Rhumatologie
Au seuil de sa retraite,
en 1974, notre maître, le Pr. Pierre LOUYOT, retraçait l’histoire de la
Rhumatologie et celle des cliniques médicales dans le numéro spécial, « du
centenaire », des Annales Médicales de Nancy. Son érudition, fruit d’un
labeur inlassable, s’y manifestait de même que son souci de ne pas faire valoir
ses propres mérites. Trente ans plus tard, le moment est sans doute venu de
souligner qu’il lui revient d’avoir fondé la Rhumatologie nancéenne et d’avoir
puissamment contribué à l’éclosion de cette discipline en France. Rappelons à
ce propos que, dès 1951, les Hôpitaux de Nancy étaient dotés d’un service de
Rhumatologie et que, dès 1961, une
chaire de Rhumatologie était attribuée au Pr. LOUYOT, alors qu’elles étaient encore très rares en
France.
En 1974, le Pr. Alain
GAUCHER a succédé au Pr. LOUYOT à la tête du service, assisté d’un nouvel
agrégé, Jacques POUREL. En 1984, le service a été scindé en deux : service
de Rhumatologie A (Pr. A. GAUCHER, Dr. P. PERE nommé PH en 1987), service de
Rhumatologie B (Pr. J. POUREL), jusqu’au départ en retraite du Pr. A.
GAUCHER, en 1998, au terme de 24 années
à la tête de la Rhumatologie nancéienne. A cette date, le service a été
réunifié sous la direction du Pr. POUREL et Mme Isabelle CHARY-VALCKENAERE a
été promue PU-PH. Peu après, en 1999, la nomination du Dr. Damien LOEUILLE comme
MCU-PH de Pharmacologie-Rhumatologie montrait l’étroitesse et la pérennité des
liens anciens qui unissent la Clinique Rhumatologique au laboratoire de
Pharmacologie et à l’U.M.R. CNRS 7561 de Pharmacologie et Physiopathologie
articulaires où plusieurs Assistants-Chefs de clinique de Rhumatologie avaient
déjà poursuivi leur carrière hospitalo-universitaire au cours de ces trente
dernières années : les Pr. P. NETTER, B. BANNWARTH (parti à Bordeaux) et
P. GILLET. L’ouverture du service vers d’autres disciplines a également été
illustrée par le passage d’autres Assistants Chefs de Clinique vers l’Immunologie
(Pr. G. FAURE), vers l’Endocrinologie (Pr. G. WERHYA) et vers l’Epidémiologie
et la Santé Publique (Pr. F. GUILLEMIN). Leur
fidélité à la Rhumatologie a été la source de fructueuses
collaborations.
L’année 1974 a aussi été marquée par le transfert du service à partir des locaux vétustes de l’Hôpital Saint Julien pour les locaux, modernes selon les normes de l’époque, du 5ème étage du nouvel Hôpital de Brabois. Il y disposait, alors, de 4 secteurs d’hospitalisation traditionnelle regroupant plus de 80 lits, complétés par d’importants locaux dévolus à la Rééducation Fonctionnelle et à la Médecine Physique. Cette structure s’est profondément modifiée à la mesure d’une prise en charge plus rapide des malades, mieux articulée avec les soins dispensés en ville et mieux adaptée aux besoins et aux motifs d’hospitalisation. Actuellement, le service est organisé en trois unités d’hospitalisation. Une unité d’hospitalisation conventionnelle (20 lits), sous la responsabilité du Pr. CHARY-VALCKENAERE, rassemble principalement les patients justifiant des soins hospitaliers prolongés et/ou dont l’autonomie est fortement réduite. Une unité d’hospitalisation de semaine (14 lits) et une unité d’hospitalisation de jour (6 lits), sous la responsabilité des Dr. LOEUILLE et PERE, prennent en charge les malades nécessitant des soins spécialisés ou des examens complémentaires planifiés. Parallèlement à cette évolution de l’hospitalisation, la consultation externe a connu un développement important et joue un rôle croissant dans la régulation des hospitalisations.
