Pierre
Jeandidier, médecin-dermatologue, esthète et poète
Jacques VADOT
Sans doute sont maintenant assez rares ceux qui l’ont connu.
J’ai eu la chance de côtoyer Pierre Jeandidier un certain temps au Service de
Dermatologie du Professeur Jean Beurey, à l’Hôpital
Fournier, 36 quai de la Bataille à Nancy. Pierre Jeandidier nait à Longwy
(Meurthe et Moselle) le 13 juillet 1911, alors que l’Alsace et une partie de la
Moselle sont encore sous le joug prussien depuis la défaite de 1870. Il fait
ses études médicales à Nancy et passe sa thèse en 1936. Il s’intéresse à la
dermatologie. A cette époque le « Service » est dirigé par le
Professeur Jules Watrin (1887-1955) qui a succédé au
Professeur Louis Spillmann (1875-1940). Le Docteur
Jacques Weis, après avoir été son « Chef de
Clinique », ouvrira un Cabinet de Dermatologie, rue Kléber à Nancy. Pierre
Jeandidier lui succède à ce poste en 1939. Mais très rapidement il doit inter- rompre
ses fonctions en raison de la guerre. Mobilisé puis fait prisonnier, il bénéficiera
d’une « libé- ration anticipée » en 1942 et pourra reprendre ses
fonctions en Dermatologie à « Fournier » jusqu‘en 1946 où lui
succèdera le Docteur Maurice Ribon. A cette époque la
« spécialité de dermatologie » n’existait pas encore. Elle ne sera créée
qu’en 1954 et Jean-Marie Mougeolle sera le premier
lorrain à se présenter à cet examen. Jusqu’alors les maladies de la peau,
décrites et répertoriées depuis des siècles, étaient prises en charge par des
« Généralistes » qui étaient aussi confrontés aux « maladies
vénériennes » dont la plus connue, la syphilis, faisaient des ravages dans
le monde entier.
L’enseignement
de ces affections cutanées et vénériennes était assuré par des
« praticiens hospitaliers » dans divers services répartis dans les
grands hôpitaux français. A Paris, l’Hôpital Saint-Louis, édifié en 1607, à la
demande d’Henri IV en raison des épidémies de peste qui sévissaient à cette
époque, a été considéré comme le plus célèbre et le plus ancien de France. A
Nancy c’est à la « Maison de Secours », rue des Quatre Eglises, que
l’on rencontrera le premier service de dermatologie (1804). Il sera
principalement et successivement dirigé pat les Professeurs Alphonse Hergott, Paul Spillmann, Alexis
Vautrin et Louis Spillmann. Dès 1914 le service des
maladies de la peau et vénériennes est transféré à « Maringer »
dans des locaux aménagés dans l’ancienne Institution du Sacré-Cœur, quai de la
Bataille
En
1925 est édifié le « Dispensaire Fournier », dont l’appellation a été
donnée en hommage à Alfred Fournier (1832-1914) grand dermatologue, qui
s’intéressa particulièrement aux atteintes neurologiques de la syphilis
Avec Jacques Weis et Maurice Ribon, le Docteur Pierre Jeandidier faisait partie des
derniers spécialistes ayant pu exercer la « dermatologie » sans avoir
à passer le nouveau diplôme. Il s’installa au 125 rue Saint-Dizier, où nombreux
furent les patients qui vinrent le consulter. En 1955, le Professeur Jules Watrin, après une carrière appréciée de tous ses collègues
français et étrangers, décède d’une longue maladie, à la fin de laquelle il a
soutenu la candidature du successeur qu’il avait choisi, le docteur Jean Beurey. Celui-ci devient, à 35 ans, le plus jeune
« agrégé » de France. Localement il a du mal à s’implanter et sa
« chaire », un moment supprimée, ne lui fut rendue qu’en 1961.
Afin de développer l’activité de son service et en
particulier les consultations, le Professeur Beurey
fait appel au Docteur Pierre Jeandidier comme « médecin-consultant ».
