KISSEL Pierre

1906-1978

` sommaire

Autres photos : cliquez ici

L'oeuvre de Bernheim : sommeil hypnotique et suggestion

ELOGE FUNEBRE

Le Professeur Pierre KISSEL, s'est éteint le 26 août 1978, après de longues souffrances. Sa mort a surpris beaucoup d'entre nous. Elle a été ressentie douloureusement par tous, collègues, élèves et amis, car c'était une personnalité très attachante, un homme distingué et de grande culture, au coeur généreux. Aîné de sa grande famille neurologique, il me revient l'insigne honneur de dire ce que fut le Maître éminent, le clinicien de premier ordre, le scientifique. De longues années de conseils éclairés, de collaboration, de merveilleux dialogues, de partage des joies, ont tressé les liens d'affection qui nous unissaient. Évoquer sa mémoire est un douloureux devoir pour celui qui lui doit toute sa destinée. Mais l'exemple de volonté et de courage qu'il m'a donné tout au long de son existence facilite ma tâche.

Le Professeur Pierre KISSEL est né en Turquie le 10 juillet 1906. Après les études secondaires à Lyon et à Nancy, il choisit de faire sa carrière médicale à la Faculté de Médecine de Nancy, où son grand-père, le Professeur Gabriel GUERIN, avait enseigné avant d'être professeur de toxicologie et d'analyse chimique à l'École supérieure de Pharmacie. Dès le départ, il aura soin de rechercher une double formation, clinique et scientifique, celle de l'hôpital et celle des laboratoires biologiques, en gravissant parallèlement les degrés hospitaliers et universitaires.

A la Faculté, dès 1927, il devient pour quatre ans préparateur d'Histologie du Professeur Remy COLLIN, qui l'intéresse particulièrement à l'histologie du système nerveux, et le charge, en 1928, d'une mission scientifique à l'Institut CAJAL de Madrid, où pendant 3 mois « merveilleux » il s'initie aux méthodes d'imprégnation argentique. Chef de clinique médicale en 1932, il n'en poursuit pas moins sa formation biologique, accueilli qu'il est, en disciple privilégié, par le Professeur DE LAVERGNE, au laboratoire de Bactériologie ; il sera successivement, jusqu'en 1939, préparateur, chef de laboratoire et chef de travaux. Il accède au doctorat en médecine en 1934. Reçu agrégé des Facultés de Médecine, section de médecine générale, en 1936, chargé d'enseignement, il assure celui de la Propédeutique médicale, puis de la Pathologie interne, enfin, par intérim, de Thérapeutique. En 1943, il est nommé professeur titulaire de thérapeutique, dans une chaire qu'il occupera douze ans. En 1955, il succède par transfert au Professeur Paul-Louis DROUET, dans la chaire de Clinique médicale B. Admis à faire valoir ses droits à la retraite en fin d'année scolaire 1976, il est nommé professeur honoraire le 2 novembre de cette même année.

Sur le plan hospitalier, reçu Externe des Hôpitaux en 1926, il est major de l'Internat en 1928, et choisit alors d'être l'interne du Professeur agrégé Lucien CORNIL. Emporté par l'enthousiasme de ce jeune maître, comblé de travail, de cas neurologiques et de confrontations anatomo-cliniques, il est d'emblée passionné par la Neurologie. Mais la réalisation de ses aspirations ne pourra se faire que plus tard. En 1936, quelques semaines avant l'agrégation, il devient médecin des hôpitaux. Mobilisé pour la guerre de 1939-1940 comme médecin-capitaine, il est nommé médecin-chef de la Maison de Secours en 1941. Il devient, en 1946, le chef de service du service de Neurologie qu'il vient de créer. Conjointement avec la chaire de Clinique médicale, il reçoit, en 1955, la chefferie de Service de Médecine B, qu'il dirigera d'abord à l'Hôpital central, puis au C.H.U. de Brabois jusqu'à sa retraite.

