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L'ORTHODONTIE AU SIECLE DES LUMIERES

 

Catherine STRAZIELLE et Catherine PY

 

 

1. Naissance ou développement ?

 

Jusqu’au XVIIe siècle, l'art dentaire est pratiqué sans nécessité de diplôme par n'importe qui, le barbier, le rebouteux, le maréchal-ferrant, le curé ou l'apothicaire. Dès qu'un embryon d'organisation voit le jour, médecins, chirurgiens et barbiers entrent en conflit, les premiers méprisant les autres.

La réglementation de Louis XIV sur la chirurgie permet à la profession de s'organiser. L'Edit Royal de 1699 crée le corps des « experts pour les dents ». Placés sous l'autorité des chirurgiens, ces experts se forment chez un maître et passent un examen auprès de la communauté des chirurgiens de la ville dans laquelle ils veulent opérer. Ils suivent les cours de l'Académie royale de chirurgie. Ils endossent l'habit du gentilhomme et se sédentarisent dans les villes, loin des charlatans qui continuent pourtant  à sévir sur les places publiques et dans les campagnes. En 1755, le Collège de chirurgie de Paris comprend trois maîtres en chirurgie et trente experts pour les dents. La profession arrive ainsi à se dégager de l'empirisme ignorant. Elle va se développer et se réglementer... jusqu'à la suppression des titres et diplômes par la Convention. 

 

Les experts pour les dents vont bénéficier de l'essor considérable que connaît à cette époque la chirurgie qui devient une activité clinique avec des techniques fondées sur des connaissances scientifiques précises. En 1728, la parution du premier ouvrage d'art dentaire, « Le Chirurgien-Dentiste ou Traité des Dents » de Pierre Fauchard, est un véritable événement. L’élévation de pensée, l’honnêteté et la franchise qui se dégagent des 2 tomes de son ouvrage entraînent l’adhésion et suscitent l’admiration de ses contemporains. Il provoque une émulation telle que de nombreuses publications vont suivre. Les dentistes s'insèrent dans le mouvement déclenché par les encyclopédistes. L’art dentaire s’individualise et devient une pratique sérieuse ; les praticiens, de plus en plus nombreux, utilisent au mieux les connaissances de l’époque, usent d'ingéniosité, produisant ainsi une diversification des techniques opératoires. 

 

Pierre Fauchard (1678-1761) est d'origine bretonne. Il s'installe à Paris en 1718 après un exercice itinérant. Il est reçu comme « maître-expert pour les dents » par la communauté des chirurgiens de la capitale. Il écrit  avoir été formé par Alexandre Poteleret, chirurgien-major des Vaisseaux du Roi, « très expérimenté dans les maladies de la bouche ». 

Son fameux ouvrage fait l'objet de trois éditions et d'une traduction en langue étrangère. L'énoncé complet du titre suffit à révéler l'ambition de son œuvre : « Le chirurgien-dentiste ou traité des dents. Où l'on enseigne les moyens de les entretenir propres et saines, de les embellir, d'en réparer la perte et de remédier à leurs maladies, à celles des gencives et aux accidents qui peuvent survenir aux autres parties voisines de la dent ».

Il fixe par écrit un savoir empirique important, exposant l'ensemble de ses connaissances, les spécialisant avant la lettre. Dans sa préface, il expose le contenu des divers chapitres de son ouvrage : « Je passe à la manière d'opérer... Je traite des moyens de remédier à leur déplacement; de procurer & embellir leur ordonnance ». Il définit ainsi, sans la nommer, l’orthodontie comme un ensemble de traitements qui remédie aux « dents tordues, mal arrangées et luxées ». Pour lui, « le dérangement des dents est presque toujours causé par l’obstacle que forment les dents de lait à la sortie des dents permanentes ». Il s’agit alors de « ramener et placer les dents dans leur ordre et leur état naturel ». Les buts du redressement sont multiples, non seulement esthétique « Lorsque une dent mal située nuit à l’arrangement des autres dents, elle choque la vue par la difformité ... », mais aussi fonctionnel, alimentaire et phonatoire.

Il consacre un chapitre de son ouvrage à décrire 3 procédés pour déplacer les dents et propose des techniques de redressement, particulièrement innovantes pour l’époque, à la fois manuelles et instrumentales, utilisant les ligatures ou des lames d'or ou d'argent. Dans un chapitre suivant, il décrit 12 observations de traitements réussis.