Quelles innovations « techniques » retenir plus particulièrement, au cours de ces trente dernières années ? Il faut sans doute d’abord souligner que la Rhumatologie a beaucoup bénéficié du progrès remarquable des procédés d’imagerie dont nos collègues radiologues ont toujours su faire bénéficier le service en première ligne, à la faveur d’un intérêt commun pour l’imagerie ostéoarticulaire où le scanner puis l’IRM ont trouvé un champ d’application très propice. Remarquons aussi l’impulsion donnée à la scintigraphie osseuse par le Pr. A. GAUCHER et nos collègues isotopistes qui ont su la promouvoir et faire valoir son intérêt dès les années 1970. D’autres techniques, implantées au sein du service lui-même, ont vu leur importance s’affirmer :
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La
« chondroscopie », arthroscopie médicale, a pu être initialement
développée grâce à l’aide de nos collègues chirurgiens (Pr. J.P. DELAGOUTTE,
Pr. D. MAINARD). Installée dans un local adapté à la faveur de deux Programmes
Hospitaliers de Recherche Clinique (1994 et 1998), elle demeure un outil de
recherche clinique mais elle est devenue, aussi, un moyen important de
diagnostic et de traitement dans les mains du Dr. D. LOEUILLE. Notons que
très peu de services de Rhumatologie disposent de cette technique.
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L’échographie
ostéoarticulaire s’est implantée récemment dans le service, il y a 3 ans. Elle
complète et précise les données cliniques, elle permet l’évaluation des
lésions : recensement des sites inflammatoires synoviaux et des enthèses
(polyarthrite rhumatoïde, spondylarthropathie…), mise en évidence des lésions
abarticulaires (tendons…). Elle permet aussi des gestes écho-guidés dans les
conditions de précision et de sûreté nécessaires. La compétence acquise par des
opérateurs entraînés (I. CHARY-VALCKENAERE, D. LOEUILLE) l’a rendu
indispensable et son développement n’est freiné que par le coût des
équipements.
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La podologie est une
activité traditionnelle du service, mise en œuvre dès ses débuts par le Dr. CH.
GAUNEL, un des fondateurs de la discipline. Cette activité, très technique pour certains
aspects (podoscopie, définition des orthèses…), se perpétue grâce aux
Dr. R. AUSSEDAT, P. FENER, B. DAUM. En collaboration avec le Pr. DELAGOUTTE,
elle a permis l’enseignement d’un DU de Podologie qui a formé de nombreux
confrères.
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Les innovations
thérapeutiques récentes ont ouvert un nouveau chapitre de la Rhumatologie. Les
« biothérapies », notamment les anti-TNF-Alpha apparus il y a 5 ans,
sont fondées sur des données physiopathologiques précises ; elles se
caractérisent par une efficacité remarquable dans le traitement des
« grands » rhumatismes inflammatoires, mais aussi par un coût très
élevé qui les ont rendues moins populaires chez les gestionnaires hospitaliers
que chez les malades ! Elles ont induit une profonde modification de la
prise en charge des malades (développement des courts séjours) ainsi que la
mise en place d’un « collège des biothérapies » qui assure une
décision rigoureuse et consensuelle des indications. Elles sont aussi à
l’origine d’une intense activité de recherche clinique qui a fait progresser et
a systématisé les méthodes d’évaluation (scores semi-quantitatifs,
échographie…).
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D’autres innovations
thérapeutiques moins spectaculaires, méritent d’être signalées. Ainsi, de nouvelles classes médicamenteuses sont
susceptibles d’améliorer la masse et la
solidité osseuse, et de prévenir ainsi les fractures par insuffisance osseuse
de l’ostéoporose qui représentent un problème majeur de santé publique ;
leur évaluation fait appel à l’ostéodensitométrie. Il est à présent justifié et
nécessaire de poursuivre le développement de réseaux pour une meilleure prise
en charge de l’ostéoporose. Remarquons, enfin, les progrès du traitement
médical de l’arthrose, avec l’introduction des techniques de lavage articulaire
et de visco-supplémentation développées depuis une dizaine d’années, dans le
service, par D. LOEUILLE.
