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L'oeuvre de BERNHEIM : Sommeil hypnotique et suggestion

 

par P.  KISSEL

 

Annales Médicales de Nancy, 1962, 787-796

 

 

Il nous a semblé qu'une Journée médicale, tenue à Nancy sur le thème du sommeil normal et des sommeils pathologiques, pouvait être placée sous le patronage de BERNHEIM et, qu'en manière d'introduction, il m'était permis d'évoquer, devant vous, l'œuvre que le Professeur BERNHEIM (1837-1919) a consacrée au sommeil hypnotique.

Comment BERNHEIM fut-il conduit à s'intéresser à l'hypnotisme et à la suggestion ?

« Je professais depuis treize ans lorsque, nous dit-il, j'appris, par hasard que, dans un faubourg de Nancy, un modeste médecin, le Docteur LIEBAULT, traitait les malades par le sommeil provoqué et obtenait des cures. J'allai le voir avec le plus grand scepticisme... » et ce fut ainsi que débutèrent les travaux méthodiques de BERNHEIM sur l'hypnotisme, la suggestion et l'hystérie, auxquels il consacra, dès lors, la plus grande partie de son activité scientifique.

Quelle était donc la méthode de suggestion qu'employait BERNHEIM ? A ses débuts, à l'instar de LIEBAULT, BERNHEIM chercha, avant tout, à susciter, par divers procédés, le sommeil hypnotique chez ses patients. Il pensait que le sommeil provoqué impressionnait davantage le sujet et renforçait l'action psycho-thérapeutique.

Voici comment il procédait, et sa technique, ainsi que le souligne CHERTOK, dans un ouvrage récent, ne diffère pas, dans son principe, de celle qu'utilisent les hypnotiseurs modernes : « Il est bon, dit-il, si on veut obtenir le sommeil, que la personne à hypnotiser en ait vu d'autres hypnotisées devant elle et qu'elle ait vu des phénomènes de guérison. L'hypnose est, en général, facile : le sujet est couché ou commodément assis; je le laisse se recueillir quelques instants, tout en disant que je vais l'endormir très facilement d'un sommeil, calme comme le sommeil naturel.

J'approche une main doucement de ses yeux, et je dis: « Dormez ». Quelques-uns ferment les yeux instantanément et sont pris. D'autres, sans fermer les yeux, sont pris, le regard fixe et avec tous les phénomènes de l'hypnose. D'autres présentent quelques clignements de paupières; les yeux s'ouvrent et se ferment alternativement. S'ils ne se ferment pas spontanément, je les maintiens clos quelque temps, et j'ajoute: « Laissez-vous aller; vos paupières sont lourdes, vos membres s'engourdissent, le sommeil vient. Dormez. » Il est rare qu'une ou deux minutes se passent sans que l'hypnose s'oit arrivée.

Dans la pratique hospitalière, où l'imitation joue un rôle considérable, où l'autorité du médecin est plus grande, où les sujets sont plus aisés à être impressionnés, cela se passe le plus souvent ainsi. Un assez grand nombre de nos sujets tombent dans un sommeil profond, avec amnésie au réveil.

Quant au réveil des hypnotisés, il se fait de la façon la plus simple, par suggestion. Je dis ordinairement: « C'est fini: réveillez-vous!  La plupart se réveillent. Quelques-uns paraissent avoir de la peine à le faire; ils n'ont pas assez d'initiative pour sortir spontanément de l'état hypnotique. J’accentue; je dis : « Vos veux s'ouvrent! Vous êtes réveillé ! »

L'état hypnotique ainsi obtenu, se traduit par des phénomènes divers qui ne se réalisent pas chez tous les sujets. La suggestibilité comporte des degrés, pour lesquels les auteurs modernes ont proposé diverses échelles. La plus utilisée, celle de DAVIS et HUSBAND, décrit trois stades: de transe légère, moyenne et profonde, divisée en trente degrés. Ces échelles ne diffèrent que peu de la classification de BERNHEIM ; pour celui-ci, la 1ère classe comprend les états dans lesquels le souvenir des faits qui se sont produits au cours de l'hypnose est conservé au réveil. Elle comprend des degrés qui vont de la somnolence à la catalepsie, à l'analgésie suggestive et, enfin, à l'obéissance automatique.