Le Docteur Jean-Marie Mougeolle, alors « Chef de
Clinique » qui lui avait succédé fut ensuite remplacé à ce poste par le
Docteur Roland Rousselot. Ce dernier partit s’installer à Chalons sur Marne, et
cette fonction me fut confiée en 1962 et plus tard je devins « Médecin-Consultant »,
créant la section de « Photo-dermatologie ». Le Docteur Mougeolle m’avait devancé dans ce type de fonction. Il
reprendra en la développant considérablement la « section allergologique » initiée par Roland Rousselot.
Plusieurs confrères, femmes ou hommes, renforcèrent une équipe qui put se
développer et accueillir les futurs spécialistes qui essaimèrent ensuite en
Lorraine ou ailleurs. Parmi ces « Médecins- attachés » citons en
particulier Pierrette Cherrier, Gisèle Wolfowicz, Madeleine Weber, Françoise Nicolas, Elisabeth Laveine, Claire Parisot. Depuis
nombreux sont ceux qui ont exercé cette fonction, souvent après un
« clinicat ». Dès mon arrivée en dermatologie, pour mon premier stage
d’externe en 1957, s’étaient créés des liens amicaux et respectueux avec le
Professeur Jean Beurey et les Docteurs Pierre Jeandidier et Jean-Marie Mougeolle.
Ils ne se démentirent pas par la suite. Pierre Jeandidier était un homme grand
et sérieux, portant un « collier » de barbe ». Il impressionnait
ceux qui le côtoyaient. D’allure plus jeune, Jean Beurey
portait lui aussi le « collier » et plusieurs patients, qui le
consultaient, disaient avoir déjà « vu son père », ce qui ne manquait
pas d’amuser le service…
Dr Jeandidier et
avec le Pr Beurey
Photo Collection Dermatologie-
Hôpital Fournier
Ayant beaucoup souffert du froid pendant les années où il
fut prisonnier, Pierre Jeandidier s’était promis de ne plus porter de manteau
pendant les frimas de l’hiver, ne se déplaçant qu’en veste ! Cependant, comme
il ne conduisait pas, il acceptait volontiers d’être reconduit en voiture
jusqu’à la Rue Saint-Dizier, ce qui permettait des échanges fructueux et
toujours intéressant. En 1991, le Professeur Jean Beurey
est remplacé par son « agrégé » le Professeur Max Weber qui prit sa
retraite en 1997 (disparu prématurément en 2001). Lui succède alors le
Professeur Jean-Luc Schmutz qui, en 2018, confia la
responsabilité du Service à Anne-Claire Bursztejn.
Revenons à Pierre Jeandidier qui était un homme de culture.
Laissons la parole à Jean-Marie Mougeolle (1926-2021)
« Pierre Jeandidier
était un érudit, un littéraire, amateur éclairé de musique de chambre, mais
attentif à toutes les expressions musicales y compris le jazz, possesseur de
nombreux tableaux anciens ou contemporains, amis de nombreux artistes de son
époque qu’il se faisait un plaisir de faire connaître à ses invités lors des
amicales réceptions données à son domicile rue Saint-Dizier. Pierre Jeandidier
rédigeait ses publications dans un français remarquable et se faisait plaisir
en écrivant des articles pour des sociétés savantes : « Esquisses pour un
amateur d’art » en 1964, ou des recueils de poèmes qu’il faisait publier : « Poèmes de rencontres » (1984) où l’on
trouve, entre autres, le malicieux « Vergissmeinnicht
» (Pense bête) dédié à Jean Beurey ; d’autres à
la Dermatologie, à la Vénéréologie, à la Médecine, parmi tous ceux dédiés à ses
amis ou à ses propres centres d’intérêt. »
Parmi les nombreux poèmes relus,
j’ai sélectionné ceux qui étaient en rapport avec la Dermatologie (1984), les suivants (1989) étant davantage philosophiques…
POEMES
DE RENCONTRE (1984)
Le temps est un songe
Rien
n’est plus incertain
Que
l’avenir
Fil
qui casse ou s’étire
Aux
hasards des destins …
Petite suite à la Genèse
Puis
il y eut un soir, il y eut un matin,
Et ce
fut l’énième jour
Or, ayant pratiqué le précepte
divin
« Croissez, multipliez », l’humanité
pullule,
Par
son excès réduite à maudire l’amour.