La recherche en Rhumatologie s’est appuyée sur des collaborations
anciennes et sans faille, en particulier avec l’U.M.R CNRS 7561 de
Pharmacologie et Physiopathologie Articulaires dirigée par le Pr.
P. NETTER, mais aussi avec les services d’Imagerie Médicale, de Chirurgie
Orthopédique, avec le Laboratoire d’Immunologie et, plus récemment, avec
l’Ecole de Santé Publique. Elle a ainsi pu devenir une des forces du service et
un outil de la formation des jeunes rhumatologues. Nous ne dégagerons que quelques thèmes de
prédilection qui ont suscité un intérêt constant et un apport original du
service au cours des trente années écoulées.
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Chondrocalcinose
articulaire
Depuis plusieurs
décennies, le service a largement contribué à la description de cette affection
et à sa compréhension physiopathologique. L’étude d’un groupe de familles
alsaciennes, entreprise dès les années 1960 sous l’impulsion de P. LOUYOT
et de A. GAUCHER, a d’abord permis d’en caractériser les traits cliniques
et radiographiques, et de démontrer la transmission autosomique dominante des
formes familiales. La découverte d’une anomalie du métabolisme des PPi a marqué
une étape importante qui en a éclairé la pathogénie. Récemment, l’analyse
génétique des familles initialement étudiées, menée en collaboration avec une équipe américaine, a mis en évidence la
mutation du gêne ank qui code pour une protéine réglant le transport
transmembranaire des PPi. L’implication de cette protéine dans les formes
sporadiques de la chondrocalcinose articulaire est en cours d’investigation.
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Arthropathie des
dialysés
Elle représente une
complication majeure qui altère la qualité de vie des insuffisants rénaux
hémodyalisés. Une série de travaux menés en collaboration ave le service
de Néphrologie (Pr. M. KESSLER), et grâce à la création d’un réseau
INSERM, en ont précisé la description et la physiopathologie. Nous retiendrons
particulièrement la mise en évidence du rôle de l’aluminium et celui des dépôts
amyloïdes qui ont fait l’objet de plusieurs publications et de la thèse
d’université de CHARY-VALCKENAERE.
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Spondylarthropathie
Le concept de « polyenthésite
ossifiante » développé par A. GAUCHER, met bien en valeur la cible
principale de cet ensemble de rhumatismes inflammatoires :
l’enthèse ; il tend à s’imposer actuellement. La première description
d’une forme autosomique dominante de l’affection représente aussi une
importante contribution. Soulignons le caractère pionnier de
l’exploration des enthésites en IRM, et, à présent, en échographie, menée
depuis plusieurs années. Enfin, la collaboration de l’Ecole de Santé Publique
(F. GUILLEMIN) a permis d’importantes acquisitions concernant l’évaluation des
spondylarthropathies (mise au point de scores), la recherche de leurs
facteurs pronostiques (importance de la coxite) et, enfin, leur
épidémiologie en France (Enquête de prévalence EPIRHUM).
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Arthrite de Lyme
La découverte de
l’arthrite de Lyme a marqué le dernier épisode de l’identification de la
maladie de Lyme, ensemble des manifestations liées à l’inoculation de Borrelia
burgdorferi par une tique. Le diagnostic est souvent difficile et le
mécanisme discuté des atteintes articulaires introduit le problème général des
relations entre germes et rhumatismes inflammatoires. Nous avons montré que
l’amplification génique par PCR permettait de détecter le génome du germe dans
le tissu synovial, même lorsque cette recherche était négative dans le liquide
synovial. Ce résultat, en faveur d’une séquestration intra tissulaire
prolongée d’un faible nombre de germes, a été corroboré par la démonstration
originale de leur localisation intra-cellulaire en microscopie électronique (collaboration avec l’Institut de Bactériologie de Strasbourg, Dr. B.