Dans la 2ème classe, il y a amnésie au réveil. Dans ce groupe, BERNHEIM distingue les sujets, selon qu'ils sont hallucinables ou non, pendant l'hypnose, ou hallucinables, non seulement pendant, mais après le sommeil hypnotique.

Ces degrés d'ailleurs, sont artificiels ; ce ne sont que des points de repère pour la description.

Il est plus important de se demander, comme le faisait déjà BERNHEIM, quel est le mécanisme physio-pathologique, la signification du sommeil hypnotique, dénommé sommeil lucide par l’Abbé FARIA, sommeil provoqué par LIEBAULT.

La nature de l'hypnose est encore controversée. Sa parenté avec le sommeil normal a été soutenue par SCHILDER et par KRETSCHMER, qui situaient le point de départ de l'hypnose dans les centres sous-corticaux, régulateurs du sommeil. En se basant sur les faits d'hypnose animale, SVORAD attribue une importance particulière, dans le mécanisme de l'hypnose, à la formation réticulée du tronc cérébral. Pour l'école de PAVLOV, la parenté entre le sommeil et l'hypnose résulte du fait que celle-ci est due à une inhibition corticale partielle.

Les auteurs les plus récents ont fait remarquer que, si l'hypnose a quelques caractères communs avec le sommeil, tels que les stades de transe ou d'extase, avec état de conscience-limite, elle en a d'autres en commun avec l'attention sélective, en particulier quand elle supprime efficacement des réactions douloureuses ou camoufle la connaissance d'un mode sensoriel au profit d'un autre.

La question a donc été posée de savoir si l'EEG, au cours l'hypnose, est du type de l'éveil ou du sommeil, et s'il existe des signes EEG de réveil spécifique ou d'état d'alerte. Les constatations EEG, faites au cours de l'hypnose, en général concordantes, sont fort intéressantes : Dans un état de transe éveillée, l’ EEG de l'hypnose ne diffère pas, de façon significative, de celui d'une personne en état d'éveil normal ; le tracé ne ressemble pas à un EEG de sommeil, à moins que le sujet en transe ait été, délibérément, endormi par suggestion.

Avec l'état de relaxation générale qui survient pendant les épisodes de l'hypnose, il y a parfois un accroissement de l'activité alpha, ou une abolition, si une légère somnolence se produit.

Par contre, si une suggestion appropriée est faite pour demander au sujet hypnotisé un effort ou une tension, l' EEG montre une tendance à l'activation.

En conclusion, on peut dire que, de façon générale, l' EEG de l'hypnose, est parallèle à celui des états normaux de veille ou de sommeil. Si l'hypnotiseur demande au sujet hypnotisé de dormir, celui-ci a un EEG de sommeil ; s'il lui demande de résoudre un problème, son EEG ressemble à celui qu'il aurait s'il n'était pas sous influence hypnotique.

Enfin, l’ EEG démontre la relation « hypnotiseur-hypnotisé » ; ce dernier, en effet, ne réagit qu'aux injonctions de son hypnotiseur et demeure insensible à toute stimulation émanant d'une autre personne ou du monde extérieur.

Il est intéressant de confronter l'opinion moderne, à l'ère de l’ EEG, sur la nature de l'hypnose, avec celle que BERNHEIM s'en formait en 1890. «  Tous les auteurs, dit-il, définissent l'hypnotisme: sommeil artificiel ou provoqué. Cette définition n'embrasse pas la généralité des faits que produit l'hypnotisation. Parmi les sujets soumis à cette influence, il en est un certain nombre seulement qui ont l’air de dormir profondément et ne conservent aucun souvenir au réveil. Il en est d'autres qui ont conscience d'avoir dormi, bien qu'ayant conservé le souvenir de tout, au réveil. Une troisième catégorie ne ressentent qu'une somnolence plus ou moins douteuse. Une quatrième, enfin, ne dorment pas, ou du moins, n'ont pas la conscience d'avoir dormi. »

Dira-t-on que les premiers, seuls, sont en état d'hypnose ? Non, répond BERNHEIM : je reprends le même sujet; je ne l'endors plus; je lui dis : Vous êtes sous mon influence; tout ce que je vais dire va se produire; et cependant, vous ne dormez pas. Cela posé, je reproduis chez lui les mêmes phénomènes de catalepsie, d’analgésie, d’obéissance automatique, d'hallucination, que précédemment.

