pionnier
de la Formation Médicale Continue
par Pierre BRASME
Président de la Société
d’Histoire de Woippy
Guy Scharf : 1913-1983
Le 8 novembre 1983, dans le
service du Professeur Escande à l’hôpital Tarnier à
Paris, se déroule, en présence de nombreuses personnalités du monde médical et
du directeur des hôpitaux Jean de Kervasdoué, une
cérémonie empreinte d’émotion : l’inauguration d’une salle portant le nom du
docteur Guy Scharf, médecin généraliste à Woippy,
décédé brutalement le 21 mai précédent à Cuba, où il effectuait un voyage
d’études au service de la médecine. Par cet hommage, le Pr. Escande
et ses confrères tenaient à honorer celui qui, au début des années 1970, avait
le premier lancé le concept selon lequel seule pouvait être efficace une formation
médicale continue faite par les praticiens eux-mêmes. C’était le début d’une
révolution, non pas médicale, mais pédagogique au service de la pratique
médicale, et qui allait accroître l’efficacité du travail des généralistes.
Beaucoup de Woippyciens
se souviennent, pour avoir été soignés par lui, du docteur Guy Scharf, arrivé dans la commune quelques années après la
dernière guerre, et qui y exerça jusqu’à sa retraite en 1978, laissant le
souvenir d’un homme droit, entièrement dévoué à ses malades. Il était temps que
la S.H.W., par la plume de son président, rappelle sa carrière, en attendant
que, un jour peut-être, Woippy lui rende hommage, comme elle a su le faire en
d’autres temps pour des hommes et des femmes de la commune.
I
– De la Roumanie à Woippy : un parcours atypique
Les Woippyciens
qui durant une trentaine d’années, entre 1950 et le début des années 80, ont
connu et côtoyé jusque dans son cabinet médical le docteur Guy Scharf, pouvaient-ils imaginer – car il n’en parlait pas,
ou très peu – qu’il avait connu durant les trente premières années de sa vie un
parcours semé d’embûches, et que pour lui l’exercice de la médecine était
l’aboutissement d’un itinéraire pour le moins atypique ? Combien savaient par
exemple qu’il était d’origine juive et roumaine, qu’il avait vu le jour dans
l’empire austro-hongrois, et qu’il avait été résistant dans le maquis
toulousain ?
Guy Scharf
est né le 21 janvier 1913 dans une petite ville du nord de la Roumanie, Gura Humorolui (ou Gura Humora), en Bukovine du sud, dans les Carpates orientales, au confluent
de la Moldova – la célèbre Moldau du compositeur Smetana – et de l’Humor. Avant la Grande Guerre, elle fait partie de l’empire
d’Autriche-Hongrie, cet empire qui rappelons-le est alors un Etat multinational
dans lequel vit alors, séparée de la Roumanie indépendante de 1878, une forte
communauté roumanophone, dans des régions comme la Transylvanie, la Bukovine (les Roumains de Moldavie et de Bessarabie sont
intégrés quant à eux à l’empire russe) : comme ces régions, Gura
Humora deviendra roumaine en 1918, la défaite de
l’Autriche-Hongrie ayant entraîné son éclatement. Guy Scharf,
qui parlait parfois à sa famille du Kaiser « Franz-Joseph », sera toujours fier
de son appartenance au peuple roumain.
Son père, Abraham Scharf, est avocat, et durant la guerre il exerce la
fonction de juge militaire. Sa mère, Edwige Klein, est d’origine
aristocratique. Les Scharf font partie à la fois de
la nombreuse communauté israélite de Gura Humora (mais ils ne sont pas des juifs « religieux ») et de
l’ « intelligentsia ». Or, au lendemain de la guerre règne en Roumanie un fort
courant antisémite, qui entraînera les parents du Guy Scharf,
ainsi que leur fille Emilie (de sept ans sa cadette), à rejoindre le mouvement
sioniste et à quitter le pays pour la Palestine au cours des années 30.
