Un patrimoine "Art déco", l’Institut en Soins infirmiers de Nancy
Lucette
SCHWEYER
Au 25-27 de la rue Lionnois à Nancy, en face de la célèbre maison Bergeret, se
trouve l’Ecole Régionale d’Infirmières du Centre Hospitalier Universitaire
(CHU) de Nancy, devenue en 1992 l'Institut de Formation en Soins Infirmiers
(IFSI). Cet établissement fait partie intégrante de l’Hôpital Central avec deux
façades sur rue. Il accueille actuellement quelque 500 étudiants.
Le diplôme d’infirmière délivré à
partir de 1883 est un diplôme d’école. Chaque établissement applique un
programme d’études qui lui est propre. Mais le Conseil international des
infirmières voit le jour en 1889. En 1902, il officialise, par une circulaire,
la création d’écoles d’infirmières sur tout le territoire français. La
formation théorique est dispensée par les médecins, la pratique s’apprend au
contact des malades. Cette profession se voit reconnue en 1922. Le 27 juin de
la même année paraît un décret qui uniformise le programme de formation. Il
crée le premier diplôme infirmier d’Etat en France.
La construction de l’école
Autour de 1900, plusieurs
architectes successifs assurent la conception et le suivi des chantiers des
Hospices Civils de Nancy. D’Albert Jasson (1849-1923)
à Ferdinand Genay (1846-1909) à qui l’on doit, entre
autres, le Sanatorium de Lay-Saint-Christophe, c’est Georges Biet (1869-1955) qui sera nommé au poste d’architecte des
Hospices de Nancy en 1909. Cependant, la Première Guerre mondiale imposera une
interruption dans la réalisation de ses projets. En 1913, il entreprend la
construction du pavillon Louise-Elisabeth dans les jardins de Saint-Julien
donnant sur la rue des Jardiniers. Le pavillon ne sera terminé, lui aussi,
qu’après le conflit. Il abritera de 1922 à 1926 l’Ecole Régionale d’Infirmières.
Georges Biet donne sa démission d’architecte des
Hospices en 1913. Son successeur Pierre Le Bourgeois (1879-1971) reprend tous
les projets en cours. A son départ, c’est le Nancéien Alfred Thomas (1878-1950)
qui va mener les travaux de l’Hôpital (qualifié de “Central” à partir de 1931).
Alfred Thomas, ancien architecte
municipal, est l’auteur de nombreux immeubles de rapport et d’hôtels
particuliers, notamment rue de la Commanderie, rue Saint-Lambert et avenue
Anatole-France. Il est diplômé de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris (la
formation la plus prestigieuse de l’époque). Il avait une activité de peintre
parallèlement à son activité principale d’architecte et il est l’un des
premiers initiateurs de la mode Art déco à Nancy. Il travaille régulièrement
avec Jacques Grüber et Jean Prouvé au début des
années 1920. Nous devons aussi à Alfred Thomas la bibliothèque universitaire,
place Carnot.
A l’Hôpital Central, il procède à
l’agrandissement de la chapelle et du dépôt mortuaire ainsi qu’à la
construction d’une nouvelle cuisine et de la pharmacie centrale. Mais sa
contribution la plus importante est l’Ecole Régionale d’Infirmières qu’il bâtit
sur une parcelle donnée par la ville aux Hospices Civils.
Après avoir été logée au pavillon
Louise-Elisabeth (dont aucune trace ne subsiste), l’Ecole trouve enfin une
réponse à tous ses vœux de l’époque. Cette construction est située le long de
la rue Lionnois dans l’enceinte de l’hôpital, à
proximité de la Faculté de médecine (à l’époque). C’est une construction
particulièrement soignée qui peut héberger sur trois étages : des salles de
cours, une salle des fêtes, une bibliothèque et quelque soixante chambres pour les
internes.
Alfred Thomas dessine les plans
en 1930. L’autorisation des travaux est délivrée en octobre 1932.
• La consultation des plans montre une galerie souterraine
qui traverse l’école. Celle-ci, appelée par certains “la galerie des morts”,
avait pour vocation, outre le rôle de galerie technique, l’acheminement des
corps de la morgue située à l’époque sous la chapelle, à la salle d’autopsie.
Cette salle était implantée dans un petit bâtiment indépendant, d'utilisation
quasi journalière, à la limite entre l'hôpital et l'institut anatomique de la
Faculté. Cette galerie permettait une circulation discrète du corps des
défunts.
• L’Art déco est un mouvement artistique dont les premières
formes apparaissent dès les années 1910. L’acmé de cette mode est l’Exposition
internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925. La
mode s’éteint lentement au cours des années 1930.
