crEation, installation et
Evolutions DES CHU
La conception puis la création des Centres
Hospitalo-universitaires correspondent dans l'inconscient collectif uniquement
à une pulsion du Professeur Robert Debré, vivement contesté à l'époque par ses
pairs, alors qu'elles résultent en réalité d'une très longue réflexion dont il
a été le leader incontestable et l'artisan infatigable. Les CHU sont avec la
branche maladie de la Sécurité Sociale les pièces maîtresses du système de
santé français actuel. Mais, paradoxalement, leurs institutionnalisations
respectives ont été pour de multiples raisons politiques et sociétales décalées
de 13 ans. Ce n'est que par la conjonction de circonstances exceptionnelles que
la création des CHU a été possible. Nous analyserons successivement de façon
nécessairement résumée à l'essentiel, leur conception, leur création et leur
évolution.
conception et création
Les CHU, une évolution pour les Facultés de Médecine et
les Hôpitaux
La révolution construite progressivement avait quatre
objectifs. Elle consistait d'abord à
faire passer la médecine française de la clinique, sa gloire incontestée depuis
des siècles, à la bioclinique, triomphe de la médecine américaine
contemporaine. Elle reposait ensuite sur la transformation de l'enseignement
universitaire avec quelques stages à l'hôpital, en une formation
hospitalo-universitaire avec un ordre de préséance des mots du nom composé très
significatif. Elle impliquait de plus de passer de l'hôpital de la charité à
celui de la solidarité c'est-à-dire de celui des pauvres à celui de tous.
Enfin, ces trois objectifs obligeaient à transformer les médecins des hôpitaux
à temps très partiel en des médecins hospitalo-universitaires à temps plein. Alors que la révolution -comme toutes les révolutions d'ailleurs-
naissait à Paris, les médecins des hôpitaux et les professeurs de médecine
parisiens s'associaient pour une fois, mais contre un danger commun : les quatre
exigences en complet décalage avec les conceptions d'une grande majorité de ces
médecins.
Un long chemin et des circonstances exceptionnelles
Le Conseil National de la Résistance qui préparait la
création de la sécurité sociale à mettre en œuvre dès la Libération obtenue,
comportait le Front National des Médecins devant lequel le professeur R. Debré
a présenté à Alger dès 1944 une esquisse
des futurs CHU. La réorganisation de la France dans de très nombreux domaines
en 1945 puis les bouleversements politiques ont fait oublier la réforme des
hôpitaux. Entre 1954-56, avec l'aide de P. Mendes-France, les «jeunes Turcs»
(Dausset, Legrain, Grenier...) qui avaient bénéficié
de stages hospitaliers aux USA réfléchissaient à une modernisation des hôpitaux
français. Vermeil, alors interne chez R. Debré connaissant le projet de son
patron, lui parla de l'initiative de ses amis et sollicita son aide. De 1956 à
58 le projet s'enrichit malgré
l'opposition des médecins des hôpitaux de Paris souvent par ailleurs
professeurs à la faculté. Après sa nomination comme président du conseil, De
Gaulle puissamment incité par Michel Debré signa l'ordonnance du 30 décembre
1958 créant les CHU en utilisant les pouvoirs spéciaux. Il aura fallu 13 ans et
des circonstances exceptionnelles pour que cette réforme considérable puisse
aboutir. Avec toutefois, comme si souvent en politique, des compromis
transformant la révolution en une belle réforme mais menacée par de nombreuses
dérives prévisibles.
Une révolution devenue une réforme importante
Pour faire accepter aux professeurs cliniciens ce séisme
par rapport à leurs prérogatives antérieures, sans pouvoir les y contraindre du
fait de leurs statuts, il fallut créer de nombreuses situations transitoires,
organiser un secteur privé remplaçant leur clientèle et ne pas bouleverser
l'organisation des services hospitaliers. Les CHU ont donc été, dès le départ,
le résultat de nécessaires compromis transformant la révolution attendue en une
belle réforme mais limitée pouvant donc
être soumise à des dérives variées.
installation et évolutions non
maîtrisées
La réforme s'installa très progressivement avec ses
multiples aménagements de transition, alors que de nombreux progrès
scientifiques et médicaux commençaient sous l'enthousiasme des néophytes à déjà faire émerger des dérives. L'important développement
de la biologie et de nombreuses explorations paracliniques
changèrent judicieusement les pratiques.
Mais rapidement les facilités que ces moyens procuraient, commencèrent à
marginaliser la clinique et par voie de conséquence l'humanisme qu'elle
véhiculait. La puissance des moyens techniques alloués aux CHU par rapport à
toutes les autres structures publiques et privées de soins, instaura une
hégémonie arrogante qui engendra des réactions progressives de concurrence plus
ou moins agressives contre un CHU-centrisme à la fois envié et détesté. Pendant
la période des «trente glorieuses» aux ressources économiques faciles pour la
santé, une concurrence sauvage s'installa
insidieusement entre les diverses structures de soins, motivée pour le public,
par une recherche de prestige politique des maires présidents de droit des conseils
d'administration des hôpitaux et pour le privé par une marchandisation
lucrative des soins en grande croissance. Au cours de cette expansion
nécessaire et facile, propice aux organisations rationnelles, malheureusement
aucune conception générale de construction d'un système de soins humainement et
économiquement cohérent ne fut envisagée. Chacun utilisa ses appuis pour
progresser le plus et le plus vite possible.
