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PREVENTION DE LA TUBERCULOSE PAR L’AFFICHE A LA FIN DU XIXe SIECLE

 

Anne URVOY-BERTRAND

 

Il existe en ce moment une polémique sur l’intérêt de maintenir l’obligation du BCG chez les enfants. Il est vrai que la tuberculose est devenue une pathologie rare, en dehors de certaines catégories de population. Comment imaginer alors qu’il y a moins d’un siècle, cette maladie tuait “un Français toutes les dix minutes” (M. Perrin) ? A cette époque, on ne pouvait pas encore compter sur ce vaccin, créé en 1924 par Calmette et Guérin, mais qui mit une dizaine d’années avant de s’imposer réellement. L’arsenal antibiotique n’existait pas et les moyens de prévention et de traitement étaient faibles. Pourtant, un homme est parvenu à les regrouper et à les organiser tant et si bien que ses actions serviront d’exemple sur le plan national et international. Il s’agit du Professeur Jacques Parisot (1882-1967), ancien Doyen de la Faculté de Médecine de Nancy de 1949 à 1955 et – entre autres titres - Président du Conseil exécutif de l’Organisation Mondiale de la Santé à partir de 1951.

C’est dire la réussite de cet homme dont le cheval de bataille tenait en un mot : la prévention.

C’est en 1922 que Jacques Parisot crée l’Office d’Hygiène Sociale (OHS) de Meurthe-et- Moselle, un organisme privé regroupant au sein d’un “comité de collaboration” le plus grand

nombre de compétences (représentants des pouvoirs publics, de la faculté de médecine, syndicats de médecins, etc.) pour mener la lutte contre la tuberculose. Il s’appuie en ce sens sur les dispensaires qu’il développe à travers toute la Lorraine et dont la vocation première est le dépistage. Lorsqu’un cas de tuberculose est découvert, le malade, enfant ou adulte, est orienté selon la gravité de son état dans l’une des structures existantes : l’hôpital-sanatorium Villemin (qui avait d’abord servi à accueillir les blessés et contagieux de l’armée à l’initiative de Paul Spillmann), mais aussi le sanatorium de Lay Saint-Christophe (premier vrai sanatorium de Lorraine créé par ce même homme dès 1900), et un peu plus tard le préventorium de Flavigny. Il s’agit d’un ancien prieuré bénédictin que Jacques Parisot rachète pour l’OHS en 1925 afin d’y héberger les enfants malades. A noter aussi, dès 1928, le placement familial des tout-petits à Thorey-Lyautey, au coeur de la campagne, afin de les soustraire à la contagion.

Ces initiatives sont louables mais posent un problème majeur : l’éclatement de familles entières pendant de longs mois. La population le sait et hésite à se faire dépister. C’est pour cette raison que Jacques Parisot met en place, au sein de l’OHS, une commission de propagande avec tracts, affiches et petits films qu’on montre dans les écoles.

Même si l’affiche présentée ici n’est pas commanditée par l’OHS de Meurthe et Moselle, mais par le Comité National de Défense contre la Tuberculose, elle reflète bien l’état d’esprit de l’époque. Il faut convaincre les malades de se faire dépister, d’abord pour se soigner, mais aussi pour éviter la contamination de leur entourage. Cette affiche date de l’Entre-deux-guerres. Son auteur, le Belge Louis Raemaeckers, a surtout contribué en France à l’illustration de revues satiriques et antimilitaristes comme La Baïonnette ou Le Journal, où il collabora avec Poulbot et Guillaume Apollinaire pour certains écrits. Le dessin représente un jeune homme alité, le regard tourné vers une infirmière qui lui sourit. Le lit, placé devant une fenêtre ouverte, nous permet d’apercevoir un paysage de campagne. En dessous du dessin, le texte nous dit : “Ayez confiance! Le bon air et les bons soins vous rendront la santé”.

