` sommaire

JEAN-BAPTISTE-EDMOND SIMONIN (1812-1884)

CHIRURGIEN NANCEIEN, PIONNIER DE L’INSUFFLATION PULMONAIRE

 

Jacqueline CAROLUS

 

Le milieu du XIXe a vu naître l'anesthésie générale par inhalation. Jusqu'en 1846, les chirurgiens disposaient de peu de chose pour atténuer la douleur opératoire, opium, sous forme d'extrait ou de laudanum, et pour faire oublier l'angoisse, alcool : vin ou eau-de-vie. C'est la contention (aides robustes et noeuds coulants) qui permettait d'immobiliser les opérés. Et pourtant depuis la plus Haute Antiquité, on ouvrait des vessies pour en tirer la pierre, on trépanait, on « abaissait » des cataractes, on excisait des tumeurs, on amputait.... L'éther sulfurique (connu depuis 1550 -Paracelse), le protoxyde d'azote (découvert par Priestley en 1772) n'étaient utilisés qu'au cours de parties mondaines. De 1844 à 1846, aux U.S.A., les dentistes Wells et Morton, le Docteur Jackson vont penser à leur utilisation clinique. C'est le nom de Morton qui passera à la postérité, son « service de marketing » étant le plus efficace.

Pendant ce temps-là, à Nancy, Jean-Baptiste-Edmond Simonin expérimentait depuis 1836, mais, prudent et modeste, il attendra qu'en décembre 1846, l'envoyé de Morton vienne faire la première démonstration d'anesthésie à l'éther à Paris, avant de pratiquer à Nancy, les premières « anesthésiations » chez l'homme. Il publiera ses importants travaux avec recul et discrétion. J.B.E. Simonin appartient à une célèbre dynastie de chirurgiens nancéiens. Son grand-père, Jean-Baptiste Simonin I, (1750-1836) fut Professeur au Collège Royal de Chirurgie, puis Professeur à l'Ecole Secondaire de Médecine, de même que son père Jean-Baptiste Simonin II (1784-1871).

Jean-Baptiste-Edmond Simonin est né à Nancy, le 15 juin 1812. Professeur à l'Ecole de Médecine dés 1841, il en devient le directeur en 1850 et exercera ces fonctions jusqu'en 1872. Après le transfert de la Faculté de Strasbourg, il est intégré comme Professeur. Chercheur infatigable, il va tout au long de sa carrière s'attacher, dit-il, « à soustraire un grand nombre d'êtres humains aux douleurs si vives qui accompagnent les grandes opérations chirurgicales ». Toutes ses expérimentations seront faites avec rigueur et les observations notées et commentées. Les premières recherches, en 1836, portent sur l'utilisation d'opium fumé dont l'effet est imprévisible et ne lui donne pas satisfaction ... Il essaie également, à la recherche d'anesthésie locale et sans grandes satisfactions, la « décalorisation » au moyen de sulfure de carbone ou de glace pilée, seule ou associée à du sel.

A l'affût de toutes les nouveautés, il s'oppose à toutes formes de saignées : « saignée générale en vue de la syncope » ou « saignée respiratoire » (il était classique de soustraire 650 ml de sang avant la chloroformisation pour favoriser la respiration). Il expérimente l'amylène, le chloral, l'injection d'eau froide dans les oreilles, le magnétisme et l'hypnotisme, la liqueur anodine d'Hoffmann. Mais ce sont ses travaux sur l'éther et le chloroforme, qui, méconnus, méritent notre admiration. Il est, dit-il, le seul en France, à pratiquer, avec un appareil de son invention, l'étherisation par la voie du rectum selon le procédé de Pirogoff. Conservant seulement quelques indications à cette technique (malades tousseurs ou trachéotomisés), il l'abandonnera en novembre 1847, la jugeant trop approximative et peu maniable. Après de nombreuses expérimentations animales, Simonin est prêt à débuter l'anesthésie par inhalation chez l'homme en janvier 1847, quand précisément Fisher, l'ami de Morton arrive à Paris et que le Professeur Malgaigne y fait, le 12 janvier 1847, sa première communication. Le matériel est prêt, à l'aide d'un appareil à fumigation, il réalise avec succès, sa première « anesthésiation » à l'éther, le 30 janvier 1847. « Mes essais ont marché parallèlement avec les premières expériences faites à Paris ».

En novembre 1847, informé des travaux de Flourens et de Simpson, il est le premier Français, dit-il, à utiliser, après des expérimentations animales, le chloroforme chez l'homme. Il l'administre à l'aide d'une serviette « pliée comme une tuile ». Dans chaque nouvel essai, la démarche est la même. Après des expériences sur des animaux, des opérations simples telles qu'extractions dentaires sont pratiquées, précédant des gestes plus lourds : amputations, opération de la taille, ablation de seins cancéreux ... Les malades anesthésiés sont l'objet d'une surveillance extrêmement minutieuse. La sensibilité est surveillée à l'aiguille et en toutes régions au cours de l'anesthésie (on emploie habituellement 6 aides - 2 s'occupant uniquement de faire respirer l'agent anesthésique, 2 retiennent le malade aux bras, en pieds « qui doivent être privés de toutes chaussures » ; « le concours de 12 aides est utile, dit Simonin, pour une grande amputation ». La mortalité qui était de 57% dans les amputations de cuisse sans anesthésie, passe, dit-il, grâce à l'anesthésie, à 37%.