Il met judicieusement en évidence la nécessité d’intervenir précocement pour obtenir un bon résultat « ... Les dents des jeunes sujets sont bien plus aisées à redresser que celle des adultes; tant à cause du peu de volume que les racines de leurs dents ont à cet âge, qu’à cause de la mollesse de toutes les parties qui les environnent; c’est pourquoi il faut tenter d’abord de les redresser avec les doigts, ce qui se fait à plusieurs reprises dans le cours de la journée... ».

 

Stimulé par l’exemple de Fauchard, Robert Bunon (1702-1748), né à Châlons-sur-Saône, s'installe à Paris et devient le dentiste des dames de la Cour. Il est protégé par le premier chirurgien du Roi, François de La Peyronie. Très observateur, il analyse la croissance des dents et étudie de multiples ouvrages d’anatomie, de médecine et de chirurgie.

Il publie en 1743 un « Essay sur les maladies des dents, où l'on propose des moyens de leur procurer une bonne conformation dès la plus tendre enfance, & d'en assurer la conservation pendant tout le cours de la vie ». Il définit clairement la dysharmonie dento-maxillaire, sans toutefois la nommer : « C’est l’insuffisance de place qui occasionne le mauvais arrangement des dents. Ainsi le bel ordre dépend de l’étendue de la mâchoire tant en longueur qu’en circonférence ».

 

Etienne Bourdet (1722-1789), né dans le sud-ouest, succède à Claude Mouton comme dentiste du Roi, en 1760. Il étudie particulièrement la morphologie dentaire. Il publie en 1757, un ouvrage intitulé : « Recherches et observations sur toutes les parties de l'art du dentiste ».

Concernant l’étiologie des malpositions, il intègre les théories de Fauchard et Bunon. Il déclare : « Toutes les fois que la mâchoire aura une étendue suffisante, il n’y aura pas de problème. En cas contraire, vu la différence de volumes entre temporaires et permanentes, les germes mal placés ne sont plus guidés par les racines des dents de lait, et sont obligés de percer à côté des premières dents soit en dedans, soit en dehors ».

Il expose ses conceptions en prophylaxie dentaire et orthodontique, il écrit : « Pour procurer un bel ordre aux dents, il suffirait que le dentiste chargé de gouverner la bouche d’un enfant, le prit dès l’âge de sept ans jusqu'à 14 à 15 ans, et qu’il eut soin de la visiter seulement tous les trois mois. En observant ce que j’ai remarqué, il serait en état de donner un tel arrangement aux dents et l’on éviterait d’employer les fils, les plaques et autres instruments qui servent à les redresser » (1757).

En préconisant l'extraction dentaire préventive, Bourdet peut être considéré comme le Père de la technique des « extractions pilotées », encore utilisée de nos jours pour prévenir certaines malpositions dentaires.

 

Les progrès en morphologie dento-faciale sont également dus aux chercheurs de professions, anatomistes, physiologistes, naturalistes. Leurs travaux ont largement contribué au développement de l'orthodontie. Tous ces scientifiques ne sont pas français.

Deux auteurs sont à l’origine de la céphalométrie qui influencera tant la pratique de l’orthodontie. L'anatomiste hollandais Petrus Camper donne son nom à un angle facial qu'il décrit dans sa « Dissertation sur les différences réelles des traits de visage chez les hommes de divers pays et de divers âges » (1791). Le naturaliste Louis Jean-Marie Daubenton (1716-1800), expose l'importance de l’angle que forme l’inclinaison du trou occipital avec une ligne allant du bord postérieur de ce trou à la racine du nez dans la forme du visage et la posture céphalique.

L'anglais John Hunter publie dans le « Natural History of the Teeth » (1771) tout ce qu’il faut savoir sur les dents, les mâchoires et leurs mouvements. Sur des porcs, par coloration des os et de la dentine en formation au moyen de garance, il prouve que la croissance des maxillaires se fait uniquement dans le sens postérieur. Quelques années plus tard, il décrit dans son « Practical Treatise of the Diseases of the Teeth » (1778), les anomalies dentaires et maxillaires et rapporte que, de toutes les dents, c’est la seconde prémolaire inférieure qui est le plus souvent absente.

 

Peut-on considérer que l'orthodontie est née au XVIIIe siècle sous la plume de Fauchard ?