Le jeune Guy Scharf
fait de brillantes études au lycée de sa ville natale, et obtient sa maturita, l’équivalent du baccalauréat. Mais, les juifs
n’ayant pas accès à l’Université, il ne peut entreprendre les études de
médecine envisagées. Il choisit, pour pouvoir les faire, de s’expatrier en
France, pays qui le fascine par son rayonnement intellectuel, et où il espère
assister à l’avènement du socialisme – car Guy Scharf
est et restera toute sa vie un homme très à gauche. Il débarque donc à Tours
(nous ignorons la raison de ce choix, peut-être est-ce le hasard ?), passe le «
P.C.B. » (physique, chimie, biologie, année préparatoire à médecine), puis
gagne Strasbourg, où il entreprend son cursus universitaire médical.
C’est là qu’il rencontre sa
future épouse, Gisèle Flammer, qui fait ses études de
puéricultrice. Elle a le même âge que lui (elle est
née le 5 juillet 1913), elle aussi a vu le jour en Autriche-Hongrie, elle aussi
est d’origine juive. Son père, Isidore Flammer,
horloger de métier, est mobilisé en 1914, avant de s’expatrier en 1919 pour
fuir les persécutions antisémites ; il s’installe à Metz avec son frère, sa
femme Myriam et leurs trois filles, mais la famille n’échappera pas à la
solution finale, qui les conduira dans les chambre à gaz d’Auschwitz. À
l’exception de Gisèle, qui après de brillantes études secondaires à Metz est
partie à Strasbourg étudier la puériculture : c’est là que le destin lui fait
rencontrer le jeune étudiant en médecine.
A 24 ans, Guy Scharf
soutient enfin sa thèse de doctorat en médecine, une thèse portant sur
l’adolescence et dans laquelle il se montre pénétré des théories de Freud ; il
y développe des concepts novateurs pour une époque qui considérait que les adolescents
n’avaient guère le droit à la parole ! Logiquement, Guy Scharf
devrait retourner en Roumanie, mais la situation politique l’en dissuade. Celle qui deviendra son épouse
le 1er avril 1939 le pousse à s’engager dans l’armée afin d’obtenir la nationalité
française. Il est mobilisé en tant que médecin militaire à l’hôpital du
Val-de-Grâce (où il aurait soigné André Malraux), avant de s’enfuir après
l’armistice vers la zone « libre ». N’ayant pas encore pu obtenir sa
naturalisation, il ne peut exercer la médecine de manière officielle. Il est
bûcheron, manœuvre, et choisit avec sa jeune épouse d’entrer dans la
Résistance, avant de rejoindre dans la région de Toulouse le réseau de
Jean-Pierre Vernon, alias le lieutenant Philippe. S’il prend part à des opérations
de combat, il avouera n’avoir jamais tué personne. Sa femme dirige d’abord une
pouponnière à Toulouse, et s’occupe notamment des enfants des déportés. Guy Scharf aura l’occasion de rencontrer le général de Gaulle
lorsque celui-ci viendra à Toulouse au mois de septembre 1944.
Au lendemain de la guerre, il
obtient enfin la nationalité française, et se voit autorisé à exercer le métier
qui le passionne : la médecine. Mais auparavant il se consacre à une année de
formation et de remise à niveau au sanatorium de l’Altenberg,
près du col de la Schlucht. Puis il effectue une série de stages à Paris, avant
de s’installer comme médecin à Haumont, près de
Maubeuge, où il pratique durant un an la médecine de dispensaire, tandis que
son épouse ouvre une consultation gratuite pour les nourrissons. Il part
ensuite à Doussard, à quelques kilomètres au sud du
lac d’Annecy : « Nous étions logés, se souvient sa fille, le docteur Rolande Scharf, dans une espèce de ruine que la municipalité
mettait à la disposition du médecin qui voulait bien l’occuper. » Mais exercer
la médecine en montagne est pour lui difficile – il fait la plupart de ses
consultations en moto – et il aspire à une vie plus posée. Enfin c’est la
Moselle, et Woippy : son ami, Charles Greiveldinger,
médecin à Longeville-lès-Metz, le persuade de le rejoindre dans la région
messine, où le besoin en médecins est important à cette époque : or il se
trouve que la municipalité de Woippy, qui compte environ 2500 habitants et qui
n’a pas de médecin attitré – on fait généralement appel au médecin de Maizières – en demande un à demeure.