Quand tout est fini, le sujet se rappelle tout ce qui s'est passé, même pendant qu'il avait l'apparence du sommeil inerte: il a l'idée de ne pas avoir dormi. Les phénomènes présentés étaient exactement les mêmes que tout à l'heure, sauf l'amnésie au réveil. Dira-t-on qu'il n'était pas hypnotisé? Oui, si on entend par hypnose le sommeil provoqué. Mais, le sommeil ou l’idée du sommeil n'est pas nécessaire pour qu'il y ait influence : il y a influence sans sommeil.

« Tant que nous ne savons pas, dit BERNHEIM, ce qu'est le sommeil physiologique, nous ne sommes pas autorisés à dire que le sommeil apparent de l'hypnotise est toujours un sommeil réel. Il paraît certain que, parmi les hypnotisés, il en est qui obéissent à la suggestion du sommeil. Rien ne les distingue des dormeurs ordinaires... De même qu’on a pu, par suggestion, produire de la catalepsie, de l’anesthésie, des mouvements, des illusions, de même on a pu produire l'acte du sommeil. D'autres, dociles aux suggestions de motilité, de sensibilité, même d'hallucination, sont rebelles à celle du sommeil; ils ne peuvent réaliser psychiquement ce phénomène. »

Cette longue citation prouve le caractère actuel de la conception de BERNHEIM sur l'hypnose, qui n'est pas périmée en 1962. Quel est donc, pour BERNHEIM, le fait essentiel ? C'est, dit-il, la mise, en activité d'une propriété normale du cerveau, la suggestibilité, c'est-à-dire l'aptitude à être influencé par une idée acceptée, à en chercher la réalisation, à la transformer en acte. Et BERNHEIM démontre que, chez beaucoup de personnes, on peut obtenir, à l'état de veille et sans aucun artifice, tous les phénomènes dits hypnotiques. Ces phénomènes ne sont pas fonction d un état anormal spécial, créé par le sommeil hypnotique, mais fonction de la suggestibilité naturelle. L'hypnotisme n'est qu'un sommeil obtenu lui-même par suggestion. Et BERNHEIM concluait: « I1 n'y a pas d'hypnotisme, il n'y a que de la suggestibilité. » 

La conception de BERNHEIM, qui nous frappe aujourd'hui par son modernisme, a suscité, en son temps, des controverses passionnées. Quelques années auparavant, en effet, CHARCOT, à la Salpêtrière, avait entrepris, lui aussi, des recherches sur l'hypnotisme.

Systématisant les phénomènes d'hypnose, CHARCOT décrivit trois phases successives : la phase de catalepsie, la phase de léthargie, la phase de somnambulisme provoqué. Comme le dit M. GUILLAIN: « BERNHEIM opposa ses conceptions à celles de la Salpêtrière. Il n'admit pas les trois phases de l'hypnotisme et fît intervenir la suggestion pour les expliquer. Tous les phénomènes constatés à la Salpêtrière, dit BERNHEIM, les trois phases... l'hyperexcitabilité neuro-musculaire de la période de léthargie, la contracture spéciale provoquée dans la période de somnambulisme, le transfert par les aimants, n'existent pas, alors que l'on fait l'expérience dans des conditions telles que la suggestion ne soit pas en jeu. Autrement dit, les sujets ne les réalisent que lorsqu'ils savent qu'ils doivent les réaliser, soit pour avoir vu ces phénomènes réalisés par d'autres sujets, soit pour en avoir entendu parler, en un mot, parce que l'idée du phénomène s'est introduite par voie de suggestion dans leur cerveau. L'hypnotisme de la Salpêtrière est un hypnotisme de culture. »

