HECHT Louis-Emile 

1830-1906

` sommaire

ELOGE FUNEBRE

Un deuil nous a frappés depuis notre dernière réunion. Nous avons perdu un de nos anciens collègues, resté attaché à la Faculté par les liens de l'honorariat, le Professeur Hecht. La plupart d'entre nous ont encore connu le Professeur Hecht en pleine activité de ses fonctions, et gardé le souvenir du savant modeste, du maître bienveillant, du collègue excellent. M. Hecht est venu à Nancy, lors du transfert en notre ville de la Faculté de médecine de Strasbourg, à laquelle il appartenait depuis 1857.

Il est né à Strasbourg, le 19 novembre 1830, d'une famille des plus honorablement connues ; son père avait exercé la profession de pharmacien. Après avoir couronné ses études classiques faites au Collège Royal, par l'obtention, le 4 décembre 1849, du diplôme de bachelier es sciences physiques, Louis-Emile Hecht a pris sa première inscription de médecine en novembre 1848. Élève studieux et laborieux, nous en avons la preuve dans les notes d'examens mentionnées à l'époque, dans des rapports spéciaux sur les études faites à la Faculté, Louis Hecht fut nommé le deuxième au concours pour l'Externat, en 1851, puis le premier, au concours pour l'Internat, en 1852. En 1853, il est aide de clinique médicale à la Faculté et attaché au service de son maître, le Professeur Schutzenberger. La même année, il obtint, au concours, le deuxième prix de l'Université, le premier lui ayant été disputé par son camarade d'études, Eugène Boeckel, auquel il était toujours resté lié par la plus sincère amitié.

En 1855, sa dissertation inaugurale intitulée « Essai sur le spiromètre » est classée la première parmi celles de l'année scolaire, et lui a valu le Prix de thèse. Une scolarité aussi brillante devait conduire le jeune docteur à l'agrégation. Au concours de 1856-1857, il sort victorieux de la lutte. Sa thèse sur les causes et les symptômes de la coagulation du sang dans les veines et les artères, oeuvre de valeur à l'époque, témoigne des brillantes aptitudes de notre collègue. Nommé agrégé stagiaire, le 3 mars 1857, il est appelé à l'exercice le 10 janvier 1860, et prolongé pour une période de trois années, le 20 avril 1868. Il est chargé successivement par la Faculté, d'une conférence de diagnostic, d'une conférence de médecine pratique, du service de la clinique médicale supplémentaire, qui n'était autre qu'un enseignement clinique propédeutique. A partir de 1858, il remplit les fonctions de Conservateur de Musée et des collections. Au concours des hôpitaux de mars 1866, il est nommé médecin adjoint de l'Hôpital civil.

M. Hecht était membre de la Société de médecine de Strasbourg, dont il a été l'un des secrétaires de 1865 à 1867 ; ses rapports annuels consignés dans les Mémoires de la Société sont des modèles de rédaction et d'analyse consciencieuses. La Société des sciences naturelles de Strasbourg comptait également M. Hecht parmi ses titulaires. Le Docteur Hecht s'était ainsi signalé de bonne heure, non seulement par les services rendus dans l'enseignement et par une collaboration active aux Sociétés scientifiques ; il avait su conquérir encore comme médecin praticien une notoriété incontestée.

Jouissant de l'estime générale, tout lui promettait un brillant avenir dans sa ville natale, quand survinrent les terribles épreuves de 1870. Pendant le siège et le bombardement de Strasbourg, M. Hecht a contribué à assurer les services de médecine à l'Hôpital civil, que le drapeau de la Convention de Genève ne protégea pas contre les obus allemands. Il s'est largement dépensé encore à l'une des grandes ambulances établies par la Société française de Secours aux blessés et malades militaires, à l'ambulance du Séminaire de Saint-Thomas. Notre collègue a fait ainsi son devoir, tout son devoir, pendant les cruelles et sanglantes journées de six semaines d'un bombardement incessant.

Au terme de l'option fixée par le traité de Francfort, le Dr Hecht quitte avec les siens sa ville natale pour conserver sa nationalité française, et vient à Nancy. Par décret du 1er octobre 1872, il est nommé Professeur de pathologie générale et de pathologie interne à la Faculté. A partir de ce moment, vous connaissez notre collègue.

Ceux d'entre vous, qui ont été ses élèves, ont pu apprécier son enseignement méthodique et simple, exempt de toute discussion abstraite, de toute vue théorique non confirmée par la pratique et l'expérience, enseignement essentiellement classique, toujours basé sur un sens clinique parfait. Le but du maître était de faire de bons praticiens ; le souvenir de profonde reconnaissance que lui ont conservé ses nombreux élèves des deux côtés des Vosges, est la meilleure preuve des qualités de son enseignement éminemment utile et fructueux.