Guy Scharf
vient donc s’y installer en 1949 avec sa femme et ses deux enfants, grâce
notamment au maire, Ferdinand Jungling. La commune
lui propose de s’installer chez Mlle Galleron, dont
la famille est propriétaire de deux belles maisons au centre du village ; elle
leur loue une pièce dans celle qu’elle occupe, la seconde, qui a souffert de la
guerre, étant en pleins travaux de reconstruction. Ceux-ci achevés, le médecin
et sa famille quittent leur logement aux conditions de confort plus que
rudimentaires, et s’installent à l’étage de la maison du 1 rue du Général de
Gaulle, le rez-de-chaussée étant réservé comme cabinet médical. Le docteur Scharf y reçoit ses patients jusqu’au début des années 60,
puis s’installe dans son nouveau cabinet au 85 de la rue de Metz, près du
quartier des Quatre-Bornes, laissant son cabinet au docteur Samama. En 1974,
après la création de la Maison Médicale (rue du Maréchal Leclerc), il y rejoint
ses confrères les docteurs Samama et Meunier (précédemment au Quartier du Roi).
Il prend sa retraite au début de l’année 1978. Désormais il se consacre
entièrement à la Formation médicale, et donne des conférences un peu partout en
Europe et en Amérique du Sud… jusqu’à sa mort, survenue brutalement à Cuba en
1983.
II
– Le médecin des Woippyciens… et des autres
Le docteur Scharf
est véritablement, durant une trentaine d’années, « le » médecin des Woippyciens et des habitants des villages voisins. Il est
l’exemple même du médecin de famille, tissant avec ses patients des liens
humains. Vite réputé et respecté pour sa compétence et son dévouement, il se
donne entièrement à ses malades, ne ménageant ni son temps ni sa peine,
disponible de jour comme de nuit, répondant à toutes les sollicitations. Sa
clientèle est énorme, et il se dit souvent « épuisé par cette immense
responsabilité de médecin généraliste ». Mais il a une haute conception de son
métier, qui, plus qu’une simple activité professionnelle, est un apostolat et
possède une valeur sociale : « Pour moi le médecin de famille moderne est un
homme qui doit tout prendre en charge. Il ne s’agit pas de s’occuper de tel ou
tel organe : c’est l’homme qui nous intéresse… Nous n’avons pas besoin de
médecins savants mais de médecins efficaces.» : une conception qui l’amènera à
définir et à mettre en œuvre la formation médicale continue. Raymond Fleurentin, qui s’installe comme pharmacien à Woippy en
1953, a beaucoup travaillé avec le docteur Scharf : «
Au point de vue professionnel et médical, nous a-t-il confié, c’était un homme
vraiment dévoué envers ses malades. Quand il y avait des épidémies de grippe,
nous restions ouverts jusqu’à plus de minuit, il me téléphonait parce que deux
ou trois de ses malades allaient venir pour chercher des médicaments… Lorsqu’il
était très fatigué, sa femme le conduisait en voiture pour ses consultations.