Bien que les conceptions de CHARCOT aient été défendues avec vivacité par ses élèves, GILLES de la TOURETTE et BABINSKI, la conclusion de cette « dispute » a été finalement, ainsi que le remarque M. GUILLAIN, celle qu'en a donné, avec le recul du temps, le Professeur Pierre JANET : « L'hypnotisme à trois phases de CHARCOT., comme BERNHEIM l'a très bien reconnu dès 1884, et comme il a été le premier à l'oser dire, n'a jamais été qu'un hypnotisme de culture ; c'est lui qui a gagné la bataille. »

BERNHEIM devait gagner une deuxième bataille contre CHARCOT, sur le terrain de l'hystérie. Mais, ce n'est pas notre sujet aujourd'hui, de retracer cette lutte homérique où s'affrontèrent, à la fin du siècle dernier, ces grands protagonistes.

Par contre, il nous faut dire les buts que poursuivait BERNHEIM en provoquant, chez ses malades, l'hypnose, en réalisant, chez eux, des états de suggestion.

Ses buts étaient thérapeutiques. « Etant donné, disait-il, que l'idée tend à devenir acte, que le cerveau, actionné par l'idée, actionne à son tour les nerfs qui doivent réaliser cette idée, étant démontré que l'idée peut ainsi devenir sensation, mouvement, image, il est naturel d'appliquer cette puissance psycho-physiologique de l'organisme à créer des actes utiles à la guérison. »

« Hypnotisme, suggestion, psychothérapie », tel est le titre du principal ouvrage de BERNHEIM. Psychothérapie en est le dernier terme. A côté de son œuvre critique sur l'hypnotisme et l'hystérie BERNHEIM, en effet, revendiquait à bon droit le mérite d'avoir, le premier, en France et même dans le monde, introduit dans le domaine scientifique médical, la psychothérapie par suggestion ou persuasion.

De cette psychothérapie scientifique, BERNHEIM a tout d'abord, établi les bases anatomo-physiologiques. « Les sécrétions, les excrétions, la nutrition, la respiration, la circulation sont sous la domination directe du centre encéphalique. Le cerveau intervient partout. Les troubles psychiques retentissent sur les fonctions digestives... La nutrition, actionnée par les nerfs trophiques vaso-moteurs, sécréteurs... est subordonnée à l'état psychique. L'hématopoïèse est en rapport avec l'intégrité fonctionnelle et organique du cerveau. I1 existe des centres nerveux thermogènes, régulateurs de la température. Est-il besoin d'insister sur le rôle prépondérant que joue l'organe psychique sur la circulation et la respiration ?.. Les sécrétions urinaire, salivaire, sudorale, intestinale... ne sont-elles pas modifiées à chaque instant par le dynamisme cérébral ?

C'en est assez, poursuit BERNHEIM, pour rappeler l'action considérable du moral sur le physique, de l'esprit sur le corps, de la fonction psychique du cerveau sur toutes les fonctions organiques. »

C'est cette action que le médecin doit utiliser pour obtenir des actes utiles à la guérison. Faire intervenir l'esprit pour guérir le corps, tel est le but de la psychothérapeutique... C'est un grand levier que l'esprit humain, et le médecin guérisseur doit utiliser ce levier. »

La médecine psycho-somatique actuelle ne saurait mieux s'exprimer.