L'oeuvre scientifique du Professeur Pierre KISSEL touche à tous les domaines. Elle reflète la double orientation qu'il a donnée à sa formation puis à sa carrière médicale. Elle est considérable, à la mesure de sa remarquable intelligence, de son immense culture et de son esprit aux aguets. Il consacre ses premiers travaux à l'histologie de l'hypophyse, et, à la IXème Réunion neurologique internationale de Paris en 1939, il est un des premiers à présenter une description de la névroglie dans la neuro-hypophyse.

Très intéressé ensuite par la bactériologie, l'étude clinique et expérimentale des maladies infectieuses, il dirige ses recherches vers les phénomènes de coagglutination des méningoccoques, les diverses septicémies, les conceptions pathogéniques de la fièvre typhoïde, les variations de la cholestérolémie dans les infections aiguës à microbes hémolytiques, sujet de sa thèse. C'est avec l'infection herpétique et surtout l'infection ourlienne, qu'il fait montre de qualités d'observateur et d'expérimentateur. Il prouve la constance d'une méningite au cours de la kérato-conjonctivite herpétique du lapin, et démontre la transmissibilité au lapin de l'infection ourlienne sous forme de méningo-névraxite. En hématologie, l'observation d'une intoxication collective par le benzol lui donne l'occasion d'étudier et d'exposer cette grave hémopathie professionnelle. Avec le Professeur WATRIN, il est l'auteur d'un rapport sur l'agranulocytose, qui représente un document essentiel sur les conséquences possibles de la chimiothérapie.

Mais l'ensemble des travaux du Professeur KISSEL témoigne de sa prédilection pour la neurologie. Ses recherches en histologie, son initiation histo-pathologique auprès du Professeur CAJAL, sa fréquentation au laboratoire de Neurobiologie dirigé par Yvan BERTRAND à Paris, et toutes ses études expérimentales sur la pathologie infectieuse le prouvent déjà amplement, mais encore et surtout le nombre très impressionnant de ses communications proprement neurologiques, soit à la Société de Neurologie, soit dans les revues, sociétés et congrès français et étrangers. S'en détachent vingt-cinq rapports ou monographies qui ont fait son renom international de neurogénéticien. C'est d'abord une suite de travaux sur les formes neurologiques des maladies à virus lymphotropes avec leurs analogies particulières ; puis sur les méningo-encéphalites des uvéonévraxites à virus, où l'accent est mis sur le mode d'action de l'ultra-virus. L'étude très importante sur les géno-neuro-dermatoses et phacomatoses, avec leurs formes viscérables, représente un des grands sommets de son oeuvre ; elle met en valeur l'importance et le caractère de coordination des diverses malformations associées ; elle concerne aussi les dysraphies du névraxe et de ses enveloppes, les génopathies neuro-ophtalmiques, les gigantismes partiels, les agénésies sacrococcygiennes. Puis paraissent des ouvrages et des articles didactiques sur les géno-mésodermatoses que sont les dysplasies vasculaires : angiodysplasies dues à un trouble de l'embryogenèse, engendrées par une anomalie de la structure histologique et biochimique, provoquées par une erreur innée du métabolisme, ce qui regroupe une quarantaine de maladies. Le muscle retient son attention : il l'étudie principalement dans les syndromes paranéoplasiques et dans les syndromes myothyroïdiens. En même temps, il s'intéresse aux placebo et effet placebo dans une monographie bien dans la tradition de l'École neurologique nancéienne. Sa dernière grande oeuvre est consacrée aux neurocristopathies, où il s'élève à une conception très générale des phacomatoses et polyadénomatoses par l'étude des dérivés normaux et pathologiques de la crête neurale. Tous ces travaux de neurogénétique témoignent en effet de son goût et de son souci à considérer un problème pathologique dans son ensemble à partir des structures originelles responsables. Documents fondamentaux pour la pathologie du système nerveux, ils ont retenu l'attention et l'admiration du monde neurologique.