C’était un homme de gauche, et il a été profondément affecté par le
démantèlement de la sidérurgie lorraine. »
Son épouse Gisèle, infirmière
diplômée, le seconde efficacement : d’ailleurs, lorsqu’il prendra sa retraite,
au début de l’année 1978, il évoquera, au cours de la réception offerte par la
municipalité de Woippy, cette complémentarité : « Mon épouse a tenu un rôle
prépondérant dans mon activité. Sans elle, je crois qu’il ne m’aurait pas été
possible de faire du bon travail. Lorsque vous êtes tout le temps en chemin
pour les visites, il faut quelqu’un qui assure la permanence au sens le plus
noble du mot. Elle doit être standardiste, savoir rassurer les malades et puis
parer au plus pressé… Mon épouse a ouvert une consultation officielle de
nourrissons, gratuite bien sûr, dans mon cabinet. Elle indiquait aux mamans
quelle était la meilleure façon de soigner et de nourrir leurs bébés pour
diminuer un peu le nombre de ces enfants rachitiques qui me consternait.» Il
dira également de son épouse : « Elle mène presque une vie de veuve et elle
souffre en silence. » Une autre personne fut chère au cœur de Guy Scharf et de son épouse, Madame « Germaine », qui a été à
leur service durant une quinzaine d’années, à la fois pour les tâches ménagères
et l’accueil des patients à la Maison médicale (où sa fille exerce encore
aujourd’hui) : « Elle veille à tout, elle est notre ordinateur, dira le docteur
Scharf lors de son départ en retraite. Sa présence intelligente et
discrète a permis la disponibilité de ma femme et de moi-même. »
Une anecdote relatée par la
presse au début du mois de septembre 1954 démontre parfaitement à la fois sa
compétence et sa réactivité face à des situations urgentes et difficiles. Il
s’agit d’une course contre la montre médicale mettant en scène une famille de
Salon-de-Provence, le directeur d’une entreprise messine, Pierre Ollier, et le
docteur Scharf lui-même, et qui entraîne la mise en
place d’une véritable chaîne de solidarité passant par l’Espagne, l’Italie, le
Maroc et les Etats-Unis. En voici le déroulement.
Pierre Ollier fait partie du
groupe des radio-amateurs de Moselle – l’indicatif de
son poste est F3NE ; un soir son épouse et lui reçoivent quelques amis, et l’un
des invités, intrigué par le petit poste émetteur-récepteur installé dans le
salon, demande à son hôte de faire une démonstration. Pierre Ollier et sa femme
(qui partage la même passion) mettent l’appareil en marche, et quelques
instants plus tard une voix sort du haut-parleur : « Allô. Ici F3UC de
Marseille. À la demande de F3AX, voici un message urgent : Pour sauver mon
enfant, quel docteur français ou étranger me procurera un remède pour le guérir
d’une néphrose lipoïdique. Mme Dumas, n°2, rue Bastonecq
à Salon (Bouches-du-Rhône). » Conscient de la gravité et de l’urgence de
l’appel, Pierre Ollier demande à l’un de ses amis de téléphoner au docteur Scharf, qu’il connaît bien, et à son tour retransmet l’appel
sur les ondes. Il entre ainsi en contact avec le poste FBPD, qui lui-même
appelle un médecin spécialiste italien : celui-ci, le lendemain, enverra un
télégramme prescrivant un traitement. Entre temps, Pierre Ollier appelle
l’indicatif EASDT à Valence, en Espagne, qui consulte immédiatement un
professeur d’université, lequel préconise une intervention chirurgicale.
Inlassablement, F3NE continue ses appels ; un amateur marocain l’entend, et se
met immédiatement en contact avec un poste américain du Michigan. Dès la
réception du message, celui-ci téléphone au recteur de l’université de la
ville, le docteur Stone, qui convoque un conseiller spécialiste des maladies
infantiles. Quelques heures plus tard la réponse parvient : il ne faut pas
hospitaliser l’enfant, mais le traiter par auréomycine ou théromycine.
Entre temps, intervient le
docteur Scharf. Il connaît bien la maladie pour
l’avoir soignée et en avoir sauvé deux enfants. Il préconise un traitement par
corticoïde, et propose trois solutions : la bi-résine catio-amonique,
fabriquée par un laboratoire parisien, la cortisone, ou un médicament fabriqué
aux Etats-Unis, le risodèse ou résydion.
Transmis par Pierre Ollier, le traitement – mais nous ignorons lequel des trois
– est administré au jeune malade, qui guérit. Rentré de vacances, le docteur Scharf lui rend visite, comme il l’avait promis. On imagine
la joie et l’émotion du couple Ollier en entendant quelques jours plus tard,
venu de Marseille, le message radio suivant : « Le QRP (en code radio, l’enfant)
est sorti de l’hôpital. Il m’a chargé de vous témoigner sa gratitude. »
III – Le père de la Formation Médicale Continue (F.M.C.)
