Préface par le Professeur Alain LARCAN
Membre et ancien Président
de l’Académie Nationale de Médecine
Les traditions médicales lorraines et plus spécialement nancéiennes sont importantes et ceci dès le XVIème siècle, même si Paris et Montpellier ont sur ce plan une histoire plus riche et plus longue. La création d’une Faculté de Médecine à Pont-à-Mousson en 1572, puis celle des collèges royaux de médecine et de chirurgie, leurs longues rivalités, puis leur rapprochement à la veille de la Révolution précédant de peu leur suppression, jalonnent les débuts de la médecine hospitalo-universitaire en Lorraine.
Le décret Fourcroy du 14 frimaire en III (1794) ne
retint cependant que trois facultés : Paris, Montpellier et Strasbourg,
auxquelles vinrent s’adjoindre les hôpitaux militaires d’instruction (hôpitaux
- amphithéâtres), puis des écoles secondaires dont celle de Nancy dès 1822,
transformée en école préparatoire en 1840. Parmi les maîtres anciens de la
Faculté de Pont à Mousson, il convient de retenir surtout Charles LEPOIS, mort
victime du devoir en soignant les nancéiens lors de l’épidémie de peste et qui
affirma l’origine nerveuse de l’hystérie, ainsi que l’anatomiste JADELOT.
Au collège de médecine, nous retiendrons Charles
BAGARD qui s’intéressa à l’hydrologie (les eaux de Plombières) et dont on a pu
dire que son nom était le reflet de sa personnalité… et Dominique-Benoît
HARMANT, médecin stipendié du roi de Pologne, à qui on doit une bonne étude de
l’intoxication oxycarbonée due aux méfaits des « feux allumés »,
avant la découverte du gaz toxique lui-même.
L’histoire de l’école professionnelle ne dégage pas
de très grands noms, si ce n’est celui d’Edmond SIMONIN, Directeur de l’Ecole,
chirurgien et qui parmi les premiers s’intéressa à l’anesthésie, les quatre tomes consacrés au chloroforme et à l’éther paraissant le
premier en 1849, et le dernier en 1879.
Le renom et même la gloire ne viendront qu’après le
« tranfèrement » en 1872 de la Faculté de
Strasbourg à Nancy et non à Lyon, ville également candidate, seule conséquence
heureuse du calamiteux traité de Francfort. La Faculté et le Centre Hospitalier
de Nancy qui va parallèlement se développer vont vivre dès lors en étroite
symbiose hospitalo-universitaire, la Faculté étant très proche et comme déjà
intégrée à l’Hôpital Central qui se construit en 1884. Le nombre des chaires
magistrales resta longtemps réduit, si on le compare à celui d’aujourd’hui.
Nombreux sont les internes et chefs de clinique, riches de promesses et de
découvertes (je pense à Charles GARNIER, découvreur de l’ergastoplasme…) qui ne
deviendront jamais Professeurs. Tous ont enseigné, cherché, soigné, avec
compétence et dévouement, plus spécialement lors du premier conflit mondial où
la Faculté très réduite en effectifs, jouera son rôle d’enseignement de guerre
et méritera sa citation à l’ordre de la nation.
Il est difficile et pourtant utile de faire une
présentation sélective et de dégager les figures de proue, ne serait-ce que
pour sacrifier au nécessaire devoir de mémoire, en réactivant et en commentant,
à l’attention des autorités comme des étudiants, l’action de personnalités dont
beaucoup devraient être honorées par le rappel de leurs noms dans la ville et
le Centre Hospitalier.
Nous distinguons un peu systématiquement les écoles
consacrées à une discipline, ou à un groupe de disciplines proches et
complémentaires, qui ont marqué à Nancy et qui furent largement reconnues à
l’échelon national et même international. Elles ont en général un fondateur ou
un chef de file prépondérant et se marquent par une filiation durable ou une
efflorescence et un rayonnement particulièrement éclatant à certaines périodes.
