Néphrologie
par M. KESSLER et C. HURIET
les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)
Cité dans le Littré en 1808, le terme néphrologie a été exhumé en 1960 par Jean Hamburger pour créer avec quelques pionniers la Société de néphrologie francophone et la Société internationale de néphrologie.
Les années 1950 à 1970 virent l’acquisition des moyens diagnostiques et thérapeutiques propres à la néphrologie. A Nancy c’est à Alain Larcan et Claude Huriet que l’on doit le développement au sein de la Clinique médicale A d’une prise en charge des maladies rénales avec en 1957 la mise en oeuvre du « rein artificiel » pour traiter l’insuffisance rénale aiguë.
En 1959, Claude Huriet ramène de Toulouse la maîtrise de la biopsie rénale plaçant ainsi Nancy au 3ème rang français après Toulouse et Nantes
ORGANISATION DU SERVICE DE
NEPHROLOGIE
Individualisé en 1969 au Pavillon Prouvé A, le service de Néphrologie a quitté l’Hôpital Central en 1975 pour rejoindre au 4ème étage de Brabois adulte le service d’urologie avec lequel il entretient depuis toujours des relations étroites et complémentaires. Le centre de dialyse chronique qui n’avait pas été prévu dans les plans de Brabois resta à l’hôpital central jusqu’en 1994, date du début des travaux de l’hôpital neurologique et du transfert du centre de dialyse à Brabois.
Doté de 25 lits dont 10 réservés à la transplantation rénale, il comporte 12 postes d’hémodialyse chronique, 7 postes d’hémodialyse aiguë et de replis, 4 lits d’hospitalisation de jour et une consultation.
Depuis sa création il a été dirigé par Claude Huriet auquel a succédé en 1996 Michèle Kessler assistée de 2 adjoints : Dominique Hestin et Luc Frimat nommés PU-PH respectivement en 1999 et 2004, de 5 praticiens hospitaliers temps pleins ou temps partiels (Dr. Than Cao Huu, Edith Renoult, Moufida Bellou, Marc Ladrière et Victor Panescu) et de 7 médecins néphrologues attachés à l’hospitalisation de jour-consultation (Dr. Jacques Chanliau, Pierre-Yves Durand, Joel Gambéroni, Nelly Cordebar, Agnes Mariot, Bertrand Hacq et Noel Mertens).
ACTIVITES DEVELOPPEES
Jusqu’à la fin des années 1960, nous assistions impuissants au décès des patients souvent jeunes atteints d’insuffisance rénale chronique (IRC) terminale. Seuls quelques « privilégiés » avaient accès à la dialyse chronique qui se pratiquait déjà dans quelques villes de l’est de la France. A coté des activités de diagnostic et de prise en charge des maladies rénales aiguës et chroniques, le service de néphrologie s’est alors donné pour but dés sa création de démarrer simultanément l’activité de dialyse et chronique et de transplantation rénale.
La dialyse chronique
Tout a commencé avec l’hémodialyse.
Avec Charles Fontenaille alors Assistant Chef de Clinique et qui nous a malheureusement quitté tragiquement il y a quelques années, la première séance d’hémodialyse a eu lieu le 18 septembre 1970 chez un patient de 43 ans arrivé en oedème aigu du poumon, alors que les travaux d’aménagement du premier centre de dialyse situé dans les locaux de la clinique Bon Secours n’étaient pas tout a fait terminés. Il a été par la suite transplanté le 3 juin 1971 et a vécu 30 années avec un greffon fonctionnel jusqu’à son décès brutal à domicile.
Cette première séance a été réalisée avec un shunt artério-veineux de Scribner que les néphrologues avaient appris à mettre en place et un rein artificiel à plaques de Kiil qu’il fallait démonter et remonter à chaque dialyse. Le liquide de dialyse était fabriqué par une centrale de production et distribué à des consoles individuelles situées en tête de lit. Les séances duraient 10 à 12 heures et étaient répétées 2 fois par semaine nécessitant parfois de très longs déplacements.
L’évolution a ensuite été très rapide tant sur le plan technologique que logistique.