Dans son numéro du 25 septembre
1976, la revue médicale Le Généraliste
publiait, sous le titre « La longue marche du Dr Guy Scharf
», une longue interview du médecin woippycien, alors
président de l’Association lorraine de perfectionnement post-universitaire
(AMLPPU), et principal initiateur – on pourrait dire inventeur – d’un nouveau
style de formation médicale continue. Dans cette interview, Guy Scharf expliquait d’abord sa démarche par sa propre
expérience : « J’estime que mes études ne
m’ont absolument pas préparé à ce terrible métier de médecin généraliste. La
formation médicale continue est donc indispensable, je la considère comme un
droit du malade et comme l’affaire exclusive des généralistes, à tous les
niveaux : conception, organisation, méthodologie. Avec la collaboration de
l’Université, mais pas avec n’importe quels universitaires. » Pour lui,
l’EPU (enseignement post-universitaire) tel qu’il
existe à cette époque, présente trois défauts : il est centralisé dans les
facultés, donc souvent trop éloigné pour les médecins de campagne ; il offre
trop peu de séances de formation (une par mois durant au mieux huit mois), et
surtout il est trop axé sur l’enseignement théorique et non sur le
perfectionnement. Guy Scharf propose en fait comme
alternative à un enseignement post-universitaire «
trop éloigné des médecins… et limité au seul savoir », une formation «
décentralisée, véritablement continue et personnalisée ».
Dès 1969, Guy Scharf
envoie à quatre cents confrères généralistes lorrains, à ses frais – « ce qui
m’a coûté une petite fortune », dira-t-il – un manifeste exposant ses conceptions en matière de formation médicale
continue, et dans lequel il leur demande s’ils sont d’accord pour mettre sur
pied, eux-mêmes, leur perfectionnement post-universitaire.
Une vingtaine de réponses seulement lui parviennent : c’est suffisant pour
démarrer. Il organise avec ses confrères une formation médicale continue qui en
Moselle se fait dans quatre centres : Metz, Thionville, Sarreguemines et
Saint-Avold. Une fois par mois s’y tient une conférence magistrale visant à
l’acquisition de connaissances nouvelles, à la mise à jour de connaissances
acquises ou à la culture générale médicale. En outre sont organisés des
séminaires avec, deux fois par mois, une dizaine de médecins généralistes afin
d’approfondir, de manière pratique, une spécialité, et enfin des stages
cliniques dans les hôpitaux, tous les quinze jours avec 4 à 5 médecins.
Les idées du docteur Scharf le font considérer par certains comme un
franc-tireur de la médecine, qui a juré la perte de la formation post-universitaire traditionnelle : « Au contraire, réplique-t-il,
je trouvais ça très bien. J’en étais même un des animateurs à Nancy… (mais) je suis entré en lutte ouverte contre ceux qui
considèrent le généraliste comme un perpétuel assisté. Ce qui m’a donné la
réputation de quelqu’un de haineux. » Pour lui, cependant, pas question de
rendre obligatoire la F.M.C., même s’il sait que la majorité de ses confrères
sont hostiles à la formation continue (en 1979, 90% !).
Mais ses idées font leur chemin,
et Guy Scharf ne se décourage pas. En 1977, il publie
un Manuel pratique de la Formation Continue du Médecin, qu’il dédie au
professeur Costatino Iandolo,
de Rome, qui trois ans plus tôt avait fait paraître en Italie un ouvrage du
même esprit. Ce livre est le fruit de réflexions personnelles et collectives,
et de l’expérience acquise au cours des années précédentes. Une phrase de cet
ouvrage résume à notre sens l’importance de la F.M.C. pour des généralistes
appelés à travailler avec les spécialistes : « Lorsqu’un service de chirurgie voit le nombre des maux perforants ou de
gangrène de membres inférieurs se multiplier, cela ne signifie-t-il pas qu’une
bonne partie des généralistes tireraient profit d’un enseignement sur les
artériopathies et le diabète ? » (p 43). Avec les années, et même après la
mort du docteur Scharf, la F.M.C. intègre peu à peu
l’interaction entre praticiens de voisinage, validation des circuits de soins,
ouverture progressive des dossiers médicaux (le docteur Scharf
a mis au point un système de fiches permettant de rationaliser le dossier
médical).