La plus connue, seule
dénommée « école de Nancy », à tel point qu’elle est
parfois confondue avec l’école artistique de Nancy… est l’école hypnologique de Nancy créée par le Professeur de
Clinique Médicale Hippolyte BERNHEIM, qui rendit d’ailleurs hommage à un
médecin praticien de Nancy, le Docteur LIEBAULT. S’élevant contre les conceptions de l’école de la Salpétrière
de Charcot, persuadé que l’hystérie n’est que de culture, de suggestion et
d’imitation, BERNHEIM qui était par ailleurs un excellent médecin interniste en
particulier dans les domaines actuels de la cardiologie et de la neurologie est
vraiment le maître de la psychosomatique, de l’hypnose et de la suggestion. Il
groupe autour de lui des disciples parfois encombrants (Liegeois),
des collègues (le physiologiste Henri BEAUNIS, auteur du somnambulisme
provoqué), des médecins venus d’ailleurs (Baudoin) et reçoit la visite de
Freud encore inconnu. C’est Hippolyte BERNHEIM qui attire l’attention sur Nancy
et sa « Faculté de village » (selon l’expression insultante de
Babinski). La seconde école de Nancy animée par le pharmacien COUE n’aura pas
le même rayonnement scientifique, mais le nom de sa méthode restera dans la
mémoire de chacun plus longtemps que celui de BERNHEIM.
Une autre école est l’école
morphologique qui associe anatomistes et histologistes sous l’impulsion
initiale de Charles MOREL. Elle regroupe en anatomie Adolphe NICOLAS, Paul
ANCEL, Maurice LUCIEN et en histologie Auguste PRENANT, Pol BOUIN, Remy COLLIN. Leurs recherches ont
porté sur les glandes endocrines : parathyroïdes, hypophyse, glandes sexuelles
(corps jaune de l’ovaire, glande interstitielle du testicule), le système
nerveux, l’appareil pulmonaire. Ce sont eux qui ont créé l’association des
anatomistes et la fédération internationale des anatomistes à Nancy à partir de
1899.
Elle sera complétée et enrichie par l’école endocrinologique clinique qui regroupe,
outre les morphologistes déjà nommés, les physiologistes, JEANDELIZE, futur
ophtalmologiste, auteur d’une mémorable thèse sur l’insuffisance
parathyroïdienne, puis Daniel SANTENOISE et les cliniciens Jacques PARISOT,
RICHARD et Paul-Louis DROUET.
L’école obstétricale de Nancy, héritière de la
tradition strasbourgeoise (STOLTZ et les deux HERRGOTT) va s’affirmer sous la
direction d’Albert FRUHINSHOLZ qui créera la Maternité Adolphe Pinard la plus
moderne d’Europe, à l’époque, en 1929. Il réalisera une œuvre obstétricale
(décalage thermique de la grossesse, spasmes vasculaires de la grossesse,
pyélite gravido-toxique…) et sociale que continueront
ses élèves VERMELIN, HARTEMANN, RICHON. Il fut membre titulaire de l’Académie
Nationale de Médecine.
Les écoles chirurgicales de Nancy furent marquées
par des personnalités puissantes : Albert HEYDENREICH, observateur d’un
des premiers cas de maladie de Buerger et mort d’une
piqûre anatomique, Théodore WEISS et Aimé HAMANT, auteurs de mémorables travaux
sur la plaie de guerre, le Doyen Frédéric GROSS et Louis SENCERT, ce dernier
pionnier de la chirurgie gastro-oesophagienne et
vasculaire, Gaston MICHEL intéressé par les traumatismes du rachis, Alexis
VAUTRIN orienté surtout vers la chirurgie gynécologique et précurseur de la
lutte anti-cancéreuse, Paul ANDRE créateur de la spécialité d’urologie à Nancy,
René FROELICH et Paul BODART pour la chirurgie infantile. Mais il faut surtout
retenir les maîtres plus récents : René ROUSSEAUX et son élève Jean
LEPOIRE, créateurs de la discipline neurochirurgicale, Pierre CHALNOT créateur
à Nancy de la chirurgie thoracique et cardiaque, Jacques MICHON qui
autonomisera la chirurgie de la main, Maurice GOSSEREZ fondateur de l’école
chirurgie maxillo-faciale.
