` sommaire

crEation, installation et Evolutions DES CHU

 

Adrien DUPREZ

 

La conception puis la création des Centres Hospitalo-universitaires correspondent dans l'inconscient collectif uniquement à une pulsion du Professeur Robert Debré, vivement contesté à l'époque par ses pairs, alors qu'elles résultent en réalité d'une très longue réflexion dont il a été le leader incontestable et l'artisan infatigable. Les CHU sont avec la branche maladie de la Sécurité Sociale les pièces maîtresses du système de santé français actuel. Mais, paradoxalement, leurs institutionnalisations respectives ont été pour de multiples raisons politiques et sociétales décalées de 13 ans. Ce n'est que par la conjonction de circonstances exceptionnelles que la création des CHU a été possible. Nous analyserons successivement de façon nécessairement résumée à l'essentiel, leur conception, leur création et leur évolution.

 

conception et création

 

Les CHU, une évolution pour les Facultés de Médecine et les Hôpitaux

 

La révolution construite progressivement avait quatre objectifs. Elle consistait d'abord  à faire passer la médecine française de la clinique, sa gloire incontestée depuis des siècles, à la bioclinique, triomphe de la médecine américaine contemporaine. Elle reposait ensuite sur la transformation de l'enseignement universitaire avec quelques stages à l'hôpital, en une formation hospitalo-universitaire avec un ordre de préséance des mots du nom composé très significatif. Elle impliquait de plus de passer de l'hôpital de la charité à celui de la solidarité c'est-à-dire de celui des pauvres à celui de tous. Enfin, ces trois objectifs obligeaient à transformer les médecins des hôpitaux à temps très partiel en des médecins hospitalo-universitaires à  temps plein. Alors que la révolution  -comme toutes les révolutions d'ailleurs- naissait à Paris, les médecins des hôpitaux et les professeurs de médecine parisiens s'associaient pour une fois, mais contre un danger commun : les quatre exigences en complet décalage avec les conceptions d'une grande majorité de ces médecins.  

 

Un long chemin et des circonstances exceptionnelles

 

Le Conseil National de la Résistance qui préparait la création de la sécurité sociale à mettre en œuvre dès la Libération obtenue, comportait le Front National des Médecins devant lequel le professeur R. Debré a présenté  à Alger dès 1944 une esquisse des futurs CHU. La réorganisation de la France dans de très nombreux domaines en 1945 puis les bouleversements politiques ont fait oublier la réforme des hôpitaux. Entre 1954-56, avec l'aide de P. Mendes-France, les «jeunes Turcs» (Dausset, Legrain, Grenier...) qui avaient bénéficié de stages hospitaliers aux USA réfléchissaient à une modernisation des hôpitaux français. Vermeil, alors interne chez R. Debré connaissant le projet de son patron, lui parla de l'initiative de ses amis et sollicita son aide. De 1956 à 58  le projet s'enrichit malgré l'opposition des médecins des hôpitaux de Paris souvent par ailleurs professeurs à la faculté. Après sa nomination comme président du conseil, De Gaulle puissamment incité par Michel Debré signa l'ordonnance du 30 décembre 1958 créant les CHU en utilisant les pouvoirs spéciaux. Il aura fallu 13 ans et des circonstances exceptionnelles pour que cette réforme considérable puisse aboutir. Avec toutefois, comme si souvent en politique, des compromis transformant la révolution en une belle réforme mais menacée par de nombreuses dérives prévisibles.

 

Une révolution devenue une réforme importante

 

Pour faire accepter aux professeurs cliniciens ce séisme par rapport à leurs prérogatives antérieures, sans pouvoir les y contraindre du fait de leurs statuts, il fallut créer de nombreuses situations transitoires, organiser un secteur privé remplaçant leur clientèle et ne pas bouleverser l'organisation des services hospitaliers. Les CHU ont donc été, dès le départ, le résultat de nécessaires compromis transformant la révolution attendue en une belle réforme  mais limitée pouvant donc être soumise à des dérives variées.

 

installation et évolutions non maîtrisées

 

La réforme s'installa très progressivement avec ses multiples aménagements de transition, alors que de nombreux progrès scientifiques et médicaux commençaient sous l'enthousiasme des néophytes à déjà faire émerger des dérives. L'important développement de la biologie et de nombreuses explorations paracliniques changèrent  judicieusement les pratiques. Mais rapidement les facilités que ces moyens procuraient, commencèrent à marginaliser la clinique et par voie de conséquence l'humanisme qu'elle véhiculait. La puissance des moyens techniques alloués aux CHU par rapport à toutes les autres structures publiques et privées de soins, instaura une hégémonie arrogante qui engendra des réactions progressives de concurrence plus ou moins agressives contre un CHU-centrisme à la fois envié et détesté. Pendant la période des «trente glorieuses» aux ressources économiques faciles pour la santé, une concurrence  sauvage s'installa insidieusement entre les diverses structures de soins, motivée pour le public, par une recherche de prestige politique des maires  présidents de droit des conseils d'administration des hôpitaux et pour le privé par une marchandisation lucrative des soins en grande croissance. Au cours de cette expansion nécessaire et facile, propice aux organisations rationnelles, malheureusement aucune conception générale de construction d'un système de soins humainement et économiquement cohérent ne fut envisagée. Chacun utilisa ses appuis pour progresser le plus et le plus vite possible.

