JOLLY Robert

 

(-1919)

 

ELOGE FUNEBRE

 

L'épidémie de grippe a tué en quelques jours les très belles espérances scientifiques fondées sur Robert Jolly par ceux qui avaient pu apprécier ses très rares qualités d'observateur et de chercheur.

Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire en publiant ici même sa très remarquable étude sur les alternances saisonnières de l'hématozoaire du paludisme qu'il nous destinait, et dont, à notre intention, il groupait les éléments quelques jours avant sa mort, il avait une égale aptitude pour les études cliniques et pour les recherches de laboratoire. Il savait trouver les questions intéressantes ; et, à l'ingéniosité de l'expérimentation, il joignait l'esprit critique, une extrême rigueur scientifique, une documentation étonnante.

Esprit extraordinairement étendu, il poursuivait de front sa scolarité médicale, ses études à la Faculté des Sciences de Nancy, où il obtenait les certificats de Botanique agricole (1909), de Botanique générale, de Géologie générale (en 1910), de Zoologie générale (1911), tout en travaillant à la Sorbonne, notamment chez le Professeur Bonnier ; à l'Institut Pasteur, dans les laboratoires de Roscoli, de Banyuls, de Concarneau, et en préparant... la licence de droit.

Après des recherches telles que l'étude de la germination et du passage de la structure tige à la structure racine chez les plantes du genre Polygala, il s'adonna particulièrement à l'étude des algues marines. Il donna, dans le livre jubilaire du Professeur Le Monnier, une liste des algues récoltées à Roscoff et à Concarneau. Et en vue du diplôme d'études supérieures de botanique et d'une thèse de doctorat ès-sciences, il entreprit l'étude histologique d'une algue calcaire (Littzamniuna Calcareum) et celle du développement et de l'étude anatomique du groupe des Némastomacea,

Robert Jolly travaillait au laboratoire de Roscoff lors de la mobilisation.

D'une santé encore fragile, il accourut se mettre à la disposition de la Faculté de Médecine de Nancy ; et, pour servir, abandonnant aussitôt les recherches d'ordre plus ou moins spéculatif, il reprit de toute l'ardeur de son intelligence les études médicales, s'adonnant à la clinique et aux recherches de laboratoire d'application immédiate.

Attaché à la Clinique médicale pour y faire fonction d'interne, il fut un collaborateur infiniment précieux à l'Hôpital civil et à l'Hôpital auxiliaire du Bon-Pasteur, alors que dans des services multiples et surchargés, aux soins incessants aux malades s'ajoutait l'étude des questions nouvelles posées par la médecine de guerre.

Aussitôt, avec son esprit critique, il s'attachait à la détermination des conditions discutées du diagnostic des typhoïdes et des paratyphoïdes par l'hémoculture et par les séro-agglutinations ; aux variations des réactions humorales en fonctions d'autres réactions de défense, D'où deux mémoires : Sur l'emploi des milieux au rouge neutre pour le diagnostic des bacilles paratyphiques, Arch. de Médecine expérimentale et d'anat. path., 1916, Paris ;  La cholesterinémie dans les fièvres paratyphoïdes, en coll. avec M. Etienne et Mlle Mondlange. Annales de Médecine, 1917, no 2. Méningite cérébro­spinale, avec Mlle Mondlange. Puis une collaboration pour la détermination bactériologique ou parasitologique dans toute une série de mémoires sur la fièvre typhoïde et les paratyphoïdes, sur le paludisme autochtone, sur la réviviscence de foyers paludéens, sur des septicémies, etc.

Et il trouvait encore le moyen d'assurer les fonctions de préparateur de Botanique à la Faculté des Sciences, dans lesquelles il avait été délégué.

En 1916, l'état de santé de R. Jolly fut suffisamment consolidé pour lui permettre enfin de contracter un engagement volontaire.

A ce moment, les difficultés au milieu desquelles se trouvait l'armée d'Orient au début de sa campagne, amena à choisir un groupe de jeunes chercheurs entraînés aux travaux de laboratoire, aptes à débrouiller les multiples problèmes de bactériologie et de parasitologie posés avec une angoissante acuité. On proposa aussitôt à Jolly une place de médecin adjoint au laboratoire de Bactériologie de l'armée d'Orient, qu'il accepta avec enthousiasme. Il partit aussitôt et travailla sous la direction successive de Armand-Delille et de Teissonnière.