 

Remontant l'histoire, on s'aperçoit que les bases de l'orthopédie dento-faciale se sont constituées pendant la longue période qui s'étend de l'Antiquité à la fin du XVIIe siècle.

Hippocrate décrit avec précision l'anatomie de la bouche et des dents. Aristote et Galien étudient l'organisation des deux dentitions. Celcius rapporte que lorsqu'une dent de seconde dentition se montre avant la chute de la dent caduque, il faut extraire cette dernière et que la pression répétée du doigt sur l'autre suffit souvent à lui faire reprendre sa place.

A la Renaissance, l'Anatomie, de par sa conjonction avec l'Art, connaît un essor considérable. Les grands peintres, comme Léonard de Vinci et Albrecht Dürer s'imposent comme les maîtres de la craniométrie. De Vinci se distingue par ses recherches des proportions du corps et ses essais de céphalométrie : les diverses parties de la tête, de profil ou de face, s'inscrivent en une série de lignes horizontales et verticales, cherchant à égaliser les distances entre les principaux repères anatomiques. Pour Dürer, les lois de l'esthétique s'identifient à celles de la croissance. Il analyse les constances et les variations de la forme par des mesures, des proportions et des projections sur les trois plans de l'espace. Il représente également les différents types faciaux au travers de ses portraits d'adulte. Pour apprécier le développement de la face ainsi que des dysmorphoses, il crée la méthode des réseaux, encore appliquée de nos jours à la méthodologie du diagnostic. Bartholomeo Eustachi, dans sa monographie concernant la morphologie des dents, le « Libellus de dentibus » reconnaît, il y a quatre siècles les trois classes des dysmorphoses dento-faciales : « les dents donnent à la bouche un aspect « tordu » ... lorsqu'un maxillaire est plus long que l'autre ou lorsque sa partie antérieure avance trop ».

Toutefois, ces connaissances scientifiques ne profitent pas aux dentistes de leur époque car il semble qu'il n'y ait pas eu, ou peu, de traitement orthodontique. et jusqu'à Dionis (1707), les anomalies de position des dents sont traitées ainsi par pressions digitale ou linguale, ou encore par limage ou extraction lorsque « elle cause une difformité qui choque tous ceux qui le regardent ».

 

Si on considère l'orthodontie comme une discipline qui développe des procédés techniques dans le but de « redresser et réaligner les dents », on peut alors affirmer qu'elle est née au XVIIIe siècle et qu'elle a connu un développement certain au cours des « 50 années de lumière » de l'art dentaire. Ses premiers pas sont presque exclusivement français car les apports étrangers sont tardifs et peu nombreux. Les traitements sont orthodontiques car ils ne s'appliquent qu'aux dents. L'orthopédie dento-faciale n'apparaîtra que beaucoup plus tardivement.

La Révolution et ses conséquences vont anéantir cette hégémonie dans la première moitié du XIXe siècle : l’essor de l’orthodontie américaine va ravir à l’Europe et spécialement à la France la première place.

 

2. Evolution des techniques

 

Pierre Fauchard (1678 en Bretagne - 1761 à Paris) publie en 1728 « Le chirurgien-dentiste ou traité des dents » donnant ainsi ses lettres de noblesse à l'Odontologie.

Reconnu comme le Père de la dentisterie moderne, Fauchard est sans aucun doute le précurseur de l'orthodontie.

Ses prédécesseurs s'entendent à prévenir les malpositions. Pierre Dionis, dans son ouvrage de chirurgie « Cours d'opérations de chirurgie démontrées au jardin royal » (1707) conseille « d'arracher les dents de lait dès le début de leur mobilité, ceci pour obtenir une seconde dent droite ». Pour les « dents tordues », il préconise de les limer ou de les extraire : « ... il vaudroit mieux avoir une dent de manque que d'en laisser voir une qui défigurât la personne ».

Fauchard innove : il préconise des techniques de redressement des dents inusitées à l’époque, à la fois manuelles et instrumentales, s’appuyant sur la notion de levier : « ... La partie de la dent contenue dans l’alvéole pour le long bras de levier. Et la portion qu’excède l’alvéole pour le petit bras de levier. On sait par les règles de la mécanique et l’expérience journalière, que la force du levier est d’autant plus grande que le bras sur lequel la puissance ou la force majeure agit, est long et éloigné du point d’appui ; et qu’au contraire celui sur lequel la résistance fait effort, est raccourci et voisin du point d’appui ... ».