1) Avancées technologiques
L’abord vasculaire pour hémodialyse a été révolutionné par la mise au point par Cimino et Brescia de la fistule artério veineuse permettant d’éviter tout matériel externe et, par conséquence, les complications thrombotiques et infectieuses. Nos patients ont pu très rapidement bénéficier de cette technique mise au point dans le service d’urologie du Pr. Paul Guillemin par Roger Parietti. La maîtrise de la pose des cathéters veineux profonds d’abord fémoraux puis jugulaires internes nous a permis de faire disparaître les shunts
Les générateurs de dialyse ont bénéficié des avancées de l’électronique puis de l’informatique permettant un pilotage aisé et une sécurité augmentée
Les hémodialyseurs se sont miniaturisés et sont devenus à usage unique, améliorant l’ergonomie et le risque d’infection nosocomiale. Des membranes de plus en plus biocompatibles et efficaces sont venues remplacer les membranes cellulosiques
Le traitement de l’eau s’est considérablement amélioré mettant ainsi les patients à l’abri des complications liées aux impuretés et à la contamination bactérienne de l’eau pour hémodialyse. Dans le bain de dialyse, le bicarbonate, tampon plus physiologique a remplacé l’acétate améliorant ainsi la tolérance hémodynamique de la dialyse
Sur les traces des pionniers nord américains, nous avons en 1977 introduit au CHU de Nancy la dialyse péritonéale intermittente puis en 1979 la dialyse péritonéale continue ambulatoire (DPCA). Cette méthode consiste à épurer le patient à travers la membrane naturelle qu’est le péritoine en infusant manuellement 4 fois par jour 2 litres de liquide de dialyse dans la cavité péritonéale et en drainant ce liquide après quelques heures de stase. Complétée plus récemment par la dialyse péritonéale automatisée nocturne dans laquelle un cycleur règle les échanges pendant le sommeil, la dialyse péritonéale apporte aux sujets jeunes en attente de greffe une autonomie complète. Elle permet également grâce à l’intervention d’une infirmière libérale de maintenir des sujets âgés voire très âgés à domicile ou en institution
2) Avancées logistiques
Les premiers patients devaient se rendre à Nancy pour se faire traiter. Certains habitant à plus de 100 km, nous avons très rapidement envisagé la possibilité d’éviter ces déplacements pénibles et coûteux en donnant aux patients la possibilité de se dialyser à la maison après une période d’éducation de 2 à 3 mois. Le concept de dialyse à domicile ne pouvant être exploité au niveau hospitalier, Claude Huriet a rassemblé avec André Gross 3 bénévoles pour créer une association loi 1901 destinée à favoriser le traitement par dialyse hors des centres hospitaliers. C’était la création en 1972 de l’ALTIR (Association Lorraine de Traitement de l’Insuffisance Rénale) et l’installation à domicile du premier patient. Parallèlement grâce à la mise en place d’une commission régionale d’hémodialyse une dialyse de proximité se développait dans toute la Lorraine avec l’ouverture successive des centres de dialyse de Freyming Merlebach sous la responsabilité de Xavier Emmanuelli puis de Metz et de Mont Saint Martin. Par la suite est apparu le concept d’unités non médicalisées agissant comme substitut du domicile où le conjoint était remplacé par une infirmière libérale : la première unité d’autodialyse voyait le jour en 1984.
Aujourd’hui l’ALTIR présidée par Guy Jacques et dirigée par le Docteur Jacques Chanliau est restée un partenaire majeur du service de néphrologie mais également de la plupart des services de néphrologie de Lorraine.
Le premier enfant a été pris en charge par le centre de dialyse adulte en 1971. Il avait à l’époque 11 ans ; il a aujourd’hui 45 ans et se porte bien avec une troisième greffe rénale fonctionnelle. En 1972 la dialyse pédiatrique s’installait à l’hôpital d’enfants sous l’impulsion du Dr. Jean Luc André ; depuis, près de 200 enfants de tous ages en IRC terminale ont débuté un traitement par dialyse.
3) Avancées médicamenteuses
La vie et en particulier la qualité de vie des patients insuffisants rénaux a été considérablement améliorée par l’arrivée sur le marché en 1990 de l’érythropoïétine recombinante humaine suivie par d’autres agents stimulant l’érythropoïèse qui nous permettent aujourd’hui de corriger l’anémie d’origine rénale et d’éviter les transfusions sanguines
En 2005 les patients en IRC terminale, depuis la naissance jusqu’à plus de 90 ans, peuvent bénéficier de l’hémodialyse 3 à 6 fois par semaine avec des séances de 2 à 6 heures, en centre, en unité de dialyse médicalisée, en autodialyse ou à domicile ou de la dialyse péritonéale. Dans tous les cas ils bénéficient de traitements permettant de prévenir ou de traiter les complications de l’IRC non contrôlées par la dialyse (anémie, hyperparathyroïdie…)
Le 8 octobre 1970, quelques semaines après la première dialyse, la première transplantation rénale était réalisée à Nancy avec un rein prélevé sur un sujet passé en mort encéphalique dans le service de Neurochirurgie du Pr. Jean Lepoire. Dans le cadre de la toute nouvelle association France Transplant, dirigée par le futur prix Nobel Jean Dausset, elle avait été préparée depuis plusieurs mois par Claude Huriet, Paul Guillemin et François Streiff qui avec Bernard Genetet avait mis au point le groupage HLA. Cette 1ère greffe bénéficiait également de l’expertise vasculaire de Pierre Mathieu.et de l’aide extérieure de Marcel Legrain alors chef du service de Néprologie au centre médico-chirurgical Foch de Suresnes et Jean Auvert chef du service d’urologie à l’hôpital Henri Mondor de Créteil.