Nous avons vu, qu'au début de ses recherches, BERNHEIM utilisait le procédé de LIEBAULT, et pratiquait la suggestion au cours du sommeil provoqué par hypnose. Rapidement, il en vit les inconvénients et les dangers psychologiques et moraux : l'expérience lui apprit que, dans la grande majorité des cas, le sommeil n'était pas nécessaire à la réalisation des suggestions thérapeutiques. Dès lors, à la grande déception des nombreux médecins, psychologues, magistrats et juristes même qui, de France et de l'étranger, venaient en foule à Nancy, pour assister à des expériences d'hypnose, BERNHEIM employa presque toujours la suggestion à l'état de veille, la psychothérapie par persuasion verbale. Quand il n'était pas sûr de son terrain, quand il craignait dit-il, les influences contre-suggestives, il cachait la suggestion dans une pratique inoffensive, dans l'électricité, dans un médicament. On ne lira pas sans amusement et sans intérêt, le récit de BERNHEIM sur son expérimentation du sulfonal comme hypnotique. « Je choisis deux malades atteints d'insomnie. Avant d'administrer le nouveau médicament, je songeai, pour ne pas être induit en illusion par l'élément suggestion, à prescrire, sous la fausse étiquette de sulfonal, de l'eau simple, à laquelle j'ajoutai quelques gouttes de menthe. J'affirmai que, vingt minutes après l'administration du nouveau médicament, les malades seraient pris de sommeil irrésistible. C'est ce qui arriva, en effet: les deux malades dormirent comme ils ne l'avaient pas fait depuis plusieurs semaines. BERNHEIM ajoute: « Qu'on ne me fasse pas dire que le sulfonal n'a qu'une vertu suggestive. Non, il a une vertu hypnotique réelle, comme le chloral, en dehors de toute suggestion. » Appréciation critique nuancée de la valeur et des limites d'une expérience, avant la lettre, de l'effet-placebo, cette conclusion judicieuse est à méditer par les pharmacologues modernes qui emploient la méthode de ces succédanés inertes.

Quelle a été la destinée de l'œuvre scientifique de BERNHEIM ? Quelle influence a-t-elle exercée ? Parmi les multiples courants de la pensée médicale contemporaine, quelle est sa postérité ? Telles sont les questions que nous voudrions envisager brièvement en manière de conclusion.

Dans son remarquable livre, sur la vie et l'œuvre de CHARCOT, M. GUILLAINK dit : « Il y eut, pour celui-ci, après sa mort, une phase d'oubli et même d'ingratitude. On a oublié que CHARCOT avait écrit son œuvre il y a plus d'un siècle. » Le même sort est advenu à son rival nancéien. En vérité, le nom de BERNHEIM n'est pas oublié. Comme celui de CHARCOT, il est toujours invoqué et partout cité. Mais son œuvre est en fait, méconnue, mal interprétée, souvent déformée. En s'appuyant sur le propre témoignage FREUD, c'est aux recherches de BERNHEIM que l'on fait remonter habituellement l'origine de la psychanalyse. C'est ce que dit, en particulier, ALEXANDER dans son livre classique sur la médecine psycho-somatique.

Voici ce que disait FREUD lui-même: « Je partis pour Nancy où je passai plusieurs semaines. Je fus témoin des étonnantes expériences de BERNHEIM sur ses malades d'hôpital, et c'est là que je reçus les plus fortes impressions relatives à la possibilité de puissants processus psychiques demeurés cependant cachés à la conscience des hommes. »

Mais, si ce peut être un titre de gloire pour BERNHEIM d'avoir profondément impressionné l'esprit de FREUD, il faut bien dire que l'œuvre de ces deux penseurs n'a en réalité, guère de points communs.

Pour freud, l'organisme psychique comprend trois domaines : l'inconscient, le moi et le sur-moi. L'inconscient, correspond à l'organisation psychique la plus primitive, est le réservoir des pulsions instinctives. Le moi délimite le domaine de la pensée consciente. Quant au sur-moi, il est préposé à l'inhibition des tendances affectives et à la censure morale.

Rien de ce « schéma de FREUD » n'apparaît dans l'œuvre de BERNHEIM, qui ne prélude nullement à celle du fondateur de la psychanalyse. Si la psychologie, subtile et fine de BERNHEIM, pourrait être dite « racinienne », elle n'était, certes, en aucune façon, freudienne.