L’intérieur Art déco de l’immeuble
Si les façades sont de style
classique, l’intérieur offre une architecture de style purement Art déco. Le
grand hall est éclairé par une verrière zénithale d’esthétique abstraite, aux
couleurs douces jouant avec la lumière. Cette verrière est signée Georges Bassinot. Les escaliers sont rehaussés d’une rampe en métal
chromé, d’un style moderne pour l’époque, tandis que le pavement offre une
mosaïque aux lignes géométriques dont les couleurs sont l’écho de la verrière.
Les lignes sont pures, simples, symétriques, sobres et laissent la place à
l’art du vitrail, des pavements et de la ferronnerie.
La salle des fêtes
Aussi appelée grande salle (d’une
capacité d’environ 200 personnes), la salle des fêtes est ornée d’un vitrail
(également signé Georges Bassinot) rappelant la
verrière ainsi que les pavements du grand hall. Cette salle trouve son
originalité avec la réalisation d’une scène de théâtre d’une technicité développée
pour l’époque. Cette salle a pu être construite grâce au don d’une famille. En
effet, les parents d’une élève ont décidé d’offrir un peu de fantaisie et de
distraction ainsi qu’un lieu d’expression à une formation qu’ils jugeaient
austère et difficile. Grâce à ce don, Alfred Thomas a pu « ajouter »
cette réalisation au plan initial, ce qui a presque doublé la surface au sol
occupée par l’établissement et explique sa position architecturale excentrée.
La bibliothèque
En chêne massif, la table de 4,80
m x 1,90 m a dû être montée in situ. Les vitrines portent le nom des donateurs
: les professeurs de chirurgie Gaston Michel (1874-1937), et de médecine Pierre
Parisot (1859-1938), et un administrateur, Monsieur Houot. Le mobilier de l’école, dans son ensemble, est de
style Art déco, et quelques éléments décoratifs floraux rappellent le style
Ecole de Nancy (serrureries, poignées de porte, porte-manteaux, etc.).
Cette école a été agrandie en
1973. L’extension, appelée nouvelle école (au 25, rue Lionnois),
comprend deux amphithéâtres, chacun d’une capacité de 200 places, et des salles
de cours. Cette extension moderne permet de répondre au fort besoin de
formation actuel.
L’intérieur du bâtiment dessiné
par Alfred Thomas a lui aussi évolué. Le sous-sol a été aménagé en salles de
travaux pratiques, les chambres en bureaux. La grande salle est convertible en
salle de cours et salle des fêtes. Malheureusement, le théâtre n’est plus
fonctionnel et la scène est devenue un lieu de passage reliant ancienne (1932)
et nouvelle école (1972-2012). Actuellement, le vitrail du grand hall se
détériore et compromet la sécurité de ce lieu de passage. Considérant la
richesse architecturale et historique de ce patrimoine, il semblerait opportun,
dans une perspective de témoignage, de conduire une réflexion sur sa
préservation.
Le vitraillier Georges Bassinot
Georges Bassinot
(1907-1977), originaire d’Art-sur-Meurthe, fut élève des Beaux-Arts de Nancy,
où il eut le privilège d’avoir pour maître Victor Prouvé. Il travaille en
étroite collaboration avec le verrier d’art André Lemoine, à qui l’on doit les
vitraux de la grande galerie de Nancy Thermal. Ces vitraux Art déco usent
d’effets blancs d’une harmonie légère et transparente. De Georges Bassinot, on peut encore admirer les vitraux d’origine qui
décorent sa maison et son atelier rue Clemenceau à Villers-lès-Nancy, mais
aussi le vitrail de façade de la villa Bichaton
(1937), avenue de la Garenne à Nancy. Georges Bassinot
avait pour habitude de signer ses œuvres Bassino
(sans le t), pour des raisons commerciales car, à l’époque, les entrepreneurs
et artistes décorateurs italiens avaient le vent en poupe en France, à l’image
des mosaïstes comme le célèbre Isidore Odorico à
Rennes.
Pendant la Seconde Guerre
mondiale, Georges Bassino(t) est résistant. Il rouvre
son atelier en 1945 puis le cède à son fils en 1950 pour se consacrer à la
littérature. Il reçoit en 1960 le prix « Erckmann-Chatrian » pour son
roman « La page où l’on meurt ». Acteur de la Reconstruction, il a signé
les vitraux de nombreuses églises en Lorraine.
L’actuel “atelier-verrier” Bassinot rue des Cristalleries, est en fait l’atelier de la
troisième génération. Ses petits-neveux y perpétuent l’art verrier en
participant à de nombreuses restaurations. Ils pérennisent ainsi les œuvres des
grands noms du vitrail : Grüber, Lemoine, Janin et… Bassinot.
Origine des photographies :
archives, J.-B. Schweyer (photographie extérieure) et
E. Dauchy (hall de l'école)