JAULHAC, et avec le service d’Anatomopathologie de l’Hôpital de Brabois, Dr.
CHAMPIGNEULLE, Pr. FLOQUET). Nous avons également prouvé, par une étude cas –
témoin de séro-prévalence, que Borrelia burgdorferi n’était pas
impliquée dans le déclenchement de polyarthrites rhumatoïdes en dépit de
certaines similitudes entre les formes chroniques de l’arthrite de Lyme et la
polyarthrite rhumatoïde.
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Arthrose. Imagerie du
cartilage
La caractérisation de
lésions cartilagineuses et synoviales au cours de l’arthrose représente un axe
majeur des recherches menées dans le service depuis une dizaine d’années, sous
l’impulsion de D. LOEUILLE, qui leur a consacré sa thèse d’université. Elle a
été menée en collaboration avec le servie d’Imagerie Guilloz, l’Ecole de
Santé Publique (appui statistique) et l’UMR CNRS 7561. Une double approche, expérimentale et clinique
a apporté des résultats orignaux : développement d’un score IRM
quantitatif des lésions cartilagineuses, corrélé avec le score arthroscopique
pour les phases précoces de la maladie ; démonstration de l’intérêt de la
cartographie T2 ; description de « l’aspect laminaire » des
variations du signal du cartilage ; évaluation IRM de l’atteinte synoviale
et de ses corrélations arthroscopiques,
histologiques et avec les lésions chondrales.
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Ostéoporose
En dehors des aspects
thérapeutiques les travaux du service ont principalement concerné la
description des fractures par insuffisance osseuse, l’importance de l’IRM dans
leur identification, ainsi que l’évaluation des facteurs génétiques dans
le déterminisme de la masse osseuse.
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Thérapeutique
L’implication du service
dans de multiples protocoles multicentriques d’évaluation de nouveaux
traitements s’est beaucoup accrue au cours de ces dernières années. Elle
concerne principalement les «biothérapies » des rhumatismes inflammatoires
et elle a entraîné le développement d’outils d’évaluation sophistiqués
d’imagerie (IRM, échographie) ainsi que celui de scores clinico-radiologiques.
Une nouvelle approche thérapeutique originale pourrait être fournie par un
oligonucléotide anti-TNF-Alpha mis au point en collaboration avec l’UMR CNRS 7561
de Physiopathologie et Pharmacologie Articulaires et avec l’URA
CNRS 1430 (Pr. E. TAILLANDIER). Cet
oligonucléotide s’avère extrêmement puissant, in vitro, pour bloquer la
synthèse du TNF-Alpha. Il a fait l’objet d’un dépôt de brevet.
Ce « coup
d’œil dans le rétroviseur » ne saurait inspirer la nostalgie. La
qualité de l’équipe médicale rajeunie qui prendra prochainement la direction du
service, l’excellence des collaborations dont bénéficie la Rhumatologie,
assurent l’avenir. Le développement de nouvelles structures en réseau,
impliquant notamment nos confrères libéraux : Resos pour l’ostéoporose,
Arthrilor, en projet pour les rhumatismes inflammatoires, contribueront
aussi, sans doute, à une prise en charge de mieux en mieux adaptée de nos
malades. Il faut espérer, enfin, que l’instauration du Pôle de Spécialités
Médicales, regroupant les services de Rhumatologie, d’Endocrinologie (Pr.
WERHYA), de Nutrition (Pr. ZIEGLER) et de Médecine Interne (Pr. KAMINSKY)
aidera également à mieux accomplir la mission du service dans le souci constant
de l’innovation, de la qualité des soins, et d’une attention permanente aux
malades.