L'accord est unanime pour reconnaître en Monsieur le Professeur KISSEL un Chef d'École hors du commun. Il trouve sa vocation de Neurologue dès sa première année d'internat auprès du Professeur CORNIL. Quelque peu latente ensuite, en raison des circonstances, il lui donne libre cours quand, avec son ami le Professeur René ROUSSEAUX, il met en route puis crée un Service, unique en France, avec deux chefs de Service à sa tête. L'École neurologique de Nancy est fondée en 1946 ; elle a son maître-d'oeuvre, son animateur qui lui donne dès lors sa structure universitaire et son élan scientifique. L'un après l'autre, ses élèves se succèdent dans les différents concours, pour parvenir plus tard, sous son patronage et selon leurs tendances, à leur poste de responsabilités : Neurologie, Neuro-psychiatrie infantile, Psychiatrie adulte, mais aussi Endocrinologie, Maladies infectieuses, Médecine générale, sans que cessent pour autant son inlassable dévouement à son École, son incessante ardeur à former des élèves.

Son transfert dans la chaire et le service de la Clinique médicale B ne ralentit pas son zèle. Il garde le meilleur de lui-même pour la Neurologie, à la fois dans ses travaux et dans le choix de ses jeunes collaborateurs. Il s'entoure aussi de compétences cardiologiques, gastroentérologiques, hémodynamologiques. Là encore il allie la clinique et la biologie ; les relations avec le laboratoire sont étroites, aussi bien pour l'histologie, la pharmacologie que pour la chimiothérapie régionale des cancers de l'appareil digestif, à laquelle il consacrera plusieurs années de recherche.

La confirmation d'un tel éventail d'activités est son appartenance à de multiples sociétés savantes, soit pour les sciences fondamentales d'Anatomie et de Biologie, soit pour les sciences cliniques, Société de Neurologie, Société médicale des hôpitaux de Paris entre autres. Membre correspondant de la Société américaine de Génétique humaine, Membre fondateur du Groupe de Travail de la Fédération mondiale de Neurologie pour la neurogénétique et la neuro-ophtalmologie, il est fier à juste titre d'être nommé membre correspondant de l'Académie de Médecine en 1969. En 1975, il est appelé à présider la Société française de Neurologie.

Ses hautes compétences, son autorité en bien des matières, sa perspicacité dans les situations compliquées et le souci qu'il a du bon renom de la Faculté de Médecine, font que le Professeur KISSEL est désigné par ses pairs aux fonctions de responsabilité. Pendant de longues années, il siège au Comité Consultatif des Universités, il préside la Commission Médicale Consultative ; de 1969 à 1971, comme Président de l'assemblée constituante, il a le rôle délicat de diriger les nouvelles instances de l'Université.

Telle est l'oeuvre de ce Maître incontesté dont l'audience s'étend bien au-delà de notre Faculté. La personnalité hors pair du Professeur Pierre KISSEL frappait tous ceux qui le connaissaient. Les qualités d'enseignant très tôt révélées lui venaient certainement de ses dons d'observateur, de son esprit critique, de sa démarche méthodique au contact des faits expérimentaux et cliniques que lui apportaient le laboratoire et la nécessaire rigueur de l'examen neurologique. Son enseignement très objectif était clair, précis, essentiellement adapté à la pratique médicale.

C'est au lit du malade qu'il excellait. Éminent clinicien, il menait la discussion diagnostique dans une analyse subtile, avec des commentaires où il livrait sa grande expérience et ses références aux lectures. Car c'était un homme de lecture, à l'affût des idées de pointe, toujours en avance ; ce qui lui faisait regretter bien des fois qu'un article publié ne fût plus à la page. Il a ainsi marqué des générations d'étudiants qui lui  vouaient leur admiration et par la suite leur indéfectible confiance. Jusqu'aux derniers temps de son activité, il recevait dans son service, pour la visite des malades, des médecins praticiens, fidèles dans le désir d'apprendre comme dans l'amitié.

