UNE HISTOIRE DE L'HUMANITAIRE
Anne-Marie WORMS
C’est
une « histoire de la médecine humanitaire » qui m’était proposée ; mais, dans
ce domaine de l’Humanitaire, la médecine est très intriquée aux autres
thématiques, telles que l’aide alimentaire. Je n’ai pas su ou voulu en scinder
l’histoire ; mais je mettrai l’accent sur la médecine humanitaire. Quelques
jalons, dans une histoire vaste et complexe.
Racines
et Prémices
Racines religieuses
Elles plongent dans l’histoire de l’humanité et des religions, dans
l’histoire du don, du partage, de la compassion. Qu’il s’agisse des préceptes
de la Torah, du Zakat dans la religion musulmane, de traditions hindouistes et
bouddhistes, et autres.
Dans la tradition chrétienne, on trouve, dans les Evangiles et les épîtres
de l’apôtre Paul, de nombreuses références au principe de charité. De grandes
figures chrétiennes vont illustrer ce souci du « prochain » tel que St Vincent
de Paul. De grands ordres militaires humanitaires font leur apparition dans
toute l’Europe, tel l’Ordre de St Jean de Jérusalem.
Mais, plus précisément, des penseurs et
théologiens chrétiens vont s’interroger sur la guerre et le sort des victimes :
c’est le cas de St Augustin, de St Thomas d’Aquin. Le dominicain espagnol
Francisco de Vitoria (né vers 1480) élabore des normes juridiques pour le temps
de guerre. Le jésuite Francisco Suarez (né en 1548) invente la distinction
entre combattants et non-combattants ; il proclame que la communauté des
Nations est liée par la solidarité.
Droit
de la guerre
Des règles existent, dans toutes les civilisations, pour limiter la
violence de la guerre. Il s’agit souvent de règles coutumières, ou de
codes.
A partir du 17ème siècle, on note une sécularisation
progressive de l’assistance. Le juriste hollandais Grotius publie en 1625 « De jure belli », premier
ouvrage de droit international, mettant à part les non combattants, qui doivent
être épargnés en toutes circonstances.
Des chefs militaires signent des « cartels » ou
« capitulations » qui encadrent la violence armée. Les armées
napoléoniennes ont un service de santé qui reste ponctuel et insuffisant.
Racines
philosophiques et philanthropiques
Les philosophes des Lumières (Voltaire, Rousseau, Diderot…) vont s’attacher à redéfinir la notion
d’amour en dehors de toute référence religieuse. Ils substituent la
philanthropie à la notion de charité. La réforme insiste sur une vision plus
individualiste des convictions et sur l’indépendance morale du combattant.
La
Révolution française voit l’effondrement du système caritatif
La figure de Larrey, chirurgien des armées napoléoniennes,
émerge de cette sombre période.
D’autres
évènements vont avoir une influence décisive sur l’avènement de l’humanitaire
La liberté d’association aux Etats-Unis entraîne l’émergence d’engagements innombrables.
L’abolition de l’esclavage est votée par le parlement britannique en 1833 ; en France, le décret
d’abolition est signé en 1848.
La guerre de Crimée
oppose Britanniques et Français à l’Empire russe de 1854 à 1856. Suite à une
campagne de presse menée par le Times, à des opérations de plaidoyer et
de lobbying, on voit pour la première fois, sur le terrain, une collaboration
entre les autorités britanniques et les infirmières bénévoles, conduites par la
figure emblématique de Florence Nightingale.
Henri
Dunant et la naissance de la Croix-Rouge
Henri Dunant (1828-1910)
est né à Genève dans une famille protestante calviniste. C’est un homme
profondément religieux, qui met en œuvre ses convictions : il fonde dans sa
jeunesse un groupe de réflexion consacré à l’étude de la Bible et des questions
religieuses, puis, à 24 ans, l’association « Union chrétienne de Jeunes Gens »
qui deviendra la branche genevoise de « Young Men’s
Christian Association » (YMCA). Déjà, il diffuse ses idées.