Toutes les observations de Simonin vont être consignées, analysées, commentées dans un ouvrage monumental en quatre tomes : « De l'emploi de l'éther sulfurique et du chloroforme à la clinique chirurgicale de Nancy ». Il note ses observations à partir du 30 janvier 1847. Le premier tome rédigé en 1847, publié à Paris chez Baillière en 1849, rapporte 52 observations d'anesthésiation, « simple observation des faits », notées avec une extrême précision. Dans les tomes II et III, la physiologie et les lois physiques régissant l'anesthésie sont étudiées. Le tome IV, consacré aux complications est remarquable. Dès janvier 1847, Simonin a prévu tous les accidents possibles. « Tout doit être non seulement indiqué, non seulement prévu, mais tout doit être prêt. La conduite à tenir par le chirurgien doit être prévue à l'avance ». On combattra le collapsus par la position déclive et l'utilisation de bandes d'Esmarch, c'est banal. Mais ce qui est original en 1847, ce sont les solutions proposées pour traiter l'arrêt respiratoire : « ne pas perdre son temps avec le moyen indiqué dans les Archives Médicales Belges, préconisé par le Docteur Bailée, qui consiste à mettre, en cas de syncope, un morceau de glace dans le rectum ». Mais plutôt « Songer d'abord à l'ouverture des fenêtres ». Simonin trouve plus logique d'insuffler les poumons. L'insufflation simple de bouche à bouche semble illusoire et répugnante. Si on insuffle le pharynx à l'aide d'un soufflet, on pousse l'air dans l'estomac. « Pour ma part, dit-il, j'estime que c'est à l'insufflation dans la trachée-artère qu'il faut recourir. Depuis 1847, à la clinique Saint-Charles, j'ai toujours eu à ma portée une sonde et un soufflet en vue d'une insufflation possible... ».

Simonin utilise des sondes urétérales de quatre diamètres, N° 24, 25, 27, et 28 de la nouvelle filière Charrière. La difficulté d'introduction est moindre, dit-il, si la langue saisie par une « érigne » est tirée à l'extérieur de la bouche. « L'introduction de l'air doit se faire sans violence, à l'aide d'un soufflet de ménage ou d'une poire de caoutchouc ». « J'ai recherché sur le cadavre les effets de la poussée de l'air » dans le poumon à l'aide d'un soufflet destiné aux appar­tements ... Les poumons, mis à découvert, n'ont offert aucune apparence morbide soit à leur extérieur soit dans leur parenchyme ». Cette technique d'insufflation pulmonaire est tout à fait originale pour l'époque. On connaissait le tubage laryngé que Bichat avait proposé en 1798 dans la diphtérie. Chaussier, en 1806, dans son « Discours aux sages-femmes » préconisait l'utilisation de son tube laryngé en argent pour réanimer le nouveau-né en état de mort apparente, mais ne s'en était pas servi cliniquement. « Jusqu'à présent on a point eu l'occasion, dans l'hospice, de faire usage de ce moyen pour rappeler les enfants à la vie ». C'est seulement en 1909, que Meltzner et Auer décriront « l'intubation trachéale associée à l'insufflation, l'exsufflation se faisant autour du tube ». Quant au barotraumatisme, on peut affirmer que cette notion n'avait pas cours à l'époque et que Jean-Baptiste-Edmond Simonin est un précurseur de génie méconnu, qu'il est à la fois, en Lorraine le pionnier de l'anesthésie par inhalation et dans le Monde, celui de l'insufflation pulmonaire avec intubation trachéale.

Jean-Baptiste-Edmond Simonin était le fondateur de la Société de Médecine de Nancy, le Secrétaire perpétuel de l'Académie de Stanislas, le Directeur du service de la Vaccine et le Président de l'Association de prévoyance des médecins. Outre son travail sur l'éther et le chloroforme, Simonin a publié différents travaux de moindre importance, qu'il a modestement présentés à Nancy, devant l'Académie de Stanislas ou à la Société d'Archéologie, travaux qui n'ont donc pas eu la reconnaissance méritée. Simonin correspondra avec Jackson et Pirogoff, aura la joie de recevoir Simpson à Nancy en 1856 et en 1870, celle de rencontrer Pirogoff en Lorraine, dans une ambulance. Il recevra en 1846, la médaille d'or de l'Académie de Médecine et plus tard en 1873, le prix Montyon de l'Académie des Sciences. Chevalier de la Légion d'Honneur, il avait reçu plusieurs décorations étrangères, témoignage de sa réputation en dehors de nos frontières.

Evincé momentanément du service chirurgical qu'il dirigeait lors de la guerre de 1870, service réquisitionné par les armées ennemies, il devient Professeur à la Faculté de Médecine en 1872 et se heurtera à l'hostilité de Sédillot lequel prétendra que « l'éther administré dans un service aussi sale et par des internes si novices » ne peut être d'aucune efficacité. Il prendra sa retraite le 1er avril 1879, et ne connaîtra pas le nouvel hôpital tant désiré, de l'Avenue de Strasbourg.