« et le rapide oubli, second linceul des morts… »
a écrit Alphonse de Lamartine.
Le cas de
Théodore Guilloz est l’illustration de cette amnésie
désastreuse. Mais pourquoi l’avoir oublié ? C’est d’abord la période de sa
mort qui est en cause, elle survint en 1916 et les Nancéiens, et la France,
avaient, pendant cette guerre meurtrière, bien d’autres préoccupations que de
lui rendre justice, et étendre sa renommée.
J’avais été
nommé chef de service de radiologie en 1998 dans un service à
reconstruire : la « Radiologie centrale ». A force de passer
dans un petit couloir encombré, j’ai lu attentivement une petite plaque de
marbre, celle-ci dédiée à un certain professeur Guilloz,
chevalier de la Légion d’honneur. Mais qui donc était ce Guilloz,
dont je n’avais jamais entendu parler durant mes études de radiologie, pas plus
que dans des ouvrages sur l’histoire de la Radiologie ? J’ai donc commencé
une enquête qui m’a mené à un personnage extraordinaire, que le monde
radiologique s’était empressé d’oublier ! Une rapide recherche bibliographique
m’amena à une nouvelle surprise : un article écrit sur Guilloz
par un pharmacien le Professeur Labrude.
La poursuite
de mes recherches m’amena à cerner la personnalité de celui que jamais mes
maîtres de radiologie n’avaient cité au cours de mes études et qui se révéla
comme un personnage passionnant. A tel point que je fis donner immédiatement à
mon service le nom de « Service Guilloz »
Théodore Guilloz, en effet, avait une qualité dominante : la
curiosité scientifique. C’est elle qui guida sa carrière, essentiellement à
Nancy, depuis la Faculté des sciences, en passant par l’École de pharmacie,
pour finir à la Faculté de médecine. Cet éclectisme n’avait rien à voir avec
une instabilité, c’était en utilisant ses connaissances successivement acquises
qu’il pouvait étendre le champ de ses recherches qu’il termina en radiologie.
Inspiré par les travaux de Roentgen, ce fut donc lui qui fonda l’École
nancéienne de radiologie.
Un autre sujet
d’admiration fut son patriotisme.
Dans ce Nancy
proche du front, le Bois-le-Prêtre est à une vingtaine de km, la guerre se
vivait au quotidien. Seule la Faculté de médecine avait été maintenue à Nancy
ainsi que l’École de Pharmacie. Le courage et le dévouement de leurs
enseignants, celui de leurs élèves firent que l’Université de Nancy reçut la
Croix de la Légion d’Honneur.
Théodore Guilloz joua un rôle éminent durant le conflit à deux
titres, d’abord en ayant installé un service de radiologie au service de la
chirurgie de guerre, pour les blessés on pouvait donc diagnostiquer leurs
fractures, repérer les éclats d’obus. On se rappelle, à la suite de la bataille
du Grand Couronné en 1914, les centaines de blessés amenés sur des charrettes à
l’Hôpital Central et étendus faute de places sur les pelouses… Combien ont été
sauvés grâce aux renseignements de la Radiologie.
Un rôle
inattendu lui fut donné grâce à ses connaissances en sciences physiques, il mit
au service des artilleurs un système de repérage des avions allemands, dans le
but d’améliorer la défense anti-aérienne. Pendant le conflit il avait par
solidarité porté l’uniforme militaire.
Il mourut
hélas très tôt des suites des séquelles de l’irradiation reçue au service des
patients.
La Légion
d’Honneur fut la récompense de ses mérites et de son dévouement. C’est une des personnalités
les plus marquantes de notre Faculté de Médecine. Que ses exemples soient
suivis, lui qui est enfin sorti de l’oubli.
[1]
Radiologue, ancien professeur de la
faculté de médecine de Nancy, et chef du service de radiologie de l’hôpital
central, doyen de 1994 à 2004, président de la conférence
nationale des doyens de 1994 à 2004, président du conseil national de l'ordre des
médecins de 2005 à 2007.