Il entre à 25 ans dans la Compagnie genevoise qui obtient en Algérie
coloniale une concession de 20.000 hectares. Suite à des difficultés locales,
Henri Dunant décide de demander l’arbitrage de Napoléon III. Napoléon est à la
tête des armées françaises venues appuyer leur allié le Piémont contre leur
ennemi commun, l’Autriche. Henri Dunant part pour Castiglione, où il ne
rencontrera pas l’empereur ; mais il se trouvera au beau milieu du champ de
bataille de Solférino, le 24 juin
1859. Le nombre des morts et des blessés atteint 40 à 50.000.
Henri Dunant est bouleversé par le spectacle des agonisants et des blessés
abandonnés presque sans soins. Il improvise avec l’aide d’habitants voisins,
des femmes surtout, un sommaire service de secours pour soigner indistinctement
les victimes des deux camps.
De retour à Genève, Dunant écrit et diffuse « Un souvenir de Solférino » qui va rencontrer un succès énorme. Il
présente ses idées à la Société genevoise d’utilité publique présidée par Gustave
Moynier, qui les accepte et constitue un Comité des cinq. Celui-ci se
transforme en Comité international de secours aux blessés, embryon du futur
Comité international de la Croix-Rouge (CICR, 1975). Avec l’aide du
gouvernement suisse va se réunir une Conférence internationale : 16 Etats
approuveront, le 22 août 1864, la première « Convention pour l’amélioration du
sort des militaires blessés dans les armées en campagne ». Ainsi sont
tracés les principes essentiels d’un nouveau droit international des conflits.
D’autres dispositifs contribueront à édifier le droit international, notamment
les 4 conventions de Genève du 12.08.1949.
Cinq avancées fondamentales marquent la pensée d’Henri Dunant, qu’il fait reconnaître au niveau
international : soin indistinct des victimes des 2 camps ; neutralité des
sauveteurs ; recherche d’un soutien des sociétés civiles par des moyens de
communication de masse (déjà !) ; constitution de sociétés de secours
immédiatement disponibles en cas de conflit ; vision internationaliste et
universelle.
Un mouvement transnational s’édifie : sociétés nationales de secours aux blessés, une seule structure
par pays selon le CICR, ce qui ne va pas sans difficultés. En France, c’est en
1940 que le gouvernement de Vichy impose la fusion des sociétés existantes en
une unique Croix-Rouge Française. L’emblème commun, c’est le brassard ou le
logo blanc avec une croix rouge. S’ajouteront, par la suite, le Croissant Rouge
puis le Cristal Rouge. La croix a été critiquée comme un symbole chrétien. Plus
tard, surgiront des critiques à l’égard du logo de Médecins du Monde, dont la
colombe ressemble à une croix.
La ligue des Sociétés de Croix-Rouge (Paris, 1919) se transforme en Fédération
internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) et
siège à Genève (1991).
La naissance de la Croix-Rouge ne va pas sans susciter des débats.
Cautionne-t-on la guerre ? ou bien la
prolonge-t-on, en voulant l’humaniser ? Ne vaut-il pas mieux se joindre à ceux
qui la combattent ? Le mouvement pacifiste est puissant.
Henri Dunant, par réalisme, accepte la guerre. Il
s’élèvera pourtant contre elle, disant que la guerre « tue l’âme. Elle abaisse,
elle corrompt, elle fléchit, elle dégrade ».
Henri Dunant poursuit sa carrière d’homme
d’affaires : mais les sociétés qu’il préside sont mises en
liquidation. Il est alors exclu, rejeté et mène une vie d’errance. C’est
Gustave Moynier, dont la personnalité s’est opposée dès le début à celle
d’Henri Dunant, qui présidera le CICR de 1864 à 1910.
Henri Dunant sera « retrouvé » en 1895 par un journaliste, Georg Baumberger, qui permettra sa réhabilitation ; il recevra le
1er prix Nobel de la Paix en 1901.