Et
Dieu concéda la pilule.
Vergissmeinnicht
- A Jean Beurey
(*)
Le
pense-bête est-il un bien ?
A
lui faut-il qu’on se remette
Du
soin de tout, du soin de rien ?
Ou
bien – alternative honnête –
Le
pense-bête est-il un mal,
Où
l’étourdi laisse sa tête ?
Des
deux avis le plus moral
Me
soit prouvé par exégète
Car
je ne sais choisir le mien.
Est-ce
donc que je pense mal ?
Est-ce
donc que je pense bête ?
(*) Jean Beurey
mettait dans une poche pectorale de sa blouse de multiples petites notes
manuscrites
La Dermatologie
Election présidentielle
Au
plébiscite
Tient
de Giscard tout le destin :
Les
snobs l’imitent, Giscard déteint,
Ses
voix le quittent, Giscard s’éteint.
Valéry Giscard d’Estaing
décèdera en décembre 2020
Vénéréologie
Si
fines que soient ses attaches,
De
l’ensorcelante Vénus,
On ne
peut trop se défier
De
l’encolure aux cous-de-pieds,
Et si
douce sa peau sans tache,
Et des
maux que sa beauté cache :
Sont-ils pas assez mal venus,
Ses
redoutables coups de pied,
Pour
que les osent dire en vache,
Les
ayants chèrement payés ….
Prélude à l’apocalypse
Par un
excès d’orgueil, l’homme étouffe son âme,
Des
cultes n’observant que celui de soi-même :
Aveuglé
de puissance, il côtoie des abimes,
Et
l’empire qu’il prend sur l’espace et l’atome
Fera
qu’en un brasier le monde se consume –
Sa
folie allumant l’ultime cataclysme.
ACCORDS
ET DISSONANCES (1989)
Mauvais lieu
Eros
hait la vénéréologie
Et,
rosse, est là, qui l’attend au logis.
Crémation
Après
ma mort, plutôt qu’à pourrir condescendre
Et
risquer d’être en plus par la loi déterré,
J’entends,
pour mon confort, me faire incinérer,
De la sorte assurant mieux la paix à mes cendres.
L’Etre
ou le Néant
De cette alternative-là,
Un seul état doit être élu
Pour tout ce qui vit ici-bas : Naitre ou n’être pas,
Mais pour peu que l’on ait vécu, Etre ou n’être plus.
Avec
le Professeur Jean Beurey Pierre Jeandidier
rédigea un ouvrage sur la « Maladie de Bowen ou Erythroplasie »,
paru en 1980 et dont l’intérêt fut souligné dans la préface du Professeur
Bernard Duperrat (1908-1982) Médecin de l’Hôpital
Saint-Louis.
Maladie de Bowen
- Photo J.Vadot
Le Docteur Jeandidier faisait encore partie de cette
génération où la médecine s’alliait à une grande culture générale, que l’on
appelait aussi celle des « humanistes ». L’évolution des mentalités et l’arrivée des « concours »
nationaux (et stressants) mirent un terme relatif à cette période, chacun
devant, pour réussir, réunir de nombreuses publications de valeur
internationale, dont la prose, plus savante, ne méritait plus d’être rédigée en
vers.
Bibliographie
- Deux siècles de Dermatologie à Nancy – 2014
– A.M.F.M.N.
- Jacques Vadot –
avec la collaboration de Jean-Marie Mougeolle et
Jean-Luc Schmutz
- Quelques souvenirs de l’Hôpital Alfred
Fournier de 1949 à 1991, in « Deux siècles » - p. 95-100 - Jean-Marie
Mougeolle