Le receveur âgé de 26 ans a demandé à être marié avant l’intervention, ce qui a été fait au petit matin dans l’antichambre du bloc opératoire, grâce à la bonne volonté d’une adjointe au maire et de l’aumônier de l’hôpital. Le patient a gardé son greffon jusqu’en 1975 où il a du reprendre la dialyse en raison de la récidive sur le greffon de la maladie glomérulaire qui avait détruit ses reins.
La première greffe faite à partir d’un donneur vivant a eu lieu le 11 mai 1971. Le rein prélevé chez un père a été transplanté à sa jeune fille.
A cette époque les enfants étaient transplantés à l’hôpital Necker enfants malades à Paris et c’est en mai 1990 qu’une unité de transplantation rénale pédiatrique s’est ouverte à l’hôpital d’enfants sous la responsabilité chirurgicale du Pr. Michel Schmitt et médicale du Dr. Jean-Luc André et en collaboration étroite avec les 2 services de néphrologie et d’urologie d’adultes.
La même année 90 Jacques Hubert et Laurent Bressler réalisaient la première greffe combinée Rein-Pancréas permettant à des patients diabétiques de type 1 en IRC terminale d’échapper à la fois à la dialyse et au traitement insulinique. L’avenir nous a prouvé que cette lourde technique améliorait considérablement l’espérance de vie mais également la qualité de vie de ces patients. Ce programme qui nous plaçait dans les 5 premières villes françaises était rendu possible grâce à la collaboration des chirurgiens digestifs (Pr. Patrick Boissel) et des diabétologues (Pr. Pierre Drouin). La première receveuse va toujours bien 15 ans plus tard avec ses 2 greffons fonctionnels.
Le CHU de Nancy possédant également des unités de transplantations cardiaques, pulmonaires et hépatiques, nous pouvions envisager de réaliser chez des patients ayant des pathologies complexes des greffes combinées Ce qui fut fait en 1990 avec la première greffe cœur-rein et en 1995 avec la première greffe foie-rein.
Les années 1990 ont vu l’explosion de la demande de greffons rénaux avec 60 à 90 greffes réalisées chaque année chez des patients de plus en plus âgés. Compte tenu de la pénurie de greffons, nous nous sommes retournés vers des solutions permettant d’étendre le pool des donneurs sans pénaliser les jeunes patients en attente de greffe. Parmi elles nous nous sommes intéressés à la bi greffe consistant à transplanter à un receveur âgé les 2 reins d’un donneur âgé ne pouvant être proposés à des patients plus jeunes. Sous la responsabilité chirurgicale du Pr. Luc Cormier la première bi greffe fut effectuée le 30 juin 2003 chez une patiente de 68 ans qui profite aujourd’hui pleinement de sa retraite.
La dernière étape est la greffe d’îlots de greffe destinée à des diabétiques de type 1 insuffisants rénaux ayant déjà bénéficié d’une greffe rénale et ne pouvant recevoir un greffon pancréatique. Nous participons au programme franco-suisse GRAGIL et 2 patients sont actuellement en attente
Au 31 décembre 2004, 2340 patients en IRC terminale ont débuté un premier traitement de suppléance dans le service de néphrologie du CHU de Nancy : 1900 en hémodialyse et 440 en dialyse péritonéale.
1500 transplantations rénales ont été réalisées dont 1444 avec donneur cadavérique, 56 avec donneur vivant, et 29 greffes combinées rein-pancréas. La file active de patients transplantés suivis en hospitalisation de jour ou consultation est d’environ 1000. Si on ne considère que les patients résidant en Lorraine ils représentent 40% des patients en IRC terminale recevant un traitement de suppléance
Le réseau NEPHROLOR
Depuis mai 2002, date de sa constitution en association loi 1901, le service de néphrologie du CHU de Nancy est le Centre de ressources et de références du réseau de prise en charge de l’IRC en Lorraine. Il s’agit d’un réseau unique en France ; car il rassemble toutes les structures hospitalières privées, publiques et associatives de la région (13 en tout), en ayant pour objectifs de coordonner et d’améliorer la prise en charge des patients atteints de maladies rénales chroniques. La première action de ce réseau a été la structuration, avec le service d’épidémiologie et d’évaluation clinique dirigé par le Pr. Serge Briançon, du Réseau Epidémiologie et information en Néphrologie (REIN) réseau national dans lequel la Lorraine a été pionnière en débutant en janvier 2001 le recueil exhaustif de tous les patients débutant un premier traitement de suppléance et suivis tout au long de leur filière de soins. Ce réseau a aujourd’hui des données épidémiologiques qui ont déjà permis l’élaboration du Schéma Régional d’Organisation des Soins IRC et qui actuellement font l’objet de recherches et d’évaluations.