Durant
la guerre de 1914-1918, la Croix-Rouge se montre remarquablement efficace
Elle crée une Agence centrale des prisonniers de guerre, une Agence
centrale de recherche, permet la signature par l’Allemagne et la France de
l’Accord de Berne sur le rapatriement mutuel de certains de leurs prisonniers
militaires et civils. L’orientation des actions se fait prioritairement vers
l’amélioration des conditions de vie des prisonniers.
Lors de la guerre de 1939-1945, la Croix-Rouge, malgré des efforts considérables en faveur
des prisonniers de guerre, fera preuve d’inadaptation et de décalage,
dans ses principes, face aux atrocités du nazisme, au génocide juif et à
l’extermination des tsiganes.
Une crise morale et identitaire, doublée d’une crise financière, marque la
fin de la guerre.
Emergence
des ONG et des Organisations internationales
Au décours de la guerre de 1914-18 surviennent blocus, famines, guerres civiles, premiers
afflux de réfugiés et premières atrocités de masse. Des associations non
gouvernementales naissent alors, pour apporter leur secours mais aussi
pour contester la politique des Etats. La plus connue d’entre elles est « Save
The Children Fund » (SCF),
organisation qui est toujours l’une des ONG humanitaires transnationales les
plus actives.
Ce sont aussi les débuts de la Société des Nations (SDN),
qui jette les bases d’une agence interétatique de prise en charge des réfugiés
en désignant un Haut-Commissaire aux réfugiés russes, le Norvégien Nansen. Par
ailleurs, la SDN tisse des relations avec plus de 400 associations travaillant
en faveur des réfugiés, des femmes et des enfants, des minorités, ainsi que
dans la lutte pour la paix.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale et des années qui suivent, les besoins sont immenses : de nombreuses
associations privées d’assistance voient le jour, dont nous citerons les
principales : Cooperative for American Remittancies in Europe (1945) qui deviendra Cooperative for
Assistance and Relief Everywhere (CARE, 1945)
; Oxford Committee for Famine Relief (OXFAM,
1942) ; le Comité Catholique contre la faim dans le monde (CCFD, 1965) ;
Frères des Hommes (1965). On voit apparaître le terme d’Organisations
Non Gouvernementales (ONG). L’accent est mis particulière- ment sur le
développement, notamment des pays récemment émancipés. Déjà se dessine une
opposition entre les principes humanitaires et les décisions
politico-militaires.
Les Alliés fondent « United Nations Relief and Rehabilitation Administration » (UNRAA), qui apporte
des secours massifs aux victimes civiles et dans les camps de personnes
déplacées et réfugiées.
La SDN de son
côté, puis l’ONU à
partir de 1945, développent leurs actions et créent en particulier le Haut-Commissariat
pour les Réfugiés (HCR), le Fonds international de secours à l’enfance (UNICEF),
l’United Nations Relief and Works Agency (UNRWA) qui prend en charge les
réfugiés palestiniens.
Il ne faut pas omettre de signaler l’apport humanitaire de la médecine
coloniale, ainsi que de la médecine missionnaire. Albert Schweitzer
(1875-1965), illustre cette double filiation. La richesse de sa personnalité,
la base éthique de son action, l’attention portée aux cultures locales méritent
le respect.
La
Guerre du Biafra et le Sans-Frontiérisme
En 1968, le Biafra,
province riche du Nigeria, entre en sécession. Les rivalités ethniques et
religieuses, les violences, l’ingérence étrangère massive autour des intérêts
antagonistes des Etats et de la richesse du sous-sol en matières premières, en
font une crise complexe et grave. La répression est féroce, avec blocus et
famine extrême.
La France soutient la Croix-Rouge, on sait qu’elle a aussi livré des armes
aux insurgés. De jeunes médecins français engagés aux côtés de la Croix-Rouge,
notamment Bernard Kouchner et Xavier Emmanuelli, se révoltent devant la
détresse des insurgés et le détournement de l’aide alimentaire.
A leur retour en France, ils vont enfreindre le principe de neutralité de
la Croix-Rouge et dénoncer publiquement ce qu’ils ont vu. Le couple «
media-humanitaire » est né. Un appel est fait au poids de l’opinion
publique, poids qui va s’alourdir à l’ère de l’audio-visuel.