Les distinctions honorifiques sont venues récompenser les mérites de ce Maître exceptionnel. Son rôle à la Libération lui a valu la Médaille de la Résistance. Il est nommé Chevalier, puis promu Officier de la Légion d'Honneur, enfin Officier dans l'Ordre national du Mérite, Commandeur des Palmes Académiques. Par ses qualités d'homme, le Professeur KISSEL s'est attiré de profondes sympathies partout où il passait. Agrégatif, il lie pour toujours une amitié avec ses coéquipiers et recueille alors la bienveillante adoption des Maîtres parisiens. Au sein de la Société de Neurologie, à Lyon, où des attaches familiales le conduisaient tout naturellement vers les grands noms de l'École neurologique, il suscite de solides affinités. Dans tous les milieux scientifiques on appréciait son érudition ; on le donnait comme un exemple de courtoisie et d'exactitude. Il avait le respect des autres, ce qui pouvait à d'aucuns paraître une réserve empreinte de timidité. Il y ajoutait une prudence mesurée ; dans ses relations comme dans ses actes, il n'avançait qu'à coup sûr. Mulhousien dans son enfance, il restait attaché à l'Alsace et avait gardé des temps historiques d'alors des sentiments qu'il partageait avec des amis de toujours. Il avait bien connu l'auteur et caricaturiste HANSI, dont il conservait un vif souvenir.

Pour ses élèves, il fut le Maître proche, rempli de sollicitude, dispensant largement son temps, ses connaissances sur toutes choses. Il se plaisait à reconnaître en chacun d'eux un tempérament différent et leur témoignait son affection en s'intéressant avec une extrême délicatesse à leur vie familiale. Les conversations quittaient souvent les chemins scientifiques. Esthète averti, il faisait volontiers partager ses critiques et le plaisir qu'il avait éprouvé à visiter de splendides expositions et musées, de superbes monuments. Il goûtait avant tout, avec une particulière sensibilité, la satisfaction intellectuelle que lui procuraient les idées originales, les tours de pensée, l'intelligence rencontrés dans ses lectures ou chez les autres. Il savait qu'il nous plaisait de l'entendre ; il ne s'est pas fait faute de nous faire profiter de tout ce qu'il savait.

Mais c'est peut-être à travers les séjours à Saint-Uze que se révélait le mieux l'attachante personnalité de notre Maître. Là-bas, dans la maison familiale, c'était déjà la Provence, propice au repos, aux promenades, aux lectures ; c'était la possibilité de s'offrir les spectacles, les auditions musicales, en Avignon, à Orange, à Aix. Saint-Uze était plus encore le lieu de réflexion et de méditation d'où nous parvenaient, par lettres aussi denses que brèves, les plans, les remarques, les conseils sur le travail en cours. Doué d'une volonté qui n'abdiquait jamais, il avait courageusement organisé sa retraite pour conserver ses points d'intérêt, les lectures et les voyages, mais encore l'assistance régulière aux Réunions de Neurologie et la correction des dernières monographies. C'est cette volonté qui lui a fait choisir d'être seul à faire face à son destin. Ainsi s'affirmait l'attirante et prestigieuse personnalité du Professeur Pierre KISSEL. Son influence fut et reste grande pour la Faculté de Médecine de Nancy et la discipline neurologique. Que Mlle KISSEL, à qui j'exprime ma profonde sympathie, soit assurée que ses élèves garderont de lui le souvenir fidèle d'un Maître qu'ils admiraient et aimaient.

Professeur G. ARNOULD

-----------------------------------------------------------------------------------

ELOGE DE LA SOCIETE FRANCAISE DE NEUROLOGIE

Avec Pierre Kissel a disparu le 26 août dernier, un grand chef d'École, un Neurologiste de grande culture, et pour beaucoup d'entre nous un ami. C'est dire la peine que nous éprouvons en ne retrouvant pas à sa place habituelle celui qui, avec une ponctualité rarement en défaut, assistait aux Séances de notre Société dont il a été le Président en 1975.

Pierre Kissel est né à Toulon le 10 juillet 1906. Après des études secondaires à Lyon et à Nancy, il choisit la capitale de la Lorraine pour faire ses études médicales. Rapidement, il s'impose par son intelligence et son ardeur au travail et tous les titres universitaires et hospitaliers sont conquis en quelques années. Major de l'Internat des Hôpitaux de Nancy en 1928, il est Médecin des Hôpitaux et Agrégé de Médecine Générale en 1936. Professeur Titulaire dans la Chaire de Thérapeutique en 1943, il devient en 1946 chef de Service de Neurologie des Hôpitaux créé pour lui et enfin en 1955, Professeur de Clinique Médicale et Neurologique.