 

Pour les centres hospitaliers régionaux (CHR) couplés aux facultés de médecine pour constituer les CHU, comme pour les universités, la «révolution joyeuse» de 1968 a eu des conséquences considérables totalement négligées durant la décennie qui suivit. Les médecins bi-appartenant temps plein à peine devenus majoritaires furent, d'abord dans quelques disciplines, ne disposant que de rares universitaires (anesthésie), associés à des médecins mono-appartenant temps plein régis par l'absurde statut qualifié de « hors CHU, intra CHU ». Évidemment, les importantes demandes de soins sans redéfinitions précises des missions des CHU faisant loi, la mono-appartenance se généralisa à toutes les disciplines grâce à la création du statut des praticiens hospitaliers (PH) temps plein. La création de deux catégories de médecins à statut si différent, choisie par facilité politique, fut la plus mauvaise des solutions possibles pour répondre à la demande croissante de soins. En effet, les praticiens hospitaliers à niveau d'études, d'ancienneté et de compétences égal voire parfois supérieur à celui des professeurs des universités praticiens hospitaliers (PUPH) cohabitant sous leur autorité obligatoire dans les mêmes services, sont devenus majoritaires dans les CHU. De plus, les transformations des stagiaires du deuxième cycle des études médicales en étudiants hospitaliers puis de tous les étudiants de spécialité en internes, procurèrent à ces étudiants une formation moyenne incomparablement meilleure à la précédente et fournirent aux hôpitaux universitaires une importante main d'œuvre médicale temporaire peu onéreuse. Mais cette réforme obligea de fait les praticiens hospitaliers, par définition mono-appartenant, à assurer  très injustement des fonctions d'enseignement puis de recherches cliniques comme les PUPH, sans toutefois en avoir ni le titre ni la rémunération. Cette évolution hospitalo-universitaire irrationnelle par manque d'une politique globale, procura  aux hôpitaux une puissance considérable alors que les facultés de médecine se dissolvaient dans des universités rassemblant, pour des raisons d'exclusives opportunités locales, divers établissements à vocations d'enseignements et de recherches hétéroclites sans complémentarité réelle. Ces organisations en strates sans aucune logique fonctionnelle sont parvenues subrepticement à créer l'inadmissible situation actuelle.

 

une situation actuelle très inquiétante

 

Les CHU, tant dans leur partie hospitalière qu'universitaire, ont atteint un tel niveau de fonctionnement  aberrant que ce n'est ni la nouvelle loi universitaire ni la nouvelle loi hospitalière en discussion qui pourront reconstruire efficacement les deux membres paralysés des CHU. Elles risquent même, plus que probablement, de fortement aggraver les difficultés actuelles. En effet, les évolutions structurelles des CHU simultanées et d'une ampleur inouïe, liées aux énormes progrès des connaissances et des techniques et aux gigantesques contraintes économiques, ne sont à nouveau pas prises en charge globalement. Ces évolutions peuvent être classées en quatre groupes :

- l'hégémonie d'une remarquable médecine bio-numérique en voie de diffusion dans tous les domaines du diagnostic et du traitement avec même des robots remplaçant demain en grande partie les mains, transforme radicalement les exercices,

- l'hyperspécialisation avec l'abandon du malade au profit de sa maladie et même bientôt d'une petite partie de celle-ci, déshumanise les relations médecins-malades,

- les aberrantes modalités des formations et recrutements des étudiants puis des médecins entraînent des gaspillages considérables impossibles à maîtriser pendant de nombreuses années,

- les innombrables procédures des managements médicaux, administratifs, juridiques, économiques ...  irréalistes et incoordonnées paralysent les fonctionnements devenant irresponsables par dilution dans une responsabilité collective inexistante dans les faits.

 

Face à une nouvelle transformation obligatoire des CHU, les quatre groupes d'exigences rappelés ne sont une fois encore pas pris en compte par une conception générale incorporant globalement et simultanément tous ces aspects dans un corps de doctrine unique. Ce n'est qu'après une telle démarche qu'une réglementation cohérente peut être déclinée logiquement en règles coordonnées entre les parties concernées afin d'atteindre un objectif arrêté, connu et appliqué par tous. Tous les défis rapportés ci-dessus incitent malheureusement à penser que les CHU évolueront très mal malgré de nombreux efforts entrepris parce qu'ils sont  catégoriels, parcellaires, d'opportunité et ne reposent pas sur une doctrine générale adaptée aux enjeux.

 

une conclusion réalistement pessimiste

 

Au vu de l'évolution du CHU brièvement rapportée ci-dessus, comment s'étonner que ce magnifique outil de la médecine française soit devenu, par les incessants bricolages politiques, administratifs et médicaux et toutes leurs incuries respectives, un vaisseau amiral en perdition dans les tourmentes économiques et sociales actuelles. Si beaucoup de ses fondements peuvent et doivent même être préservés, son organisation en revanche doit être radicalement repensée pour répondre aux devoirs humanistes envers les patients, aux nouvelles contraintes des connaissances et techniques médicales et aux énormes défis économiques si déterminants pour la médecine de solidarité du XXIème siècle. Dès 1973, le Professeur Robert Debré conscient des dérives s'amoncelant déjà, exhortait à entreprendre immédiatement : « une nouvelle révolution complète » dont j'avais eu, comme jeune doyen l'honneur de m'entretenir brièvement avec lui. Désormais, la devise du CHU se résume malheureusement à : « régénérer ou périr », mais qui seront les Robert Debré et Charles De Gaulle de ce début de XXIème siècle pour éviter une lente agonie annonçant une marchandisation moralement inadmissible de la médecine de soins de solidarité ?