Ainsi émerge un nouveau type d’ONG, « qui affirmera publiquement que le
geste de solidarité ne doit être limité ni même empêché par les frontières
internationales, les raisons d’Etat ou des impératifs diplomatico-stratégiques
» (P. Ryfman). L’ONG
Médecins sans frontières (MSF) est créée en 1971, Bernard Kouchner en
est l’un des 12 fondateurs. Les médecins sont jeunes et enthousiastes. L’accent
est mis sur la médecine d’urgence, qui bénéficie des progrès de la réanimation.
Durant quelques années, l’éclosion de multiples conflits (Afrique australe,
Iran, Afghanistan, Cambodge, Nicaragua…) voit l’arrivée des « French Doctors » ; ils sont partout.
Inspirées du « Sans-Frontiérisme », de nombreuses associations humanitaires
voient le jour à cette époque : Solidarités, Action contre la faim (ACF),
Aide Médicale Internationale (AMI), Handicap International (HI),
Pharmaciens Sans Frontières (PSF). L’ONG Médecins du Monde (MDM)
naît d’une scission avec MSF en 1980 (voir plus loin).
La
Croix-Rouge se repositionne
Des voix se sont élevées pour condamner l’immobilisme de la Croix-Rouge et
les lacunes de son attitude durant la Seconde Guerre mondiale, face aux crimes
de guerre et aux crimes contre l’humanité. En outre, les finances du CICR sont,
à la fin de la guerre, dans un état catastrophique.
Des efforts vont être faits d’abord sur le plan du
droit : à l’initiative du
gouvernement fédéral suisse et à la demande de la Croix-Rouge internationale
une conférence internationale se réunit à Genève en 1949. 63 états adoptent 4
conventions internationales, relatives au sort des blessés, à la protection des
civils en temps de guerre, au traitement des prisonniers. Ce sont les traités
de droit international les plus ratifiés au monde. Ils ouvrent la voie aux
poursuites engagées devant les tribunaux internationaux. D’autres textes
viendront encore réglementer les conflits armés.
Sous la présidence de Sommaruga (de 1987 à
1999) vont être repensés la professionnalisation des équipes, la politique de
gestion, la communication et même le témoignage dans certaines circonstances.
L’orientation des actions de la Croix-Rouge se fait surtout vers les
post-crises et les catastrophes naturelles.
Multiplication
des agences de l’ONU
On assiste à la même époque à la multiplication des agences des Nations
Unies. Vont être créés : le Programme Alimentaire Mondial (PAM), le
Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation Internationale des Migrations
(OIM), l’ONUSIDA, puis, le Département des Affaires Humanitaires
(DAH) qui deviendra OCHA.
Nous verrons que l’ONU va prendre encore plus de place dans le paysage
humanitaire.
Années
90 : les pièges de l’humanitaire
Après l’explosion du Sans-Frontiérisme, des incertitudes surgissent
dans les années 90 :
Nourrir les victimes ou nourrir la guerre ? Comme au Pakistan, au Rwanda, en Thaïlande,
l’acheminement des secours risque de prolonger la guerre. On retrouve ici
certains débats qui accompagnèrent les débuts de la Croix-Rouge.
Détournement de la manne humanitaire par les
belligérants ?
Alibi humanitaire ? Ce
fut le cas lors de la guerre de Bosnie où l’humanitaire fut un moyen
d’intervention et un prétexte de non-intervention ; ce fut le cas aussi lors de
la famine éthiopienne en 1984-85.
Le développement de l’humanitaire des Etats et du « militaro-humanitaire » crée la
confusion et brouille l’image de l’action humanitaire qui peut être perçue
comme une machine de guerre occidentale par les populations locales.