Il est possible qu'il ait adopté, après les avoir expérimentés, quelques procédés mis au point par son maître Alexandre Poteleret, ou par un de ses prédécesseurs qu’il cite souvent, Anthoine Carmeline, mais le mérite d’une découverte revient à celui qui la publie ...

 

Fauchard insiste en premier lieu sur l'examen clinique: il sera soigneux car de lui dépendra la décision d'extraire ou de redresser.

La technique manuelle est rapportée dans son ouvrage. Utilisée de façon empirique depuis des siècles, elle dérive de la notion observée dans l'Antiquité par Aulus Cornelius Celse et étudiée par John Hunter, qu'une dent bouge sous l'effet d'une pression continue. Le limage des dents est réalisé pour « distribuer de la place » puis « ... les doigts à plusieurs reprises dans la journée peuvent être très utiles ».

Outre cette technique manuelle, Fauchard propose trois techniques mécaniques :

- Les ligatures pour « redresser des dents panchées ».

« Lorsque les dents sont panchées en dehors ou en dedans, les doigts ne suffisant pas pour les redresser, on prendra un fil ou une soie cirée que l’on mettra en plusieurs doubles ». Il explique minutieusement comment prendre appui sur les dents bien placées, en formant plusieurs tours avec le fil et en le disposant de façon qu’il embrasse la dent en malposition. Le fil sert à redresser les dents inclinées latéralement mais aussi à fermer les diastèmes entre les incisives. Il prend comme point d’ancrage les deux dents voisines de celles à redresser et fait ce que l’on appellerait aujourd’hui en parodontologie une ligature en huit. La soie s’étirant avec la salive, elle est changée deux ou trois fois par semaine, voire plus si nécessaire.

- La lame d’or ou d’argent pour le « redressement des dents mal placées ».

Pour les situations où le fil ne suffit pas, Fauchard utilise une lame d’or ou d’argent. Il précise que sa longueur ne doit pas dépasser la distance entre les deux dents droites collatérales de la dent versée. Il fixe cette lame, qui ne doit être ni trop solide ni trop flexible, au moyen d’un fil de soie. «On fait deux trous à chacune de ces extrémités : dans les deux trous de l’une des extrémités on passe les deux bouts d’un fil et on en fait autant à l’autre extrémité avec un fil semblable ». En principe, la lame est placée du côté des dents en malposition (vestibulaire si les dents sont vestibulées et inversement). Les fils sont noués autour des dents d’appui situées autour de la ou des dents en malposition et, par pression, « la lame redresse par la suite du temps les dents ».

- L'emploi du pélican, conjugué à une contention à l'aide de fils associés à des lames en plomb pour « la remise en place des dents luxées ».

Cette technique chirurgicale est conseillée chez l'adulte car les moyens mécaniques demandent souvent trop de temps. Par ailleurs, « si l'on ne peut réussir par tous ces moyens, on ne doit pas balancer à ôter la dent pour en prévenir les suites fâcheuses. J'ai vu plusieurs fois des dents courbées ou mal situées percer peu à peu les lèvres, les joues et produire des ulcères plus ou moins difformes ou dangereux ... » 

La dent en malposition est luxée à l'aide d'un pélican, puis placée en bonne position et ligaturée aux dents adjacentes. Fauchard présente dans le chapitre XXVIII de son livre « Douze observations sur les dents difformes et mal arrangées ». Dans sa neuvième observation, il écrit : « La même année 1719, M. de la Barre âgé d'environ trente ans, ayant la canine du côté droit de la machoire supérieure placée vers le palais, & cette dent la faisant paroître comme ébréché, il me pria de la lui arranger, ce que je fis avec le pélican, & l'assujetis si promtement avec le fil, que j'eus beaucoup de peine à lui persuader que cette dent redressée étoit la même qui se recourboit auparavant vers son palais : il me soutenoit toujours que je lui en avois mis une postiche; son opiniâtreté alla si loin, que nous nous fâchâmes tous deux. Je pensai me repentir cette fois d'avoir si bien réussi. Il ne pût se persuader de l'existence de cette dent qu'au bout de huit jours, que j'ôtai le fil, & qu'il vit la dent si bien raffermie, qu'il ne disconvint plus que ce ne fût sa dent naturelle ».