Au premier regard, il se dégage de cette affiche une sensation de paix, de sérénité. La couleur dominante est le blanc, celui de la pureté, de la vie et de la lumière. Elle rayonne à travers toute la pièce et inonde les visages. Cette notion d’ensoleillement (renforcée par les touches de jaune du champ de blé et des rideaux), tient donc un rôle important dans le dessin, de même que la notion d’air, symbolisée par la fenêtre ouverte. Ces deux éléments, le soleil et le “bon air”, qui prennent une part importante dans la lutte anti-tuberculeuse, contribuent donc à cette impression de sérénité.

Cette douceur nous est aussi apportée par les personnages eux-mêmes. Evoquons d’abord l’infirmière. Si beaucoup d’entre elles appartiennent au milieu religieux, toutes n’en sont pas forcément issues. En revanche, elles ont en commun cette tenue, sensiblement identique, qui apporte à l’affiche une dimension presque métaphysique. Le malade, détendu, allongé sous le regard bienveillant de sa protectrice, redevient alors ce petit enfant qu’on berce afin qu’il s’endorme paisiblement. Il peut alors remettre sa confiance en cette “madone” maternante qui le veille.

Cette impression est renforcée par le texte. Pour le fond, les mots “confiance”, “bon”, “air”, “soins” et “santé” ont une connotation positive. On pense, en observant l’affiche, à la définition de G. Duhamel : “L’état de santé est reconnaissable à ceci que le sujet ne songe pas à son corps”. Pour la forme, les caractères vont en diminuant de taille.

Si on lisait cette phrase à voix haute, on aurait tendance à baisser progressivement le ton, comme pour endormir quelqu’un, pour l’hypnotiser. Le texte est donc “mis en scène” pour en amplifier la force. Comme si le contenu risquait de ne pas suffire à convaincre du bien-fondé des sanatoriums et qu’il fallait user d’effets d’image, de forme… Doute-t-on de l’efficacité de la cure hygiéno-diététique ?

Nous sommes en pleine période de scepticisme vis-à-vis de ce type d’établissement. De nombreux témoignages affluent qui montrent la lente dégradation des patients dans la solitude et l’absence de soins réellement efficaces. Ceux-ci reposent en effet, au début de l’air sanatoriale tout au moins, sur la triade “suralimentation, repos et grand air”. La journée du tuberculeux est ainsi rythmée par six repas, séparés par des séances d’aérothérapie.

La cure d’air est attribuée sur prescription médicale, sous forme de “jours médicaux” de sept, dix ou douze heures. Le patient passe ainsi de longues heures alité, abrité du soleil direct dans une galerie, condamné à un repos strict puisque la lecture et la discussion y sont souvent interdites. Il est condamné à une vie en communauté au sein d’une claustration. A une époque où le téléphone est encore peu répandu, c’est par courrier qu’il se tient informé des évènements d’un monde dont il est tenu à distance. Et quand il parvient à retrouver les siens après une longue période d’isolement et d’inactivité, il n’est plus le même et son entourage le lui fait sentir. Son statut d’ancien tuberculeux, qui le poursuivra jusqu’à la fin de sa vie, le fait entrer dans une catégorie à part : celle des malades qui ont survécu au sanatorium.

Cet éclairage contextuel rend l’interprétation sensiblement différente. Cet homme allongé, veillé par la soignante qui lui parle doucement tout en lui montrant le ciel du doigt, ce peut être le mourant au regard perdu dans le vide. Il semble s’éteindre lentement, se libérant ainsi de ce corps pesant, ce corps aux os rongés par le mal de Pott, aux poumons diminués par l’infection.

Katherine Mansfield, dans son Journal (1920), témoignait de sa souffrance par ces mots : “Il me semble que toute ma poitrine bout. (…) Je crache. Je sens qu’il faut que mon coeur finisse par se briser. Et je ne peux pas dilater ma poitrine ; on dirait qu’elle s’est affaissée. Ma vie se limite à ceci : respirer une fois de plus…”. Quand le malade a perdu tout espoir de guérir, de “respirer la santé”, c’est souvent la mort qu’il attend, sans crainte. C’est elle qui lui permettra de ne plus ressentir ce corps douloureux, c’est elle qui le délivrera de cette souffrance.