On trouverait, bien plutôt, une parenté de pensée entre BERNHEIM et PAVLOV, et une prescience de l'œuvre pavlovienne dans celle de l'école neuro-psychiatrique de Nancy. C'est ainsi que la théorie de l'école de PAVLOV sur l'hypnose, considérée comme un sommeil partiel, a été pressentie par BERNHEIM. L'hypnose, d'après PAVLOV, est un état intermédiaire entre la veille et le sommeil, un sommeil partiel, une inhibition partielle, tant au point de vue topographique, qu'au point de vue intensité. Il reste au cortex des « points vigiles » qui permettent, chez l'homme, le « rapport » entre l'hypnotisé et l'hypnotiseur.

Or, déjà à la fin du siècle dernier, BERNHEIM rapportait plusieurs expériences faites au cours du sommeil normal ou du sommeil hypnotique, qui préfigurent l'expérience célèbre du chien endormi, qui ne se réveille pour prendre de la nourriture qu'au son de la trompette auquel il est conditionné. De même, le principe des liaisons temporaires, qui est à la base de la formation des réflexes conditionnels pavloviens, est fort bien exprimé par BERNHEIM.

Mais, ceci peut ne représenter que des correspondances curieuses de pensée, comme on en peut trouver aussi entre la pensée de BERNHEIM et celle, un peu postérieure, de BERGSON.

En fait, le vrai titre de gloire de BERNHEIM est, ou devrait être, d'avoir été le véritable fondateur, le Père de la médecine psycho-somatique, domaine tout à fait différent de celui de la psychanalyse, et que l'on confond, à tort, avec celle-ci.

Or, ce rôle initiateur et magistral de BERNHEIM, comme psychothérapeute et psychosomaticien est totalement méconnu. Il suffit de lire « la Médecine psycho-somatique » d’ALEXANDER, ou le livre tout récent, et, par ailleurs remarquable, de MUCCHIELLI, sur la philosophie de la médecine psychosomatique, pour être assuré que ces auteurs, tout en citant BERNHEIM, n'ont de son œuvre qu'une connaissance de seconde main.

On croit bien à tort, en effet, que la thérapeutique de BERNHEIM se limitait au traitement, par le sommeil hypnotique, de malades hystériques. Bien au contraire, connaissant la suggestibilité des hystériques et la facilité avec laquelle l'exploration médicale les suggestionne, BERNHEIM se gardait de toute mise en scène; il évitait même d'examiner les malades hystériques, et ne les suggestionnait que de façon indirecte.

Par contre, convaincu de « l'action considérable de la fonction psychique du cerveau sur toutes les fonctions de l'organisme », il déployait toutes les ressources de sa psychothérapie, par suggestion à l'état de veille ou sous sommeil provoqué, pour guérir des sujets atteints d'affections viscérales organiques. Le recueil de ses observations est fort instructif à ce sujet : y figurent des cas de guérison d'ulcère de l'estomac, de vomissements incoercibles de la grossesse, d'entéro-côlite, etc... toutes affections que nous qualifions, aujourd'hui, de maladies psycho-somatiques.

De même, BERNHEIM avait-il déjà employé l'analgésie suggérée pour remplacer, chez certains sujets, l’anesthésie chloroformique dans les interventions chirurgicales. Toutefois, plus prudent que certains de nos contemporains, il avait vu, d'emblée, les limites assez étroites de la méthode. L'analgésie suggestive, dit-il, n'est pas appelée, même chez les bons somnambules, à détrôner l'anesthésie chloroformique. Le sujet qu'on hypnotise avec l'idée qu'il va subir une opération, ne se laisse pas toujours aller à neutraliser sa douleur...

Bien loin d'être un thérapeute dénué d'esprit critique, utilisateur de méthodes aberrantes et peu orthodoxes, il apparaît donc, bien au contraire, que l'apport scientifique durable de BERNHEIM est une oeuvre essentiellement critique.

Le premier, en effet, il porta la hache dans le dogme de l'hystérie : le premier, il dégagea la thérapeutique suggestive du maquis charlatanesque de l'ancien hypnotisme, et donna des hases scientifiques à la psychothérapie.

A l'heure où la médecine psychosomatique prend tout son essor, l'œuvre initiatrice de BERNHEIM n'a, certes, rien perdu de son intérêt, de sa vie, de sa fécondité.