Droit
et devoir d’ingérence
Le droit d’ingérence est le droit d’un Etat de violer la souveraineté nationale d’un autre Etat
en cas de violation massive des droits de la personne. Le devoir d’ingérence en
fait, pour un Etat, une obligation morale. C’est une notion ancienne, que l’on
trouve déjà chez Grotius, en 1625, dans son « De jure belli ». L’idée germe, en
1986 et 1987, qu’il faut réformer le droit international, et y introduire le
droit d’ingérence : Mario Bettati et Bernard
Kouchner en 1988 s’en font les ardents promoteurs. Le gouvernement français
accepte ce concept.
Que dit le droit international ? Les principes fondamentaux de souveraineté des Etats et
de non- ingérence sont contenus dans le traité de Westphalie (1648) et dans
la charte de l’ONU (1945) qui énonce toutefois une restriction en cas de
menace contre la paix. Deux votes de l’Assemblée Générale de l’ONU vont
encadrer le recours au Droit d’ingérence : la résolution 43/131 du 8
décembre 1988 institue une « assistance humanitaire aux victimes de
catastrophes naturelles et de situations d’urgence du même ordre » ; la
résolution 45/100 du 14 décembre 1990 prévoit la mise en place de
« couloirs humanitaires ». Le Conseil de Sécurité prend au cours des
années suivantes, au cours de conflits, des résolutions qui vont dans le même
sens.
Les détracteurs du droit d’ingérence craignent que, sous des prétextes
humanitaires, il ne justifie des formes d’ingérence impériale, notamment envers
les pays les plus faibles. Malgré réserves et oppositions, il s’est créé un
certain consensus au sein de l’ONU pour inscrire dans son mandat les conditions
d’intervention en cas de violences massives, imminentes ou répétées contre la
personne. (à suivre)
XXIème siècle
Ici et là-bas, les
besoins restent immenses.
Là-bas
Catastrophes naturelles et désastres climatiques, conflits armés atomisés
et terrorisme, pauvreté, famines,
absence d’accès à l’eau, paludisme, sida… ravagent bien des contrées.
L’insécurité rend les secours souvent très difficiles.
Des exemples de crises et de catastrophes permettent d’illustrer quelques
problèmes auxquels la médecine humanitaire est confrontée.
Le tsunami, 26 décembre 2004, a déclenché une
onde de choc planétaire, par l’ampleur de la catastrophe et
l’hypermédiatisation qui s’en est suivie. Les problèmes de coordination sur le
terrain, l’afflux des dons et les controverses sur leur réaffectation, ont mis
en lumière la difficile concertation entre toutes les ONG.
Le Darfour : depuis 2002, ce sont 2 millions
de déplacés à l’intérieur du territoire, 300.000 réfugiés, 13.000 travailleurs
humanitaires nationaux et internationaux. Complexité politique, atomisation des
groupes rebelles, conflits internationaux d’intérêt, généralisation de
l’insécurité, rendent très difficile et périlleux l’accès aux populations.
L’affaire de l’Arche de Zoé, en octobre 2007, a témoigné d’un incroyable déni du droit soudanais et du
droit international. Mensonge, amateurisme, arrogance occidentale
qualifient cette opération affligeante, même s’il y eut à l’origine un réel
élan compassionnel.
Lors du cyclone Nargis,
en Birmanie, le 2 mai 2008, la France demanda une résolution qui impose au
gouvernement birman l’entrée de l’aide internationale. L’accord du Conseil de
Sécurité des Nations Unies était nécessaire : mais 5 pays refusèrent que la
question y soit abordée. Certaines ONG soutenaient le gouvernement français,
d’autres voulaient aller en Birmanie avec Total… c’était la confusion.
Aux
besoins immenses, aux problèmes qui surgissent, quelles réponses ?
Les militaires
Le concept de « militaro-humanitaire » entretient une confusion sur le
terrain : les ONG accompagnent, sont prises en otage et complices des
militaires, rejetées par les populations, en proie à l’insécurité.
Les Nations-Unies
Progressivement, les Nations-Unies vont développer des opérations de
maintien ou de rétablissement de la paix en y associant un volet humanitaire.
Le bilan est impressionnant, avec toutefois aussi des échecs, comme au Rwanda.