Le Professeur Hecht n'était pas seulement un maître bienveillant, aimé des élèves, il était aussi pour nous un collègue excellent; il était profondément dévoué à la Faculté, cherchant à lui être utile en toutes circonstances, souvent même dans les fonctions les plus ingrates. C'est ainsi que M. Hecht, durant de longues années, s'est chargé du Rapport annuel sur les thèses de la Faculté. Durant une assez longue période, il a été notre représentant à la Commission de la bibliothèque et au Conseil académique.

Je viens de vous dire ce qu'était le maître, le collègue. J'ai encore à vous rappeler l'exactitude, l'assiduité et le grand intérêt avec lesquels le Docteur Hecht suivait les travaux de notre Société de médecine. Accueilli en 1872 au sein de la Société, avec ses collègues venus de Strasbourg, il n'a cessé de lui prodiguer son concours empressé et de lui apporter le fruit de ses observations et de ses méditations. Après qu'il fut secrétaire général, ses confrères, en 1880, l'ont élevé à la présidence de la Société.

Son goût, son attraction pour les questions de science, ont aussi porté notre collègue à suivre les travaux de la Société des sciences. Transférée de Strasbourg à Nancy, cette Société, ancienne Société des sciences naturelles de Strasbourg, a trouvé dans notre collègue un de ses plus vaillants soutiens. C'est à lui qu'elle a dû sa prospérité ; durant de longues périodes d'années, le Professeur Hecht en a été le dévoué et infatigable secrétaire général. La Société, d'ailleurs, s'est empressée de reconnaître les éminents services qu'il lui a rendus, en le nommant secrétaire général honoraire ; c'était la première fois que pareil titre était décerné.

Le Professeur Hecht était membre titulaire de l'Académie de Stanislas, et son discours sur les Rapports de la médecine avec les sciences physiques et naturelles montra une fois de plus le sentiment élevé qu'il avait de la science médicale. Nous devons à notre collègue une série de travaux parmi lesquels ses articles de séméiologie dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales ont été tout particulièrement remarqués.

Que dirai-je du médecin ? Pour notre collègue, l'exercice de la médecine était un véritable sacerdoce. I1 se dépensait sans mesure. Nous savons tous quelle attention scrupuleuse, quelle conscience absolue, quel dévouement profond il apportait aux soins de ses malades. Aussi ne saurait-on s'étonner de la reconnaissance profonde et de la respectueuse admiration qu'il inspirait aux familles qu'il approchait, de l'estime et de la considération générales dont il jouissait. Et quelle délicatesse encore apportait-il dans ses rapports avec ses confrères. Il était également bienveillant pour ses collègues et pour le praticien le plus humble et le plus modeste.

La générosité de son caractère devait aussi le porter à se rendre utile en toute occasion à ses confrères et à ses concitoyens. Nous retrouvons notre collègue dans la Commission d'administration de notre Société de Prévoyance et, de Secours mutuels des médecins de Meurthe-et-Moselle, dans le Conseil d'hygiène, dont il a été le secrétaire, dans le Conseil de la Société française de Secours aux blessés et aux malades militaires, où il apportait le fruit de son expérience acquise à Strasbourg en 1870.

Une vie si noblement remplie, tant de services rendus, ne devaient laisser le gouvernement indifférent, et élèves, confrères, collègues, nous avons tous hautement applaudi, en 1887, à la nomination comme chevalier de la Légion d'honneur, du savant si modeste, du médecin si profondément dévoué à ses semblables et aux choses publiques, du Professeur Hecht.

Quelle a été notre peine, lorsqu'en 1894, nous apprîmes que notre collègue avait fait valoir ses droits à la retraite. En observateur attentif, le Docteur Hecht reconnut que sa santé était atteinte ; il renonça à l'enseignement, à sa clientèle, à toutes ses charges, pour partager son temps entre sa petite patrie lorraine, où il s'était tant dépensé, et les régions des Vosges, chez des parents ou des amis, à la Schlucht, où contemplant avec tristesse sa chère Alsace, il trouvait quelque réconfort dans les souvenirs des temps passés.

Peu à peu sa santé décline ; on ne rencontre plus que fort rarement le Docteur Hecht sur le quai Isabey. Cette intelligence si noble et si haute, s'est progressivement éteinte; lorsque quelques rares amis le voyaient encore, ils ne pouvaient le quitter que profondément attristés, le coeur serré devant les progrès lents, implacables du mal, que la science ne pouvait conjurer, malgré les trésors de dévouement que sa compagne et son fils lui prodiguaient.

Le 25 avril dernier, le Professeur Hecht s'est éteint. Votre Doyen a dû  se conformer à la volonté du défunt, et garder le silence au bord de la tombe de notre regretté collègue. Mais, nous devons rendre ici à sa mémoire un hommage de sincère et profond regret, et adresser aux siens l'expression émue de notre respectueuse sympathie. Le souvenir de notre vénéré collègue restera impérissable dans nos coeurs ; son nom restera gravé dans le livre d'or de l'ancienne Faculté française de Strasbourg et de la Faculté de médecine de l'Université de Nancy.

Professeur F. GROSS