Après ce raccourci impressionnant d'une fulgurante carrière, il est maintenant nécessaire de s'arrêter sur certains moments privilégiés qui ont déterminé l'orientation scientifique et l'activité professionnelle de Pierre Kissel. C'est tout d'abord la rencontre avec Remy Collin, Professeur d'Histologie, dont il fut le préparateur de 1927 à 1931 et qui s'intéressait particulièrement à l'Histologie du Système Nerveux. Il envoya son jeune élève auprès de Ramon y Cajal à Madrid pour apprendre les techniques d'imprégnation à l'argent et à l'or, qui avaient permis à ce savant prestigieux d'établir la théorie du neurone et d'édifier toute l'histologie du système nerveux, ce qui lui valut le prix Nobel. Pierre Kissel passa là plusieurs mois où il rencontra des hommes de grande renommée, tels Laurente de No, Lafora, Marinesco. C'est alors que naquit sa vocation neurologique. Son deuxième maître fut de Lavergne, Bactériologiste, chef de Service des « Contagieux » à Nancy, dont il fut le Chef de Laboratoire de 1931 à 1939. Je ne puis mieux faire pour exprimer l'importance de cette rencontre, que de vous relire ces quelques lignes de son allocution prononcée ici-même en janvier 1975 : « Homme génial d'une culture et d'une envergure exceptionnelles, il eut sur moi une influence profonde. Je fus à Nancy son premier disciple. Je suis son fils spirituel. Les années de jeunesse et de formation que je passais auprès de lui, furent les plus heureuses de ma vie. » Son premier stade d'Internat s'accomplit dans le service de Lucien Cornil et c'est la troisième rencontre importante. Élève de Roussy et de Jean Lhermitte, Cornil était un neurologiste et un neuro-pathologue de grande valeur. Le jeune interne emporté par l'enthousiasme de ce jeune Maître, se pas­sionne définitivement pour la Neurologie qui sera durant toute sa carrière, le domaine privilégié de son activité scientifique.

Son oeuvre, d'une importance et d'une qualité exceptionnelles, a touché cependant à bien des domaines, reflétant sa double orientation d'homme de laboratoire et de clinicien. Dès 1939, à la IXe Réunion Neurologique Internationale il est un des premiers à présenter une description de la névroglie de la neuro-hypophyse. Pendant son séjour comme Chef de Laboratoire de Bactériologie, il dirige ses recherches vers les phénomènes de coagglutination des méningoccoques, les conceptions pathogéniques de la fièvre typhoïde, les variations de la cholestérolémie dans les infections à germes hémolytiques, sujet de sa thèse en 1934. Les affections à virus neurotrope intéressent le neurologue et il fait des travaux sur l'herpès, les oreillons, montrant en particulier la transmissibilité au lapin de l'infection ourlienne sous forme de ménigo-névraxite.

Près de 500 communications ou articles, principalement consacrés à la Neurologie, 15 rapports dans des Congrès Nationaux et Internationaux, 11 livres dont les deux derniers vont paraître ce mois-ci, l'un chez Springer, l'autre chez Masson-New York montrent la somme considérable de la production scientifique de Pierre Kissel. Je vais essayer d'en dégager les grands axes et les principales contributions. C'est d'abord une série de travaux sur les formes neurologiques des maladies à virus lymphotropes avec leurs analogies particulières. Il réunit ces travaux dans une monographie publiée chez Doin avec Georges Arnould en 1952. Puis, il décrit les uvéo-névraxites à virus dans un rapport à la 26e Réunion Neurologique Internationale.