« Les Objectifs du millénaire pour le développement », signés par les Etats
membres de l’ONU en 2000 comportent notamment plusieurs articles qui ont
directement rapport avec la santé.
Mais les objectifs vont plus loin. Va-t-on vers une gouvernance mondiale
de l’humanitaire ?
Un processus de réorganisation, qui concerne les
agences humanitaires de l’ONU mais qui implique aussi les acteurs non
gouvernementaux, est enclenché depuis 2005. Il comporte : une reconfiguration
par secteurs clés ou clusters, une réorganisation du financement avec
pour objectif une structure financière unique.
Face aux réticences qui se font jour, l’ONU
organise un partenariat avec ONG et CICR, dans le cadre d’un Dispositif
mondial de l’aide humanitaire. Le débat n’est pas clos.
Les Etats
Peut-on parler d’un humanitaire d’Etat ? Comme l’explique
François Rubio, il existe depuis longtemps. Mais, «
…aujourd’hui, l’action humanitaire des Etats ou des organisations
internationales est devenue un « système » de gouvernance et… le terme
humanitaire est censé recouvrir d’un voile pudique la lâcheté ou l’agression
selon les cas ». Lors de la guerre du Kosovo, les responsables de l’OTAN
qualifient leur guerre « d’intervention humanitaire complexe » : exemple de confusion…
qui génère une perte de repères sur le terrain.
L’Europe
En décembre 2007, un « Consensus européen sur l’aide humanitaire » a
été adopté par la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil
européen.
Il pose un rappel clair des principes humanitaires
(humanité, neutralité, impartialité, indépendance), reconnaît le rôle clé des
ONG, met l’accent sur certains points : qualité de l’aide d’urgence,
renforcement de la cohérence et de la coordination, souci de relier l’aide
d’urgence à la reconstruction. L’efficacité de l’action humanitaire de l’Union
européenne s’en trouve renforcée.
Mais, pour certains commentateurs, l’indépendance
des ONG vis-à-vis du pouvoir politique n’est pas suffisamment affirmée dans ce
texte.
L’Union européenne, avec ECHO, est l’un des plus importants
bailleurs de fonds publics internationaux.
Les ONG
Les ONG revendiquent haut et fort leur indépendance
vis-à-vis des pouvoirs politiques et militaires. Certaines revendiquent un
authentique contre-pouvoir.
Néanmoins, les financements indispensables des actions, souvent lourds,
obtenus auprès des grands bailleurs publics nationaux ou internationaux, posent
le problème de l’indépendance réelle des ONG. Les donateurs privés ne suffisent
pas à financer les actions.
Les termes de « désoccidentalisation », de « planétarisation », traduisent la remise
en question par les ONG du concept même d’aide humanitaire : « il faut
accepter qu’elle ne soit plus l’apanage d’un seul monde, l’Occident… chercher
sur d’autres continents d’autres acteurs de la solidarité internationale : ceux
du XXIème siècle » (P. Micheletti).
L’accès aux populations, la sécurité sont à ce prix.
Les ONG ont un rôle de témoignage, d’alerte, cette mission de
témoignage et de plaidoyer varie néanmoins d’une ONG à l’autre. Elle est
centrale pour Médecins du Monde.
Face aux défis internationaux, la
professionnalisation des ONG s’est accrue. Sur le terrain, elles ont en outre
acquis des compétences diplomatiques.
Ici
Dans les pays développés, on voit monter la
pauvreté. Elle touche non seulement chômeurs, marginaux, SDF, sans-papiers,
mais aussi des travailleurs pauvres. Les Roms,
pourtant citoyens européens, les migrants sont dans une situation très
précaire.
Malgré des progrès dans la législation – en
France, la CMU, Couverture Médicale Universelle ; l’ouverture des PASS,
Permanences d’Accès aux Soins de Santé – l’accès de tous aux soins de
santé reste une utopie.
