HISTORIQUE DE LA
SYPHILIS : PARALLELISME AVEC LE SIDA
Jean-Luc SCHMUTZ
Au cours des siècles, la
syphilis a été ressentie comme un véritable fléau social et constituait une
maladie chronique qui suscitait la peur et la honte. Après l’avènement de la pénicilline
en 1944, succédant à 450 ans de traitements empiriques, une chute importante du
nombre des cas et des décès fut constatée, due à l’usage très large des
antibiotiques et l’on pouvait croire la maladie définitivement vaincue.
Néanmoins à partir de 1965 et
dans tous les pays, une recrudescence de la syphilis s’est affirmée bien que la
pénicilline soit toujours aussi efficace sur le tréponème. Ceci montre la nécessité
de rester vigilant car, bien que le nombre de nouveaux cas de nos jours soit
faible, un rebond est toujours possible comme nous le rappellent
nos collègues lillois qui voient apparaître de nouvelles observations en
provenance des pays de l’Est.
Sur le plan historique, le
“Nouveau Mal” se serait manifesté pour la première fois en Europe par une
pandémie à la fin du XVe siècle. Cette maladie aurait débuté pendant le conflit
qui opposa en 1494 l’armée de Charles VIII de France et l’armée du roi de
Naples en Italie, à Fornoue. Quoi qu’il en soit, les soldats de tous les pays
d’Europe rentrèrent chez eux et propagèrent le “Nouveau Mal”. Une véritable
stupeur s’empara des contemporains face à la syphilis qui, de l’avis général,
est bien une maladie nouvelle, le “morbus novus” jusque là inconnu des
médecins. En moins de deux ans, toute l’Europe est touchée et chacun en reporte
la responsabilité sur son voisin : pour les Français la variole espagnole ou le
mal napolitain, pour les Italiens c’est le mala franzosa (le mal français). En
moins de dix ans c’est au tour du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient, la
pustule franque ou bouton des Francs atteint ainsi les pays arabes en 1498 ; la
même année l’expédition de Vasco de Gama arrive en Inde et y apporte le mal
portugais, en 1505 le mal de Chine se développe au Japon.
Quant au terme de variole qui va
précéder pendant trois siècles celui de syphilis, il est lui même issu du mot
“variola” ou “vayrola”, de la variole, d’où pour mieux dénommer désormais les
deux maladies, le terme de “grosse vérole” pour la syphilis et de “petite
vérole” pour la variole, ce qui suggère une crainte privilégiée de la syphilis
alors même que la variole tuait bien plus de monde.
Le mode vénérien de la
transmission est admis dès 1498 bien que la contagion se fasse tout aussi bien
par des contacts non vénériens. Tout cela va justifier une succession de proclamations
et d’édits partout où la maladie apparaît. Après avoir sévi une dizaine
d’années sous une forme aiguë, le Nouveau Mal devient moins virulent, il ne tue
plus ou il tue beaucoup moins et après un laps de temps beaucoup plus grand,
l’épidémie s’éteint pour laisser place à un état endémique puis sporadique.
En 1530, Fracastoro, médecin
italien, publie à Vérone un poème intitulé “Syphilus sive morbus gallicus” où
l’on raconte l’histoire d’un berger nommé Syphilus qui se retrouve affligé de
la terrible maladie pour avoir négligé les autels d’Apollon. C’est là l’origine
du nom qui fut donné à la maladie en 1563 par Thomas Gale.
Depuis 500 ans, on discute pour
savoir si la syphilis est née dans le Nouveau Monde et comment, ou si elle
était déjà présente depuis des temps immémoriaux. La théorie colombienne dit
que l’infection existait à Hispanilia (aujourd’hui Haïti), l’île découverte par
Christophe Colomb et qu’elle a été transmise aux hommes de son équipage, puis
transportée en Espagne lors de leur deuxième voyage en 1493, et aurait ensuite
transité en Italie par l’intermédiaire des mercenaires espagnols venant
renforcer l’armée de France, ou l’armée du roi d’Aragon venant seconder celle
du roi de Naples.
Une seconde théorie, dite précolombienne,
prétend au contraire qu’elle devait exister en Europe, mais qu’elle était
confondue avec d’autres affections ou qu’elle se manifestait par des formes
atténuées.
On la disait originaire
d’Afrique centrale, importée par les marchands et les voyageurs.
En fait il s’agissait du Pian,
effectivement rapporté par les esclaves noirs qui 30 ou 40 ans auparavant
commençaient à affluer en Espagne et au Portugal.
En 1963, Fribourg-Blanc mit en
évidence la présence d’anticorps antitréponémiques chez les singes cynocéphales
d’Afrique occidentale, découverte complétée en 1966 par la détection du
tréponème dans les ganglions poplités des singes. Ceci évoque que les singes puissent
en constituer un véritable réservoir et/ou que des mutations successives aient
mené d’un tréponème primitif à celui de la syphilis vénérienne. Un parallélisme
peut être fait entre la syphilis et le SIDA, nouvelle maladie sexuellement
transmissible découverte en 1981. Les raisons qui ont présidé à son irruption
brutale ont suscité diverses théories dont la première a été la mise en cause
d’un foyer d’origine haïtienne, importé aux Etats-Unis puis diffusant dans tous
les pays. On sait que certains faits ont également suggéré une théorie qui
situe l’origine du virus, voire de la maladie en Afrique centrale et qu’en
particulier on retrouve des rétrovirus proches chez certains singes d’Afrique
centrale (cercopithèques).
L’histoire des maladies
épidémiques nous apprend qu’elles ne sont redoutables qu’un temps, soit que
l’homme l’élimine par la découverte d’un vaccin, d’un médicament et/ou l’établissement
de mesures sanitaires adéquates, soit qu’une atténuation spontanée de la
maladie apparaisse. Il faut espérer que ceci se vérifie pour l’épidémie de SIDA
comme cela l’a été pour la syphilis.