Une autre école est celle de
la médecine sociale. Parmi ces précurseurs, on retrouve Emile
POINCARE (père d’Henri Poincaré) qui s’intéressa parmi les premiers à la
médecine professionnelle industrielle, Eugène MACE grand bactériologiste, Paul
SPILLMANN spécialiste de la tuberculose pulmonaire mais surtout Jacques PARISOT
futur représentant de la France à la Société des Nations et à l’Organisation
Mondiale de la Santé qui groupera autour de l’Office d’Hygiène Sociale Louis
SPILLMANN (dermato-vénérologie), Pierre SIMONIN
(tuberculose), Louis CAUSSADE (pédiatrie),… dans le sillage médico-social de
Léon Bernard.
L’école pédiatrique de Nancy fondée par Paul
HAUSHALTER qui décrivit l’acrodynie, se poursuivit par les travaux de Louis
CAUSSADE et surtout de Nathan NEIMANN, véritable animateur de l’école
pédiatrique moderne au sein de laquelle s’individualiseront toutes les
spécialités pédiatriques.
Il faut encore évoquer dans
les sciences
fondamentales le souvenir d’Augustin CHARPENTIER en physique, inventeur
de plusieurs appareils d’ophtalmologie,
d’Eugène RITTER et de René WOLFF (travaux sur la vitamine B12 et le
facteur intrinsèque) en chimie… l’école de physiologie du sport et de
physiologie aéronautique de Louis MERKLEN, René GRANDPIERRE et Claude
FRANCK ; les noms de Victor FELTZ associé souvent au chimiste RITTER, en
anatomo-pathologie, auteur de mémorables recherches sur les embolies
capillaires et l’urémie expérimentale ; et surtout celui de Jean-Paul
VUILLEMIN, exceptionnel spécialiste d’histoire naturelle et de botanique,
auteur d’une nomenclature cryptogamique, de recherches en mycologie et père du
mot « antibiose ».
En médecine, il existe bien entendu au
sein des cliniques médicales, ainsi que dans différents Services (maladies des
vieillards à la Maison de secours) des cliniciens avertis comme Charles DEMANGE
(gériatrie), Georges ETIENNE et ses élèves Paul-Louis DROUET et Louis MATHIEU
dans différents domaines de la médecine, de Paul MICHON initiateur de
l’hématologie et surtout de la transfusion, de Lucien CORNIL et de Pierre
KISSEL en neurologie, de Paulin DE LAVERGNE pour les maladies
infectieuses. Il existait d’ailleurs une tradition de maladies infectieuses et
de bactériologie avec COZE et FELTZ, MACE et l’épidémiologie sera continuée par
Pierre MELNOTTE. Louis MATHIEU sera le premier cardiologue nancéien, François
HEULLY le créateur de la gastro-entérologie et Pierre LOUYOT celui de la
rhumatologie.
Enfin, parmi les spécialités
parachirurgicales, il convient de rappeler
Paul JACQUES de formation anatomique et créateur de la discipline oto-rhino-laryngogique à Nancy et Charles THOMAS qui dans la
tradition de ROHMER et de JEANDELIZE sera le père de l’ophtalmologie moderne à
Nancy.
Nous souhaitons que la publication de ce travail due
à la diligence et aux recherches du Professeur LEGRAS permettent aux autorités
municipales et hospitalières de prendre conscience de ce devoir de mémoire et
surtout de reconnaissance à de grands anciens, à qui nous devons beaucoup,
sinon parfois tout.