Ses premières recherches sur l'hématozoaire du paludisme sont consignées dans l'étude de Armand-Delille, Paisseau et Lemaire (Note sur les constatations positives d'hématozoaires au laboratoire de Bactériologie de l'A.O. pendant l'année 1916. Société de Pathologie exotique, 1917, 1er avril. Bull, X, no 4), et dans le fascicule de la Commission d'Etudes du Paludisme. Elles furent complétées par une Note sur les constatations du Pl. Malariae au laboratoire de l'A.O. (Réunion médicale de l'A.0., 8 janvier 1918), en collaboration avec MM. Teissonnière et Beguet, et surtout par l'important mémoire sur l'Alternance saisonnière des divers types de l'hématozoaire du palu­disme, publié ici-même le 1er septembre 1919.

Signalons encore, en collaboration avec MM. Teissonnière et Beguet : Résultat de l'examen de laboratoire de quelques selles dysentériques. Réunion médicale de l'A.O., 17 juillet 1917.

Un cas de dysenterie bacillaire chronique. Réunion médicale de l'A.O, 22 janvier 1918.

Remarques sur les hémocultures pratiquées au laboratoire de Bactériologie de l'A.O. du mois de juin au mois de décembre 1917. Bull. Soc. Pathologie exotique. XI, 3. Séance du 19 mars 1918.

Observation d'une épidémie de grippe à l'.A.O. Bull. Soc. Pathologie exotique. XI, 8. Séance du 6 octobre 1918.

Au Laboratoire de l'A.O., Jolly, à côté des recherches courantes, fut particulièrement chargé du service de la peste et de la prophylaxie anti-pesteuse de l'armée. Un service de prophylaxie modèle fut établi, et son chef commença par étudier la distribution des cas de peste murine et de peste humaine dans la population civile de Salonique, et dans les diverses armées alliées, en tirant de très importantes données d'hygiène locale, montrant notamment la répartition graphique des cas de peste à Salonique en relation avec la disposition des ravins.

La prophylaxie de la Peste à Salonique (Réunion médicale l'A.O., 14 août 1917.

Répartition des cas de Peste marine à Salonique pendant les années 1916 et 1917. Commission internationale d'hygiène de Salonique, 2 décembre 1918.

Carte montrant la répartition des cas de peste humaine et marine aux camps de Zeilenlih et des Orientaux en 1917 et 1918. (id.) 1918.

Carte des cas de peste bubonique dans la population civile de Salonique, en août, septembre, octobre et novembre 1918 (id.).

Mais son esprit chercheur devait aller plus loin, et il groupa les éléments d'une très importante étude que nous publierons prochainement sur les rapports entre le développement de la peste murine et humaine et celui des diverses espèces de puces du rat.

Dans ce numéro même on trouvera de lui une observation d'adénite à Nocardia nouvelle, par Nocardia Jollyi, et surtout une importante étude d'un cas de hyphomycétome observé avec Payhaubert, qui permet de classer définitivement ces mycétomes, comme l'indique le professeur Vuillemin dans le mémoire destiné à souligner la portée de ces recherches.

Nous publierons encore de lui des cas de tétanos conditionnés par des injections de quinine, question bien étudiée par nos médecins militaires de la campagne de Madagascar, trop oubliée.

Malheureusement, des documents très importants sur l'hématologie de la fièvre récurrente ne pourront probablement pas être utilisés.

A la fin de sa permission de détente, avant de rejoindre son laboratoire transporté à Constantinople où il allait occuper provisoirement un poste d'un haut intérêt, R. Jolly voulut aller mettre au point à l'Institut Pasteur quelques-uns des documents rapportés de l'A.O. A son arrivée à Paris, il fut foudroyé par la grippe et il succomba le 12 février 1919.

Et c'est avec une profonde émotion, au souvenir des très grands services rendus dans des moments difficiles, de sa très confiante intimité, que l'un d'eux salue sa mémoire, à laquelle est consacré ce numéro de la Revue médicale de l'Est, dont deux de ces travaux ont été le point de départ.

 

Professeur G. ETIENNE

 

Texte paru dans la Revue médicale de l'Est, sous la rubrique : NOS MORTS, 1920, 44-47