant la Guerre de Sécession. Il note qu’aux Etats-Unis, le
service de santé est autonome, et qu’il a bénéficié pendant cette guerre des
avancées issues de la Guerre de Crimée, avec par exemple jusqu'à 130.000 lits
d’hospitalisation ouverts.
Il entre à l’Académie de Médecine
en 1867 et l’hôpital militaire Legouest de
Metz, qui porte son nom depuis l'automne 1933, conserve aujourd’hui sa tenue
d’académicien, ses photographies, son buste en marbre et ses insignes :
épée et képi de général de division. Sa deuxième fille naît la même année, mais
malheureusement son épouse décède de fièvre puerpérale, complication du
post-partum encore fréquente et redoutée à l'époque. Il publie aussi une Conférence
sur le service de santé en campagne, où il propose d’augmenter le nombre
des ambulances divisionnaires, pour amener les soins au plus proche du combat,
et déplore le manque d’infirmiers et de brancardiers, avec toujours en ligne de
mire l’autonomisation du Service de santé par rapport à l’Intendance.
Au déclenchement de la Guerre de
1870, la santé de Legouest est déclinante ; il suit
la retraite française avant d’être missionné en Grande-Bretagne à des fins de
ravitaillement. Il y rencontre son contemporain Lister qui l’initie à
l’asepsie. Il est promu médecin inspecteur, équivalent de général de brigade,
en fin d'année 1870. A la défaite, il mène une inspection sanitaire des troupes
françaises stationnées en Suisse avant d’être placé en disponibilité, suite au
Traité de Francfort. Tout naturellement, il opte pour la nationalité française.
Il est promu commandeur de la Légion d’honneur en 1876.
Vue
ancienne de l’hôpital Legouest (Carte postale ancienne)
A partir de 1878, Legouest est membre de la commission parlementaire chargée
de la loi d’administration de l’Armée. Il préside l’Académie de Médecine en
1881. La loi d’administration de l’Armée de 1882 sanctuarise l’autonomie du
Service de santé militaire, et Legouest en devient le
premier médecin inspecteur général. Dès lors, il mène de multiples inspections
sanitaires. Il publie une biographie de Charles Emmanuel Sédillot,
un de ses mentors, qui a donné son nom au dernier hôpital militaire de Nancy
(1913-1991).
Legouest quitte les armes en 1885. Il
développe un abcès dentaire fin 1888, qui se généralise, et il décède à Paris
le 5 mars 1889, à son domicile, voisin de l’Académie de Médecine. Suivant ses
instructions, aucun discours n’est prononcé sur sa tombe. Un éloge funèbre sera
prononcé l’année suivante à la Société de Chirurgie par Chauvel.
Legouest est inhumé au cimetière Montparnasse à
Paris, au côté de son épouse décédée en 1867.
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Legouest est un chirurgien militaire qui
a participé aux campagnes majeures de la deuxième partie du XIXe
siècle. Il nous laisse un Traité de Chirurgie d’Armée exhaustif, avec
des notions que l’on retrouve encore de nos jours : des gestes de secours
apportés directement par les combattants, une médicalisation rapide, un tri
médico-chirurgical et une chirurgie de guerre basée sur le « damage control »,
à savoir la pratique rapide des gestes d’hémostase chirurgicale avant une
reprise définitive. Ce qui tranche avec la chirurgie d’armée du Premier Empire,
c’est aussi la recherche d’un résultat fonctionnel correct à long terme sur le
membre sauvé, et certains cas cliniques font état d’une psychologie médicale
remarquable.
Enfin, Legouest
a pris conscience des lacunes du Service de santé de son temps et a été le fer
de lance de son autonomie, afin de permettre à notre service de rentrer dans le
XXe siècle où les médecins
militaires français ont été de tous les fronts.
Eric SALF, médecin en chef, HIA Legouest, Metz et Louis-Paul BOGUET, médecin des
armées
Référence : L-P. BOGUET, Vie, travaux et œuvre de Venant Antoine