En France, Médecins du Monde œuvre pour la santé
des personnes en situation de précarité. D’autres organisations, dont les
actions diverses ne sont pas toutes ciblées sur la santé, y contribuent aussi :
la Croix-Rouge, l’Ordre de Malte, l’Armée du Salut, ATD quart-Monde, Pharmaciens
sans frontières… et d’autres très nombreuses. Je présenterai ici brièvement
Médecins du Monde, où je suis engagée depuis plusieurs années.
Médecins du Monde (MDM)
Cette association de solidarité internationale, ONG régie par la loi de
1901, a été créée en 1980 par Bernard Kouchner et ses amis : ils se sont
séparés de Médecins sans Frontières, après leur sauvetage des « Boat
people » en Mer de Chine, que refusait MSF.
Deux termes forts résument les missions de MDM : soigner, témoigner.
Les actions internationales sont les plus connues.
Un réseau international contribue aux actions de Médecins du Monde France.
Je m’en tiendrai ici aux actions en France, objet
de la Mission France, créée en 1986. Elle a mis en place des centres de
soins, fixes ou mobiles, où les gens en grande précarité peuvent accéder à un
accueil, une écoute, des soins adaptés, en même temps qu’une consultation
sociale pour les orienter, éventuellement, vers les structures de droit commun.
Le respect, le dialogue sont essentiels.
La Mission France en 2008, ce sont 33.339
consultations médicales, 5190 consultations dentaires, 24.685 patients reçus,
107 programmes dans 29 villes, plus de 2000 bénévoles, 21 Centres d’Accueil de
Soins et d’Orientation (CASO), 85 missions mobiles dans 25 villes.
MDM témoigne grâce à un Observatoire de l’accès aux
soins de la Mission France.
Une Mission France existe à Metz depuis 1987, à Nancy depuis 1988. Ces deux
centres font partie de la Délégation Lorraine de MDM.
A Nancy, le CASO assure des consultations médico-sociales
trois fois par semaine. L’activité du CASO a régulièrement augmenté pour
atteindre 1902 consultations en 1998. Elle a fortement diminué avec l’entrée en
vigueur de la CMU et l’ouverture de la PASS. Son augmentation depuis 2004 (963
en 2008), témoigne du nombre accru de patients privés de l’accès aux soins,
français (30,6%), étrangers (69,4%), jeunes en majorité (14% de 0 à 19 ans,
43,7% de 20 à 39 ans), sans activité rémunérée (86,5%) en 2008.
L’équipe assure des permanences « hors
centre » dans divers lieux où elle rencontre des personnes en situation de
précarité.
La Mission Metz assure des activités « hors centre ».
Il existe à Nancy et à Metz une antenne Adoption, reliée à la
Mission Adoption de MDM.
MDM Nancy participe à de nombreuses réunions, activités d’enseignement
(DCEM 1, Licence de Santé publique, Master de Santé publique ; collèges,
lycées, instituts de formation en soins infirmiers), de prévention, de
réflexion. Ses partenaires sont nombreux. Les actions sont possibles grâce
à la générosité des donateurs, aux subventions de divers organismes, aux fonds
privés de MDM.
En outre, la Délégation Lorraine a mis en route une mission
internationale au Burkina-Faso, qui a pour objectif d’améliorer la santé
maternelle et infantile dans un district de la Région Est, en partenariat avec
les populations locales, une ONG burkinabè et les autorités sanitaires de la
Région.
Conclusion
L’histoire de l’Humanitaire suit un long cheminement au fil des siècles. L’aventure
de la Croix-Rouge, puis la guerre du Biafra, marquent l’avènement de la
médecine humanitaire moderne.
Au XXIème siècle, on ne peut que souligner l’ampleur des
besoins, en France et sur la planète entière, mais aussi la grande diversité
des secours.
Que sera l'Humanitaire demain ?
Ira-t-on vers un Humanitaire mondial, qui ne soit plus l’apanage de
l’Occident ? On peut le souhaiter.
Par ailleurs, ira-t-on vers une gouvernance
mondiale de l’Humanitaire ? ou saura-t-on préserver
l’indépendance, même relative, des ONG qui portent des valeurs de solidarité
exemptes de considérations partisan
Le débat reste ouvert.