A terme l’objectif de NEPHROLOR est de faire entrer, avec la collaboration des médecins généralistes et des autres spécialistes, les patients dans le réseau dés la découverte de l’IRC. Ceci permettrait de mettre en œuvre les mesures visant à ralentir la progression de la maladie rénale, à prévenir les complications redoutables en particulier cardiovasculaires de l’IRC et à informer les patients et leur famille le plus précocement possible sur les différentes modalités du traitement de suppléance
ACTIVITES DE RECHERCHE
Le service de Néphrologie a réalisé de nombreuses études dans le cadre de collaborations avec d’autres chercheurs de notre CHU et au sein de l’Association des Néphrologues de l’Est qui ont eu une diffusion internationale. Les grands axes de cette recherche clinique sont présentés :
- La fièvre hémorragique à Hanta
virus avec Bruno Hurault de Ligny aujourd’hui professeur de néphrologie au CHU
de Caen.
- Le saturnisme chez l’insuffisant
rénal en collaboration avec le Pr. Michel Duc
- L’arthropathie amyloïde à béta2micoglobuline
du dialysé en collaboration avec le service de Rhumatologie (Pr. Alain Gaucher)
et le CNRS (UMR 7561 Pr. Patrick
Netter)
- Les complications allergiques de l’hémodialyse en collaboration avec le Pr. A.D. Monneret-Vautrin
- Les complications iatrogènes de
l’IRC en collaboration avec le laboratoire de Pharmacologie (Pr. René Royer et
Patrick Netter)
- L’imagerie en Néphrologie avec la
collaboration du Pr. Michel Claudon
- Les facteurs de risque d’infection
bactérienne chez le dialysé avec Bruno Hoen aujourd’hui Professeur de maladies
infectieuses à Besançon.
- Les complications de la transplantation rénale en collaboration avec le service
d’urologie (Pr. Philippe
Mangin)
- La néphropathie à IgA et les
facteurs de risques d’évolution vers l’IRC terminale avec la collaboration du
laboratoire d’Immunologie (Pr. Gilbert Faure et Marie-Christine Béné)
- La dialyse p éritonéale
- L’épidémiologie de l’IRC terminale
en Lorraine (EPIREL) et de l’IRC lors du diagnostic dans l’agglomération
Nancéienne (EPIRAN) en collaboration avec le service d’Evaluation et
d’Epidémiologie Cliniques (Pr. Serge Briançon et Francis Guillemin)
- Le service de néphrologie a été l’investigateur principal de nombreux essais thérapeutiques dans les domaines de la néphroprotection, de l’hémodialyse et de la dialyse péritonéale (mise au point de technologies et de stratégies nouvelles) ainsi qu’en transplantation (nouveaux immunodépresseurs)
- Télémédecine
Le service de néphrologie est impliqué dans un projet ambitieux de
télémédecine développé en partenariat avec le LORIA (Laboratoire Lorrain de
Recherche Informatique et Applications) et l’ALTIR. Après une phase de
recherche expérimentale le projet est maintenant passé en phase d’application
clinique chez les patients traités par dialyse péritonéale ; DIATELIC
permet une transmission via internet par le patient de certaines données
médicales qui sont analysées par un système intelligent détectant les dérives
précédant la survenue de complications. Doté d’une messagerie il améliore le
suivi en sécurisant les patients se traitant à domicile. Ce système a été
étendu aux patients traités par hémodialyse dans les unités non médicalisés. Un
projet similaire adapté au suivi des transplantés au cours des 6 mois suivant
la greffe (TRANSPLANTELIC) est en cours d’élaboration.
CONCLUSION
Ces 35 années ont été passionnantes pour tous ceux et celles qui ont participé à l’aventure néphrologique. Tout ce qui a été réalisé l’a été grâce à un formidable travail d’équipe. Ces années ont également apporté leur lot d’émotions, de joies et de peines pour les patients et leurs familles et pour les membres médicaux et paramédicaux de l’équipe. Plusieurs dates ont été particulièrement marquantes : le 13 octobre 1990 où plus de 600 personnes se sont retrouvées à la faculté de médecine autour des pionniers pour fêter les 20 ans de la dialyse et de la greffe à Nancy. Une autre séance mémorable a au lieu le 21 janvier 2000 dans les grands salons de l’hôtel de ville pour fêter la 1000ème greffe rénale réalisée dans notre CHU. La Société de Néphrologie a réuni ses membres à 2 reprises à Nancy en 1973 et en 2003 avec la Société francophone de Dialyse.