Cette technique très douloureuse connaît son heure de gloire à l'époque de Fauchard. Déjà signalée par Martin, Fauchard ne s'en prétend pas moins le premier à l'utiliser. Mais, hasardeuse, elle va subir de nombreuses controverses et sera abandonnée à la fin du XVIIIe siècle.

 

Etienne Bourdet (1722-1789) conserve largement les techniques de redressement établies par Fauchard, en les adaptant à ses propres idées, les faisant ainsi progresser. Il les expose en 1757 dans son ouvrage « Recherches et observations sur toutes les parties de l'art du Dentiste ».

Il améliore la « lame » de son prédécesseur et l’appelle « plaque ». Il l'allonge le long des arcades. Elle peut aller d’une seconde prémolaire à l’autre, évoquant alors l’arc du XXe siècle. La plaque est percée de deux trous en face de chaque dent pour passer les ligatures. Ces ligatures en soie ou en chanvre sont remplacées deux fois par semaine. En principe, la plaque est placée du côté vestibulaire. Toutefois elle peut être mise du côté lingual, en particulier à l’arcade mandibulaire, si l’on veut tirer en arrière une incisive en vestibulocclusion.

Bourdet est un adepte de l'avulsion dentaire pour remédier aux problèmes d'encombrement. Observant que la canine, qui fait son éruption la dernière, manque de place pour s'intégrer à l'arcade, Bourdet a l'idée d'extraire la première prémolaire pour permettre à la canine de se glisser dans l'espace laissé libre. Il utilise astucieusement les ligatures pour tracter la dent. Encore aujourd'hui, certains orthodontistes continuent d'utiliser ce procédé qui consiste à extraire et à tracter.

 

A la fin du XVIIIe siècle, les dentistes anglais s'emparent des techniques françaises et les améliorent : Joseph Fox (1776-1816) modifie avantageusement les appareils existants. Il allonge la lame métallique de Fauchard et Bourdet jusqu’aux molaires, établissant ainsi le premier arc vestibulaire rigide. Cet appareil dit « de Fox », est alors composé d’une barre épaisse en or ou en argent ; toujours attachée par de fortes ligatures de soie aux dents, celle-ci corrige, par exemple, la linguocclusion d’une ou plusieurs incisives maxillaires. Elle est surtout dotée d'un accessoire fort intéressant quand les rapports incisifs sont inversés. Pour que les incisives supérieures puissent se retrouver devant les incisives inférieures, Fox explique que des bras vestibulaires issus de l’arceau vestibulaire tiennent entre les arcades « des petits morceaux carrés d’ivoire ». Ces morceaux placés sur la face occlusale des molaires maxillaires « empêcheront les deux mâchoires de se joindre ». L’occlusion antérieure étant ainsi artificiellement ouverte, les incisives maxillaires peuvent être vestibulées par les ligatures attachées à la barre et changées tous les deux ou trois jours. Il rapporte par écrit sa technique dans l'ouvrage qu'il publie en 1808 « The natural history and diseases of the human teeth ».

 

Au XVIIIe siècle, la pratique orthodontique est limitée à la correction des rotations, à la fermeture des diastèmes et au redressement des dents versées, c’est-à-dire à des actions sur des dents prises individuellement, presque toujours des dents antérieures, la motivation restant encore essentiellement esthétique. Fauchard est sans aucun doute le précurseur de l’orthodontie moderne. On ne peut que remarquer l’analogie qu’il y a entre ses techniques et  la technique actuelle des multi-bagues. La lame joue le rôle de l’arc et les fils utilisés sont assimilables aux bagues et brackets, le but étant dans les deux cas d’obtenir un agencement idéal des dents sur l’arcade.

Fauchard décrit diverses applications de cette lame. Il en joue comme un orthodontiste joue de son arc. Mais contrairement à ce qu’ont écrit plusieurs historiens américains, cette lame ne joue en rien l’arc d’expansion, elle est d’ailleurs trop courte pour cela. L’expansion est un type de traitement que Fauchard et les praticiens du XVIIIe siècle n’imaginent pas encore. La notion de malocclusion comprise comme un mauvais rapport des arcades ou des bases squelettiques est encore mal connue des scientifiques et ne fait que germer dans l'esprit des thérapeutes de l'époque.