Pour les centres hospitaliers régionaux (CHR) couplés aux
facultés de médecine pour constituer les CHU, comme pour les universités, la
«révolution joyeuse» de 1968 a eu des conséquences considérables totalement
négligées durant la décennie qui suivit. Les médecins bi-appartenant temps
plein à peine devenus majoritaires furent, d'abord dans quelques disciplines,
ne disposant que de rares universitaires (anesthésie), associés à des médecins
mono-appartenant temps plein régis par l'absurde statut qualifié de « hors CHU,
intra CHU ». Évidemment, les importantes demandes de soins sans redéfinitions
précises des missions des CHU faisant loi, la mono-appartenance se généralisa à
toutes les disciplines grâce à la création du statut des praticiens
hospitaliers (PH) temps plein. La création de deux catégories de médecins à
statut si différent, choisie par facilité politique, fut la plus mauvaise des
solutions possibles pour répondre à la demande croissante de soins. En effet,
les praticiens hospitaliers à niveau d'études, d'ancienneté et de compétences
égal voire parfois supérieur à celui des professeurs des universités praticiens
hospitaliers (PUPH) cohabitant sous leur autorité obligatoire dans les mêmes
services, sont devenus majoritaires dans les CHU. De plus, les transformations
des stagiaires du deuxième cycle des études médicales en étudiants hospitaliers
puis de tous les étudiants de spécialité en internes, procurèrent à ces
étudiants une formation moyenne incomparablement meilleure à la précédente et
fournirent aux hôpitaux universitaires une importante main d'œuvre médicale
temporaire peu onéreuse. Mais cette réforme obligea de fait les praticiens
hospitaliers, par définition mono-appartenant, à assurer très injustement des fonctions d'enseignement
puis de recherches cliniques comme les PUPH, sans toutefois en avoir ni le
titre ni la rémunération. Cette évolution hospitalo-universitaire irrationnelle
par manque d'une politique globale, procura
aux hôpitaux une puissance considérable alors que les facultés de
médecine se dissolvaient dans des universités rassemblant, pour des raisons
d'exclusives opportunités locales, divers établissements à vocations
d'enseignements et de recherches hétéroclites sans complémentarité réelle. Ces
organisations en strates sans aucune logique fonctionnelle sont parvenues
subrepticement à créer l'inadmissible situation actuelle.
une situation actuelle très
inquiétante
Les CHU, tant dans leur partie hospitalière
qu'universitaire, ont atteint un tel niveau de fonctionnement aberrant que ce n'est ni la nouvelle loi
universitaire ni la nouvelle loi hospitalière en discussion qui pourront
reconstruire efficacement les deux membres paralysés des CHU. Elles risquent
même, plus que probablement, de fortement aggraver les difficultés actuelles.
En effet, les évolutions structurelles des CHU simultanées et d'une ampleur
inouïe, liées aux énormes progrès des connaissances et des techniques et aux
gigantesques contraintes économiques, ne sont à nouveau pas prises en charge
globalement. Ces évolutions peuvent être classées en quatre groupes :
- l'hégémonie d'une remarquable médecine bio-numérique
en voie de diffusion dans tous les domaines du diagnostic et du traitement avec
même des robots remplaçant demain en grande partie les mains, transforme
radicalement les exercices,
- l'hyperspécialisation avec l'abandon du malade au
profit de sa maladie et même bientôt d'une petite partie de celle-ci,
déshumanise les relations médecins-malades,
- les aberrantes modalités des formations et
recrutements des étudiants puis des médecins entraînent des gaspillages
considérables impossibles à maîtriser pendant de nombreuses années,
- les innombrables procédures des managements
médicaux, administratifs, juridiques, économiques ... irréalistes et incoordonnées paralysent les
fonctionnements devenant irresponsables par dilution dans une responsabilité
collective inexistante dans les faits.
Face à une nouvelle transformation obligatoire des CHU,
les quatre groupes d'exigences rappelés ne sont une fois encore pas pris en
compte par une conception générale incorporant globalement et simultanément
tous ces aspects dans un corps de doctrine unique. Ce n'est qu'après une telle
démarche qu'une réglementation cohérente peut être déclinée logiquement en
règles coordonnées entre les parties concernées afin d'atteindre un objectif
arrêté, connu et appliqué par tous. Tous les défis rapportés ci-dessus incitent
malheureusement à penser que les CHU évolueront très mal malgré de nombreux
efforts entrepris parce qu'ils sont
catégoriels, parcellaires, d'opportunité et ne reposent pas sur une
doctrine générale adaptée aux enjeux.
une conclusion réalistement
pessimiste
Au vu de l'évolution du CHU brièvement rapportée
ci-dessus, comment s'étonner que ce magnifique outil de la médecine française
soit devenu, par les incessants bricolages politiques, administratifs et
médicaux et toutes leurs incuries respectives, un vaisseau amiral en perdition
dans les tourmentes économiques et sociales actuelles. Si beaucoup de ses
fondements peuvent et doivent même être préservés, son organisation en revanche
doit être radicalement repensée pour répondre aux devoirs humanistes envers les
patients, aux nouvelles contraintes des connaissances et techniques médicales
et aux énormes défis économiques si déterminants pour la médecine de solidarité
du XXIème siècle. Dès 1973, le Professeur Robert Debré conscient des dérives
s'amoncelant déjà, exhortait à entreprendre immédiatement : « une nouvelle
révolution complète » dont j'avais eu, comme jeune doyen l'honneur de
m'entretenir brièvement avec lui. Désormais, la devise du CHU se résume
malheureusement à : « régénérer ou périr », mais qui seront les Robert
Debré et Charles De Gaulle de ce début de XXIème siècle pour éviter une lente
agonie annonçant une marchandisation moralement inadmissible de la médecine de
soins de solidarité ?