Toutefois, un des grands sommets de son oeuvre est l'étude des géno-neuro-dermatoses et phacomatoses, avec leurs formes viscérales. Il met en valeur l'importance et le caractère de coordination des diverses malformations associées ; il étudie aussi les dysraphies du névraxe et de ses enveloppes, les génopathies neuro-ophtalmologiques, les gigantismes partiels. Il s'intéresse par la suite aux dysplasies vasculaires et montre qu'elles sont dues à un trouble de l'embryogenèse, engendrées par une anomalie structurale provoquée par une erreur innée de métabolisme. C'est certainement ces travaux qui ont fait son renom international de neuro-généticien et lui ont valu d'écrire dans le Handbook of Clinical Neurology deux articles sur les angiomatoses et le syndrome de Ullmann et de publier en anglais chez Springer avec André et Picard un ouvrage sur les angio-dysplasies des artères cérébrales. Sa dernière grande oeuvre est consacrée aux neuro-cristopathies où il réunit dans une conception très générale, phacomatoses et polyadénomatoses issues de dérivés pathologiques de la crête neurale (thèse d'A. Jacquier).

Tous ces travaux de neuro-génétique, qui montrent son souci de considérer un problème pathologique dans son ensemble, ont retenu l'attention et l'admiration du monde neurologique. Cette activité scientifique très spécialisée ne l'empêche pas de s'intéresser dans sa Clinique Médicale à des questions touchant l'appareil digestif, le coeur, les glandes endocrines, la thérapeutique et sa monographie sur les Placebos a eu en 1964 un succès mérité. Un tel éventail d'activités l'a fait nommer dans de nombreuses Sociétés Savantes, soit pour les sciences fondamentales d'Anatomie et de Biologie, soit pour les Sciences cliniques. Je ne puis les citer toutes, mais il était à juste titre fier d'avoir été élu Membre Correspondant de l'Académie de Médecine en 1969 et d'avoir présidé la Société Française de Neurologie en 1975.

Grand Chef d'École, Pierre Kissel, l'a été comme le démontre le nombre et la qualité des élèves qu'il a formés et qui occupent aujourd'hui de hautes fonctions à l'université de Nancy dans des disciplines très diverses, Georges Arnould en Neurologie, Tridon en neuro-psychiatrie infantile, Harteman et Schmitt en médecine, Laxenaire en psychiatrie, Dureux en maladies infectieuses. Sa compétence, son autorité en bien des matières, sa perspicacité l'ont fait désigner par ses pairs aux fonctions de responsabilité. Il siège de longues années au Comité Consultatif des Universités, il préside la Commission Médicale Consultative. Après la libération il est élu au Conseil Municipal de Nancy et sa conduite pendant l'occupation lui a valu la Médaille de la Résistance. Il était Officier de la Légion d'Honneur.

Pierre Kissel avait une personnalité faite de distinction, de courtoisie et de réserve. Il était assez secret en apparence mais on sentait vite chez lui sa disponibilité pour les autres, surtout quand ils avaient acquis sa confiance. Nous avons pu apprécier son amitié dont il nous a donné de nombreuses preuves durant le long parcours que nous avons fait ensemble dans nos Écoles respectives. Pour ses élèves, il fut le Maître proche, rempli de sollicitude, leur témoignant son affection en s'intéressant avec une extrême délicatesse à leur vie familiale. Esthète averti, il aimait la peinture, la musique et participait durant l'été depuis sa maison familiale de Saint-Uze en Provence aux manifestations artistiques si riches dans cette région, en Avignon, Orange et Aix.

Doté de telles qualités de coeur, de courage, et d'intelligence, il n'est pas étonnant que Pierre Kissel ait eu pendant plusieurs décades un rayonnement et une influence déterminantes tant dans sa Faculté de Médecine de Nancy que dans le Monde Neurologique qui lui vouait tant d'admiration et d'estime. A sa soeur, Mlle Kissel, qui lui prodigua toute sa vie son affectueuse attention et son inlassable dévouement, à tous ses Élèves qui constituaient autour de lui une grande famille nous adressons, au nom de la Société Française de Neurologie, notre profonde sympathie en les assurant que le souvenir de Pierre Kissel demeurera impérissable dans notre Compagnie et dans nos coeurs.