Il nous est impossible, dans le
cadre de cet article, de développer plus avant les idées du docteur Guy Scharf sur la Formation Médicale Continue. Qu’il nous
suffise de rappeler, comme le fera le Quotidien du médecin au lendemain de sa
mort, qu’ « (il) a été le premier à
comprendre, à écrire, à répéter que l’enjeu de la formation continue était
celui de l’amélioration de la qualité des soins. De cette idée centrale
découlait tout le reste… (Il) a été et reste celui qui a adapté à la formation
médicale post-universitaire les méthodes
d’enseignement pour adultes. »
IV
– La mort d’un « humaniste médecin »
Le 21 mai 1983, Guy Scharf
disparaît. Il est à Cuba, où il participe avec une quarantaine de médecins à un
voyage d’études. Se sentant fatigué (il souffre alors d’une angine de
poitrine), il renonce à partir en excursion avec ses confrères et regagne son
hôtel, seul. Il est victime d’un infarctus, et décède, faute de soins
immédiats. Les formalités de rapatriement étant très longues et complexes, sa
dépouille ne regagne la France qu’au bout de quelques semaines, pour être
inhumée à Besançon, auprès des défunts de la famille de son épouse. Guy Scharf avait 70 ans.
L’annonce de sa mort, ressentie comme un choc,
provoque une immense émotion, tant à Woippy et dans la région messine que dans
le monde médical français, et plus précisément chez tous ceux pour qui il était
le père de la formation médicale continue. Le bureau de l’UNAFORMEC diffuse un
communiqué dont nous donnons quelques extraits : « Avec le décès de Guy Scharf, nous avons perdu
un ami et le compagnon de ces dix dernières années. Nous avons perdu à la fois
l’intelligence militante et le compagnon bâtisseur. (Il) a été la conscience du
mouvement associatif, celui grâce auquel les idées défendues par une poignée
d’entre nous il y a quinze ans ont pu prendre vie sur tout le territoire au
sein des groupes de FMC… Guy Scharf n’est plus, et
tous ceux qui l’ont approché sont aujourd’hui un peu orphelins. (Il) était un
homme de chair et de sang, généreux, d’une merveilleuse convivialité, d’un
esprit pétillant de malice. Autant capable de remettre sur le métier un ouvrage
immense pour le reprendre à zéro que de provoquer avec un savoureux irrespect
des blagues de carabins. »
Le Dr François Baumann, président
de la Société pour la formation thérapeutique du généraliste, écrit dans Le
Quotidien du médecin du 30 mai : « Guy Scharf est mort, et toute la formation médicale continue,
tous ceux qui se préoccupent de santé sont en deuil. Ils perdent en une fois un
véritable prophète de la santé et un humaniste médecin, qui savait allier idées
et actions. Toujours et partout, inlassablement désireux d’apporter rigueur et
crédibilité aux fonctions de médecin de famille, sa silhouette de prédicateur
au regard curieux de tout, à la pensée vive et féconde, se déplaçait dans le
monde mouvant de la médecine. Sa simple présence suffisait souvent à redonner à
un débat intelligence et clarté, et c’était bien là un des buts qu’il semblait
rechercher : faire recevoir une idée nouvelle comme si elle était connue de
longue date. Pédagogue par vocation, humaniste par définition, puisque médecin
des corps et des âmes. Guy Scharf n’est pas vraiment
parti… puisque l’œuvre à laquelle il a sacrifié une partie de sa vie se
poursuivra et puis parce qu’un homme de sa dimension fait partie de ceux qui ne
meurent jamais vraiment. »
Seul Isidore (Israel) Flammer est décédé à Auschwitz. Sa femme Myriam et ses trois filles : Giselle (Perl Riwe), Frieda (Fride Syme) et Mathilde (Matel) ont échappé à la solution finale.